Chapitre 50 | Cyrus
Cette dernière nuit auprès de la femme que j'aime représente tout ce que j'ai toujours voulu. Passer une main dans ses cheveux afin de sentir son doux parfum, la douceur de ses lèvres sur les miennes et entendre son rire est un rêve auquel je ne croyais pas. Je n'avais plus le moindre espoir de construire une relation, mais elle est désormais auprès de moi. Ethan a toujours eu ce qu'il voulait, mais pas cette fois. Je ne laisserais personne me l'enlever, elle mérite de goûter au véritable bonheur.
Profondément endormie, son visage semble plus serein. Je me contente de lui laisser un petit mot sur les vêtements apportés par ma meilleure amie. Ever était morte d'inquiétude lorsqu'elle est passée à la maison et n'a trouvé personne pour veiller sur Avon. Elle est immédiatement venue à la cascade. Mon amie n'a pas demandé d'explication sur la raison pour laquelle Ayla se trouvait sur l'île en robe de mariée. Elle s'est contentée de rentrer chez elle afin d'apporter une tenue de rechange pour qu'elle soit plus à l'aise. Je dépose un petit mot pour la rassurer et ne pas l'inquiéter sur ma soudaine disparition. J'embrasse délicatement son front, ce qui la fait sourire dans son sommeil.
Je souhaite rendre son séjour le plus confortable possible alors il est normal de se lever tôt pour aller chercher un petit-déjeuner. Je suis le premier à connaître la difficulté de débuter une nouvelle vie loin de tout ce qu'on a connu. Durant les premières semaines, un énorme sentiment de culpabilité m'empêchait d'apprécier Aflium. Je ne souhaite pas qu'elle ressente la même chose.
Je remonte le sentier les mains dans les poches afin de me rendre rapidement à la maison. Je veux m'assurer qu'Avon se porte bien malgré mon absence. Ensuite, je passerais au restaurant pour commander un petit-déjeuner à emporter pour Ayla et moi. Nous n'avons pas encore décidé de la démarche à suivre pour justifier la présence de la représentante des Eastwood au sein de l'île. Doit-on révéler notre couple ou attendre ? Il est probable que les journalistes les plus mauvais décident d'attaquer Ayla sur son récent comportement. Ce n'est pas anodin de quitter son propre mariage et disparaître par la suite. Est-elle suffisamment forte pour faire face à toute cette haine ?
Je pousse la porte de la maison avec une petite crainte. Ce n'est pas dans mes habitudes de laisser Avon sans surveillance. Certaines visions peuvent être violentes et je ne souhaite pas retrouver mes affaires détruites. A mon grand soulagement, le calme règne dans la maison. Rien ne semble avoir été détruit, tout est parfaitement rangé comme lors de notre départ pour le restaurant. Il est encore tôt alors il est possible que l'adolescent soit encore endormi, mais je souhaite m'assurer que tout va bien.
Avon est agenouillé devant la dernière grande toile, vierge de toute peinture jusqu'ici. Je remarque les différents tubes de peintures ainsi qu'un nombre incalculable de pinceaux. Il n'accorde pas la moindre importance à ma présence, son regard braqué sur la toile. Le paysage m'est étrangement familier, mais impossible de trouver le nom dans ma tête.
― Avon ?
L'adolescent trempe de nouveau son pinceau dans la peinture en peignant comme un robot. Est-ce ainsi qu'il a peint les différents portraits ? Je m'agenouille à mon tour pour le regarder et constate la couleur changeante de ses iris. Il ne contrôle pas ses mouvements, cette vision le guide et rien de ce que je ferais ne pourra le ramener dans le monde réel.
Le tableau en question est un nouveau portrait, ce qui n'est pas surprenant. Le paysage étant terminé, il s'attaque à la personne en elle-même. Un nouveau Eastwood ? C'est probable et un nouveau mystère à déceler. Pour le moment, je ne peux pas identifier la personne en question car elle n'est pas encore reconnaissable. Depuis combien de temps est-il en train de peindre ? La toile était encore immaculée avant notre départ pour le restaurant. Cela me pousse à croire qu'il travaille depuis de longues heures sans relâche sur cette peinture. Pour le moment, je peux le laisser seul néanmoins il ne faudra pas perdre de temps après le petit-déjeuner. Cette nouvelle vision est peut-être la clé menant vers les réponses à nos questions.
Je quitte la maison avec un pincement au cœur de le laisser seul en pleine vision. Je promets de faire le plus vite possible. J'enfonce mes mains dans les poches de mon pantalon en marchant vers le restaurant, l'esprit encore embrumé par la toile. Malgré l'heure matinale, un grand nombre de touristes sont installés autour des tables à bavarder joyeusement. En temps normal, cela m'aurait dérangé de voir tant de monde, mais pas aujourd'hui. Je sélectionne différentes pâtisseries en attendant mon tour. Un bon petit-déjeuner au bord de la cascade, un cadre idéal qui n'est que le commencement de notre histoire.
― Cyrus ?
Attiré par la voix familière, je me retourne pour faire face à la nouvelle arrivante. Toujours vêtue de vêtements sombres, Zélie vient à ma rencontre. Nous avons eu quelques occasions supplémentaires de travailler ensemble et je dois reconnaître que sa compagnie est apaisante. En apprenant à la connaître, il est facile de percevoir un être profond et bienveillant. Elle possède une grande joie de vivre et un humour qui est facile à comprendre.
― Salut ! Tu vas bien ?
― Je suis d'attaque pour une nouvelle journée de travail ! D'ailleurs, j'ai le grand plaisir de t'annoncer que nous serons désormais partenaires lors des spectacles. C'est la meilleure nouvelle depuis mon installation !
Elle secoue un document sous mes yeux en riant.
― Il y a un changement d'équipe ?
― Je viens juste de l'apprendre en allant récupérer mon emploi du temps de la semaine prochaine. Le directeur souhaite diversifier les équipes et pousser les plus fainéants à se mettre au travail.
― Ce n'est pas une mauvaise idée.
Cette perspective de travailler en compagnie de Zélie m'enchante. Nous nous entendons bien et j'apprécie sincèrement sa présence. Je m'approche du comptoir afin de passer commande sous le regard de ma nouvelle amie. Elle ne pose aucune question sur la raison qui me pousse à acheter autant de nourriture, elle ne se montre jamais trop curieuse. Je me retourne pour lui demander si elle souhaite quelque chose lorsque celle-ci se met à saigner violemment du nez.
― Zélie ?
La jeune femme porte une main tremblante à son nez en écarquillant les yeux. Elle se précipite rapidement dans les toilettes les plus proches. Je m'empresse de la suivre avec inquiétude. Je ne demande pas l'autorisation et pénètre dans les toilettes des dames qui s'offusquent en me voyant. Elles sortent précipitamment en me lançant des insultes. Je remarque une traînée de sang menant à une cabine, ce qui me pousse à me rapprocher.
― Putain de saignement de nez ! s'exclame-t-elle.
― Est-ce que tout va bien ?
Il lui faut quelques secondes pour répondre à ma question.
― Les femmes vont croire que tu es un pervers pour suivre une femme aux toilettes.
― Je me fiche de ce que les autres pensent de moi.
Je vois des gouttes de sang tomber sur le carrelage immaculé.
― Ca t'arrive souvent de saigner du nez ?
― Non.
Je fouille à la recherche d'un rouleau de papier toilette et en trouve un seul dans la cabine la plus sale. Je crains qu'elle ne doive se contenter de ça pour le moment. Elle réceptionne le rouleau en me remerciant.
― Tu ne devrais pas t'inquiéter pour moi.
― Ce n'est pas le rôle d'un ami de s'inquiéter ?
Elle soupire.
― Je ne sais pas, je n'ai eu qu'une seule meilleure amie et c'était ma sœur.
― J'ignorais que tu avais une sœur.
― Tu ne connais rien à ma vie et pourtant tu affirmes être mon ami. Je ne suis pas parfaite, j'ai un grand nombre de secrets capable de détruire toute une vie, mais pourtant tu t'accroches dans l'espoir de découvrir qui se cache sous ma coquille.
Ces révélations ne me surprennent pas, Zélie s'est toujours montrée réservée au sujet de son ancienne vie et n'évoque jamais sa famille. C'est la première fois qu'elle évoque l'existence d'une sœur devant moi. Pourquoi est-elle partie ? Nos vies se ressemblent-elles ? Je m'adosse contre le mur en soupirant.
― Tout le monde a des secrets alors je ne peux pas t'en vouloir de cacher certaines choses sur ton identité. J'apprécie la personne que tu es parce que je sais que ce n'est pas de la comédie, tu es authentique ça se voit dans ton sourire.
― On ne t'a jamais dit que tu étais trop romantique ?
J'éclate de rire.
― Plusieurs fois, oui.
― Pour être tout à fait franche avec toi, je me suis enfuie de ma maison. J'ai tout abandonné parce que je croyais que c'était la meilleure chose à faire pour mon bonheur et protéger les personnes que j'aimais, mais je ne suis plus certaine de cette décision.
― Ne peux-tu pas rebrousser chemin et rentrer chez toi en t'excusant ?
Elle soupire.
― Dans mon cas, il est impossible que je rentre chez moi.
― Pourquoi ?
― Parce que ma famille me croit morte et enterrée.
La porte de la cabine s'ouvre brusquement dans une vive lumière blanche. J'écarquille les yeux en voyant la jeune femme devant moi. Je percute un lavabo en reculant, ce qui provoque une vive douleur dans mon dos. La fille pétillante aux cheveux rouges s'est envolée laissant place à un visage que je ne connais que trop bien.
― Je suis désolée de t'avoir menti sur mon identité, mais personne ne devait être au courant de la supercherie. Aux yeux de ma famille, je suis morte depuis deux ans et il était impossible de révéler la vérité.
― Tu es la sœur jumelle d'Ayla...
Elle hoche la tête.
― Comment as-tu pu faire croire à tes proches une chose aussi abominable ? Ta soeur est encore affectée par ta disparition pendant que tu menais une existence de rêve ?
― Avant de me juger, laisse-moi t'expliquer.
Azaléa est sur le point de me raconter les circonstances lorsqu'elle s'immobilise les yeux écarquillés. Elle porte une main sur sa poitrine en poussant un horrible cri que jamais je ne pourrais oublier.
― Il est arrivé quelque chose... murmure-t-elle.
― De quoi parles-tu ?
― J'arrive à percevoir les émotions de ma sœur depuis que nous sommes enfants et j'ai ressenti une profonde détresse. Elle est en danger !
Je n'attends pas d'explications supplémentaires et me précipite hors du restaurant en bousculant toutes les personnes sur mon passage. Je cours sans m'arrêter dans l'espoir que ce mauvais sentiment soit une erreur. Les Eastwood ont-ils réussi à la retrouver afin de la ramener ? C'est une famille influente, il n'est pas impossible qu'ils forcent Ayla à épouser Ethan pour perpétuer la lignée. Je ne laisserais personne me l'enlever. Il me faut quelques minutes supplémentaires pour atteindre la cascade à bout de souffle.
Une puissante énergie maléfique enveloppe la cascade, ce qui me donne envie de vomir. Je remarque une chose anormale dans le bassin. Il ne me faut qu'une brève seconde pour reconnaître Ayla. Je saute dans l'eau sans réfléchir afin de la ramener sur le sable et lui faire un massage cardiaque. Elle ne fait pas le moindre mouvement tandis que je la porte en la déposant délicatement. Je m'empresse de prendre son poul en ignorant la panique qui me submerge.
― Je t'en prie, réveille-toi...
Je continue le massage cardiaque en espérant voir ses beaux yeux s'ouvrir, mais elle ne montre aucun signe vital. Son coeur ne bat plus, ses lèvres changent progressivement de couleur. Suis-je arrivé trop tard ? Je m'acharne sur son corps en espérant la ramener, mais il est bien trop tard. Des larmes brouillent ma vue, mais je refuse d'abandonner. Je la serre dans mes bras en la berçant en espérant que ce geste puisse la ramener, mais je sais au fond de moi que ce n'est pas le cas. Un hurlement de détresse s'échappe de ma bouche tandis que je serre davantage la femme que j'aime contre moi. Elle est morte par ma faute et ne reviendra jamais. Je ne pourrais jamais me le pardonner.
― AYLA !
A SUIVRE...
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