Chapitre XII
Je me laissai guider malgré moi à travers les couloirs, l'enthousiasme soudain du roi restant inexplicable à mes yeux. Après quelques minutes à esquiver grossièrement les gardes, je supposais parce que je ne devais pas sortir, nous arrivâmes devant une grande porte vitrée bordée de métal doré à travers laquelle je pouvais voir un grand espace extérieur recouvert de verdure tachée de couleurs vives. Elyes l'ouvrit en m'invita à sortir puis m'emboîta le pas, un grand sourire plaqué sur son visage enfantin.
Je tournais la tête dans toutes les directions, émerveillé par la quantité incroyable de plantes colorées et d'arbustes feuillus. Les murs étaient recouverts de lierre, tant qu'on ne voyait presque plus les pierres qui se situaient derrière.
-Ouah... commençais-je. C'est—
-Ce n'est que le début, vient voir ici !
Il attrapa à nouveau mon bras, le sourire aux lèvres, ne semblant pas se préoccuper du fait qu'il m'ait coupé la parole. Je laissai mon ami me traîner jusqu'à un de ces murs invisibles, et je le vis soulever une brassée de lierre, dévoilant une petite arche qui donnait sur un autre jardinet caché au creux d'un renfoncement. Je ne pris pas le temps de me questionner sur le pourquoi de cet endroit, tant son contenu me rendait muet d'admiration. Il était rempli de dizaines de fleurs de toute sorte et de toutes couleurs, harmonieusement assemblées en petits parterres entourant un banc de bois simple.
-Bienvenue dans mon petit jardin secret ! s'exclama mon ami. C'est Mère qui l'a aménagé sans rien dire à personne, même pas à Père. C'était... sa façon de fermer les yeux sur les conflits... On lui disait trop souvent qu'elle n'avait pas le mot dans ces affaires. Regarde.
Le petit brun lui indiqua du doigt un petit parterre de fleurs rouges et orange d'une grande beauté, élevant leurs pétales vers le ciel tels des lances flamboyantes.
-Ce sont des glaïeuls. Elles sont un symbole de puissance, mais leur nom vient de « glaive », symbole de la guerre et des conflits... Les blanches là-bas sont des jacinthes, elles veulent apporter un avenir meilleur. Les toutes petites bleues, les myosotis, parlent de séparation et d'absence. Il y a des soucis, pour la douleur, et des fleurs d'olivier pour le présage de paix. C'est ma mère qui m'a appris tout ça avant de... de...
Je sentis l'émotion lui nouer la gorge tandis que devant ses yeux sembla se jouer une scène du type que l'on aimerait oublier. Par compassion, je posai une main amicale sur l'épaule de mon ami, connaissant cette sensation de solitude. La curiosité me rongeait bien sûr, l'envie de savoir l'histoire de sa mère était impossible à faire taire, mais je préférai me taire devant sa détresse, et simplement lui montrer que j'étais là s'il le fallait, car c'était aussi ce que j'avais souhaité, avoir quelqu'un. Je le laissais essuyer la larme menaçant de couler, puis il tourna la tête vers moi, le visage masqué d'un grand sourire doux et empli de gratitude, et pourtant infiniment douloureux à voir.
-Si je t'ai amené ici, murmura-t-il, c'était pour pouvoir me rapprocher de toi. Tu es le seul aussi jeune que moi ici, et tu étais potentiellement le seul à pouvoir me comprendre. C'était maladroit, et peut-être un peu traitre de ma part, mais étant donné ta condition ici c'est le seul moyen qui m'est apparu... Merci de t'être confié, merci de m'avoir écouté. J'espère sincèrement que nous pourrons être ami...
Ces mots eurent un écho profond en moi, comme s'ils n'auraient jamais dû être prononcés, et, malgré ce qu'il souhaitait montrer par ce sourire rassurant et plein d'espoir, je voyais dans ses yeux habituellement si joyeux une grondante inquiétude.
-Tout va bien ? demandais-je en miroir à son trouble.
-Oui oui, je vais bien, répliqua-t-il en agrandissant son sourire, j'avais juste peur que tu t'enfuies en courant. Pourquoi cette question ?
Je secouais simplement la tête pour lui signifiais que ce n'était rien. Je voyais bien, au fond de lui, que quelque chose n'allait pas. Est-ce qu'il culpabilisait de m'avoir embarqué de force sans prévenir ? ou de me retenir -je l'espère- contre son gré ? J'aurais aimé lui faire comprendre que je ne pouvais pas lui en vouloir, que j'étais persuadé qu'il n'y était pour rien et que ça ne m'empêcherait pas de l'aider s'il en avait besoin, mais il y avait cette boule dans ma gorge qui m'empêchait de lui dire pour une raison obscure. Alors, d'autres questions affluaient sur la raison de son inquiétude : avait-il dit quelque chose qu'il ne devait pas ? Avait-il compris quelque chose en parlant avec moi ? Ou peut-être... était-il inquiet pour moi ?
-On va rentrer je pense, déclara-t-il en coupant court à mes pensées. S'ils s'aperçoivent que tu n'es plus dans ta chambre, ils risquent d'en référer à moi ou à mon conseiller... Et crois-moi, ce ne sera pas juste pour dire que tu es sorti ! Ils ont beaucoup de mal à t'accepter, et ils ne comprennent pas pourquoi tu es là. J'avoue que je ne comprends pas vraiment non plus...
Je haussais simplement les épaules, tentant de paraître le plus extérieur possible à la raison qui commence à se dessiner dans mon esprit. Je restais interrogatif sur l'intérêt que portait le conseiller royal sur moi, ainsi que sur notre ressemblance, mais je supposais que mon « don », si je peux l'appeler ainsi, devait y être pour quelque chose...
Nous sommes donc retournés dans l'enceinte du palais, l'esprit en apparence tranquille mais tourmenté de mille questions, et nous avons repris la direction de ma chambre avec la plus grande discrétion possible. Je commençais à me douter que quelque chose ne tournait vraiment pas rond dans ce palais, voire dans toute la citadelle, mais je n'en saurai pas plus si je dois rester enfermé dans cette chambre.
Deux solutions s'offraient à moi : la première, peu réalisable, serait d'explorer le palais de nuit et d'espérer trouver une quelconque réponse. Mais les gardes faisaient des rondes, et je ne savais pas quoi chercher, c'était beaucoup trop risqué. La seconde, plus plausible, serait de me rapprocher encore de Elyes afin de pouvoir lui poser peu à peu des questions sur la citadelle, sur les conflits, voire sur mon double. Mais je ne contrôlais pas ses visites, et je me doutais que lui non plus, alors tout ceci serait extrêmement long.
-Bon, déclara son Altesse en voyant apparaître la porte de ma chambre, nous y voilà. Je vais distraire le garde pour que tu puisses entrer.
Je hochais distraitement la tête, les yeux rivés sur un point fixe dans le vide.
-Tu reviendras me voir ? lâchais-je abruptement.
D'abord surpris, le visage de Elyes s'illumina, et je pus voir au fond son soulagement, sûrement à l'idée que je ne le rejetais pas pour qui il était ou ce qu'il avait fait. Il s'exclama à voix basse, les yeux brillant d'excitation :
-Bien sûr ! Je pourrais t'apporter ton repas ce soir si tu veux. Et puis, je t'apprendrai à lire dès que je pourrais ! Tu verras, c'est génial de se plonger dans un livre et d'oublier tout ce qu'il se passe autour pendant des heures...
Oublier tout pendant un temps... Ça me plaît bien... Et puis, si cela peut m'aider à me sentir moins seul ici et à répondre à mes questions, tout en permettant à Elyes d'avoir un vrai ami, je me vois mal refuser. Un fin sourire déforma mes lèvres tandis que j'acceptais, l'instant d'après je sentais s'envoler le lourd poids qui auparavant écrasait mon cœur. Je me sentais d'un coup léger, si léger que je cru m'envoler, et enfin je me sentais respirer sans étouffer, je me sentais penser sans être emporté dans un tourbillon d'émotions noires, je sentais mon cœur battre librement. Oui, d'un coup je me suis senti libre.
Un bref échange de regard lui fit comprendre le tournant de mes pensées à propos de sa réponse et, sur un signe de tête que je qualifierai presque de complice, il partit comme prévu. Je pus rapidement retourner dans l'enceinte close de ma chambre sans être remarqué, comme si je ne l'avais jamais quitté.Seul un œil averti verra sur mon visage la sérénité au lieu de mon habituelle tristesse.
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