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Très tôt ce matin, Mounir est venu me chercher afin de régler la question de mes papiers. Nous nous sommes d'abord à la préfecture afin de faire enregistrer ma demande d'asile. Après avoir recueilli mes empruntes, j'ai eu un entretien avec un agent à qui j'ai du expliquer mon parcours.
Nous avons quittés les lieux avec une attestation de demande d'asile et un formulaire à envoyer. Heureusement pour moi, Mounir m'a accompagné. Seule, j'aurais été incapable de m'en sortir. Après cela, il m'a emmené manger avant de rentrer. Il n'est pas très bavard, mais j'apprécie sa présence, elle est rassurante.
[...]
Ma sieste de la journée m'empêche de trouver le sommeil le soir venu. Je me suis donc redressée sur le canapé afin de lire un peu. J'allais partager ma chambre avec Kaina et Sofia. Mais, elles n'avaient pas encore installé le matelas, je n'ai pas voulu les déranger et j'ai préféré dormir au salon pour cette deuxième nuit. Je saisis l'un des nombreux Coran et commence à lire. Soudain, j'entends du bruit provenant de l'entrée. La porte s'ouvre doucement puis se referme, je regarde le cadran de ma montre, il est deux heures du matin. Qui peut bien être dehors à une heure pareille ?
Je reconnais Ibrahim, il retire ses chaussures et se dirige vers la cuisine. Le micro-onde, puis le frigo et ensuite les chaises, la discrétion et lui ça fait dix. Il revient s'asseoir au salon, je n'ai pas fermé les volets électriques, les réverbères ainsi que la lune et la lampe torche de mon téléphone que j'ai allumé pour lire sont les seules sources de lumières
« Qu'est-ce que tu fais dans le noir ?
- J'essaye de ne pas réveiller ceux qui dorment.
- Tu as peur ?
- [...]
- Tu n'as pas à avoir peur personne ne va te manger.
- Ce n'est pas de vous que j'ai peur.
- De quoi alors ?
- Laisse tomber, tu ne pourras pas comprendre.
- Bien sûr, madame je sais tout. Tu me prends pour un con ?
- Non, Ibrahim. Je ne te prends pas pour un con, comme tu dis.
- Pourquoi tu ne retires pas ton voile ?
- Parce que tu n'es pas mon mari. »
Il ne semblait pas s'attendre à cette réponse, mais ne rapplique pas. Je me couche avant qu'il ne parte, lui tournant le dos. Il me regarde à nouveau je le sens, mais, je ne me retourne pas. Il se lève et s'approche de moi. Il marche jusqu'à la bibliothèque prend quelque chose et tout doucement, croyant que je dors, dépose l'objet sur l'oreiller. Lorsque tout est calme, j'ouvre doucement les yeux et regarde ce qu'il a posé à mes côtés, un Coran.
[...]
Je suis la première à être debout. Après une douche j'enfile la seconde tunique que j'ai amené avec moi, je dois absolument travailler pour avoir de l'argent et m'acheter d'autres vêtements. Je profite du fait d'être seule pour faire une lessive, la baignoire est parfaite pour cela. Je lavais mes vêtements lorsque Amine entre dans la salle de bain.
« Qu'est-ce que tu fais ?
- Je lave mes vêtements dis-je gênée.
- On a une machine tu sais. »
Une machine à laver, je n'en n'ai pas vu depuis tellement longtemps. Amine me regarde, on dirait que c'est la première fois qu'il voit une personne lavée ses vêtements à la main.
« Viens, je vais te montrer. »
Je prends mes vêtements et le suis jusqu'à la cuisine où se trouve la machine, j'y insère mes vêtements et il me montre comment l'utiliser. Je reste longtemps devant l'engin, incapable de décoller mes yeux.
« Ça va ? Me dit-il amusé.
- Oui, ça va.
- Azhar ?
- Hum ?
- Euh...Tu peux me faire à manger ? »
Il semble gêné de me le demander, je lui souris avant d'ouvrir le frigo et de voir ce que je pourrais lui préparer.
« - Tu vas à l'école ?
- Non, je vais au foot. Pourquoi tu es debout aussi tôt ?
- J'ai l'habitude. »
La vie ici est bien différente de chez moi, Amine se lève et va au foot, en Syrie les petits garçons n'ont plus le temps de s'amuser, la guerre leur a tout pris, leur insouciance, leur enfance, absolument tout. Amine sens que je suis ailleurs, mais il ne dit rien, il ne devine pas mes tortures intérieures mais il doit savoir que ça a lien avec chez moi. D'un côté c'est aussi chez-lui, ça fait parti de ses origines, de son identité.
« Tu penses à chez toi ?
- Oui.
- Ça te manque ?
- Oui, je suis peut-être folle, mais oui ça me manque.
- Tu n'es pas folle. C'est tout ce que tu as connu, c'est normal que ça te manque. »
Mais à présent je n'avais plus envie d'en parler, alors il ne pose plus de question. J'aime cela chez lui. Il comprend très vite les gens, il lui suffit d'observer.
« Où sont tes parents ?
- Au travail.
- Et toi ? Tu travailles ?
- Je suis dans un centre de formation pour devenir footballeur professionnel. Mais aujourd'hui on organise un tournoi pour les enfants du quartier. Il y aura un barbecue, tu pourras descendre après.
- Je vais y réfléchir merci.
- Pourquoi tu ne retires pas ton voile ?
- Tu n'es pas mon mari, ni mon marham. Une femme ne peut retirer son voile que devant son père, ses frères, ses oncles et ses neveux. Des hommes qu'elle ne peut pas épouser.
- C'est vrai. Bon j'y vais, merci pour le déjeuner.
- De rien. »
Je commence à faire le ménage, au moins je fais quelque chose d'utile et ma tante n'aura pas à le faire en sortant du travail. Les portes s'ouvrent, se claquent. Des bruits de pas en provenance du couloir.
Il ne peut vraiment pas s'en empêcher.
« Il est où Amine ?
- Il est parti au foot. »
Ibrahim prépare un café, qu'il boit d'une traite. Il porte un costume il est très élégant mais j'évite de trop le regarder. Il est différent d'Amine et Mounir, son teint est plus mate et il a des cheveux noirs. Mounir et Amine sont tout aussi blanc que moi avec des yeux marrons foncés et des cheveux châtains foncés. Après son départ, Kaina et Sofia sont arrivées. Je n'ai rien fait de spéciale, préparant un repas à midi, j'allais préparer le dîner lorsque Ibrahim est rentré du travail.
Il s'est directement rendu dans la salle de bain, une demi-heure plus tard, il avait retiré son costume pour une tenue plus décontractée.
« Habille toi, on sort.
- Euh...Quoi ?
- Je t'accompagne t'acheter des affaires.
- Je n'ai besoin de rien, merci. »
Il me regarde comme si ce que je venais de dire était stupide.
« Je t'attends dans le salon ».
Je me contente de changer de tunique et de mettre les chaussures de Kaina, elle m'avait dit plus tôt dans la journée que je pouvais les emprunter si besoin.
« Tu n'as pas de veste ?
- Non, lui dis-je. »
Il part dans sa chambre et revient avec une veste qu'il me tend, je l'enfile rapidement. Elle était bien trop grande, mais je me sentais bien dedans. Elle sent bon, la même odeur que sur les draps, c'est réconfortant. Ibrahim me fixe, je baisse la tête de gêne. Lui ne fait pas de même, il continue à me regarder. Il est facile pour moi d'ignorer son regard, il doit avoir trois têtes de plus que moi. Un véritable géant.
« Allons y avant que ça ne ferme ».
Dehors, les hommes assis en bas l'interpellent, ils échangent quelques mots. Je l'entends dire à l'un d'entre eux que je suis sa cousine. Puis, il me rejoint et nous marchons jusqu'à sa voiture.
[...]
Le centre commercial, malgré l'heure tardive est encore très fréquenté. Nous avançons dans la galerie marchande. Ibrahim à l'air de savoir où il va, alors je le suis. Nous entrons dans une première boutique.
« Choisis, prend ce qui te plaît. Je t'attends ici »
Je n'ai jamais vu autant de vêtements de ma vie, les centres commerciaux en Syrie n'étaient pas aussi grands. Je prends des vêtements, surtout des vêtements amples et larges, puis je prends plusieurs foulards. Kaina m'a dit qu'elle me commandera des voiles sur internet. Ibrahim paye, 200 € je me sens gênée. Je ne pensais pas que c'était aussi chère. Lui ne semble même pas faire attention au prix.
« Merci. Je te rembourserai.
- Tu dis vraiment des choses bizarres parfois. »
Je ne relève pas sa remarque, il m'entraîne ensuite dans une boutique de chaussures. Deux essayages plus tard, nous quittons la boutique.
« Allons manger, me dit-il.
- J'ai préparé à manger à la maison.
- J'ai trop faim, je ne peux pas conduire en ayant faim. »
Sa remarque me fait sourire, parfois il réagit vraiment comme un enfant. Nous allons dans un fast-food et pendant qu'Ibrahim commande, mon voisin de table en profite pour me faire la conversation. Je réponds par politesse, mais il ne semble pas comprendre que je n'ai aucune envie de faire la conversation avec lui.
« Pourquoi tu ne réponds plus ?
- Parce qu'elle n'a pas envie, répond Ibrahim derrière moi.
- Oh Ibrahim, je ne savais pas que c'était ta femme. »
L'homme en question se lève et change de place. Sa femme ? Je ne suis pas sa femme.
« Mange, dit-il en déposant le plateau. »
Je mange par petit bouchée, je n'ai pas très faim et je n'ai pas envie de passer pour une gloutonne.
« Pourquoi tu ne manges jamais ?
- Je mange.
- Je n'aime pas le gaspillage.
- Mais je...
- Mange ! »
[...]
Après le repas, j'aide ma tante à faire la vaisselle avec Kaina. Lorsqu'il ne reste plus grand-chose à faire, je lui dis d'aller réviser dans sa chambre puisqu'elle à des examens le lendemain.
« Demain, Ibrahim t'emmènera acheter des affaires. Je suis désolée j'aurais dû lui dire de t'emmener aujourd'hui, me dit ma tante.
- Il m'a déjà emmené aujourd'hui.
- Ah bon ? C'est très bien. Il n'est pas méchant tu sais, juste un peu difficile. Mais il à un très grand cœur mon fils. »
Je pensais qu'il m'avait emmené parce que sa mère le lui avait demandé. Peut-être qu'il l'a fait pour anticiper, ou alors tout simplement pour moi...
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Thugyh©
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