La vie sur l'île est paisible, calme et tellement reposante. Il n'est plus question d'emploi du temps à suivre et de soigner constamment mon apparence. J'éprouve une certaine liberté que je n'ai jamais connu. Une certaine routine s'est installée entre Ethan et moi. Nous préparons notre petit-déjeuner chacun notre tour et mangeons sur la terrasse avant de décider du programme du jour. Nous avons fait une excursion très intéressante sur une autre partie de l'île sauvage et indomptée. Il arrive que certains après-midi, Ethan prenne du temps pour peindre, ce qui me laisse l'occasion de me balader seule et profiter de l'océan dans la solitude complète.

Je pourrais passer le reste de ma vie à me prélasser sous ce temps magnifique. Mes lunettes de soleil sur le nez, je marche en direction de la plage pour assister au spectacle du jour. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'y assister et d'après ce que j'ai entendu, c'est très impressionnant.

Il reste quelques places disponibles, ce qui me permets de m'installer. Je me sens tellement bien dans cet environnement. Slonia ne me manque pas et j'ai honte de l'admettre, mais mes responsabilités non plus.

― Chers spectateurs ! Nous vous souhaitons la bienvenue à ce spectacle unique et magique ! Il n'est pas seulement question de vous impressionner, mais de vous donner des souvenirs qui ne vous laisseront pas de marbre !

L'homme frappe dans ses mains pour faire apparaître des nuages dans le ciel et cacher le soleil. Il s'incline devant le public avant de lancer son chapeau et disparaître. Cela ne fait que quelques secondes, mais je suis impressionnée par le professionnalisme de ce travail. Une musique rythmée débute au plus grand bonheur des spectateurs. La fille aux cheveux rouges apparaît dans l'eau, secouant la main dans notre direction. Elle émet un sifflement, ce qui fait apparaître deux dauphins perlés. Ce sont des créatures amicales et particulièrement recherchées par les mauvaises personnes. Elles vivent habituellement dans les eaux profondes de Sulibis auprès des sirènes et tritons. Ces dauphins ont la particularité de posséder une jolie couleur lavande et de fabriquer des perles avec leurs larmes. Quiconque obtient une perle est en mesure d'avoir une fortune colossale. C'est la raison pour laquelle les dauphins perlés sont protégés par les sirènes.

― Aucune inquiétude, les dauphins retourneront à Sulibis après le spectacle du jour ! Nous remercions le peuple des eaux d'avoir accepté la participation de ces magnifiques créatures aquatiques !

Des cercles apparaissent formant peu à peu un parcours. Les dauphins s'empressent de sauter sous les regards admiratifs. La fille à la chevelure flamboyante forme une bulle entre ses mains avant de la lancer dans le ciel afin de former une constellation. Des animaux courent autour de nous, ce qui amuse les enfants présents. Les étoiles, une véritable passion sur laquelle je passe peu de temps à mon grand regret.

Le spectacle continue dans la bonne humeur et dans une ambiance électrique. Je passe un excellent moment, mais cela s'achève bien trop tôt. Je me lève de ma chaise afin d'applaudir et apporter mon soutien aux membres de l'équipe. Cela ne doit pas être évident de proposer un spectacle différent chaque semaine pour convenir à tout le monde.

La foule se disperse peu à peu, ce qui me laisse l'occasion de me balader. Ethan et moi mangeons au restaurant ce soir cependant j'ai mon après-midi de libre. Que puis-je faire pour m'occuper ? Il y a bien la bibliothèque dans laquelle je souhaite me rendre pour me documenter sur cette île, mais le temps est tellement magnifique, je ne me vois pas m'enfermer dans un bâtiment.

― Mademoiselle Eastwood !

Je me retourne à la recherche de la personne qui vient de m'appeler. Ma charmante guide, Ever, vient à ma rencontre d'une démarche rapide. Nous n'avons pas eu l'occasion de la revoir ces derniers jours, mais j'ai cru comprendre qu'elle travaillait à plusieurs endroits en même temps.

― Vous avez apprécié le spectacle ?

― Il était exceptionnel, je ne regrette pas d'être venue !

Elle sourit.

― Heureuse de le savoir ! Je suis contente de voir que votre séjour se déroule bien. En raison de mon emploi du temps chargé, je me suis permise de demander à votre second guide de vous proposer de nouvelles activités.

― C'est très aimable, merci.

Le jeune homme de la dernière fois s'avance dans notre direction, les mains enfoncés dans les poches de son pantalon en toile. J'ai tenté de lui rendre visite pour lui apporter une baume en cas de douleur, mais on l'avait autorisé à rentrer chez lui et je ne pouvais pas demander son adresse ! Contrairement à notre première rencontre, il a bonne mine et ne semble pas présenter de signe alarmant.

Un frisson s'empare de moi lorsque nos regards se croisent pour la seconde fois. J'ai le sentiment de reconnaître ces pupilles, mais cet homme n'est qu'un inconnu. Il s'incline devant moi sans m'adresser le moindre sourire. Aucune chaleur ne se dégage de cet individu, je le sens plus distant et froid.

― Mademoiselle Eastwood, je vous présente mon collègue et ami Cyrus Cromwell.

― Cromwell ?
Ce nom ne m'est en revanche pas inconnu. Les Cromwell appartiennent à une catégorie de personnes que ma famille ne fréquente pas. Ils possèdent une grande richesse, mais ne sont pas de bonnes personnes. Mais pour quelle raison un Cromwell aurait-il besoin de travailler ? Est-ce une forme de punition farfelue ? Une façon de faire comprendre la valeur de l'argent ? Cela ne ressemble pas à ce que mes parents m'ont raconté. Le fameux Cyrus fronce les sourcils en me dévisageant.

― Je ne répondrais à aucune question au sujet de ma famille.

― Cyrus ! s'écrie Ever d'une voix outrée.

La violence de ces propos me pousse à reculer de quelques pas. Je suis suffisamment polie pour ne pas le questionner ! Il passe une main dans ses cheveux bruns en marmonnant des excuses. Il est différent de notre première rencontre et je ne suis pas certaine d'apprécier la présence de cet individu peu civilisé. Il est néanmoins hors de question d'attirer l'attention en demandant un autre guide, je ne suis pas une jeune femme capricieuse ! Je me contente de relever la tête et le défier du regard.

― Tu parles à la représentante des Eastwood !

― J'en ai conscience.

Il est le premier à ne pas montrer de respect en ma présence, ce qui me trouble. J'ai conscience qu'une partie de la population n'accepte pas les sept grandes familles de Slonia néanmoins je n'aurais jamais cru rencontrer une personne qui éprouverait tant de haine.

― Je vais faire les démarches nécessaires pour trouver un autre remplaçant. Je présente une nouvelle fois mes excuses les plus sincères, Cyrus est... spécial envers les personnes qu'il ne connaît pas.

― Inutile. Je ne souhaite pas faire de scandale et attirer des problèmes alors nous nous supporterons mutuellement.

Les deux employés semblent surpris par ma déclaration, mais je ne suis pas une mauvaise personne. Ever me remercie en sermonnant une nouvelle fois son ami, ce qui ne l'embarrasse pas. Nous nous retrouvons tous les deux, un silence glacial s'est installé et impossible de le combler. Pour la première fois de ma vie, je suis incapable de le combler. Mes joues s'empourprent de moi-même tandis que je me creuse la tête pour lancer la conversation.

― Il consiste en quoi votre travail ? demande-t-il.

― Cela vous intéresse vraiment ?

Il hausse les épaules.

― Honnêtement ? Je m'en moque, mais c'est plus intéressant que ce silence pesant.

― On ne peut pas vous enlever le fait d'être honnête.

C'est à la fois une grande qualité et une faiblesse dans notre monde. Il est impossible de faire preuve d'une totale franchise en vivant à Slonia, mais ces règles ne semblent pas s'appliquer sur cette île. Je ne suis pas certaine de comprendre la raison de cette haine à mon égard néanmoins je ne souhaite pas entrer dans les détails.

— En tant que représentante, je m'occupe des affaires familiales passant des finances, propriétés et réputation de ma famille. Il est de mon devoir de respecter les traditions en me mariant avec un homme que ma famille s'est occupée de choisir.

— On vous retire votre liberté.

— Vous êtes grossier !

Il ricane en croisant les bras sur son torse.

― Je ne fais que dire la vérité. Ce « travail » est une vieille tradition inintéressante qui vous enferme dans un rôle pendant quelques années avant de céder votre place. En réalité, vous êtes prisonnière de votre propre vie.

― Comment osez-vous ?! Je suis honorée d'être la représentante de ma famille, mais c'est une chose que vous ne connaissez absolument pas. La plupart des personnes rêveraient d'être à ma place.

― L'argent ne fait pas le bonheur.

Une colère indescriptible s'empare de moi. Cet homme ne connaît absolument rien de ma famille ou de mon rôle de représentante. Il est vrai que je ne bénéficie pas du droit de choisir un époux par amour, mais au sein du royaume c'est une coutume rare. Les couples les plus solides sont formés par des alliances. Les Cromwell ne font pas exception à la règle. La magie chatouille mes doigts tandis que je me rapproche de lui.

― Nous avons une définition différente du bonheur, monsieur Cromwell ! Il est vrai que je n'ai pas besoin d'une énorme somme d'argent pour être heureuse, mais c'est un cadeau que je savoure chaque jour de ma vie.

― Il n'est pas seulement question de l'argent, mademoiselle Eastwood.

Je n'ai pas le temps de rétorquer quoi que ce soit, il se contente de s'éloigner les mains dans les poches. Ce guide est minable, un idiot de première classe ! Dois-je prévenir Ethan de cette confrontation ? Je ne veux pas le mettre dans l'embarras à cause de mon tumultueux échange avec un employé de l'île. Je suis sur le point de rebrousser chemin pour retourner auprès de mon fiancé lorsque la voix de cet homme attire mon attention.

― Qu'est-ce que vous attendez pour me suivre ?

― Pardon ?

― Je dois faire mon travail, mais c'est vous qui voyez.

Il continue de marcher vers une destination inconnue, ce qui m'exaspère. Je ne devrais pas le suivre, mais aller me plaindre de ce mauvais accueil alors pourquoi Diable ne le fais-je pas ? Je cours pour le rattraper en pestant contre cet homme prétentieux. Nous nous méprisons mutuellement, c'est un fait.

20.09.2023