Chapitre 42 | Cyrus

Les pupilles du jeune homme prennent différentes teintes tandis qu'il griffonne sur un morceau de papier en répétant des mots dans une langue inconnue. Je n'ai jamais été témoin d'une personne plongée dans une vision, c'est effrayant. Le crayon bouge dans tous les sens, on dirait presque qu'il dessine. Dawn reste en retrait, l'expression confuse et perdue. Je me tourne vers Ayla qui fait preuve de contrôle comme toujours. La seule fois où je l'ai vu perdre son calme remonte à notre dispute.

Je passe une main dans mes cheveux en soupirant. Les Guideurs ont régulièrement des visions alors aussi longtemps qu'Avon vivra sous mon toit, je serais contraint de surveiller chacune de ses visions. Il lâche brusquement le crayon puis cligne des yeux à plusieurs reprises, la bouche grande ouverte.

― Avon ? Est-ce que tout va bien ?

La brune parle d'une voix douce afin de ne pas le brusquer après cette vision. Une fine couche de sueur recouvre son front, ce qui prouve à quel point cela devait être éprouvant pour lui. Il lève difficilement les yeux en direction de la brune, sa main fermement son poignet en lui murmurant des mots incompréhensibles. Je m'empresse d'intervenir afin de les séparer, je remarque les tremblements de la jeune femme.

― Ayla ?

― Tout va bien.

Elle est incapable de mentir correctement, mais je ne peux l'obliger à me révéler la source de cette soudaine angoisse. Avon se recroqueville en fixant la feuille durant de longues minutes. Dawn est morte de peur, elle ne quitte pas des yeux cet étrange spectacle et ne cache pas sa crainte que cela recommence. Ayla passe une main sur son poignet douloureux, ce qui provoque une vague de colère. C'est peut-être un gamin, mais il n'a pas le droit de lui faire du mal.

― Qu'est-ce qu'il t'a fait ?

― Je ne suis pas certaine de ce que j'avance, mais il est possible que cela soit un partage de vision. Ce n'était pas douloureux, mais je n'arrive pas à me remémorer de quoi il était question.

Je lance néanmoins un regard à son poignet qu'elle ne cesse de toucher en réprimant une grimace. Je n'avais pas conscience de la force du jeune homme, il est parvenu à laisser une trace violette autour de son poignet. Je peste contre moi-même pour mon manque de vigilance en me dirigeant vers la salle de bains. Il me reste une pommade magique capable de soulager n'importe quelle douleur physique. Elle coûte une petite fortune dans le commerce, elle m'est inaccessible aujourd'hui et je l'utilise uniquement en cas d'urgence.

Je retourne auprès de la sorcière pour appliquer une généreuse couche de crème sur la blessure. Elle frissonne à mon contact, mais ne s'écarte pas. J'aimerais tant lui partager tout ce que je ressens et m'excuser de mon comportement, mais est-ce vraiment nécessaire ? Elle n'abandonnera pas sa vie de princesse pour vivre sur une île et travailler pour un mauvais salaire alors qu'elle possède une énorme richesse. L'amour n'est rien à côté de l'argent, c'est un fait.

La blessure disparaît doucement sous son regard reconnaissant. C'est un produit relativement connu au sein du royaume, son fabricant n'est autre que William Cromwell. Mon lointain ancêtre qui est parvenu à sauver les dernières miettes de notre famille. Il est parvenu à redonner un peu de popularité aux Cromwell au choeur des polémiques. Contrairement à son grand frère, William possédait un charme et un charisme assuré que personne ne remettait en question. Mes parents continuent de le commercialiser grâce à la recette transmise de génération en génération, mais elle n'est jamais arrivée entre mes mains. Ce sont dans celles de Lewis qu'elle a atterri. Une preuve supplémentaire que mes parents n'avaient pas le moindre amour à mon égard.

― Merci beaucoup.

― Nous savons maintenant qu'il vaut mieux rester à distance en cas de vision. Si tu as besoin d'une nouvelle couche n'hésite pas à me le faire savoir, je te déposerai un échantillon devant la porte de ta maison.

J'essuie mes mains grasse sur une serviette en évitant le regard de la femme que je tente d'oublier. Toujours plongé dans ses pensées, Avon accorde peu d'importance à notre présence. Le pouvoir du Guideur semble incontrôlable, ce qui le rend instable et dangereux. Je savais que cela demanderait du temps pour le mêler à la vie moderne, mais je ne pensais pas qu'on serait contraint de toujours le surveiller pour s'assurer qu'il ne blesse personne. Dawn remarque mon trouble et se rapproche de moi en soupirant.

― Ne sois pas trop sévère envers lui, ce n'est qu'un enfant perdu.

― Il a peut-être l'apparence d'un adolescent, mais il est bien plus vieux !

La rouquine sourit.

― Je suis au courant de la génétique unique des Guideurs, mais ce que je veux dire c'est que c'est un gamin qui a passé toute sa vie enfermée à ne parler à personne d'autre que lui-même. C'est un miracle qu'il sache s'exprimer correctement et accepte notre présence, il lui faudra un temps d'adaptation, mais ce n'est pas mission impossible.

― Il doit nous apporter des explications sur ces tableaux, mais avec ce qui vient de se passer je doute qu'il soit capable de nous révéler les détails de ces visions. Nous n'avons que quelques jours pour résoudre ce mystère.
Je lance un regard à la sorcière derrière moi qui se contente de hocher la tête. Parce que dans cette histoire il n'est pas question d'amour, mais de quête sur la famille Eastwood. Je suis impliqué uniquement parce que nous possédons le même don. L'attirance physique n'est qu'un détail, je me suis laissé emporter sur le moment et cela n'arrivera plus jamais.

Dawn frotte ses mains sur sa robe blanche puis s'approche du jeune homme avec précaution. Elle tente d'attirer son attention, mais celui-ci se contente de se balancer d'avant en arrière en chantant d'une voix pleine d'inquiétude.

― C'est une berceuse venant de mon royaume. Ma grand-mère me la chantait toujours à chacune de mes visites pour m'endormir et chasser les cauchemars. Je ne l'avais pas entendu depuis des années, ma mère ne souhaite plus l'entendre depuis son décès, c'est comme si elle m'envoyait un signe.

Dawn s'agenouille devant Avon en souriant.

Dans les herbes hautes
Se cachait une petite fée
Elle comptait les arbres à cause de ses fautes
Et attendait dans les bras de Morphée
Elle se sentait idiote
Mais cela ne l'empêchait pas de danser

Dawn ferme les yeux en chantant la berceuse d'une voix douce et mélancolique. Cette initiative apaise le jeune homme. Avon se redresse en levant les yeux vers la rouquine tout en complétant les paroles qui sont les seuls à connaître. Des larmes coulent le long des joues de mon amie, mais cela ne l'empêche pas d'aller jusqu'au bout. Un petit silence accompagne la fin de la berceuse.

― Tu es la fée du feu, je te vois souvent dans ma tête.

― C'est honneur de faire ta connaissance, je suis une fée presque comme les autres.

Une flamme apparaît soudainement dans sa main, ce qui fait sourire l'adolescent. Ayla semble également fascinée par la démonstration de mon amie. Il est peu commun qu'une fée soit capable de faire usage de cette forme de magie. Ayla soupire avant de se tourner vers moi avec un sourire embarrassé.

― Je ne vais pas m'attarder, il est temps que je rentre.

― Tu es la bienvenue.

Elle secoue la tête.

― C'est très aimable, mais je dois remettre de l'ordre dans ma tête avant que cela ne devienne trop embarrassant. Merci pour ce charmant accueil et de prendre soin d'Avon, il avait bien besoin d'une présence humaine.

Elle ne s'attarde pas davantage dans la maison et sort précipitamment. J'ai tellement de choses à lui dire, mais je ne peux pas interférer dans son avenir et la rendre encore plus confuse. Je ne peux malheureusement pas tout garder en moi, il faut que je fasse preuve de franchise avant qu'il ne soit trop tard. Je sors à mon tour de la maison et parvient à la rattraper.

― Qu'est-ce que tu veux ?

― Je ne sais pas comment exprimer correctement mes sentiments sans te froisser. Ethan ne mérite pas une femme telle que toi, j'ai conscience que tu as un rôle important au sein de ta famille, mais cela te prive de la liberté que tu mérites. Je suis amoureux de toi parce que tu es pleine de vie, courageuse et tu mérites tellement mieux que cette prison dorée.

Une brise soulève ses cheveux révélant ses joues baignées de larmes.

― Tu ne peux pas comprendre ce que ma famille représente à mes yeux. Je ne suis pas la première femme à sacrifier son bonheur personnel pour satisfaire tout le monde. Ce qui s'est produit hier était une simple erreur qui ne se reproduira jamais.

― Ce n'est pas une erreur à mes yeux.

Nous nous dévisageons longuement dans l'attente que l'un brise le silence de l'autre. Je donnerais n'importe quoi pour la serrer dans mes bras et embrasser chaque parcelle de sa peau, caresser sa longue chevelure et être libre de l'aimer sans contrainte. Elle se rapproche de moi afin de déposer un ultime baiser sur mes lèvres. Cela lui donne un goût salé à cause de nos larmes respectives.

― Je suis désolé pour le mal que je te cause, Cyrus Cromwell.

― Tu ne seras jamais totalement heureuse parce que j'aurais toujours une place. Le cœur ne ment jamais même si tu fermes les yeux sur ce que tu ressens, tu ne pourras jamais totalement combler l'absence du véritable amour.

Je me détourne en reprenant le chemin vers ma maison, ce sont les derniers mots que je lui adresserais au sujet de nos sentiments respectifs. Nous ne pourrons jamais vivre un amour ordinaire parce que sa destinée est auprès de mon plus ancien ami. J'abandonne mon cœur sur cette plage, les larmes brouillant ma vue. J'arriverais à surmonter la douleur même si cela demandera énormément de temps.

03.01.2024

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