Chapitre XVI
Je dois mettre fin à la guerre, et vite, avant qu'elle n'explose en ne laissant qu'un mont de cadavre sur son passage.
À force de courir à travers les corridors infinis, passant trois fois par les mêmes murs tous ressemblant, je finis par déboucher sur la porte principale du donjon, celle menant vers la cour intérieure de la citadelle où se trouvaient je crois les maisons des bourgeois, les pauvres futurs soldats. Je n'y étais jamais allé, mais il devait bien y avoir un moyen de rejoindre l'enceinte extérieur de la forteresse...
Poussant la lourde et imposante porte de toutes mes forces, je réussi à l'ouvrir assez pour me faufiler dehors, juste à temps pour voir les femmes et jeunes enfants se barricader chez eux, la terreur se lisant sur leur visage. Ils avaient tant peur de leurs propres soldats, on dirait qu'ils craignent pour leur vie alors qu'ils n'ont selon moi rien à craindre ; même protégés par de hautes murailles, ils n'osaient mettre le pieds dehors jusqu'à la fin du combat. Quelle triste vie, comme la nôtre au village finalement, bien qu'eux ne se font jamais attaquer. Je l'espère tout du moins...
Secouant la tête pour reprendre mes esprits, je traversai les allées pavées aux bordures fleuries, gardant la muraille en visuel dans le but de la longer pour trouver la sortie. Je me précipitai dans le moindre chemin pouvant me rapprocher de l'enceinte, mais tout se ressemblait tant que je craignais un instant m'être retrouvé dans un nouvel dédale interminable qui ne voulait que m'empêcher d'atteindre mon objectif. Mes jambes me faisaient souffrir à force de courir, mais je n'avais guère le temps d'y penser, j'étais focalisé sur la mission que je m'étais confié, l'adrénaline me galvanisait et occultait cette panique qui au fond grandissait. Je ne pensais à rien d'autre, déterminé à ne pas échouer.
Et, enfin, je vis au loin une ouverture dans l'enceinte imposante, une grande arche à la herse relevée, là où plus tôt les soldats sont passés. Sans une once de doute, je la traversai à toute vitesse et me retrouvai face à une scène figée, qui me coupa brusquement dans mon élan alors que je repris difficilement mon souffle.
Plus bas dans la vallée, il y avait des tonnes de soldats regroupés, tant et tant que je ne pouvais les compter. Y a-t-il vraiment autant de soldat dans la citadelle ? Y a-t-il seulement assez pour tous les loger ou sont-ils sauvagement entassés dans de petites maisonnées ? Jamais, dans aucune des batailles auxquelles j'avais assisté, je n'ai vu autant de soldat agglutiné, arme au corps et tout de fer parés. D'ici, je voyais des plus grands et des plus petits, je devinais des adultes et des enfants, parfois si petit que je me questionnai sur leur âge. Je sentais mon cœur se serrer douloureusement et souffrir pour ces pauvres garçons qui ne connaîtrons pas tous l'âge adulte.
En arrière de cet amas, je distinguais une centaine de soldats bien agencés sur quelques lignes, semblant si petits que je concluais qu'ils étaient agenouillés. Je n'eus pas le temps de me questionner sur leur activité qu'un cri retentit dans la vallée, malheureusement inaudible d'où j'étais. Ces soldats en arrières levèrent une arme que je ne tardai pas à reconnaître : c'étaient des arbalètes...
Peu à peu, une nuée de petites lumières apparurent sur leurs flèches, et je compris tout : jamais ils n'avaient souhaité des machines de guerre, tout était déjà préparé depuis longtemps... Ils avaient formé des arbalétriers afin de mettre le feu au village !! D'un coup, je débloquai et pus à nouveau courir vers l'homme solitaire éloigné du reste de l'armée, celui que je cherchais, le commandant, le conseiller. Mais mes jambes affaiblies ne pouvaient rattraper le cri qui fut porté alors que j'approchai :
« TIREZ ! »
Et alors que je me laissai tomber, mes jambes n'arrivant plus à me porter, soudainement faible et fatigué, je vis avec effroi un nuage de flèches enflammées se diriger vers le village. Même d'où je me trouvais, je pouvais voir les premiers chaumes brûler tandis que la panique semblait régner parmi les habitants affolés.
Puisant dans toutes les forces qui me restaient, je parvins à finalement me relever et avançai douloureusement vers le conseiller. Je savais qu'il m'avait vu arrivé, car son regard glacial était dardé sur moi, mais le sourire qu'il arborait m'effrayait davantage que toute cette armée.
Quand enfin je parvins près de lui, je me laissais chuter, mes jambes incapables de supporter plus longtemps le poids de mon corps, avant d'implorer l'homme face à moi :
« -Je vous en prie, cessez cette attaque !
-Tu crois vraiment qu'un nabot tel que toi peut me dire quoi faire ? ricana-t-il. Tu ne tiens même pas debout... J'ai la direction des armées, je suis le seul à décider de leurs mouvements... »
Sans prévenir, il se tourna vers la masse de soldat en contre bas et, levant théâtralement son bras, il déclama avec puissance :
« À L'ATTAQUE ! »
Son cri résonna en moi, douloureusement, comme un coup de poignard en plein dans mon esprit, si puissant que je dus me tenir le crâne par peur qu'il n'éclate. Je me sentais à nouveau si faible, comme au matin même dans ma chambre avec Elyes, comme toutes ces fois où j'ai défailli sans prévenir, mais étrangement je gardais conscience, l'adrénaline coulant à flot en moi me permettait sûrement de tenir.
« S'il vous plaît, tentai-je encore, écoutez-moi ! »
Il ne daigna pas me regarder, mais je sentis son aura devenir menaçante ; pour autant, je me devais de continuer, pour le village, pour la citadelle, pour Aypierre, pour Elyes.
« Vous devez arrêter le combat ! Je vous en prie, vous allez détruire la citadelle si le village disparaît ! Vous allez tuer vos hommes dans une lutte futile ! Écoutez-moi, pour le bien de tous, sonnez la retraite ! »
J'avais cette douloureuse impression que mes paroles ne servaient à rien, pire, je le vis serrer doucement les poids, tandis que la colère sembla grandir sur son visage.
« -S'il vous plaît ! vous devez—
-ASSEZ !! »
Je n'eus pas le temps de finir ma phrase qu'il hurla, et, sans que je puisse m'y attendre, je sentis une vive douleur dans mon dos alors que mon corps décolla du sol un moment avant de retomber lourdement sur la pente de la colline où je me mis à dégringoler. Au bout d'un temps qui me sembla infiniment long, ma chute se stoppa, laissant mes membres endoloris se reposer tandis que ma tête vibrait. Je ne sentais plus que la douleur dans mon corps, je ne contrôlai plus rien, embrumé dans un torrent d'élancement. Je ne voyais pas, je n'entendais plus, aussi pendant un instant une fugace pensée s'étonna du fait que j'étais encore en vie.
Alors que j'attendais désespérément de reprendre le dessus sur la douleur, de contrôler à nouveau mon corps, je parvins à sentir l'aura du conseiller royal qui s'approchait, dangereuse, menaçante, comme prête à me bondir dessus pour m'achever. L'effroi s'empara de moi à l'idée qu'il ne souhaitait que me tuer.
Il m'avait toujours haï, peut-être était-ce pour cela ? Parce que j'ai trop souvent échappé à la mort qui m'attendait ? Parce qu'il avait maintes fois tenté de mettre fin à mes jours sans succès ? Parce que j'étais protégé par Elyes pendant toutes ces années ?
Désolé mon ami... J'ai échoué... Plus rien ne peut me sauver maintenant, je le crains.
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