Une vive lumière brouille ma vue durant quelques secondes lorsque j'ouvre les yeux. Je lève mon bras pour camoufler cette blancheur en marmonnant. Ma mémoire est trouble, ai-je encore bu ? J'entends quelques voix autour de moi, mais il me faut quelques secondes pour retrouver l'usage de mes yeux. Ever est adossée contre le mur en compagnie de Dawn. Les deux femmes de ma vie. Ma meilleure amie et mon amante d'une nuit. Ce sont les seules qui connaissent une partie de mon histoire.

Je me redresse difficilement en passant une main sur mon visage. Que s'est-il passé ? Je me souviens que j'étais en direction de la Cascade, mais le reste est une véritable énigme. Dawn est la première à me remarquer. Elle se précipite vers moi avec une expression révélant une grande inquiétude.

― Arrête de me faire peur ! Je vais perdre mon travail à force de gérer les urgences !

― Heureux de te voir...

Ever s'approche avec une mine plus sombre, mais je sais que c'est uniquement un masque. Elle n'aime pas exprimer ses émotions devant les autres. Ma meilleure amie serre néanmoins ma main en me souriant faiblement. J'ignore ce qui s'est passé, mais elles semblent toutes les deux mortes de peur.

― Comment te sens-tu ? demande la brune.

― Fatigué. Que s'est-il passé ?

Je passe une main nerveuse dans ma nuque.

― Tu es tombé dans les pommes, il y a quelques heures.

― Vraiment ? J'étais en route pour une balade, mais je ne me rappelle pas de tout.

C'est la seconde fois où je suis victime d'un malaise, mais cela reste néanmoins la première fois que la cause n'est pas une vision. Ma santé est-elle en train de me faire défaut ? Cette perspective m'inquiète, je ne veux pas rentrer à Slonia uniquement pour me faire soigner. Le fait de revoir ma famille me donne la nausée.

Je lance un regard à ma chevalière familiale en soupirant. Je me demande pourquoi je porte encore cette chose alors que je n'appartiens plus à ce cercle familial depuis deux ans. Toute ma vie est à Aflium, je ne me vois pas tout abandonner pour une simple maladie. Ever mord violemment sa lèvre en me regardant. Elle s'inquiète pour ma santé physique et psychologique même si jamais elle ne le dira devant Dawn. Les deux filles ne détestent pas, mais ne sont pas amies. Ever est contre ma relation intime avec la fée.

― Tu te souviens que mes nouveaux clients sont arrivés en début d'après-midi ? Ils sont très importants parce qu'ils viennent tous les deux de familles puissantes. Je m'attendais à ce que tu viennes te présenter, mais pas de cette façon. Je ne t'avais même pas donné l'emplacement alors... qu'est-ce que tu faisais là-bas ?

― Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne me souviens pas d'avoir échangé le moindre mot avec qui que ce soit.

― Effectivement, tu as simplement fixé Aylana Eastwood pendant dix secondes avant de t'effondrer. Je m'efforce de comprendre la raison de ce comportement soudain, cela ne te ressemble pas.

― Je ne sais vraiment pas.

Je fouille dans ma mémoire à la recherche d'un souvenir, sans succès. Une vive douleur éclate dans mon crâne. Je me souviens de deux prunelles à la couleur particulière qui est la raison pour laquelle je souffre autant.

― Est-ce que tu veux qu'on appelle le médecin ? demande Dawn d'une voix inquiète.

― Non, ce sont juste quelques images qui reviennent.

Une jeune femme aux cheveux bruns et au sourire le plus beau que je n'ai jamais vu. Son aura était différente des autres, mais pour quelle raison ? Je me laisse tomber dans le lit en passant de nouveau mes mains sur mon visage. Ces histoires deviennent bien trop compliquées. Les visions prennent de l'ampleur et je suis certain qu'elles sont la raison de ma faiblesse actuelle.

― Aylana Eastwood est une véritable célébrité ! Elle est la nouvelle représentante, une véritable pépite de renouveau. Je m'intéresse beaucoup à la culture de Slonia, mais je dois reconnaître que son prince charmant est un délice pour les yeux.

― Je me souviens que mes parents se plaignaient de ne jamais être conviés aux réceptions des Eastwood. Je n'ai jamais eu l'occasion de les rencontrer, mais ils étaient très populaires et appréciés par la plupart du royaume.

― Ever, c'est quoi le nom du prince charmant. Je veux absolument l'avoir dans mes contacts si la relation ne fonctionne pas entre eux.

Ma meilleure amie soupire.

― Ethan Hillmore.

― HILLMORE ?! m'exclamé-je.

Je me penche pour vomir le reste de mon repas en entendant ce nom. Cela faisait des années que je n'avais pas songé à ce meilleur ami disparu depuis bien longtemps. Aujourd'hui, je découvre que nous nous trouvons au même endroit et au même moment.

― Il faut que je prenne l'air...

Les mains tremblantes, je m'empresse de repousser la couverture puis quitte ce lit inconfortable. Je ne prends pas la peine de remettre mes chaussures, je marche sans adresser un regard au personnel soignant. En théorie, je dois attendre l'accord du médecin pour sortir, mais je n'arrive plus à respirer.

Ethan Hillmore. Je me souviens de ce petit garçon timide qui n'avait pas beaucoup d'argent et qui était victime de harcèlement quotidien de la part de nos camarades. Nous avons étudié dans la même école avant que celui-ci ne disparaisse du jour au lendemain. Je n'ai reçu aucune nouvelle de sa part, mais j'avais entendu parler de la soudaine floraison de l'affaire Hillmore. Il ne doit certainement pas se souvenir de moi.

― Est-ce que tout va bien ? demande une voix derrière moi.

Je me retourne pour faire face à la nouvelle recrue de l'équipe. Nous ne nous connaissons absolument pas, pourquoi s'intéresse-t-elle autant à moi ? Zélie remarque mon trouble et passe une main nerveuse dans sa chevelure rouge.

― Promis, je ne suis pas une psychopathe.

― Le destin a un drôle de sens de l'humour, on ne se connaît pas.

Elle rit.

― Je me suis blessée pendant l'entraînement alors j'ai le droit à une potion pendant une semaine. Et toi c'est quoi ton excuse pour me suivre ?

― Un simple évanouissement par manque de sommeil.

― Il est important de ne pas négliger sa santé.

Zélie lance un regard derrière moi puis soupire.

― Tu es attendu alors tu ne devrais pas trop les faire attendre.

― Je ne sais pas si je t'apprécie ou si tu m'inspires une certaine crainte.

― On a tout le temps d'apprendre à se connaître, Cyrus Cromwell.

Ma seconde rencontre avec cette fille me laisse un goût amer dans la bouche. J'ai la sensation étrange qu'elle cache quelque chose. Je regarde la jeune femme disparaître de mon champ de vision avec confusion. J'inhale une grande bouffée d'air en fermant les yeux. Est-ce que ma vie retrouvera son équilibre ? Le vent apporte une odeur familière, celle d'une plante poussant exclusivement la nuit. Des images défilent dans mon esprit, la fille dont je dois me tenir éloigner. Est-ce que Zélie est celle qui apparaît dans chacun de mes rêves ? Son aura est semblable à celle que je ressens lors de mes rencontres nocturnes avec l'inconnue.

Les choses sont confuses dans mon esprit et je suis bien trop faible pour réfléchir. Je songe à la potion donnée par la princesse. Cette préparation est capable de faire disparaître l'objet de mes problèmes. Je serais de nouveau un homme libre avec un esprit serein qui ne s'effondrerait pas à la première occasion.

― Le médecin souhaite te parler, dit Ever d'une voix douce.

― Encore cinq minutes.

Ma meilleure amie ne s'attarde pas et retourne à l'intérieur. L'île dispose d'une petite clinique pour soigner les malades en cas de besoin, mais pour les grandes maladies il est préférable de retourner à Slonia. Je sais au fond de moi que ces événements sont causés à cause des visions. C'est un don rare, mais destructeur. Je ne veux pas perdre la tête comme certains dans le passé, je mérite un peu de bonheur.

Une voix attire mon attention, elle est aussi douce que de la soie. Je me retourne pour voir cette Aylana Eastwood accompagnée de Ethan Hillmore. Il ne portait pas de vêtements aussi soignés auparavant. Les rôles sont échangés, je suis pauvre et il vit sa meilleure vie en tant que riche. Le destin a un étrange sens de l'humour. Le blond lève les yeux dans ma direction en esquissant un petit sourire suffisant. Il ne m'a pas oublié, bien au contraire.

30.08.2023