3
3.
J'ai pu rattraper mes heures de sommeil sur la route, mais très rapidement j'ai été malade. Nous avons parcouru des routes rocheuses et montagneuses, j'ai cru à plusieurs reprises que la voiture allait finir par se retourner. Mais grâce à Dieu, nous sommes arrivés à la frontière. Je dormais encore, lorsque nous sommes arrivés au barrage.
« - Azhar réveille-toi ! On arrive à la frontière, me dit Fadel. »
Je me redresse et bondis sur le siège, j'ai le tournis. J'ai faim et j'ai besoin d'une douche, la crasse s'est comme incrusté dans ma peau et ma propre odeur corporelle me répugne.
Fadel a un contact, une sorte d'informateur comme dans les séries télé, mais l'angoisse monte d'un cran car l'homme en question nous semble absent. Tout ce chemin pour échouer près du but. Et lorsque vient notre tour, je sens l'anxiété de Fadel, qui tente tout de même de la masquer. Je dois reconnaître qu'il est doué pour faire semblant. Si on se fait attraper, je serai emprisonnée puis expulsée.
« Vos papiers d'identités, demande le gardien. »
Fadel lui donne les papiers, il inspecte, nous lance quelques regards. Deux hommes tournent autour du véhicule. Je sens ma vessie se resserrer. Je vais me faire pipi dessus, ici, sur les sièges. Je tremble tellement que Fadel me fait signe à travers le rétroviseur de ne plus bouger.
« Sortez du véhicule, dit l'agent.
- Pourquoi ? Tout est en règle.
- Sortez, et la dame aussi. »
Nous sortons tous les trois, le policier se rend dans la boxe situé à notre droite, il prend un téléphone et compose un numéro. La conversation est rapide, il raccroche et se rapproche de nous avec une démarche volontairement nonchalante.
« Vous n'êtes pas autorisés à passer. »
Je regarde Fadel, toujours aussi serein. Calme-toi Azhar détend toi. Tu vas tout gâcher me dis-je à moi-même. Je tente de me calmer mais c'est impossible, mon cœur bat tellement vite et ma vessie qui ne va pas tarder à céder.
« - Pourquoi ?
- Les papiers de la dame ne sont pas en bons, suivez-moi tous les trois. »
Fadel s'approche de l'homme, puis ils s'éloignent pour discuter. Lorsqu'ils reviennent, l'homme appelle un des gardes afin de récupérer des caisses en bois dans la Jeep.
« - Partons, avant qu'il ne change d'avis, dis Fadel.
- Comment tu as fait ?
- Je lui ai donné de l'alcool, ils aiment beaucoup ce genre de chose par ici. Il va le revendre au marché noir.
- Mais il a dit que mes papiers n'étaient pas bons.
- Effectivement mais, il n'a même pas vérifié ! En voyant la voiture, il a su que j'étais un passeur et que je pourrais négocier.
- Et on va où maintenant ?
- On va rouler jusqu'au nord de la Turquie et c'est là-bas que tu devras prendre ton bateau. »
Nous avons fait des pauses dans un hôtel. Ce n'était pas luxueux mais ça suffisant amplement. Nous sommes en sécurité en Turquie tant que la police ne nous contrôle pas. Nous avons rejoint le groupe de passeur qui nous fera traverser la mer jusqu'en Italie.
« - Voilà tes papiers, et de l'argent. Arrivée en Italie si tout va bien, prend un train direct pour Paris. Voici le numéro de ton oncle. Je l'ai appelé hier, ils viendront te chercher à la Gare.
- D'accord ! Merci Fadel.
- Ne me remercie pas, tu le feras lorsque tu seras arrivée en France. Avant ça, tu ne seras jamais tranquille.
- Et toi, où vas-tu maintenant ?
- Moi, je vais continuer ma vie. Fais attention à toi Azhar et surtout ne donne d'argent à personne ici et ne quitte pas ton sac des yeux ! Ne fais confiance à personne.
-Oui. »
Il part sans se retourner et me laissant au milieu de tous ces migrants. Il y avait de tous, des blancs comme des noirs, de toutes religions confondues. Mais nous rêvions tous d'une une vie loin de la guerre, de l'insécurité, de la famine.
[...]
C'est en pleine nuit que nous avons finalement quitté cette plage. Nous sommes montés dans un grand embarquement. Plutôt sécurisant. Durants plusieurs heures, nous avons navigué sur une mer calme. Je crois que nous avons passé un jour sur ce bateau. Puis, il s'est arrêté. Ils nous ont demandé de prendre nos affaires et de monter dans les zodiacs.
Les bateaux étaient beaucoup trop petits, la capacité d'accueil était largement dépassée. La sécurité était totalement absente, même les gilets de sauvetage n'étaient pas rassurants. Chacun devait payer son gilet, ceux qui n'avaient pas de gilets s'accrochaient aux autres.
Les passeurs étaient absolument odieux, j'ai laissé une femme qui portait son bébé s'accrocher à moi. Elle espérait rejoindre l'Angleterre, où le mari était déjà parti. Les conditions de voyages aussi horribles soient-elles ne faisait que rendre les gens individualistes. Il n'y avait absolument aucune solidarité, car la survie est la seule chose qui compte.
J'ai cru mourir tant de fois, j'ai retenu mon souffle et ma respiration tant de fois. Rien ne vaut ce voyage, pas même tout l'or du monde. Il faut être totalement désespéré pour tenter une telle folie. Les enfants pleuraient, la faim pousse à commettre des actes terribles, plusieurs bagarres ont éclaté en pleine mer. Certains sont tombés à l'eau. J'étais si effrayée, gelée, que j'ai cru ne jamais y arriver.
[...]
Après trois jours en mer, j'étais totalement frigorifiée. Plusieurs personnes sont tombées à l'eau, les passeurs ont refusé de s'arrêter pour les aider. Même mes larmes étaient glacées, j'avais l'impression que mon corps entier était devenu un bloc de glace. J'étais à bout, je ne sentais plus mes orteils et heureusement, car mes pieds pataugeaient dans le vomis.
La femme à mes côtés, tentait de me rassurer, j'ai apprécié son côté maternel, j'avais l'impression d'être auprès de ma mère. Tu vois maman, je l'ai fait et maintenant, je comprends pourquoi papa n'est pas revenu. Je voulais tomber à l'eau à mon tour, pour ne plus vivre ce supplice. Lorsque enfin nous avons aperçu les côtes italiennes, les cris de désespoir ont laissé place aux larmes de joies.
Moi j'avais toujours une pensée pour toutes les personnes qui sont mortes durant ce terrible voyage en mer. Les passeurs nous demandent de sauter à l'eau et de nager jusqu'à la plage, hors de question pour eux de nous accompagner. Heureusement, nous ne sommes pas loin. Mon sac entre les mains, j'avance difficilement. Heureusement que je sais nager.
Il y a plus d'une cinquantaine de personnes avec des gilets rouges. Ils ont sûrement été prévenus par des riverains. Les secours arrivent très rapidement et les enfants sont pris en charge. Nous apprenons que nous ne sommes pas en Italie mais en Espagne. Les passeurs ont dû éviter la marine italienne. C'est pour cela que le voyage a duré plus longtemps. Ils n'ont même pas pris la peine de nous prévenir.
Une étape à rayer de ma liste, je touche au but. Dans quelques jours, je serai en France. Auprès de ma famille et je pourrais démarrer cette nouvelle vie qui m'attend.
Aimer et Commenter 😍😘❤️
Thugyh©
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top