SCENE 8 : UN COULOIR DU PALAIS
C'est la nuit. À gauche, une petite porte donne sur la chambre du Sultan. Devant la porte, BABAJI et BARIZA, maintenant âgés d'une vingtaine d'années. Le prince, visiblement inquiet, fait les cent pas tandis que BARIZA, assise sur un petit siège au milieu du couloir, s'efforce de le calmer.
BARIZA
Écoute... je sais que c'est dur mais... si tu t'inquiètes, tu devrais entrer dans la chambre et le voir, lui parler...
BABAJI
Arrête de me donner des conseils, s'il te plaît ! Tout le monde me donne des conseils, sans arrêt, pour un oui ou pour un non ! Je ne peux plus faire un pas dans ce palais sans qu'un conseil me guette derrière la porte ! Des conseils, des conseils, merci ! Je crois que j'en ai reçu assez pour vivre sept cents ans !
BARIZA
Excuse-moi... tu veux que je m'en aille ?
BABAJI
(pris de remords)
Non ! Non, reste, s'il te plaît...
(elle se lève et le prend dans ses bras)
BARIZA
Je sais que tu n'as pas envie d'y aller... mais cela lui ferait sûrement du bien... de te voir, de t'entendre...
BABAJI
Oui, oui, je vais y aller, c'est promis... laisse-moi encore un peu de temps, tu veux bien ?
BARIZA
D'accord...
(silence)
BABAJI
Je ne peux pas devenir Sultan. Je ne suis pas prêt. Je ne serai jamais prêt.
BARIZA
Moi, j'ai confiance en toi, je suis sûre que tu vas y arriver. Et lui, quel âge avait-il, quand il est devenu Sultan ?
BABAJI
(se remet à marcher de long en large)
Je ne sais plus. Il était jeune, oui. Plus jeune que moi, peut-être. Mais je ne suis pas comme lui, j'ai peur, et je me sens trop... trop faible, je ne sais pas... quelque chose me dit que je ne suis pas fait pour être Sultan... si seulement je pouvais désigner quelqu'un d'autre...
BARIZA
Tu sais, à ton âge, il devait avoir peur, lui aussi. Tous les sultans ont dû avoir peur, au commencement.
BABAJI
Tous ces problèmes... les mêmes depuis que mon Père m'en a parlé la première fois... la sécheresse, les menaces de rébellion dans les provinces du Sud, les conflits avec les royaumes voisins pour la possession des Montagnes de Sel, et pour le navigation commerciale au marge des Récifs d'Argent... j'ai appris ma leçon par cœur, tu vois, cette leçon qu'on voulait à toute fin me faire entrer dans le crâne quand j'avais cinq ans... et à quoi va-t-elle me servir ? Si mon Père n'a pas pu résoudre tous ces problèmes, je ne vois pas comment j'y arriverais !
BARIZA
Ils ne se résoudront pas en une nuit, mais tu essaieras, tu trouveras des solutions. Ce ne seront peut-être pas toujours les meilleures, mais aucun Sultan n'a jamais régné sans erreur.
BABAJI
Tout va dépendre de moi... des millions de gens, qui ne m'aiment pas, pour la plupart, parce que je porte un nom idiot... ils ne veulent pas de moi, j'en suis sûr... et moi, je n'ai pas demandé à devenir leur roi... ils doivent bien pouvoir se débrouiller sans moi, je ne leur manquerais pas...
BARIZA
Est-ce que tu vas... t'enfuir ?
BABAJI
Peut-être bien. Ce serait encore la meilleure solution...
BARIZA
Et qu'est-ce que je devrais dire à mon père, et aux autres ?
BABAJI
Est-ce que tu viendrais avec moi ?
BARIZA
Maintenant ?
BABAJI
(sort d'un pli de son vêtement un petit flacon noir)
Une nuit, quand j'étais enfant, alors que Chafi dormait, je suis entré dans son laboratoire et j'ai volé ce flacon. Il ne s'en est jamais aperçu, car il ne s'en sert jamais. C'est un philtre d'obscurité, un sortilège très puissant, qui peut plonger le palais dans les ténèbres une journée entière. Personne ne pourrait nous empêcher de sortir, et lorsqu'ils voudraient nous rechercher, il serait déjà trop tard...
BARIZA
Mais... tu vas laisser ton père... ?
BABAJI
Est-ce que tu veux venir avec moi ?
BARIZA
On... on ne peut pas le laisser comme ça, il faut attendre que...
BABAJI
Est-ce que tu viens avec moi ? Dis-moi !
(derrière lui, la porte s'ouvre : CHAFI sort de la chambre, et le prince cache le flacon)
BARIZA
(se précipite vers CHAFI)
Mon père ! Dites-nous, comment va-t-il ?
CHAFI
Il vit ses dernières heures. Il n'est rien que je puisse faire.
BABAJI
Chafi, n'as-tu pas un remède, une potion... ?
CHAFI
J'ai des remèdes contre les maladies et les blessures, mon prince. Contre la mort, je n'en connais pas encore.
BARIZA
Alors, il n'y a plus rien... ?
CHAFI
Ma mission auprès de lui est terminée. C'est maintenant au prince d'accomplir la sienne.
BABAJI
Moi ? Mais je ne peux rien faire...
CHAFI
Ton père demande à te voir. Il demande que tu viennes le veiller quelque temps.
BABAJI
Je ne peux pas y aller. Si tu n'as pas réussi à le soigner, comment pourrais-je...
CHAFI
Il ne s'agit pas de soigner, ici, mon prince. Tu dois aller voir ton père.
(BABAJI veut protester)
Inutile de discuter. Nous ne sommes pas en train de négocier. Ton père a besoin de toi. C'est à toi de décider si tu vas lui apporter ton aide ou non. Ce sera ton dernier acte en tant que prince. Viens , Bariza, retirons-nous. Nous devons laisser le prince seul.
CHAFI s'éloigne et sort par la droite, suivi de BARIZA qui jette un dernier regard à BABAJI.
Le prince, resté seul, hésite au seuil de la porte entrouverte. Il porte la main à l'intérieur de son vêtement, à l'endroit où il a dissimulé le flacon, se fige un instant, puis renonce et entre dans la chambre, refermant la porte derrière lui.
FIN DE LA SCENE 8
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