Chapitre XV

Perdu dans mes songes, j'entendis vaguement quelqu'un frapper à ma porte. Un simple « Moui » servi de réponse, autorisant Elyes à apparaître à l'embrasure avant d'entrer en fermant la porte délicatement. En silence, il s'assit à mes côtés, posant sa main sur mon épaule, alors que je ne daignai me relever, les yeux encore perdus dans le vague.

« Tout va bien ? me demanda-t-il.

-Hm. Je repensais juste au village.

-Je vois. Il faudrait qu'on parle un peu, à propos de mon conseiller. »

Je me redressai mollement, l'esprit toujours embrumé de souvenirs de mon enfance, jusqu'à tomber sur le regard sérieux de mon ami. Il avait l'air perturbé par quelque chose, et vraiment inquiet, tant que j'oubliai en une seconde mes soucis précédents.

« Que se passe-t-il ? demandai-je en fronçant les yeux. Il y a un problème ?

-Un très gros même. »

Son ton sans appel me fit froid dans le dos, et instantanément je ressenti le danger de cette situation dont j'ignorai tout pour le moment.

« -Je t'avais déjà dit qu'il était commandant en charge des armées. Eh bien il... Il... prévoit une attaque... Une attaque de grande envergure... Il a convaincu le conseil de mobiliser les artisans, ils veulent construire des machines de guerre... Des trébuchets, des catapultes... Je... Je crois qu'il veut définitivement en finir avec le village ! »

J'étais abasourdi, les yeux écarquillés et la bouche bée, muet de stupéfaction. Le... le village... détruit... ? Non... Je ne peux pas penser à cette éventualité... Il faut... Il faut...

« Il faut faire quelque chose ! On ne peut pas le laisser faire ! Je dois aller le raisonner avant qu'il ne soit trop tard !!

-Mais enfin, répliqua-t-il, il t'a en horreur, pourquoi veux-tu ne serait-ce qu'essayer de lui parler ? »

Un nœud se forma dans ma gorge, alors que je sentais les larmes poindre ; je ne lui ai jamais révélé ce don que j'avais, ni aucune de ces étranges expériences que j'ai vécues étant enfant. C'est peut-être un peu tard, mais il vaut mieux tout avouer...

« Il y a des choses que je ne t'ai jamais dite... Des choses que j'ai faites et vécues. Je n'ai jamais osé t'en parler de peur qu'on se serve de moi, et au fur et à mesure du temps qui passait j'ai fini par ne plus y penser... Tu vois tous ces soldats qui sont devenus artisans, qui ont quitté l'armée ? C'est à cause de moi... J'ai le don de supprimer toute hostilité d'une personne en lui parlant. J'ai plusieurs fois fait l'usage de ce don sans le vouloir, j'ai sauvé du monde au village avec, avant de réussir à vraiment le contrôler. »

Elyes m'écoutait en silence tandis que je racontais certains détails momentanément sortis de ma première version : comment nous avons miraculeusement survécu quand nous avons été découvert par ce soldat, ce qu'il s'est passé lorsque j'ai reçu mon épée, comment j'ai résolu des conflits dans le village...

« -... J'ai mis beaucoup de temps à comprendre que c'était moi qui apaisais les tensions, je ne l'ai même compris que récemment. Et cette voix qui affirmait encore et toujours que je devais accomplir ma mission... Ça doit avoir un rapport, mais je ne sais que faire.

-Je vois, finis par articuler Elyes après quelques instants. Je me rappelle que ma mère m'avait jadis raconté l'histoire d'un ami à elle qui était comme toi, le même don. J'ai toujours cru qu'elle l'avait inventé, apparemment non étant donné ce que tu me dis. »

Je lâchai un léger soupir de soulagement. Il me croit, heureusement, et il ne me traite pas de fou... C'est vraiment une personne en or, j'ai beaucoup de chance de le connaître. Mon ami secoua doucement la tête, l'air désespéré :

« Je crains cependant que ça ne soit pas suffisant pour le ramener à la raison... Il était réellement effrayant, plus déterminé que jamais, et chaque seconde que je passais à ses côtés faisait grandir une étrange haine en moi. Si tu penses vraiment pouvoir réussir, alors va, je n'ai aucun droit de te retenir, mais je t'en prie, prend garde à toi... »

L'attention qu'il me portât me réchauffait le cœur tendrement, un sentiment que je n'avais ressenti depuis longtemps, d'une telle douceur que je ne pouvais me résoudre à renforcer cette inquiétude.

« Je te le promet. »

Dans un élan de tendresse, je le pris dans mes bras, le serrant fermement, et souris quand je sentis l'étreinte aussitôt rendue. Ses mains chaudes s'agrippèrent lentement à mon chandail tandis qu'il cala sa tête au creux de mon cou, et je me pus m'empêcher de passer timidement ma main sur son crâne, glissant mes doigts dans ses cheveux doux.

Pendant un instant, je retrouvais un cocon protecteur, chaud, agréable, duquel j'aurais souhaité ne jamais partir, que demanderai-je pour me noyer dans cette douceur, me perdre dans ce bien-être, étouffé par cette tendresse bienvenue. Mon corps bouillait de l'intérieur, mais ça ne me brûlait point, c'était doux, juste comme il faut, comme un soleil se couchant au creux de mon ventre pour laisser place à la nuit papillonnante de mille étoiles.

Mais il fallait se séparer hélas... Les bras s'écartèrent lentement, comme pour faire perdurer ce monde éphémère une seconde de plus, et mon esprit se complus d'une simple plongée dans le regard de mon ami. Mon ami... Ami, vraiment ? N'est-ce vraiment qu'un ami, alors que j'appréciais tant le moindre de ses contacts ? Ou était-ce donc ça, ce sentiment profond, si mystérieux mais si attirant ? Je ne sais pas, je ne sais plus, mais ai-je un jour su, le saurai-je un jour ?

Un temps, nos yeux n'osèrent se croiser, de peur d'y lire ce que nous ne voulions voir. Jouant avec mes doigts, je craignais de briser cette atmosphère douce, et quelque peu embarrassante, en quittant la pièce, et je pense que lui comme moi ne sachons quoi faire comme premier pas.

« -Bien, fini par déclarer Elyes en baissant définitivement le regard, si tu es si confiant, alors je ne peux que t'encourager.

-Je reviendrai vite, et je te dirai tout, lui lançai-je avec un sourire »

Il releva doucement la tête pour me regarder une énième fois, un faible et timide sourire sur le visage, puis je me tournai pour ouvrir la porte, lui adressant un dernier regard pour le rassurer.

Mon cœur battait à la chamade alors que je traversais les couloirs du château, et je sentais sur mon visage un sourire niais qui ne daignais pas partir. Pourquoi ressentais-je tout cela pour quelqu'un que je ne connais que depuis bientôt quatre ans, alors qu'en plus de six ans ma relation avec Aypierre s'est cantonnée à l'amitié amalgamée ? Au fond de moi, il y avait cette culpabilité grandissante, cette impression de trahir la mémoire de celui qui m'a permis de grandir. Je savais bien que je pouvais vivre, que je ne devais m'empêcher d'être heureux, c'est sûrement ce qu'il aurait voulu, mais... je ne pouvais pas m'y résoudre, oublier ce que nous avons vécu et passer à autre chose était au-dessus de mes forces. Ou tout du moins, je me forçais à y croire...

Aurai-je peur ? Essayerai-je de m'enfermer dans mon passé par peur d'un futur avec Elyes ? Non... Bien sûr que non, puisqu'il n'y aura aucun futur avec lui. Dès que je le pourrai, je retournerai au village, dans mon monde, et j'utiliserai notre grande amitié pour permettre aux habitants de vivre dans la paix et le bonheur.

...Serai-je au moins capable de m'éloigner de lui ?

Les pérégrinations de mes pensées m'avaient à nouveau égaré dans les couloirs, quand je me fis la réflexion que je n'avais aucune idée d'où trouver le conseiller de Elyes. Riant de ma bêtise, je pensai un instant à retourner dans la chambre pour demander à son Altesse, quand d'un coup un bruit sourd retentit dans toute la citadelle.

La panique s'empara de moi lorsque je reconnus la corne qui a été sonnée ; c'était le signal de guerre... ils vont attaquer le village encore ! Et d'après mon ami, ils sont prêts à le détruire... Je dois faire quelque chose, et vite ! Je dois convaincre le conseiller d'arrêter cette folie ! Il doit être avec l'armée, dehors, prêt à les envoyer sur le champ de bataille.

Mais... je croyais qu'ils souhaitaient construire des machines de guerre pour le réduire à néant... Ne serait-ce donc pas cette fameuse attaque finale ? Juste une attaque comme les autres ?

Peu importe, je dois l'arrêter coûte que coûte. Je ne peux le laisser détruire ma maison, ma vraie maison, et ma famille, mes amis, ceux que j'appréciai et ceux qui ne m'appréciaient pas toujours. C'est l'équilibre de tous qui est en jeu, sans village la forteresse va dépérir, sans parler de tous ces soldats qui mourront, l'esprit embrumé par la violence et le sang.

Je dois être le seul à pouvoir agir.

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