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AZHAR
Ibrahim roule jusqu'à l'hôpital. Il est un peu plus de 23h30. Je sais où il m'emmène mais, je n'ai pas d'énergie pour protester. La tête collée sur la vitre, je suis bercée par les gouttes de pluies qui s'abattent sur celle-ci. Je suis épuisée. J'ai l'impression d'être morte. De ne plus ressentir aucune émotion. Lorsque nous nous arrêtons au feu rouge, je n'ai qu'une seule envie, sortir et me jeter sous une voiture. Comme s'il lisait dans mes pensées, Ibrahim verrouille les portières. Pourquoi veut-t-il m'empêcher de mourir ? Je n'ai plus rien. Je n'ai plus personne. Je n'ai plus aucune raison de me battre.
La voiture s'arrête sur le parking. Ibrahim sort le premier. Il m'ouvre la portière et me tend sa main que je refuse de saisir. Je sors malgré moi du véhicule. Il marche à mes côtés, je le suis regardant attentivement autour de moi pour pouvoir m'enfuir. Nous marchons plusieurs minutes avant d'arriver à l'accueil psychiatrique. Lorsque les portes battantes se referment derrière nous, je prends conscience du lieu ou je me trouve. Un hôpital psychiatrique. Une femme âgée, assise dans la salle d'attente n'arrête pas de crier, insultant les médecins et les infirmiers. Je regarde Ibrahim, qui me fait signe d'aller m'asseoir. Il s'assoit à côté de moi. Je n'arrive pas à garder mon calme. Ma jambe gauche tressaute et je ronge mes ongles. Ibrahim tente de me calmer en me caressant le dos, je le repousse.
Soudain, une femme s'approche de nous.
"Bonjour, je suis Anne infirmière. Que puis-je faire pour vous ?
- Ma femme ne va pas bien. J'aimerais qu'elle parle à un psychiatre.
- Madame, vous acceptez de me suivre ?
- Je vais bien.
- Elle a des idées suicidaires. Je suis très inquiet, je veux juste qu'elle parle à un professionnel.
- Madame, on peut juste discuter un moment ?
- [...]
- Votre mari est inquiet. Ce ne sera pas long."
L'infirmière a un regard doux, bienveillant. Presque maternant. Ibrahim me regarde, je ne veux pas le voir. Je veux qu'il disparaisse de ma vie. Si je peux le rassurer pour qu'il parte, je vais saisir l'occasion. J'accepte de suivre l'infirmière, nous nous rendons dans un bureau ou un homme avec une blouse blanche nous attend.
Je m'installe sur la chaise en face du médecin. L'infirmière est assise à côté de moi. Je tente de masquer mes émotions, mais lorsqu'il me demande comment je vais et qu'il me regarde droit dans les yeux, je ne peux plus faire semblant. J'éclate en sanglot sans pouvoir m'arrêter. Je lui raconte la mort de mon bébé, mon enlèvement, l'impression d'être vide. La volonté d'en finir. Après l'entretien qui a duré quarante minutes, le médecin me propose de rester.
"Je suis très inquiet. Vous avez des idées suicidaires très scénarisée. J'aimerais vous hospitaliser quelques jours.
- J'ai été hospitalisée, ça n'a rien changé.
- Vous n'étiez pas en psychiatrie. C'est différent. Nous avons une unité médico-psychologique pour soigner les crises aigues. Quelques jours, le temps de vous évaluer c'est tout ce que je vous demande.
- [...]
- Acceptez, vous avez une famille, des personnes qui vous aiment. Ils seront dévastés si jamais vous passez à l'acte, me dit l'infirmière.
- [...]
- Je peux vous faire visiter le service si vous le souhaitez. Vous verrez, vous serez bien ici."
[...]
Je suis assise sur le lit. Ibrahim est retourné à la maison pour m'apporter des affaires. J'ai fait le choix de rester. Je dois me soigner, je dois aller mieux et me concentrer sur moi et sur ma santé. Je dois me battre. Après avoir fait un bilan complet, l'infirmière m'a expliqué le fonctionnement du service. En attendant le retour d'Ibrahim, je me suis allongée sur le lit. La chambre était de taille convenable. Les murs sont blanc. Il y a une armoire, une table de chevet et un coin pour manger. C'est confortable. Je me sens rassurée et apaisée. Je ferme les yeux et m'endors tout doucement.
IBRAHIM
L'infirmière m'attend dans la salle d'attente. Je lui donne le sac avec les affaires d'Azhar.
"Je peux la voir ?
- Elle s'est endormie, pour des raisons de sécurité le médecin souhaite interdire les visites pour le moment.
- Pourquoi ?!
- Ce sont les consignes du médecin. Cela fait parti du projet de soin de votre femme. Pour le moment, il faut qu'elle se repose.
- Elle peut très bien se reposer pendant les visites.
- Monsieur, vous avez amené votre femme jusqu'ici car vous savez qu'elle va mal et qu'elle ne serait jamais venue d'elle-même. Vous voulez gâcher tous vos efforts ?
- [...]
- Je peux comprendre vos inquiétudes mais nous avons l'habitude. Quand le médecin jugera qu'elle est apte a recevoir des visites, nous vous informerons de cela."
Je quitte l'hôpital le cœur lourd mais l'esprit plus léger. Ici elle est en sécurité. Elle va s'accrocher, je le sais car elle est la personne la plus courageuse que je connaisse. Bien plus courageuse que moi. Azhar est une battante. Elle s'est battue pour nous, elle s'est battue jusqu'au bout.
AZHAR
Les premiers jours dans le service ont été plutôt calme. Je restais dans ma chambre, je prenais un traitement légèrement sédatif et un antidépresseur. J'ai beaucoup dormis, plusieurs entretiens avec le médecin et les infirmiers. Petit à petit, je me sentais beaucoup moins angoissée et les idées noires étaient moins présentes. Après trois jours d'hospitalisation, Ibrahim a pu me rendre visite. J'ai voulu refuser mais je ne voulais pas que nos problèmes de couple soient dévoilés. Je tolérais sa présence quelque heures par jour. Il essayait de me parler, et se heurtait à un mur.
Sa présence ne m'étais plus insupportable. Il m'indifférait. Parfois je le regardais et j'ai été surprise de constater qu'il ne me faisait plus ressentir les mêmes émotions. Il y a quelques semaines, j'étais incapable de le regarder droit dans les yeux. Aujourd'hui, son regard ne m'intimide plus. Je suis comme, dénuée de tout sentiment envers lui. J'ai l'impression qu'il a pris tout ce qu'il y a de bon en moi et qu'il n'a rien laissé.
[...]
J'ai demandé ma sortie au médecin. Dix jours d'hospitalisations c'est long. Je n'ai pas envie que cela devienne délétère. J'ai pu me reposer et je n'ai plus d'idées noires scénarisées et persistantes. Je me sens prête à rentrer à la maison et à prendre les choses en main. J'ai demandé à Yousra de venir me récupérer. Je n'ai pas informé Ibrahim de ma sortie.
"Je te trouve beaucoup mieux, tu m'as fait peur Azhar.
- Je vais bien, ne t'inquiète pas.
- Tu as prévenu Ibrahim que tu sortais ?
- Je vais lui envoyer un message. J'aimerais vraiment rentrer.
-Bien sûr, allons-y."
Je remercie les infirmières et nous quittons l'hôpital. Yousra me dépose à la maison. Je consulte mes mails et écoute les messages sur le répondeur. Sania m'a laissé plusieurs messages. J'envoie un message à son père pour qu'ils lui disent que je vais bien et que je vais reprendre le travail très prochainement.
En fin de journée, je suis allée faire les courses. N'ayant pas encore de voiture, j'ai du prendre les transports en commun. Il va falloir que j'économise pour acheter une voiture et pas seulement. Lorsque je vivais seule, j'avais très peu de dépense. Elles ont augmenté après mon mariage mais Ibrahim prend en charge une grande partie de celles-ci. Avec la décision que j'ai prise, il va falloir que je sois plus prudente pour l'argent.
Lorsque je rentre du supermarché, je constate que la voiture d'Ibrahim est garée dans le parking. Il doit surement m'attendre à l'intérieur. Il va falloir qu'il me rende les clés. Lorsque je toque à la porte, c'est avec surprise que je découvre Mounir. Il me prend le caddie et le sac des mains et se rend dans la cuisine.
"Tu vas bien ?
- Oui, merci.
- Je suis venue installer la climatisation. Ibrahim est entrain de prier.
- Merci.
- Je vais y aller, appelle-moi si besoin."
Il m'embrasse sur le front avant de partir. Je range les courses lorsqu'Ibrahim entre dans la cuisine.
" Mounir est venu installer la clim.
- Je sais.
- Pourquoi tu n'as pas attendu que je vienne te récupérer ?
- J'avais pas envie que ce soit toi.
- [...]
- J'ai pris une décision Ibrahim. Je veux divorcer."
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