Chapitre 47 | Ayla
― Cette dentelle est d'une beauté éblouissante ! Elle provient du dernier créateur à la mode, je sais reconnaître le luxe quand j'en vois ! J'ai bien tenté d'obtenir un rendez-vous pour une commande, mais il n'accepte plus personne.
― C'est un homme très occupé, affirme mon maquilleur.
― Ma belle-sœur est parvenue à commander une robe avant qu'il ne réserve les commandes aux clients les plus spéciaux, notamment la famille royale. Je ne suis pas étonnée de voir le prince dans des costumes somptueux ces derniers temps !
Les professionnels de beauté papillonnent autour de moi en ne cessant pas une seconde d'évoquer des éléments de mon mariage. Je suis la principale concernée, mais je ne ressens absolument rien. Ne devrais-je pas éprouver de l'inquiétude sur la cérémonie ? Un mariage n'est pas quelque chose de simple et anodin. En signant le contrat de mariage, je ne serais pas en mesure de revenir en arrière.
Hilton trempe un pinceau sur une palette composée de différentes couleurs puis se penche pour appliquer la poudre sur mes yeux. Mon mariage est la meilleure chance pour lui de se faire connaître dans le milieu, ce qui le pousse à dépasser ses propres limites. Cela fait des heures que je suis pomponnée de la tête aux pieds pour faire de ce jour le meilleur de ma vie. Alors pourquoi suis-je à ce point morose ? Je ne ressens que solitude et désespoir.
― Il faut reconnaître que la dernière robe de la princesse est une merveille, cela demande du temps à la conception et selon les rumeurs il travaille toujours seul. Il n'accepte aucune autre personne dans son atelier.
Cette conversation au sujet du créateur de ma robe ne m'intéresse absolument pas, mais c'est l'unique source de distraction à ma disposition. Je me contente de les écouter sans émettre la moindre remarque sur mon indifférence. Ces deux semaines de vacances sur l'île semblent brusquement lointaines. Lors de mon retour, je n'ai pas eu l'occasion de passer un moment avec mes parents car les tâches les plus urgentes attendaient mon approbation. J'ai assisté à des banquets, des thés en compagnie de femmes détestables et étudié un grand nombre de demandes.
Grand-mère est parvenue à glisser des sorties dans mon emploi du temps afin de choisir ma robe et confectionner une nouvelle garde-robe pour ma nouvelle vie. Les journaux ont sauté sur l'occasion pour partager mes escapades en me souhaitant beaucoup de bonheur. Ils ne savent néanmoins pas que la perspective de ce mariage me donne envie de vomir.
Je ne cesse de me remettre en question depuis la soirée durant laquelle j'ai trop bu. Je me souviens de peu de choses, mais la voix de mon ancêtre tourne en boucle dans mon esprit. Elle avait un amant. Un autre homme dont personne ne soupçonnait l'existence du moins à ma connaissance. Cela remet en doute la véracité des véritables causes de sa mort. Est-elle vraiment morte d'une longue maladie ou bien est-ce un mensonge pour dissimuler un adultère ? Je n'avais jamais remis en doute mon instruction, mais les choses sont différentes aujourd'hui.
― Le travail avance ?
La conversation est interrompue par l'arrivée de grand-mère. Elle porte un élégant tailleur couleur crème, confectionné spécialement pour l'occasion. Ses cheveux bruns sont attachés en un chignon haut avec une pince confectionnée en or véritable et des pierres identiques à celle de notre famille.
― Est-ce une plaisanterie ? La cérémonie débute dans moins de trois heures et vous n'avez toujours pas terminé la coiffure ?! Je vais informer votre responsable au sujet de votre incompétence et faire une très mauvaise publicité. Le mariage est une étape importante surtout au sein de notre famille !
― Nous travaillons dans la bonne humeur en suivant les indications de notre cliente en prenant le temps de discuter, déclare Hilton d'une voix douce.
― Je me moque de la bonne humeur !
Elle avale d'une traite le contenu de son verre puis le dépose sur la commode en soupirant. Je détourne le regard, écoeurée par son comportement. Pourquoi fait-elle preuve de tant de méchanceté envers le personnel ? Il est vrai que je ne suis pas d'humeur bavarde, mais ils se montrent tous les trois bienveillants à mon égard en prenant soin de respecter mes envies. Grand-mère accepte difficilement le changement surtout lorsqu'il est question de vieilles traditions qui n'appartiennent plus à notre époque.
― Tâchez de la rendre présentable avant que la cérémonie ne débute.
Elle ne m'accorde pas le moindre regard, l'esprit trop embrumé par l'alcool. Les professionnels attendent son départ pour reprendre une conversation normale en travaillant sur ma coiffure ainsi que mon maquillage. Les coiffeuses prennent soin de ma chevelure en appliquant un grand nombre de produits. Hilton me montre une nouvelle palette contenant de nouvelles nuances rosées s'accordant à merveille avec ma robe. Je ferme les yeux afin de me détendre un minimum.
J'ai beau me concentrer pour détourner mes pensées, je ne peux réprimer mon inquiétude. Hilton est le premier à terminer mon maquillage en optant pour quelque chose de lumineux et discret pour conserver mon allure angélique. Il faut du temps supplémentaire pour que les coiffeuses achèvent ma coiffure. Mes cheveux étant presque toujours détachés, nous avons sélectionné un chignon pour souligner le sérieux du mariage. Il est semblable à celui de ma mère lors de son propre mariage. La grande différence est le diadème que je porterais pour les prochaines heures. Il est dans notre famille depuis des générations, c'est un objet précieux auquel je dois accorder beaucoup de soin. Il est composé de perles et de feuilles dorées et blanches. Je ne compte plus le nombre de fois où je l'ai admiré en allant au manoir de grand-mère. Elle est la doyenne de notre famille, elle est en droit de le conserver. Je serais contrainte de lui rendre après mon mariage en attendant la prochaine génération. Seules les femmes peuvent le mettre, les hommes ont le droit à des boutons de manchettes semblables. Elles sont également en vitrine pour les maintenir en sécurité.
Les domestiques ne tardent pas à entrer dans ma chambre poussant presque les professionnels dehors. Il ne manque que le voile, mais étant plutôt ancien nous avons décidé de le mettre en dernier pour ne pas l'abîmer. Cette fois, il s'agit du voile appartenant à ma famille maternelle. Un cadeau de ma mère pour me rappeler que les Eastwood ne sont pas mon unique famille, j'ai des racines ailleurs.
Perdue dans mes pensées, je remarque à peine les domestiques remuer autour de moi. Elles veillent à ne pas ruiner mon maquillage et ma coiffure. Je ne suis pas pressée de mettre cette robe, elle est inconfortable et ne correspond pas à ce que je souhaitais. Le créateur s'est focalisé sur les paroles de ma grand-mère en ignorant complètement mes goûts. Les manches en dentelles me donnent envie de me gratter, mais je m'abstiens en affichant un sourire radieux. Une des domestiques ferment avec délicatesse les boutons dans mon dos tandis qu'une autre glisse la paire de talons à mes pieds. Je m'avance vers le grand miroir installé pour l'occasion afin d'admirer le résultat. Personne n'est dupe, je ne renvoie pas l'image d'une future mariée heureuse. On peut camoufler les cernes sous une couche de maquillage, mais on ne peut cacher la tristesse dans un regard. La coiffeuse dépose avec soin le diadème dans ma coiffure ainsi que le voile en apportant une correction.
Je me retrouve seule pour la première fois de la journée à mon grand soulagement. Il ne me reste que quelques minutes de solitude avant que mon père ne vienne me chercher. Je profite de ce moment pour m'asseoir sur mon lit en serrant un coussin contre moi. Chacune de mes émotions me donne envie de hurler et pleurer. Est-ce vraiment le bon choix ? J'étais déterminée à accomplir mon devoir, mais ces dernières semaines n'ont fait que prouver que les Eastwood camouflent des choses.
Je fouille dans le tiroir de ma table de chevet à la recherche de la dernière chose me connectant à Cyrus. Elle est soigneusement cachée dans un livre scotchée à une page au hasard pour que personne ne la trouve. Sans réfléchir, je mets le cordon autour de mon cou en le camouflant par un sort pour que personne ne le remarque.
Une vive lumière blanche brouille brusquement ma vue pendant quelques secondes. Je réalise que je ne me trouve plus dans ma chambre, mais à la Cascade aux Milles Cristaux. Contrairement à notre précédente rencontre, Astra n'attend pas autour d'une table avec un thé bien chaud. Elle est debout devant la cascade, les yeux rivés vers le bassin.
― Bonjour Ayla.
Elle se retourne vers moi en souriant.
― Je crains de ne pas avoir suffisamment de temps pour répondre à tes interrogations, mais sois patiente la vérité est sur le point d'éclater.
― Que voulez-vous dire ?
Astra lève la main vers le ciel en soupirant lorsque les premières gouttes de pluie commencent à tomber. Mon ancêtre reste immobile quelques minutes avant de me faire face en s'avançant de plusieurs pas.
― Tu es une merveilleuse jeune femme, Aylana Eastwood. J'avais la crainte que tu ne sois pas suffisamment forte, mais je me trompais lourdement. Ta détermination et ton courage font de toi une meilleure personne que je ne l'ai jamais été de mon vivant. Il est maintenant l'heure de la danse finale.
Astra se met à danser en rythme avec une mélodie vaguement familière. Elle lève les bras, sautille en posant une main sur son cœur. Sa longue robe flotte doucement au gré de ses mouvements. Mon ancêtre ne détourne pas son attention malgré la pluie qui ne cesse d'intensifier. Celle-ci tourbillonne sur elle-même avant qu'une autre femme apparaisse à sa place. Cette inconnue répète les gestes l'identique avant de disparaître à son tour pour laisser la place à un jeune homme. Contrairement aux femmes, il porte une chemise blanche avec un pantalon bleu nuit. Je prends conscience que ce sont toutes des personnes peintes par Avon. Le petit garçon fait son apparition en dansant de façon différente, mais avec la même expression dans son visage. Il tourne sur lui-même afin de laisser place à Esadora Eastwood dans une robe aussi brillante que les étoiles.
― J'aimerais une explication ! crié-je.
Esadora poursuit la danse sans m'adresser le moindre regard, ce qui m'agace encore plus. Comment une danse pourrait-elle répondre à mes questions ? Je me pose davantage de questions. La blonde s'immobilise avant de planter son regard dans le mien, un sourire triste m'est adressée. Des étincelles apparaissent autour de son corps, ce qui attire mon attention. Les cheveux blonds de la jeune femme prennent une teinte brune semblable à la mienne, la robe blanche s'obscurcit en prenant une teinte bleu nuit. Un hurlement s'échappe de ma bouche lorsque je croise mon propre regard.
― Ayla ? Tu m'entends ?
Une main serre délicatement mon épaule, ce qui me ramène dans le monde réel. Mon père est agenouillé devant moi, la mine inquiète. Je frissonne le regard de grand-mère, elle est adossée contre la porte avec une expression froide. Une horrible vision survenue au mauvais moment et surtout le mauvais jour !
― Inutile de t'inquiéter pour si peu, elle est tombée dans les pommes à cause de l'angoisse ! Inutile de te rappeler à quel point c'est une union importante pour toute la famille, il est normal qu'une jeune femme se fasse rattraper par ses émotions.
― Veux-tu un médicament pour soulager la douleur ?
Je secoue la tête.
― C'est inutile, je me sens bien.
― Donne-lui un bon sucre pour la remettre en forme. Nous ne pouvons pas nous permettre d'arriver en retard, les meilleurs journalistes seront présents pour me questionner sur les préparations du mariage.
Je me redresse en passant une main tremblante sur ma robe en m'efforçant de contrôler mes émotions. Cette vision est incompréhensible, je ne comprends pas le message que souhaitait me faire passer Astra. Pourquoi ai-je eu le droit à une véritable réunion de famille ? Je mords ma lèvre en glissant mon bras sous celui de mon père.
― La première impression est la seule que les gens retiendront, déclare grand-mère.
Elle est la première à descendre le grand escalier pour rejoindre les invités dans le jardin. Mes parents ont engagé les meilleurs décorateurs pour l'occasion. Mon père me chuchote des mots réconfortants en me guidant doucement vers le jardin. Le tapis est suffisamment grand pour profiter de mon père quelques minutes supplémentaires.
― Il n'est pas encore trop tard pour rebrousser chemin, Ayla.
― Que veux-tu dire ?
― Nous sommes à une époque différente et j'estime que tu as le droit de prendre tes propres décisions que cela plaise ou non. Ta grand-mère a tendance à vouloir tout décider, mais n'oublie jamais que tu es la seule à maîtriser ton destin.
Les invités quittent leurs chaises respectives pour se lever en me voyant m'avancer dans l'allée. Je me contente de relever la tête en regardant Ethan droit dans les yeux. Il porte un beau costume blanc avec un noeud papillon bleu clair. Je ne peux pas avoir de doutes, c'est lui l'homme de ma vie. C'est un homme bien avec lequel je vois clairement mon avenir. Un mariage heureux, des enfants et une magnifique réputation à travers le royaume.
Je croise le regard de mes proches, toute ma famille s'est déplacée pour l'événement. Il ne manque que mon deuxième oncle, celui qui a refusé de se plier aux exigences de la famille. Mon père dépose un baiser sur mon front avant de rejoindre sa place auprès de ma mère dont les larmes ne cessent de couler. Mon frère me lance un grand sourire en m'encourageant d'un signe de tête. Je passe une main sur la clé autour de mon cou en frissonnant, l'énergie de l'île est encore omniprésente.
― Nous sommes réunis aujourd'hui pour unir Ethan Hillmore et Aylana Eastwood sous la flamme sacrée du mariage.
Le vieux sorcier allume une torche en poursuivant son discours. Des flammes ardentes apparaît un parchemin sur lequel sont inscrites toutes les règles de notre famille. Une plume dorée fait également apparition, Ethan n'hésite pas une seconde à signer le document. Le parchemin s'illumine avant de disparaître et de se transformer en une alliance à son doigt.
― Ethan Louis Hillmore, acceptez-vous de prendre pour épouse Aylana Aurora Eastwood ?
― Oui je le veux.
L'anneau s'illumine à son doigt puis grave le symbole de la famille Eastwood. Ma boule au ventre s'accentue parce que je ne peux désormais plus fuir mes responsabilités. Ce sont mes dernières minutes en tant que femme libre et célibataire. Le vieux sorcier allume la seconde torche, ce qui fait apparaître un second parchemin. La plume dorée fait irruption, me suppliant presque de la prendre entre mes doigts.
J'avale ma salive de travers en prenant la plume dans ma main. Je me retourne pour regarder la foule avec le cœur battant la chamade. Les images de ces dernières semaines tournent dans mon esprit. Ces secrets autour de notre famille pèsent lourd et je ne peux pas continuer à me tourmenter de la sorte. Je ne peux pas fermer les yeux sur la réalité des choses. Je lâche la plume en reculant de quelques pas.
― Je ne peux pas, je suis vraiment désolée.
Des chuchotements remplissent soudainement les invités. Je m'avance d'un pas déterminé vers le manoir afin de lever le voile sur certains événements de notre famille. Ma grand-mère me bloque le passage, les yeux remplis de colère et de frustration.
― Cesse de faire ton intéressante ! Je t'ai absolument tout donné pour que tu puisses vivre le mariage de tes rêves avec l'homme parfait alors ce n'est pas le moment de faire la difficile et tout annuler à la dernière minute.
― Le mariage de mes rêves ?
Un rire froid s'échappe de mes lèvres.
― Je n'ai pas eu le contrôle de mon propre mariage comme je n'ai pas le contrôle sur ma propre vie ! Il est temps que certaines choses changent et que les secrets soient révélés au grand jour.
― De quoi parles-tu, pauvre idiote ?!
Je me penche pour lui chuchoter des paroles à l'oreille.
― Astra Eastwood s'est suicidée.
Je ne lui laisse pas l'occasion de me répondre, je me contente de m'éloigner en ignorant les regards sombres autour de moi. Ma grand-mère hurle à deux hommes de la famille Hillmore de me rattraper, ce qui me pousse à courir le plus vite possible. Je balance mes chaussures en serrant davantage la clé dans ma main.
― AYLANA !
J'arrache le pendentif autour de mon cou en tendant la main devant moi afin de créer une serrure. Les hommes se rapprochent dangereusement de moi, ce qui me pousse à utiliser mes pouvoirs contre eux afin de les repousser.
― N'approchez pas !
La serrure apparaît au bout de quelques secondes, ce qui me permet d'insérer la clé. Je pousse la porte en lançant un dernier regard derrière moi. Ma grand-mère tente de briser la barrière en hurlant. Elle attendait ce mariage avec impatience et je viens de briser son espoir de voir une nouvelle génération venir au monde. J'ai un grand nombre de choses à comprendre afin de remettre de l'ordre dans notre famille. Mon destin m'appartient.
20.01.2024
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