Chapitre 8 | Cyrus

― Tu ne comptes pas sérieusement partir ? Je croyais que c'était une plaisanterie, mais tu as toujours cette idée en tête. Nous n'avons pas tous la chance de vivre dans une famille aussi riche alors laisse-moi te dire que ta décision est complètement ridicule.

Lily découpe soigneusement sa pomme en évitant mon regard. Je savais qu'elle ne comprendrait pas ma décision de mettre les voiles. Elle est née dans une famille pauvre et travaille au sein du manoir depuis des années malgré son jeune âge. Mes parents avaient besoin d'une paire de mains supplémentaires et cela lui permettait d'avoir un bon salaire pour payer le traitement coûteux de sa sœur malade.

Elle est également ma seule et unique amie dans cette prison. Nous nous sommes rencontrés lorsqu'elle faisait le ménage dans la chambre de mon imbécile de frère. Il s'était montré cruel et méchant en lui confiant les tâches les plus ingrates. J'ai brûlé une partie de ses affaires en les accrochant dans le jardin. Père m'a sévèrement puni, mais ça m'était égal. J'avais défendu une pauvre victime de Lewis.

― Je savais que je n'aurais pas dû te prévenir de mon départ.

― Tu m'aurais laissé une jolie lettre dans ta chambre pour me dire au revoir ? Franchement, tu es pathétique ! Cette maison est un véritable trésor et tu peux devenir ce que tu veux sans te soucier de l'argent !

Un ricanement s'échappe de ma bouche. Lily est aveuglée par le besoin constant d'argent, elle ne comprend pas mes sentiments. Je passe une main sur mon visage en cherchant les bons mots pour ne pas la froisser.

― La fortune ne me rends pas heureux, Lily.

― Impossible ! Quand tu as de l'argent, tu peux faire ce que tu veux et ne pas te soucier des problèmes ! Je trouve que tu es injuste avec ton héritage alors que tu devrais t'estimer chanceux.

― C'est là que tu te trompes, je ne suis pas libre de faire ce que je veux.

Mon amie fronce les sourcils.

― Je ne suis pas certaine de te comprendre. Cela fait des années que je travaille pour payer les factures pendant que tu répètes en boucle que tu rêves d'une vie meilleure. Qu'est-ce qu'il te faut de plus ? Un château ? Un nouveau cheval ?

― J'ai besoin d'être libre.

Il est difficile de faire face à son passé surtout lorsque celui-ci vient frapper à votre porte. L'enveloppe noire est bien trop lourde dans ma main, elle représente tout ce que je déteste : les mauvaises nouvelles et la culpabilité. Je ne sais même pas pourquoi je l'ai ouverte, elle traînait sur mon étagère depuis plus de six mois. Mon courrier ne mérite pas d'être lu surtout s'il provient des membres de mon passé.

La sœur de Lily a succombé à la maladie durant son sommeil il y a six mois. Elle m'a envoyé une lettre pour me l'annoncer en me demandant de rentrer pour l'enterrement. Cela ne change rien au fait que je ne serais pas retourner à Slonia pour assister à des funérailles et prendre le risque de croiser des membres de ma famille maudite. J'éprouve cependant une grande culpabilité. Lily est désormais orpheline, elle a perdu sa mère très jeune et son père est décédé dans un accident de travail il y a trois ans. Elle s'est retrouvée en charge des factures à seulement seize ans et à travailler plus que la normale. Une adolescente qui vendait son corps pour subvenir à ses besoins. Je suis devenu en le découvrant, c'est la raison qui m'a poussé à lui donner de l'argent supplémentaire dans le dos de mes parents.

Lorsque je suis parti, j'ai abandonné Lily en ne lui versant plus cette somme nécessaire à sa survie. Que s'est-il passé durant ces deux années ? Je ne peux m'empêcher d'imaginer mon amie recommencer à vendre son corps uniquement parce que je me suis montré égoïste une seule fois dans ma vie. Il fallait que je quitte ma famille toxique pour apprendre à vivre. Cette prison dorée commençait à me rendre fou.

― Ne devrais-tu pas profiter de ce premier jour de vacances pour dormir un peu plus longtemps ? Je peux informer ton patron que tu ne respectes pas la notion de repos.

― Bonjour à toi aussi, Dawn.

Elle retire ses sandales pour marcher dans l'eau et me rejoindre dans ma contemplation matinale. Je remarque à quel point sa tenue est différente de d'habitude, la rouquine semble plus professionnelle et adulte. Nous n'avons que trois années d'écart, mais elle semble plus jeune.

― Mauvaise nouvelle ? demande-t-elle.

― J'ai appris le décès d'une vieille connaissance.

― Toutes mes condoléances, le deuil n'est pas une période facile...

Je l'interromps en secouant la main.

― Elle est morte il y a six mois et je viens seulement de l'apprendre parce que j'ai ouvert cette stupide lettre. Je n'ai pas le droit d'être triste pour une personne que je connaissais à peine et dont je n'ai accordé aucune importance depuis mon installation sur l'île.

― Rappelle-moi de ne jamais t'envoyer de courrier !

Cette simple blague suffit à me redonner le sourire même si elle est de mauvais goût. En dehors de cette lettre, Lily ne m'a jamais contacté pour prendre de mes nouvelles. Je ne l'ai pas fait non plus parce que je ne voulais pas prendre le risque de craquer et regretter mon choix de vie. C'est peut-être un comportement de lâche, mais j'espère qu'un jour elle comprendra cette décision.

― Je pense que tu devrais prendre le temps de répondre à cette lettre même si elle date un peu. Tu connaissais cette personne alors j'estime que c'est la moindre des choses de contacter le parent qui t'a annoncé la nouvelle.

― Est-ce vraiment nécessaire ?

― Non, mais tu ne passeras plus pour un connard absolu.

Je fixe la lettre dans ma main en me demandant si c'est la bonne chose à faire. J'ai coupé les ponts avec chaque personne appartenant à mon passé, mais je ne peux pas fermer les yeux et faire comme si de rien n'était. Ambre est morte, mais je ne la connaissais pas suffisamment pour affirmer qu'elle était mon amie. Je suis presque certain que Lily me déteste, mais je ne peux pas ignorer les propos de cette lettre.

― Tu as certainement raison...

― Qu'est-ce qu'on dit dans ce genre de situation ?

Elle lève les doigts pour énumérer chaque point à mettre dans ma lettre.

― La première chose est de présenter tes excuses pour ne pas avoir répondu ensuite les condoléances et tu prends également des nouvelles. Même si c'est une personne que tu ne connais pas très bien, il est important que tu te montres un minimum poli.

― Donc je dois faire semblant de m'intéresser à la vie de cette personne ?

Dawn fronce les sourcils.

― Je te connais suffisamment pour savoir que tu te sens coupable. Tu peux te mentir à toi-même, mais pas aux autres.

— J'ai quitté mon ancienne vie pour ne plus suivre les règles débiles de ma famille. Répondre à cette fille se résume à faire deux pas en arrière.

Un grand sourire étire les lèvres de la rouquine.

— Une fille ? Elle était jolie ?

— Je sais ce que tu imagines, mais Lily était ma meilleure amie. Elle travaillait dans la propriété de mes parents et nous nous entendions bien. Du moins... c'était le cas avant mon départ.

— Est-ce que tu as connu une véritable relation amoureuse ? Je me demande si tu connais l'amour et le bonheur.

J'ai eu l'occasion de fréquenter une fille avant mon départ, mais uniquement parce que mes parents souhaitaient arranger un mariage. Il était hors de question de laisser ma famille ruiner cette nouvelle parcelle de ma vie.

Dawn penche la tête en observant mes réactions. Je suis bien content que notre relation ne soit pas compliquée. Notre amitié est trop précieuse à mes yeux pour qu'elle devienne quelque chose de trop sérieux.

— Une seule, mais clandestine.

— C'est encore plus romantique ! J'espère que tu retrouveras cette fille pour ouvrir ton cœur avant de finir complètement seul.

— Il n'y a rien de mal à être célibataire.

— Bien sûr que non ! Personne ne devrait être contraint de vivre en couple si ce n'est pas son choix, mais toi je sais qu'une femme t'attend.

La rouquine consulte l'heure sur sa montre puis pousse un cri. Elle s'empresse de remettre ses sandales et passe une main dans ses cheveux.

— Il faut que j'y aille, mon rendez-vous ne peut pas attendre. Nous nous reverrons plus tard, c'est promis ! Et n'oublie pas de me faire lire ta lettre avant de l'envoyer.

— Et la vie privée ?

— Ça n'existe pas avec moi !

Je secoue la tête en la regardant s'éloigner. J'ai prévu de passer la journée à faire des séances de méditation pour contrôler mes visions et faire des recherches sur le pendentif.

Mes pensées dérivent de nouveau vers mes souvenirs enfouis au fond de ma mémoire. Des larmes roulent le long de mes joues en me remémorant le visage délicat de celle que j'ai aimé. Ambre n'était pas une étrangère, c'était mon premier amour.

Bonsoir ! Comment allez-vous ?
Une publication spéciale pour mon anniversaire, je tenais à vous remercier de votre présence à chaque chapitre. J'espère que la suite continuera de vous plaire. Merci 🫶🏻

28.05.2023

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