Immersion
- Nihil est sine rationne ! déclara le lièvre à l'adresse du petit garçon
- Au diable ton cartésianisme !! répliqua avec à propos l'horloger n'ayant pas le temps de s'étendre sur la question.
Mais le lièvre offusqué ajusta ses moustaches, il détestait qu'on puisse le remettre en question lui et sa science. Ce gentleman calme de sa belle patte blanche alors s'enquît immédiatement de savoir pourquoi cet homme d'ordinaire tempéré se livrait à un excès pareil.
- Si rien n'est sans raison, débuta t-il, peux-tu m'expliquer la raison de la raison ?
- La raison dit être car elle est raisonnable et ce serait dément de ne pas céder à elle.
- Raisonnablement, toujours raisonner en usant du mot raison ne prouve t-il pas que nous en sommes dépourvus en l'invoquant toujours ? Puis, il en existe un autre souci. Qui a donné à la raison une raison d'exister ?
- Comment veux-tu que je le sache ? s'indigna le lièvre alors il se tourna vers l'enfant dans l'espoir de briller. Petit, tu le sais autant que moi que se calibrer sur le temps est un tort, tandis que sur ma philosophie est une raison.
- Si tout a une raison, je ne serais pas ici et remettre les pendules à l'heure n'est pas en soi une philosophie.
Sur cette phrase pleine d'indifférence, il passa entre eux, laissant le lièvre mondain ruminer sa défaite et l'horloger fébrilement consulter si ses pendules étaient déréglées, caressant leur aiguilles, lustrant le bois, nettoyant les vitres, leur murmurant de ne pas l'abandonner, sans elles tout le monde n'est rien, mêmement pour le monde l'entourant. L'enfant ne désirait pas s'éterniser. Il était quelque part déçu de ses rêves, il aurait souhaité des corsaires de l'espace, comme il avait pu voir à la tv.
C'est ainsi que lorsqu'il continua son chemin dans cet espace vide et qu'il vit se profiler une pièce neutre où des personnes regardaient des télévisions cathodiques sans un mot, il fut rassuré, enfin une image commune. Les animaux anthropomorphes c'était dérangeant.
« Comme c'est curieux ! Elles sont allumées, mais je n'entends rien. » songeait-il
Il tira sur les bretelles de sa salopette pour se donner de l'assurance et marcha jusqu'à eux, c'était une sensation familière de voir ses corps agglutinés aux écrans or il eût le constat d'avoir sous les yeux des écrans ne reflétant qu'une grasse mer de pixels grise.
Comme il avait envie de discuter avec ces possibles humanités, cependant ce ne fut guère le cas, elles étaient trop absorbées dans la contemplation végétative de ces infimes mouvements grisants à leurs écrans. Ils ne le remarquèrent pas, invisible à leurs yeux, l'ignorance totale de sa présence le gêna. Puis il se mit à entendre cet imperceptible son de chuintement et ses yeux se plongèrent dans un écran, sur sa surface lisse il y dériva, quelque chose s'y tapissait.
Quelque chose n'attendant que ses prunelles en offrande pour se déplacer lentement.
Quelque chose faisant grésiller ces pixels à la grosseur inexplicable.
"J'ignorais que des monstres marins se cachaient dans les télévisions" fut sa dernière pensée, l'écran se versa dans son âme et son âme se déversa sur l'écran.
Bientôt, il sera comme eux tous dont il se raillait un peu mentalement, incapable de revenir.
Trouve
Baphomet
Ba
Pho
Met
Cette indication tenta d'émerger dans son esprit assailli par la vision hypnotisante. Ses sens s'altérèrent, puis tout le reste s'estompa. . .
Le sacrifice allait commencer. .
. . jusqu'à ce que la télévision se fracasse au sol, le ramenant brutalement.
Ses petits membres frissonnèrent, il aurait pu continuer cette danse de spasmes incontrôlés mais son esprit s'attacha à la cause de son brutal réveil : un bouc en costume cravate. Avant même qu'il ne puisse reprendre la maîtrise de son corps l'animal se mit à bêler moqueusement et détala. Sans savoir pourquoi, il se mit à sa poursuite, ce n'était sûrement pas le même, or il y chercha une corrélation.
Ils parcoururent ainsi quelques lieux, lieues, jusqu'à ce qu'un mur gigantesque se dresse. Celui-ci était si impressionnant qu'il perdit de vue le bouc qui avait pu le traverser, il ne sut comment. C'était si frustrant qu'il lança son pied de rage sur la surface, quelque chose d'inattendu se produisit le mur hurla. Alors avec stupéfaction, il s'aperçut que celui-ci était constitué de corps empilés n'étant pas de première fraîcheur, il ne savait pas distinguer à qui appartenait ce bras ou cette jambe.
Doucement il se mettait à reculer, puis se raisonna : "Tu as vécu pire, ce n'est pas ce trop plein de chair qui va t'effrayer maintenant ! Tu dois savoir qui tu es et trouver ce Baphomet." Son courage était à son paroxysme même si ses jambes flanchaient. Il envisagea plusieurs possibilités comme celle de la clé ou de trouver une porte.
"Inutile mon garçon, si tu désires passer, il faut escalader." déclara une voix monocorde et usée. Cela fit quasiment hurler de frayeur l'enfant pensant que cela émanait du mur, c'était un vieillard boiteux, dont les yeux brillaient.
- Est-ce qu'il n'y a pas un autre moyen ? demanda t-il, la perspective de grimper sur ces personnes lui donnait la nausée.
- Oh, dans ma jeunesse j'ai connu une situation similaire ! Il faut. . .il faut. . de. .de
- Oui ? S'enquit-il.
- La politesse ! Elle ferait s'ouvrir n'importe qui !
Ses espoirs étaient anéantis vu la manière dont il s'était comporté, il resterait bloqué à jamais on ne sait où et surtout il ne saurait jamais qu'il était ou avait pu être. Ces pensées le firent défaillir, des larmes se mirent à rouler lentement sur ses pommettes : « Jamais je ne verrais ce maudit Baphomet ni ne saurait quoique ce soit !»
A l'entente de ce nom un mélange de peur et d'admiration passa sur le visage du vieillard et en dépit d'un semblant d'avidité sur ses lèvres sèches, il galopa en traînant sa jambe vers le mur. Ce spectacle fit s'agrandir les yeux humides du petit, tandis qu'un passage étroit se forma, il abandonna son chagrin passager. Soudain cérémonieusement le vieux sortit un petit moineau de sa veste, il ne semblait pas doué de parole mais bien vivant, sa main noueuse l'enferma un moment telle une cage.
- Le mur est épais, faufile toi dans le passage en prenant bien soin d'avoir sur toi cet oiseau.
- D'accord, il contint difficilement l'animal et le plaça dans la poche avant de sa salopette, merci beaucoup.
- N'oublie pas de ne pas oublier ! Nous sommes similaires toi et moi, nous oublions toujours, tous les jours, journalistes, jours d'avants, jours de demains, je me souviens davantage de mes nuits.
Il cessa de le regarder pas par manque de respect, ou d'ingratitude mais par prudence, rien ne lui permettait d'avoir confiance, il fallait garder méfiance pour ces infirmes capable de prouesses. Il s'enfonça dans le passage sans lever les yeux, ni même prêter attention à ce qu'il pouvait tâter. Une chose demeurait certaine pour le vieillard: il ne lui avait pas mentit sur l'épaisseur du mur. Le temps lui parut extrêmement long, il dû même se coucher à plein ventre et ramper avant d'apercevoir l'autre côté. Un craquement étrange résonna, pourtant il ne prêta pas attention, bien trop concentré à s'extirper le plus vite possible.
L'enfant regarda se profiler le nouveau décor s'offrant à ses yeux, il espéra en finir le plus vite possible, pensant déjà aux réponses que le jongleur lui apporterait, un sourire s'étendit sur sa frimousse, il ne pouvait qu'avancer.
Cependant à l'air libre, il sentit quelque chose couler de sa poche avant sa peau, il eût une grimace " Le. . .moineau", hoqueta t-il.
Il avait oublié sa présence.
Un intense sentiment de culpabilité lui saisit la gorge . . .
et une tâche organique le tissu.
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