J'adosse ma tête contre l'arbre en soupirant. Je pense trop. Il faudrait que j'arrête de penser à Ayan, même si elle m'inquiète. Et puis soudain, une présence dans mon cerveau m'extirpe de mes pensées. C'est Baye.

— Eh bien, ma petite, je te sens toute inquiète.

Tandis que ses mots se déversent dans mon cerveau avec une habituelle lenteur, je fais du tri dans mes pensées pour lui répondre.

— C'est Ayan, pense-je. Elle... je ne comprends pas qui elle est. Je ne sais pas ce qu'elle veut. Je ne sais rien.

— Laisse Ayan faire ce qu'elle a à faire, me conseille-t-il. Tu ne pourras pas changer ses décisions tant que les magiciens ne t'auront rien expliqué sur ce qu'elle est.

Ce n'est pas la première fois qu'il me dit cela. A chaque fois que nous avons parlé d'elle, il a esquivé mes questions pour me dire d'attendre l'avis des magiciens. Mais je crois que lui sait ce qu'elle est.

— Pourquoi tu ne peux pas me répondre ? Je crois que tu sais qui est Ayan.

Les mots arrivèrent lentement jusqu'à moi, mais chacun brisa un peu de mes espoirs.

— Je ne peux pas te le dire, je suis un arbre maudit.

Je soupire. Je sais bien qu'il est maudit. Il me l'a raconté une ou deux fois. Autrefois, il était un humain, un soldat. Mais il a croisé la route d'une sorcière qui était ennemie de son peuple et elle l'a maudit en représailles parce que les siens avaient détruit un village de sorcière. Depuis, il est l'arbre de l'école. Bien que ça ne soit pas tout à fait vrai. Il y a trois cents ans, quand cette histoire a lieu, l'école n'avait pas encore ouvert ses portes. Elle n'a été bâtie qu'une cinquantaine d'années plus tard, tout autour. Il y a plein de légendes sur l'arbre. Car personne ne sait qu'il était autrefois un homme. Je suis la première et la seule à qui il a raconté cette histoire, peut-être parce que j'ai été la seule à lui parler ? Et encore, ce ne fut qu'un hasard. J'étais simplement assise contre le tronc, pensant que je voulais pouvoir discuter avec les autres élèves moi aussi, et il m'avait parlé.

Mais on dit que cet arbre n'a jamais pu être coupé, que de nombreux bucherons ont essayé mais n'ont jamais réussi, brisant leur hache contre son tronc. Cela ne m'étonne pas. Les malédictions ont la réputation d'empêcher la mort du maudit. Je ne sais pas si c'est vrai mais ça expliquerait pourquoi Baye est toujours là.

— Pourquoi est-ce que ta malédiction t'empêche de m'aider ? demande-je.

— C'est ainsi, ma petite. Même cela je ne peux te le dire.

Je soupire de nouveau. J'ai bien compris qu'il ne me dira rien, ça me désole, mais c'est ainsi. Je suis contrainte d'attendre encore pour savoir qui est Ayan. Entre temps, je n'ai plus qu'à supporter sa présence encore un peu.

— Je suis désolé, Naya, j'aurais bien voulu t'aider, mais je ne peux pas...

— Je sais, tu es maudit.

En pensant cela, je lève les yeux au ciel. Puis je mets fin à notre conversation en me levant. J'hésite sur où aller. Pourtant je sais très bien que je vais aller à la salle d'entrainement. Et je sais qu'Ayan va m'y rejoindre. Je marche vers là-bas, et, sans surprise, elle me suit. Nous traversons la cour vers la salle d'entrainement, que deux élèves viennent de quitter. Ils sont en dernière année comme moi, et ce sont les seuls contre qui je ne gagne pas systématiquement. Ensemble, ils sont capables de vaincre le monde entier. Je les regarde se diriger vers le bâtiment principal. Ils ont tant de chance de s'être trouvés, et ils sont si heureux ensemble. J'espère de tout cœur pour eux qu'ils auront leurs affectations.

J'entre dans la salle et attrape une épée d'entrainement avec laquelle je suis sûre de ne pas me blesser. Elle fait de même et se place en face de moi.

— Tu es prête, Naya ? me demande-t-elle de sa belle voix enchanteresse.

Je hoche la tête, faute de pouvoir parler, avant de courir vers elle pour l'attaquer.

Je ne suis pas plus forte qu'elle. Je ne le suis pas moins non plus. Nous sommes de forces égales, physiquement et techniquement. Ce qui nous différencie, c'est la stratégie. Je suis plus axée sur l'attaque et elle plus sur la défense. Plus à utiliser toute ma force sur une attaque plutôt que de jouer sur ma puissance technique. C'est pour cela qu'elle gagne plus souvent que moi. Ça et le fait qu'elle me connait beaucoup trop. Mais je compte bien remporter ce duel, et je frappe. Sans même utiliser son épée, elle remporte ce duel. Laissant mon arme passer à sa droite, elle n'a eu qu'à me bloquer au niveau des épaules, puis me faire tomber sur le dos avant de m'immobiliser en serrant mes poignets contre le sol. De ce fait, je lâche mon arme, acceptant de perdre ce premier duel. Elle me libère pour que je récupère mon épée et que je me relève.

Nous commençons un deuxième duel, nous échangeons plusieurs coups. Je l'attaque, mais elle esquive ou pare à chaque fois. Je frappe plus fort, mais elle esquive, puis elle utilise mon propre élan pour me projeter contre le mur que je percute. Je me relève une nouvelle fois, et l'attaque immédiatement. Il est hors de question que je la laisse gagner tous nos combats. Mais elle finit par me désarmer, remportant ce duel également.

Pour le troisième duel, je tente une nouvelle approche. Je prends plus mon temps, je l'analyse. Comprenant que je l'attends, elle m'attaque. Bien plus vivement que ce à quoi je m'attendais. J'esquive de justesse, mais elle frappe de nouveau. Je pare son coup et riposte. C'est exactement ce qu'elle attendait je suppose car elle se met à rire tout en me faisant tomber de nouveau. Elle pointe son arme sur moi. J'ai perdu de nouveau.

Je soupire en me relevant, et me prépare à un nouveau combat.

Nous nous battons jusqu'à ce que le soleil se lève. Et alors je remporte notre dernier duel. Le dernier avant de quitter l'école car dans deux heures nous partirons vers le premier magicien que je pourrais trouver.

J'aide Ayan à se relever et nous quittons la salle d'entrainement. Nous traversons de nouveau la cour, légèrement éclairement par la faible lueur du soleil. J'entre dans le bâtiment principal à la suite d'Ayan et nous nous dirigeons vers notre chambre pour dormir une petite heure avant que l'école ne se réveille.