Chapitre 2
En ce vendredi soir : je ne m'éternise pas à 16h00, à la sortie des classes. Le bonheur d'être en week-end n'autorise aucun attardement dans ma classe. Tant pis pour le rangement, tant pis pour les copies, je remballe ! Je prends néanmoins soin de les ranger dans mon cartable en cuir, en vue d'une correction plus tardive... vraiment plus tardive. Samedi ? Voire dimanche soir ... Arf, je verrai après. J'ai trop hâte de retrouver mon appartement, ma douche, mes pantoufles et mon livre ! Ah mes livres : j'y suis carrément accro, et ce, depuis toute petite. C'est mon petit bonheur, mon activité préférée, la seule qui me fasse grimper aux rideaux ! Bah oui, je suis célibataire depuis pas mal d'années !
Par chance, j'arrive à choper un bus tout de suite, et même pas bondé. Une place assise et hop, je peux déjà plonger dans ma lecture du moment. Rien qui soit prise de tête, une lecture facile et légère idéale pour les semaines de travail. Jennifer L. Armentrout va m'accompagner encore ce soir ! Je réserve les lectures plus sérieuses à mes périodes de vacances, quand je suis moins fatiguée, et mon cerveau plus apte à capter. Le trajet jusqu'au quartier du Sablon est assez long pour que je me perde dans l'histoire passionnante du nouveau bouquin de l'auteure américaine ... Un coup d'œil à l'extérieur me fait soudain comprendre que mon arrêt n'est plus très loin. Ouf, j'ai failli le louper !
J'ai une voiture, mais comme elle n'est plus toute jeune et qu'en plus je n'ai aucun endroit pour me garer devant l'école, j'ai pris le parti de ne me déplacer qu'en bus de ville depuis mon emménagement en juillet dernier. Cinq mois déjà, ça file ! Je ne regrette pas : les transports publics sont bien plus pratiques pour me déplacer dans la ville. Faire quelques courses ? Faire du shopping au Muse ? Aller visiter l'exposition temporaire du musée Pompidou ? Check, je saute dans un bus et hop, terminé.
Lorsque j'arrive chez moi, je balance mes chaussures, enlève mon soutien-gorge (on le fait toutes non ?) et je me précipite pour me verser un verre de Perrier citron : je suis accro à cette boisson-là. Oui je sais c'est assez curieux. Le temps de m'allonger sur mon canapé en cuir beige avec une couverture à carreaux, je pose mon verre sur la table basse, me saisit de ma liseuse et me voilà au paradis ! Petite pause avant de sortir en boite croyez-vous ? Que nenni, il s'agit bien là de mon activité pour la soirée. Je n'ai besoin de rien d'autre pour être heureuse. Enfin si, mais ça vous le savez déjà. Et en attendant que mon rêve se réalise, ma foi, je profite à fond de mes moments de solitude pour lire, lire, et encore lire. Je ne crois pas qu'une mère célibataire ait beaucoup le temps de le faire ... Du coup, je fais des réserves !
Ma lecture a dû m'emmener loin, parce que je me rends compte soudain que la seule lumière autour de moi provient de ma liseuse. Le reste de l'appartement est plongé dans le noir. Un petit coup d'œil sur l'horloge de mon téléphone me confirme mon impression : il est près de 21h00 ! Avec la grâce d'un pachyderme, je m'extirpe de mon canapé complètement ankylosée par ces quelques heures d'immobilité. J'avoue aussi que mon estomac crie famine. Je ferme mes volets roulants, puis me dirige donc vers ma petite cuisine, allume la lumière en plissant les yeux, ouvre le réfrigérateur et me compose une petite assiette sympathique : jambon blanc, œufs durs, carottes rappées et quelques tomates que je découpe en morceaux. C'est Mylène qui m'a initiée à la diététique et ça porte ses fruits : j'ai perdu presque sept kg depuis septembre, sans effort particulier, en douceur. Non pas que j'étais énorme, loin de là, mais j'ai perdu les quelques kilos qui alourdissaient ma silhouette depuis toujours. Je me rapproche un peu plus du corps svelte de ma collègue, mais je n'en aurai jamais la fermeté. Mylène est une liane, sans être trop musclée : elle est affûtée par ses années de Pilates et de zumba. Je m'y suis mise aussi, d'ailleurs, aux Pilates, hein, pas à la zumba, trop physique pour moi ...
Assise seule à ma table je ressens soudain le poids de la solitude. Je regarde autour de moi : la porte de la cuisine, grande ouverte donne sur le salon, où règnent le calme et le silence. J'aime bien mon appartement. Idéalement situé dans une rue relativement tranquille, il est typique du style art déco du quartier du Sablon, où je vis. Des petits immeubles ou des maisons mitoyennes, construits dans les années 20-30, avec le charme des hauts plafonds moulurés, des fenêtres cintrées, des sculptures stylisées de fleurs, souvent des roses, habités la plupart du temps par des retraités ou des personnes seules, comme moi. J'ai meublé mon 3 pièces dans le même style, avec des vieux meubles d'époque, trouvés dans la rue ou achetés pas chers dans les brocantes, que j'ai réactualisés en les repeignant en blanc. Ça apporte une certaine unité, et une jolie luminosité. Enfin, je crois. Comme qui dirait, y'a mieux mais c'est plus cher. Et puis Ikea, c'est pas pour moi. Trop froid, trop impersonnel.
Après une vaisselle rapide de mes quelques couverts, je me réinstalle dans mon canapé beige et allume ma télévision. Je zappe mais, consternée, je me rends vite compte que rien ne me conviendra pour ce soir. Je décide donc d'une vidéo à la demande. C'est un peu cher, je le sais bien, mais finalement bien moins qu'une place de cinéma. Et puis quoi de plus nul (et de plus gênant) que d'aller au cinéma seule ? J'opte pour un film que je rêve de voir depuis belle lurette. Le temps de remonter ma couverture sur moi, me voilà plongée dans La forme de l'eau. La beauté des images, la poésie de l'histoire, les couleurs et la musique m'emportent aussi bien que mes livres. Je dérive au gré du scénario comme l'héroïne dans sa salle de bain inondée. Quand le générique de fin retentit, j'essuie ma petite larme, et décide d'aller me coucher.
Dans mon lit, mon esprit repasse en boucle ma semaine écoulée. Agréable, mais sans surprise : le réveil à 6h30, les cours rythmés par l'emploi du temps rectiligne, les corrections, les courses le soir. La solitude de mon appartement. Tout cela est follement reposant, extrêmement tranquille mais ne suis-je pas en train de me complaire dans la facilité ? Le temps file, et mon objectif aussi. Il faut que je réagisse. Je dois changer tout cela en réalisant le seul rêve de ma vie, celui qui va radicalement changer mon quotidien, mon avenir. Je veux devenir maman. Moi aussi je veux goûter à ce bonheur, servir à quelqu'un et à quelque chose. Je n'ose imaginer finir ma vie sans enfant ; j'aurais tout raté, je crois. Je tourne et je me retourne, sans trouver le sommeil malgré ma fatigue. Mon esprit dérive vers Mylène, qui doit s'amuser comme une petite folle à sa super soirée d'avocats. Peut-être aurais-je dû sortir moi aussi ? En boite peut-être ? Hum, non : ce n'est certainement pas là que je trouverai un géniteur. Non. Trop risqué : un type à moitié bourré, voire même défoncé, à la génétique ou au mode de vie douteux. Hummm.... Ma décision est prise : demain, j'épluche les petites annonces et je me lance.
x x x
La sonnerie de mon téléphone me vrille les tympans. Bon sang, mais quelle heure peut-il être ? Arg, qui ose me réveiller un samedi matin de si bonne heure ? Un petit coup d'œil à mon radio réveil pour me rendre compte qu'il est quand même déjà 10h00. Zut, pas de si bon matin que ça finalement. Je me redresse avec raideur, attrape mon téléphone et réponds en grommelant :
_ Allo ?
_ Claire ? Enfin ! Ça fait trois fois que j'appelle ! grogne Mylène
_ Humpf, je dormais, figure-toi.
_ Encore ? T'es sortie ou quoi ? T'as fait des folies de ton corps ?
_ Très marrant Mylène. Non, je ne suis pas sortie. J'étais juste crevée.
_ Pff, même pas drôle. T'es une vraie nonne. C'est pas comme ça que ....
_ Oui, je sais, je la coupe. Tu téléphones pour m'engueuler ?
_ Je devrais, mais non, même pas. Bon sang, t'es de super humeur le matin, toi. M'étonne pas que ... bref. En fait, assieds-toi, j'ai une grande nouvelle, je ne pouvais plus attendre pour t'en parler.
_ Je suis assise. Techniquement, je suis même couchée, alors vas-y, balance ta super nouvelle ! je grogne.
_ J'ai .... trouvé une solution à ton problème ! s'exclame-t-elle.
Je me redresse vivement à ses mots : hein ? Une solution ?
_ Comment ça ? Quelle solution ?
_ Mathieu !!!! hurle-t-elle soudain.
Bon sang, elle est folle. Je recule vivement le téléphone de mon oreille.
_ Quoi Mathieu ?? Tu vas quand même pas me prêter ton mec ?
_ Hein ? s'offusque-t-elle subitement. Certainement pas ! Tu rêves là !
_ Non mais je n'en veux pas, de ton homme ! je crie aussi. Mais qu'est-ce qu'il a à voir là-dedans ?
_ C'est lui qui a trouvé la solution ! Hier soir !
_ A la soirée ? Quel rapport ?
_ Je ne peux pas t'expliquer ça par téléphone. C'est .... délicat. Il faut qu'on en discute, toutes les deux.
_ J'y comprends rien, Mylène. Il a trouvé une solution juridique ? une nouvelle loi ?
_ Non, rien de tout ça. Ecoute, rejoins-moi et je t'explique tout. Tu vas voir, c'est énorme. La solution à ton problème, je te jure. On dit à midi ? Chez moi ? Je t'invite à manger.
_ ok, ok. Je t'avoue être un peu déboussolée là. Mais j'arrive pour midi. Bisous copine, t'es un amour !
_ Je sais, à tout' !
En appuyant sur le bouton rouge, je reste perdue dans mes pensées, le téléphone pendu à la main ; je m'adosse à ma tête de lit, dubitative. Mais de quoi pouvait-elle bien parler ? En quoi Mathieu peut-il bien m'aider ? Et d'ailleurs, cela veut-il dire qu'elle lui en a parlé ? Rhôô, zut, si c'est le cas, bonjour la honte. Et c'est sûrement le cas. Pffff, la mouise. Je finis par me lever, prends une douche rapide, m'habille d'un jean et d'un sweat et pars me servir un chocolat chaud dans la cuisine. Pourquoi pas un café, me direz-vous, comme tout le monde ? Bah, j'ai horreur du café. Rien de tel qu'un petit chocolat chaud pour me réconforter, à n'importe quel moment de la journée. Enfin, d'habitude. Parce que là, ce matin, je sens bien que ça ne va pas suffire : Mylène vient de me lâcher une bombe. Je me sens nerveuse, désorientée, excitée : ma vie va-t-elle enfin prendre la tournure que je veux lui donner ?
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