Chapitre XVIII

Pendant quelques secondes, le monde devint flou, inaudible, je ne ressentais même plus cette douleur constante qui vibrait avec force il y a à peine un instant. Je ne pouvais y croire, et pourtant... Cette flopée de souvenirs m'assaillant, ces images en mon esprit que je ne parvenais à voir clairement, cette silhouette imposante qui déclarait calmement « tu peux y arriver » ... Je suis... un gardien ? C'est donc pour cela que je possède ce don... ? Mais alors... En quoi consiste donc ma mission ?

-Pour plus de précision, tu es le Gardien de la Paix. Tu as le pouvoir d'insuffler la paix en n'importe qui, par de simples mots voire un simple regard. C'est pour cela que tu ne peux ressentir la haine, ce n'est pas dans ta nature.

Il marqua une pause pour prendre une grande inspiration, j'avais l'impression que cela lui coûtait de me raconter tout cela. Et au fond... je le comprends... Maintenant qu'il le dit, tout me semble plus clair : on m'avait dit que ma mission avait un rapport avec les gardiens, c'est parce que j'en suis un ; si ma lame ne peut tuer, c'est parce que je représente la paix, c'est aussi pour cela que je suis incapable de ressentir une quelconque colère ; si j'ai tant de fois pu sauver et aider, c'est parce que je leur apportais la paix et la sérénité, je leur faisais prendre conscience de leur violence...

-Moi, c'est l'inverse, je déclenche la guerre.

Un nouveau soupire, lourd, comme pour me laisser digérer l'information.

-Tu n'es pas là pour rien, poursuivi mon double avec amertume. Tu es là pour m'arrêter, pour devenir complet. Tu es là pour moi, le Sorcier de la Guerre. Tous les Gardiens nous chassent dans ce même but. Ç'en est presque drôle de répéter ça, tu ne peux pas savoir combien de Gardien sont passés avant toi avec le même objectif, combien de créatures envoyées par le Grand Gardien j'ai tué avant toi, c'est pour ça que je sais tout...

J'étais tellement fasciné par ses mots que je ne le voyais pas recommencer à trembler. Alors... Si je comprends bien, le Grand Gardien envoie des Gardiens « incomplets » chasser ceux qu'il appelle les « Sorciers », enfin je crois. Dans tous les cas, plusieurs autres Gardiens de la Paix sont venus pour le défaire, le Sorcier de la Guerre, mais aucun n'a survécu.

-C'est pour cela aussi... que je suis bloqué ici... J'ai envie de tout détruire, de voir les Hommes s'entretuer... Je suis maudit... Car même si je détruisais le monde, même si je le réduisais à un champ de cadavre... Cette envie... elle serait toujours là... Elle est insatiable, elle me contrôle... et elle veut toujours plus me contrôler...

Il s'avança vers moi peu à peu, et c'est là que je remarquais le retour de la folie dans ses yeux, l'envie meurtrière. Je senti la panique en moi, et je tentais tant bien que mal de reculer, sentant mes forces faiblir au fur et à mesure qu'il semblait gagner en puissance.

-Nous sommes liés, continua-t-il. Tu as sûrement remarqué ces malaises violents, c'est quand j'utilise mes pouvoirs. De même pour toi, dès lors que tu usais de tes pouvoirs, je faillais. Mais nous sommes liés, pour ne pas mourir ainsi nous faillons aussi avec nos propres pouvoirs quand ils sont trop utilisés. Quand le premier Gardien de la Paix a été créé, j'ai été arraché à ma famille... J'ai reçu ces pouvoirs malgré moi, alors que je n'avais RIEN demandé ! J'avais une compagne, elle portait notre enfant, et à cause de ces maudits pouvoirs je les ai vu MOURIR ! Et tu sais pourquoi !? J'ai manqué de les tuer tant de fois, tu ne peux même pas imaginer ! Ils grandissaient alors que je restais figé dans le temps, rendu immortel ! C'est cette envie de tuer qui aura mis fin à leurs jours... J'ai déchaîné mes pouvoirs, je ne pouvais retenir cette envie... J'ai rasé un village entier, j'ai monté ses habitants les uns contre les autres... Et je jubilais devant leurs morts... Ils sont venus me chercher, pour se venger ! Ils les ont tués, à cause de ces pouvoirs ! J'ai voulu me tuer après ça, bien plus de fois que je n'ai voulu les tuer, mais il n'y a QU'UNE SEULE personne qui peut mettre fin à mes jours !! UNE SEULE !!

Son regard se darda sur moi, sauvage, inhumain. Il n'avait plus rien ni d'Homme ni de bête, il semblait être devenu la Guerre en personne, prêt à prendre les armes seul contre le monde entier. Il ne me fallu pas une seconde pour comprendre qu'il ne me restait que peu de temps à vivre...

-Il n'y a que toi qui peut me tuer ! Mais bien sûr, vous êtes Gardien de la Paix ! Comment pouvez-vous tuer quelqu'un !? VOUS NE POUVEZ PAS !! Alors je suis condamné à errer pour l'éternité ! Tu ne peux pas savoir la souffrance que c'est de me forcer à ne pas te tuer maintenant ! J'ai encore espoir que tu me libères, mais je sais que c'est impossible ! Et dès que j'en tue un, un nouveau arrive, et mes pouvoirs augmentent !

Il se prit soudain la tête entre les mains, l'air de vouloir résister encore. Il a pourtant raison, nous sommes dans une impasse... Aucun Gardien de la Paix ne pourra le tuer, et il décimera le moindre Gardien qui viendra à cause de son envie, devenant plus puissant... Dépité, je me laissais retomber sur le sol, fermant les yeux, attendant ma fin proche. Je n'avais aucun espoir, il n'y avait plus d'espoir pour ce monde désormais, la Guerre détruira tout...

D'un coup, un rugissement retentit juste devant moi, un cri guttural qui me fit frissonner et me glaça le sang. Si un bruit pouvait tuer, je serais mort sur le coup, j'en suis sûr... Sans le voir, je savais que l'autre se rapprochait pas à pas, j'entendais ses gémissements tant il devait se retenir de ne pas me tuer. La terre glissait entre mes doigts alors que je cherchais désespérément quelque chose à serrer dans mes poings, comme pour mieux tenir si la douleur s'éternisait, mes paumes moites étaient couvertes de poussières granuleuses et peut-être de cendres du village partant en fumée.

Un pas s'approchait.

Puis un autre, plus lourd.

Puis un autre...

« TIENS BON AZE !! »

Soudain, quelqu'un bondi devant moi, et un hurlement de douleur inhumain retentit dans la pièce. J'ouvris les yeux d'un coup, mon cœur ayant raté un battement.

Cette voix...

Cette silhouette...

Cette épée...

Je restais muet, bouche bée, ne pouvant plus faire un mouvement, tandis que je sentis une larme couler le long de ma joue. Le temps sembla s'arrêter alors, plus aucun son ne me parvint, que le battement profond d'un sentiment oublié.

La larme chuta sans un bruit, alors qu'un visage familier se tourna vers moi, lentement, comme pour me laisser espérer un peu plus avant la chute destructrice.

Mais c'était bien lui.

Il est... Il est vivant...

Un simple sourire me fut adressé avant qu'il ne se tourne vers celui qu'il considère désormais comme un ennemi.

« IDIOT ! hurla ce dernier. Comment as-tu pu me blesser, moi l'immortel !? Tu n'es pas ce Gardien ! TU NE DOIS PAS POUVOIR ME TUER !!

-Un Gardien ? Ma mère avait donc raison, tu es bien spécial Aze... »

Et le combat s'engagea, furieux, féroce ; tels deux ombres en furie les combattants s'attaquaient et s'esquivaient, mais rien ne sembla faire mouche d'un côté ou de l'autre.

« Azenet ! »

Je ne sus me tourner vers Elyes, car c'était bien lui qui m'appelait, tant j'étais focalisé sur ce fantôme du passé, acceptant peu à peu la vérité.

« Viens vite, il faut partir ! »

Il me prit le bras pour tenter de me soulever avant de se figer lui aussi, suivant la direction de mon regard. Je lui avais tant parlé de lui la première année de mon arrivée, je l'avais tant décris, son apparence comme ses forces, il était évident qu'il avait compris.

Mais alors... La fée l'a sauvée ? Après tout ce temps ? Après ces quatre ans d'absence et de tristesse, il est revenu d'entre les morts... pour moi... pour me sauver...

Je sentis les larmes couler à flot, mais je n'en avais rien à faire, je ne pouvais quitter le combat des yeux de peur qu'il ne disparaisse à nouveau.

Chaque coup porté me faisait mal, d'un côté car cela renforçait les pouvoirs du Sorcier tout en m'affaiblissant, de l'autre car il m'était insupportable d'entendre le moindre grognement de douleur de la part de mon ami. Et s'il se blessait gravement et qu'il mourrait à nouveau ? Je ne pourrais pas le sauver cette fois...

La bataille fut longue, et chaque seconde qui passait devenait un peu plus difficile pour moi. Le Sorcier semblait toujours plus enragé, de moins en moins humain, ses attaques n'avaient plus aucun sens, il ne faisait plus rien pour se défendre, son seul but était désormais d'atteindre mortellement sa cible qui esquivait avec toujours plus de grâce et attaquait avec toujours plus de puissance.

Et enfin, l'ultime coup, l'estafilade finale, l'estocade fatale, et celui qui n'était plus qu'un monstre déchaîné chuta, souffle coupé, les muscles spasmés, le sang tâchant impassiblement la terre déjà salie d'une grande flaque pourpre. Mon ami, lui aussi épuisé, s'écroula à genou, quelques griffes à peine saignantes sur les bras. Je me précipitai sur lui, oubliant pour un temps ma faiblesse, et me jetai contre son dos avant de le serrer contre moi et de me laisser aller mes sanglots. J'entendis vaguement les pas de Elyes derrière moi et sentis à peine sa main se poser sur mon épaule, je n'étais plus concentré que sur la respiration de cet amour qui n'en était pas un, de ce frère que je pensais disparu de ce monde.

« Tout va bien, souffla-t-il. Calme-toi Aze, je suis là, tout va bien...

-T-tu es re-revenu... articulais-je entre deux sanglots.

-Je te l'ai promis. Et puis, c'est grâce à toi que je suis là, n'est-ce pas ? »

Je sentis ses bras m'entourer avec une douceur incomparable, me serrant sans m'écraser, tandis qu'une main frotta mon dos, calmant peu à peu mes larmes. Je hoquetais, incapable de rétablir ma respiration pour le moment, mais cela ne m'importait pas en ce moment. J'entendis alors une conversation à laquelle je ne portai pas plus d'attention :

« C'est donc vous, le fameux Aypierre dont j'ai tant entendu parler, celui qui avait péri il y a plus de quatre ans désormais ? Vous paraissez bien en forme malgré ce petit séjour chez les morts.

-Ah, c'est vrai, j'ai un peu souffert en revenant à moi, mais deux bonnes journées de repos ont suffi à me remettre sur pieds. J'allais partir le chercher quand nous avons été attaqués, j'ai eu de la chance de le trouver... À qui ai-je l'honneur ?

-Je me prénomme Elyes, souverain de la citadelle, et avant que vous n'empoigniez votre épée j'ai toute ma vie tenté de mettre fin à ces combats, mais mon jeune âge me tenait éloigné de la décision finale. Il pourra témoigner, j'ai passé ces dernières années à veiller sur lui et à le protéger de ces fous. Mais nous raconterons nos histoires plus tard, il y a une guerre à arrêter pour le moment. Azenet, tu nous entends ? »

Je hochais la tête à l'entente de mon nom prononcé par cette voix, si douce comparé au ton amer précédemment employé. Je me relevais doucement, tremblant, aidé par Aypierre que je refusais de lâcher. Séchant grossièrement mes larmes, je gardais pour autant les yeux fixés sur le Sorcier au sol, agonisant. Ses yeux étaient humides, et plus aucune trace de violence ne perdurait dans son regard ; on pourrait même dire qu'il paraissait plus humain que jamais. Sans lâcher le bras de mon ami, je m'approchais lentement de l'homme que j'étais censé chasser.

« Comm- kof ! comment m'as-tu tué...? demanda-t-il alors qu'un filet de sang coulait de sa bouche.

-C'était son épée, répondit Aypierre à ma place. Je vous ai tué avec son épée, si c'est ce que vous voulez savoir.

-Elle a été bénie il y a bien longtemps, répliquai-je une fois calmé. Un ancien Dieu m'a dit qu'elle ne tuera point, elle portait l'essence de la Paix. Voilà pourquoi. »

Une lueur de compréhension apparu au fond de son regard.

« Je vois... C'était donc ce qu'il devait se passer...

-J'ai encore une question, ajoutai-je timidement. Pourquoi est-ce que vous me ressemblez ? »

Un son rauque sorti de sa gorge, le faisant toussoter et cracher du sang, je supposais que ce devais être un rire à la vue du sourire déformé sur ses lèvres.

« C'est toi qui me ressembles, souffla-t-il. Quand j'ai reçu ce p- kof ! pouvoir, tu as été créé. Nous sommes liés, rappelles-toi. »

Sa voix se faisait de plus en plus faible, ses yeux semblèrent peu à peu s'éteindre.

« C'est comme cela que vous nous reconnaissez, vous êtes nos doubles... Et vous nous chassez... Oh... Ahava... Yeled... j'arrive...

-Attendez ! m'exclamai-je. Comment vous appelez-vous ? »

Ses yeux se fermèrent, tandis qu'un drôle de sourire sembla tenter de se dessiner quand il lâcha son dernier soupir :

« Shalom... D'où je viens... Cela veut dire... Paix... »

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