25

Ibrahim n'a pas le cœur à la fête. Pourtant ce soir, Nassim son meilleur ami fête son anniversaire. Il est totalement ailleurs, car en ce moment-même, Azhar est avec cet homme. Ils ne sont pas seuls, mais le savoir près d'elle suffit à faire monter sa colère. S'il pouvait, il attraperait cet homme et il l'enverrai à l'autre bout du monde pour qu'il puisse plus s'approcher d'elle. Si jamais elle accepte de l'épouser, alors il aura définitivement échoué. Yasmine est là. Elle est belle. Elle fait tout pour attirer son attention mais, elle n'est pas Azhar. Adossé contre le balcon un verre à la main, il s'étire lentement lorsqu'il sent des mains sur son torse puis redescendre jusqu'à sa taille.

« Tu ne viens pas ? Demande Yasmine.

- Non, il y a trop de monde.

- Tu penses trop, c'est pour ça que tu n'arrives pas à t'amuser.

- [...]

- Dit-moi à quoi tu penses.

- Tu n'as pas envie de savoir, dit-il en se détachant d'elle. »

S'il reste, elle va croire qu'il y a une possibilité qu'ils recommencent à se voir ce qui n'est pas envisageable pour lui. Yasmine aurait pu lui plaire. Il lui manque cette chose, il n'a jamais réussi à tomber amoureux d'elle. D'ailleurs il n'est pas sûr d'en être capable un jour. Azhar est la première à susciter son intérêt aussi longtemps.

« Tu ne veux vraiment plus qu'on se voit ? Demande Yasmine.

- Yasmine, tu mérites mieux.

- Mais c'est toi que j'aime.

- Arrête de dire ça, tu ne me connais pas. Comment tu peux m'aimer ?

- Je te connais Ibrahim, je sais tout de toi. Tu ne le vois pas ?!

- Yasmine, tu es une fille intelligente et belle tu peux trouver n'importe quel homme. Pourquoi tu perds ton temps avec moi ? Je ne t'épouserai jamais. »

Yasmine s'en va. Énervée et blessée. Mais il le répètera aussi longtemps qu'il le faudra. Elle doit se retirer toutes ces histoires de la tête. Ibrahim retourne à l'intérieur, il regarde autour de lui, à la recherche de son ami afin de lui dire au revoir avant de partir.

La salle est comble, beaucoup plus qu'il y a une vingtaine de minutes. En regardant bien, il reconnait quelques têtes, des anciennes fréquentations. Il se demande la raison de leurs présences, car bien que lui soit tombé dans la délinquance plus jeune, Nassim a toujours été du bon côté de loi. C'est d'ailleurs pour ça, qu'il l'apprécie tant. Nassim a toujours fait en sorte de le sortir de cet engrenage qu'est la rue. C'est d'ailleurs lui qui l'a mis en contact avec Hassan, son patron.

Après avoir obtenu son bac, Ibrahim a fait une longue période en prison, de quoi faire fuir les recruteurs. Hassan a cru en lui. Un BTS en alternance plus tard, il a intégré l'agence immobilière. Il avait une chance, une seule de s'en sortir et il l'a saisi. Ibrahim n'en parle pas, mais la prison l'a complètement transformé.

16 mois sans sommeil, à surveiller ses arrières. Son codétenu, était aussi dérangé que les autres. Passant ses nuits à se taper la tête contre le mur. Le choc de son crâne contre le bitume Ibrahim ne l'oublie pas, il arrive même à faire des cauchemars encore aujourd'hui.

Chassant ces mauvaises pensées de sa tête, il aperçoit Nassim. En pleine conversation ou dispute, avec sa fiancée Amina. Une belle femme, d'origine guinéenne, qu'il apprécie beaucoup. Il ne croit pas en l'amitié fille garçon pourtant, Amina est ce qu'il ressemble le plus à amie pour lui.

« Je te dis au revoir et longue vie à toi mon frère.

- Tu pars déjà ?

- Oui, il est fatigué lui ! Répond Amina.

- Amina, ils m'ont fait cette surprise et tu veux que je parte ? C'est un manque de respect !

- Tu sais bien que je n'aime pas ces gens et eux aussi.

- Arrête avec ça.

- Ce n'est pas que je ne vous aime pas mais j'ai mal à la tête. Bonne soirée. »

Ibrahim fait demi-tour. Dehors, la soirée continue pour d'autres. Alcool et drogue se mélangent laissant certains inconscients sur le bitume. Tout ce qu'il évite à tout pris. Alors qu'il se dirige vers sa voiture, il entend un cri puis des pleurs. Ibrahim s'arrête. Ce n'est pas son genre de venir en aide aux demoiselles en détresse mais dans ce genre de soirée, l'alcool peut mener à tout et n'importe quoi.

Il reconnait la voix de Yasmine et celle de Rabah. Rabah, son ancien ami. À une époque, il a occupé la même place que Nassim dans la vie d'Ibrahim. Mais Rabah n'a pas voulu changer. Lorsque Ibrahim est allé en prison, Rabah évoluait déjà. Il gravissait les échelons. Il s'imaginait être tous les deux, des figures du grand banditisme. Rabah n'a pas compris le souhait de son ami de se ranger. Ils se sont éloignés, pas ennemi, simplement devenu deux inconnus.

Ibrahim s'approche. Yasmine pleure toujours, ses sanglots attirent les regards. Rabat se tient devant elle, une main sous sa robe la tirant par les cheveux. Faire du mal à une femme de la sorte est tellement lâche.

« Rabah, laisse-la partir. »

À l'entente de son nom, celui-ci laisse la jeune femme qui retombe au sol.

« Tu veux la garder pour toi ? On ne peut pas en profiter un peu ?

- Ça n'a rien avoir, laisse-la partir.

- Non, elle reste ici.

- Pourquoi tu fais ça ? Tu n'as jamais été comme ça Rabah.

- Tu ne sais rien de moi, regarde-toi à me donner des leçons. On est pareil toi et moi. La seule différence, c'est que moi j'assume ma nature toi tu l'enfouis derrière tes beaux costumes et ton travail honnête, dit-il se moquant.

- Tu peux avoir cette vie-là, si tu le veux.

- Pour deux-milles euros par mois ?! Non merci. Je vis bien et j'ai toutes les putes à mes pieds comme tu peux le voir. »

Ibrahim ignore sa remarque il s'approche de Yasmine et la relève. La pauvre fait peine à voir. Effrayée elle s'accroche à lui. Il la prend par la taille lui fait signe d'avancer. Rabah lui barre le chemin et la gifle, Yasmine tombe à nouveau.

« Tu sais que cette pute me fait payer chère pour finalement me dire non ?!

- Tu n'es pas à la hauteur. Un vrai homme ne paye pas pour baiser.

- Tu veux voir lequel de nous est un vrai homme ?! »

Ibrahim refuse d'entrer dans son jeu. Encore au sol, Yasmine se relève doucement. Elle attend son approbation, il lui fait signe de partir. Rassemblant ses dernières forces, elle court jusqu'à la voiture d'Ibrahim.

« Je n'ai pas envie de me battre avec toi Rabah car à une époque, je te considérai comme un frère. Mais si je te vois faire du mal à Yasmine ou à une autre femme, je n'hésiterai pas à te descendre et tu sais que j'en suis capable. »

[...]

« Je vais t'emmener à l'hôpital.

- Non, pas d'hôpital. Je ne vais pas supporter qu'un inconnu me touche. Tu peux me soigner toi. »

Elle n'abusait pas de la situation, elle est traumatisée il le voit. Il a une idée mais c'est risqué et il est une heure du matin. Il ne veut pas la mettre en danger en lui demandant de sortir aussi tard. Mais allongée à l'arrière, l'état de Yasmine l'inquiète. Ibrahim prend alors son téléphone et compose son numéro, il le connait par cœur.

« Allô, dit-elle endormie. »

Il l'imagine en petite tenue sous les draps.

« Azhar, j'ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi.

- Oui, dit-moi. »

C'est la réaction qu'il attendait. Elle n'a pas posé de question. Il a suffit qu'il demande.

« Il y a une boite dans la salle de bain, avec des pansements et du désinfectant. Il faut que tu me les apportes, je suis dans le parking.

- J'arrive. »

Quelques minutes plus tard il l'aperçoit. Un gilet sur les épaules. Son voile ne tient pas totalement. Elle a du faire vit, il remarque une petite mèche dépassant du foulard.

« Qu'est-ce qu'elle a ?

- Elle s'est blessée. Je vais vous laisser. »

Ibrahim sort de la voiture et laisse Azhar s'occuper de Yasmine. Il allume une cigarette, puis une autre. Elles parlent dans la voiture, il se demande ce qu'elles peuvent bien se dire. Lorsque Azhar sort de la voiture, Yasmine est toujours assise à l'arrière.

« Elle va mieux. Je ne suis pas infirmière donc peut-être qu'il faudrait l'emmener à l'hôpital.

- Ça ira, merci.

- Bon, je retourne me coucher.

- Je te raccompagne.

- Je connais le chemin, reste avec elle. »

Impuissant, il la regarde s'éloigner avant de totalement disparaitre de son champ de vision.

« Je te raccompagne chez toi, lui dit-il une fois de retour dans la voiture.

- Je comprends maintenant.

- De quoi tu parles ?

- Je sais pourquoi tu ne m'aimes pas.

- Yasmine, ne commence pas.

- C'est elle que tu aimes. »

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