Chapitre 44 | Cyrus
Je soulève une nouvelle chaise afin de la déplacer et la mettre à la place indiquée. Reprendre le travail est une chose, mais il n'est pas question que je reprenne de suite mon poste d'origine. Ils ont besoin d'aide pour organiser la réception privée exclusivement réservée aux meilleurs clients alors je suis de corvée. Encore du favoritisme, mais je garde cette remarque pour moi.
― On accélère le rythme, il reste encore une trentaine de choses à faire !
Ma supérieure du jour est une femme d'une quarantaine d'années à l'allure sévère. Elle ne quitte pas des yeux son calepin ainsi que la montre à son poignet. Je n'ai jamais rencontré une personne aussi pressée. J'ai conscience que cette sale besogne est une espèce de test pour s'assurer que je suis suffisamment en forme pour reprendre les spectacles, mais c'est d'un ennui mortel.
Je dépose la chaise puis enchaîne avec les suivantes sans adresser un mot à mes collègues du jour. Je ne suis pas vraiment d'humeur à entamer la moindre conversation, les derniers événements tourbillonnent encore dans ma tête. Boire une potion de sommeil était mon unique solution pour m'endormir et ne pas songer à Ayla. Je ne souhaitais pas paraître fatigué devant mon patron et le convaincre de prolonger mes vacances forcées.
― Cromwell !
Emma, une collègue de travail que je connais depuis mon arrivée secoue la main dans ma direction. Elle passe une main dans ses cheveux blonds en souriant à une nouvelle recrue que je n'avais encore jamais vu auparavant. Elle est connue pour ne pas être tendre avec le cœur des femmes qu'elle fréquente. Je m'approche, soupçonneux.
― Qu'est-ce que je peux faire pour toi, Emma ?
― Mon petit doigt m'a dit que tu connaissais bien la nouvelle.
Je lance un regard à la fameuse nouvelle, mais la blonde secoue la tête avec une expression dégoûtée.
― Pas elle, imbécile ! Je te parle de la fille à la chevelure rouge, elle est tellement mystérieuse que je n'arrive pas à l'approcher pour lui parler. On m'a dit que tu avais eu l'occasion d'échanger avec elle à plusieurs reprises.
― Tu parles de Zélie ?
― Tu as finalement un cerveau !
Elle enroule une mèche de ses cheveux autour de son index en souriant. La connaissant, elle espère avoir l'occasion de mettre Zélie dans son lit. Je crains que la concernée ne soit pas aussi idiote qu'elle ne le croit. Je la soupçonne d'être bien plus intelligente qu'elle ne le laisse paraître, mais Emma se contente de l'apparence et non de la personnalité de la personne.
― Il faut que tu m'arranges le coup.
― Pour quelle raison ? Je ne te dois absolument rien.
― C'est un service en tant qu'ami.
Emma n'est pas mon amie, c'est une collègue que je ne supporte pas beaucoup. Elle me rappelle mon frère dans une version féminine, ce qui n'est pas flatteur. Cela me répugne, mais je ne souhaite pas faire de scandale. Je me contente de lui sourire en attendant d'entendre la suite.
― Zélie est une femme vraiment étonnante, mais elle ne semble pas s'intéresser à grand monde. Je veux que tu arranges une rencontre pour que nous puissions apprendre à nous connaître et approfondir notre relation.
― Qu'est-ce qui te fait croire qu'elle aime les femmes ?
― Elle a dragué une ancienne conquête.
Je soupire.
― Désolé, mais ce ne sont pas des histoires qui me concernent. Je vais quand même te donner un conseil au sujet de Zélie. Ce n'est pas une femme que tu fréquentes une nuit pour ton tableau de chasse, elle est très intelligente et la connaissant elle sait ce que tu es.
― Ouille, tes commentaires peuvent faire de la peine !
― Il faut que je retourne travailler, tu devrais faire de même avant de te faire remarquer.
Emma marmonne quelque chose dans mon dos, mais je ne prends pas la peine de me retourner pour la remettre à sa place. Elle n'est pas suffisamment mature pour comprendre à quel point son comportement est embarrassant et idiot. Je ne vais pas me mêler de cette romance imaginaire. Il n'est pas impossible que Zélie aime les femmes, mais je doute qu'elle soit intéressée par une vipère comme Emma.
Je rapporte plusieurs chaises en les rangeant aux tables respectives lorsque ma responsable du jour m'appelle. Qu'est-ce que je dois faire maintenant ? Je ne serais pas contre une activité plus reposante. Je comprends l'envie de mon patron de tester mes compétences, mais préparer cette soirée est d'un ennui mortel.
― On a besoin de renfort pour les décorations, est-ce que tu peux t'en charger ?
― D'accord.
J'abandonne mes chaises pour me rendre auprès des autres employés s'occupant de la décoration. Je me rends à une grande table dressée sur laquelle un homme me remet une boîte contenant des rubans et des papiers sans me donner d'explications. Génial. Je vais deviner seul ce qu'il faut faire.
― Par ici Cyrus !
Ever secoue la main dans ma direction en souriant. Elle est en compagnie de deux autres filles dont je ne connais pas le nom. Toutes les trois sont installées sur des coussins à l'ombre sous un arbre. Je ne tarde pas à les rejoindre en serrant le matériel dans ma main.
― Est-ce qu'on peut me dire ce que je dois faire avec ça ? demandé-je.
― Laisse-moi te montrer, propose la fille à la peau mat.
Elle s'empare d'une petite feuille en carton ainsi que le ruban. La jeune femme m'indique les trous sur le côté de la feuille servant à glisser le ruban. Je répète les mouvements et trouve cet exercice plutôt facile et relaxant. Au détour de la conversation j'apprends que les filles sont sœurs et s'appellent Josie et Rosie. Rosie est bien plus bavarde que sa sœur, elle m'explique à quel point elles sont chanceuses de vivre sur cette île, loin de l'agitation du royaume.
Nous discutons dans la bonne humeur en poursuivant notre tâche. Je dois reconnaître que cette ambiance est bien meilleure que tout à l'heure. Le ruban blanc m'échappe des mains à la seconde où une migraine apparaît. Cette sensation je la connais que trop bien, c'est le signe qu'une vision est sur le point de se produire. Je glisse ma main dans la poche de mon pantalon à la recherche de ma petite fiole.
― Qu'est-ce que c'est ? demande Rosie.
― J'ai souvent des migraines, c'est mon médicament.
Ever n'est pas dupe, elle se doute forcément que c'est une potion qui bloque mon lien psychique avec Ayla. Le goût est abominable, mais cela fonctionne plutôt bien. Je dois en boire quotidiennement pour que cela continue de fonctionner. Avon est contre cette solution, il prétend que c'est contre nature de lutter contre ses dons. Il n'a pas conscience à quel point c'est difficile d'avoir des visions d'une femme qui m'est impossible d'aimer.
― Pense à consulter un professionnel si tes migraines persistent.
― Tout va bien, c'est pour soulager la douleur.
Nous terminons notre travail en bavardant, mais je sens bien le regard de ma meilleure amie. Il est accusateur et la connaissant elle ne me laissera pas le temps de me justifier, mais je ne peux que comprendre son point de vue. Elle-même possède un pouvoir différent des autres cependant elle n'a jamais tenté de le bloquer de façon délibérée. Je rapporte mon panier contenant les étiquettes avec les rubans, l'homme peu agréable me désigne un autre endroit à décorer. Cette fois, il est question de placer des lanternes tout au long d'un tapis blanc menant à la grande tente. Les riches ont vraiment une perspective de vie différente de la nôtre, c'est effrayant.
J'abandonne à contrecœur les filles pour me mêler à un autre groupe. Je m'empare d'une première lanterne afin de la placer. Un sourire étire mes lèvres en voyant la responsable de ce nouvel atelier. Contrairement aux autres, Dawn apporte son aide tout en supervisant le reste. Elle remarque ma présence, un sourire illumine son visage.
― Qu'est-ce que tu fais ici ?
― Mon patron souhaite que je fasse mes preuves alors il m'a envoyé ici. Je jongle entre différentes activités, je viens de terminer les rubans et papiers. Tu peux me dire où je dois placer les lanternes.
Elle hoche la tête, reprenant son professionnalisme.
― Il existe trois sortes de lanternes : la petite, la moyenne et la grande. Celle que tu as entre les mains et une petite alors il faut que tu la places avec un groupe de moyenne et grande. Si tu as besoin d'aide pour trouver des coéquipiers, n'hésite surtout pas !
― Je devrais pouvoir me débrouiller.
― C'est marrant, la fille aux cheveux rouge a dit la même chose.
Zélie place les lanternes avec le plus grand soin sans prêter attention aux autres. Aujourd'hui, le destin semble me mettre sur la route de cette fille. Je place ma petite lanterne auprès de celles placées précédemment par la jeune femme. Celle-ci lève un sourcil en serrant une lanterne contre sa poitrine.
― La rouquine t'a demandé de faire du babysitting ?
― Quoi ? Pas du tout !
― Alors qu'est-ce que tu veux ? Pour la récompense, je suis un très mauvais choix, certains groupes ont posé le double de mes lanternes parce que je suis pointilleuse sur les détails alors je ne suis pas en mesure de te faire gagner.
Une compétition ? Je ne connaissais pas l'existence d'un concours pour la préparation de la réception. Zélie remarque aussitôt mon manque de réaction et bafouille en s'excusant.
― Ah tu étais pas au courant, désolée.
― Non, mon patron souhaite que je fasse mes preuves avant ma reprise officielle. Je ne connais pas le prix de ce concours minable, mais ça ne m'intéresse pas.
Elle hausse les épaules.
― Des invitations à la réception, c'est ça le prix.
― Est-ce que tu veux y participer ? Je peux te proposer une alliance dans ce cas !
― Cette proposition est tentante, mais comment savoir si tu vas sérieusement te mettre au travail ? Je n'accepte pas n'importe qui alors essaie de me convaincre.
Elle me pousse de son index en ne cessant pas de sourire. Je ressens de nouveau cette bienveillance autour de la jeune femme, elle est semblable à une autre personne. Troublé, il me faut quelques secondes pour entendre la question de Zélie. Elle claque des doigts devant moi, la mine sévère.
― Tu m'écoutes ?
― Désolé ! Je réfléchissais à la meilleure façon de gagner ces places.
― C'est simple.
Elle écarte les doigts pour énumérer les points de son plan.
― On travaille en équipe afin d'accélérer le rythme et dépasser ces minables. Alors deal ?
― Deal.
Zélie me dépose une énorme lanterne dans les bras en m'indiquant le déroulement. Nous nous débrouillons correctement et arrivons à rattraper notre retard sur les premiers, mais les épreuves ne sont pas terminées. Je ne cesse de m'allier à Zélie pour parvenir à avoir une invitation à cette maudite soirée. La partie la plus raisonnable de moi-même me hurle de ne pas aller à cette réception, mais j'ai besoin de la revoir. Voir son sourire et sa joie de vivre avant qu'elle ne disparaisse à jamais de ma vie. C'est mon unique chance de lui dire au revoir.
10.01.2024
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top