première partie 🩸
Les fumées de la ville formaient un brouillard dans les ruelles sombres de ce semblant de paysage urbain. Il fut une époque où AWARE n'était qu'un simple quartier envahi d'immeubles de briques et d'usines désaffectées. Aujourd'hui c'était un véritable labyrinthe de dangers, un lieu de terreur où chacun se battait pour dominer l'autre. Les simples d'esprits, les gars trop gentils ou ceux que cette société considérait comme « faible » ne survivaient pas longtemps entre ces murs délabrés.
C'est entre les vieux tuyaux de gaz et les escaliers de fonte que naissaient les pires conflits. On appelait ces rues les « bas fonds », AWARE était plus réservé à ceux qui savait. Ceux qui savaient ce qui pouvait se tramer derrière ces murs tagués et abîmés par le temps. Du trafic, des crimes. De la drogue au meurtre en passant par le vol, du criminel au monstre sans oublier les enfants esclaves. Tout ce qu'on pouvait imaginer de pire se trouvait à AWARE. Une société corrompue par la loi du plus fort, totalement indépendante des règles dictées par le gouvernement, les règles de ceux qui vivaient là-haut.
En bas de l'échelle, ceux qui ignoraient tout, ces quelques rares personnes dont l'âme n'était pas encore corrompue. En haut de l'échelle, ceux qui avaient l'expérience, ils avaient grandis ici et avaient fait de leur passé dégueulasse dans ces rues la meilleure des qualités pour gouverner.
Ils se battaient tous pour gouverner.
Ils formaient des groupes, ils se réunissaient en clans, ils s'organisaient en gangs.
Il en fallait du monde pour gérer ce qu'il se passait en bas, il en fallait du monde à l'origine de ce bordel. Il y avait des victimes et des criminels, mais ici rien n'importait plus que ceux qui dirigent.
Deux groupes se démarquaient, deux noms faisaient frissonner d'effroi ceux qui savaient.
D'un côté les STRAY et de l'autre les KIDS.
Les STRAY étaient impitoyables, les chuchotements racontaient qu'ils avaient tous perdu la tête, de purs impulsifs assoiffés de sang et de vengeance, en colère contre cette vie qu'ils n'avaient pas voulu. Ni morale ni valeurs ne semblaient influencer leurs actes, l'ombre qui tenait les rênes était définitivement sans pitié.
Les KIDS, eux, étaient malins, malgré leur haut rang dans cette société ils avaient gardé un semblant d'humanité, leur violence avait des limites, ils ressemblaient à une lueur d'espoir dans ce coin sombre. Mais ils restaient un groupe ne jurant que par la violence pour dominer et soumettre leur autorité, corrompus par AWARE, la fine frontière entre tout cela étant la morale qu'ils avaient conservé. Le meurtre, la torture, le viol ou quel qu'autres violences extrêmes à l'humain étaient prohibés.
Des pas pressés résonnaient dans le silence, quelqu'un courrait, slalomant dans ces ruelles délabrées.
droite
gauche
haut
bas
saute
cours
monte
saute
droite
gauche
bas
Un souffle, le bruit d'une fenêtre qui se ferme, une fermeture éclair et une musique qui ressemblaient à du hard rock qui résonnait.
Pas de doute, on se trouvait dans le repère des KIDS.
Lee Félix retirait sans grande délicatesse son casque de ses oreilles avant de refermer la fenêtre par laquelle il était passé pour entrer. Son souffle, bien trop stable pour l'effort fourni, résonnait dans le silence sourd de ce qui ressemblait à un bureau. Il passa une main dans ses courts cheveux blonds coiffés de gel puis il fit tomber sa veste de cuir au sol avant de se saisir du sac qu'il avait laissé à terre.
"T'es en retard."
Le blond leva les yeux au ciel.
"Je me trouve plutôt à l'avance."
"J'en ai pas grand-chose à foutre de ce que tu te trouves."
Félix haussa un sourcil se retournant vers la personne qui lui adressait la parole avec cette arrogance. Enfin, de la part de Hwang Hyunjin on pouvait plus définir ça comme de l'arrogance. Pour Félix, ce gars pétait plus haut que son cul, la vérité avait pour nom « la hiérarchie », un concept que le blond avait du mal à envisager, véritable électron libre qu'il était.
Hyunjin et ses chemises à moitié déboutonnées, Hyunjin et ses chaussettes bien trop hautes pour son bien et son sens du style, Hyunjin et ses pantalons à carreaux.
"Un pingouin de la rue", c'était comme ça qu'il était défini et fiché dans la tête de Félix.
"Chan t'attends."
Le cadet leva les yeux au ciel, lassé de cette nouvelle que venait lui apporter le grand blond, il balança son sac sur son épaule dépassant son interlocuteur d'un pas pressé. Malheureusement pour lui, il n'eut pas l'occasion de s'enfuir que Hyunjin le retint par le poignet, comme un vieux réflexe ancré, une moue déforma alors les traits du blond.
"J'ai rien à rapporter de cette sortie."
"Tu sais très bien que c'est pas ça..."
Le souffle de Hyunjin se fit plus ardent sur la nuque du jeune homme alors que son aîné se rapprochait de lui d'un pas presque menaçant. Il avait beau faire le dur devant cet homme, son aura écrasante aurait presque pu le soumettre à cet instant, et il détestait cela.
"Au risque de me répéter.."
Le lieutenant vint se saisir du poignet de Félix, serrant sa prise sur sa peau seconde après seconde. Contre lui, le blond était tétanisé, totalement déstabilisé par le contact menaçant sur son corps, s'immisçant dans les tréfonds de sa conscience, le faisant vaciller.
"Chan n'aime pas l'idée que tu sois dehors tout le temps."
Et quand enfin l'air sembla lui revenir, quand ses poumons purent se gonfler à nouveau, ses seules paroles furent dites sur un ton agressif, totalement sur la défensive, vexé par ses propres réactions. Félix se retourna d'un bond vers Hyunjin, arrachant violemment son poignet de sa prise, laissant sa main reposer inconsciemment contre le canif glissé sur sa cuisse.
"Je fais encore ce que je veux."
De son côté, Hyunjin avait laissé cette attitude menaçante derrière lui pour arborer un air complètement blasé, régulièrement présent sur les traits de son visage quand il s'adressait à son cadet. On ne pouvait pas dire que ces deux-là entretenaient une excellente relation. Hyunjin était le bras droit de Chan, chef des KIDS, et il voyait en Félix l'unique faiblesse de son ami.
Quand il s'agissait du blond, leur aîné laissait tout passer, nourrissant sa colère sourde à l'écart de leur cadet. Élevé à la dure dans ces quartiers des bas-fonds, il ne supportait pas les privilégiés, comme beaucoup. Alors, malgré les directives inverses, il passait une partie de son temps à brusquer Félix, celui-ci ne manquait pas de le souligner à son frère, mais celui-ci laissait faire, ayant conscience de sa gentillesse excessive envers le blond. Et c'est comme cela que leur relation s'était dégradée, les poussant à tenir tête à l'autre dès qu'ils se croisaient, se regardant en chien de faïence.
"C'est suspect."
"Je suis de sa famille."
"Ça n'excuse en rien tes agissements. Chan ne te cédera pas sa place si tu continues comme ça."
Le blond leva les yeux au ciel, laissant un sourire moqueur dessiner ses lèvres alors qu'il baissa sa garde, lâchant son canif.
"C'est pas comme si j'y tenais particulièrement, et puis, je sais que tu m'aimes pas, mais essaye au moins d'être discret. Un soldat comme toi qui mélange intérêts personnels et bon fonctionnement du gang, c'est plutôt ça qui causera notre perte à tous."
"Espèce de-"
Le grand blond n'eut pas le temps de s'énerver, alors qu'il faisait un pas vers son cadet qui le provoquait de sa posture insolente, la porte s'ouvrit dans un bruit sourd, coupant leur querelle et attirant leur attention vers celle-ci. Il ne fallut pas longtemps avant qu'une silhouette familière se dessine sous leurs yeux, relâchant la tension maintenue dans leurs corps, qui sait qui aurait pu les interrompre, rien n'était jamais sûr.
"Bonjour Lieutenant ! Bonjour Félix ! Changement de programme, tu viens avec moi on sort, ordre du chef tu le verras après !"
Un son enjoué s'échappa des lèvres du nommé qui s'amusait de la situation. Il avait eu le dernier mot sans efforts particuliers, humiliant Hyunjin comme il adorait le faire.
"Que me vaut ce plaisir Hanbin ?"
"Imprévu de dernière minute, t'es mon nouveau partenaire pour ma ronde du jour !"
Après un rapide hochement de tête, Félix se détourna rapidement de son supérieur qui était resté figé là, le frôlant légèrement en passant pour rejoindre leur cadet, une nouvelle provocation assez discrète pour que Hyunjin n'ose le relever en face de Hanbin.
"Très bien... On va où ce soir ?"
"Un petit tour chez les fous, ça n'a jamais tué personne.."
"Alors là je suis ton homme."
Les deux jeunes hommes quittèrent la pièce sans un regard en arrière, laissant le lieutenant seul, tendu par la rage et la frustration qui coulaient dans ses veines.
"Stylé la jupe !"
"C'est pratique pour dissimuler les armes."
"Je note !"
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"Quelle nuit étincelante pour être un dangereux acteur du crime dans cette ville !"
Ses pas déséquilibrés résonnaient sur le sol en béton du hangar, tantôt sautillants, tantôt glissants dans une caresse aux échos sensuels. Sa tignasse bleue et grasse luisait sous la lumière chevrotante des ampoules jaunâtres. Un poignard à la main, un joint dans l'autre, on aurait pu le croire totalement désorienté ou défoncé, à milles lieux d'être à sa place dans l'ambiance sérieuse qu'il venait d'interrompre. Mais Jisung était comme ça, totalement à part de ses collègues, son comportement presque immature faisait grincer des dents ses subordonnés. Car oui, chez les STRAY, Han Jisung était l'un des plus hauts dirigeants.
Et si peu d'entre eux osaient l'interrompre ou le confronter, c'était pour une raison bien précise, précisément celle qui rentra à sa suite sous les regards blasés de leurs collègues dont ils avaient interrompu la réunion.
De longs cheveux châtains ondulés qui moulait ses tempes, un regard agressif souligné d'un khôl noir charmeur. C'était les traits de Lee Minho, l'ombre de Han Jisung, aussi fou que lui mais bien plus silencieux si on écoutait les murmures qui se perdaient entre les murs de leur QG. Il s'avançait à sa suite, lui aussi un poignard à la main et un sourire moqueur sur les lèvres.
Les deux hommes s'approchèrent de la table où leurs collègues étaient réunis, un rire fou retentit alors que Jisung s'allongeait sur celle-ci faisant les yeux doux au premier homme qui osait croiser son regard. Quant à lui, Minho préférait tourner autour de la table en faisant glisser la lame de son poignard sur les nuques à sa disposition, à part le duo d'enfer, tous étaient crispés, attendant leur prochaine action imprévisible.
"Alors dites-nous, quel plan de grand méchant vilain concoctez-vous cette fois-ci ?"
Accompagnant ses mots, Jisung se redressa dans une cambrure élégante, mettant en avant sa taille enserrée d'un corset de cuir. Minho ne loupa aucune seconde de cette action délicieuse, laissant son couteau s'appuyer sur la peau albâtre à sa disposition à cet instant. Dans un semblant d'élan désespéré, l'homme sous la menace de la lame cracha des paroles acides, comme une guêpe qui piquerait de son dard dans un espoir désespéré d'atteindre sa proie.
"Si tu crois qu'on a envie de dire quoique ce soit à des bouffons comme vous... Vous ne servez que de divertissement ici."
À l'entente de ses paroles pleines de venin, et alors que du sang coulait de la plaie ouverte sur la gorge du serpent sous l'emprise d'un Minho en colère, Jisung se tourna vers l'intéressé, lui offrant un sourire encore plus effrayant.
"Chut trésor... Tu gaspilles ta salive à te mettre en danger de la sorte."
Le bleuté s'approcha encore plus de sa victime, derrière lui, Minho observait son amant approcher comme un tigre prêt à sauter sur sa proie. Jisung s'assit sur le bord de la table, écartant ses cuisses pour poser son pied sur l'entrejambe désignée, un gloussement échappa à Minho à cette vue excitante pour lui.
"Notre très cher chef est-il seulement au courant de votre réunion.. clandestine ?"
Il appuya son dernier mot, massant en même temps du bout de son pied la bosse dans le pantalon de sa victime, celle-ci se contentait de le fixer dans les yeux, déglutissant à la pression exercée sur son sexe. Mais toutes ces menaces ne le firent pas taire, sa voix rendue rauque par son excitation malsaine retentit dans la pièce, toujours d'un ton emplie de venin.
"Nous l'attendions avant votre interruption puérile, vous savez très bien que cela ne lui plaît pas-"
Un coup de feu retentit alors que l'impertinent s'effondra la tête la première sur la table.
"Je n'ai besoin d'aucun perroquet ou d'intermédiaire pour dire ce que j'ai à dire. Jisung descends de cette table."
Deux soupirs synchronisés retentirent dans la pièce. L'un provenait de Minho, frustré de ne pas avoir pu tuer l'homme de ses propres mains, et l'autre de Jisung, énervé de ne pas avoir pu continuer sa séance de torture sexuelle. Mais tout cela semblait bien risible alors que tous se tournèrent, d'un même mouvement, vers la source vocale tapie dans l'ombre.
Au bout de quelques instants, une silhouette se dessina dans la lumière. Un homme aux cheveux d'un violet électrique, les yeux soulignés de noir, une lourde veste de cuir sur des épaules carrés, une musculature visible et puissante sous ses vêtements larges. Seo Changbin, le chef des STRAY, s'avançait vers ses subordonnés en rangeant son revolver dans sa poche arrière. Avec ses allures de shérif rock and roll, il ne laissait présager aucun doute sur qui tenait les rênes dans la pièce.
Jisung finit par obéir aux ordres de son chef, descendant de la table. Et alors qu'il allait rétorquer des paroles pleines de sarcasme, quelqu'un tambourina à la porte fermée du hangar.
"Hao va ouvrir."
Le nommé obéit, se levant pour se détacher du groupe et se diriger vers l'entrée. Au bout de quelques instants lorsque la porte s'ouvrit, une odeur nauséabonde de sang et de chair envahit les narines de tous les STRAY présents. Minho et Jisung comprirent immédiatement ce que cela signifiait, d'un regard échangé ils se mirent en position. Jisung en retrait derrière un Minho qui le protégeait instinctivement de toute sa taille, cette nuit-là fut la première fois que la voix du jeune homme résonna entre les murs de fer.
"Tu as accepté ?"
Son timbre éraillé par la sous utilisation de son instrument attira l'attention de Changbin qui se tourna vers lui un sourcil levé, une expression de surprise peinte sur ses traits. Un rire moqueur retentit, bien sûr qu'il avait accepté.
"Ici bas c'est une guerre constante, et je compte bien la remporter par n'importe quel moyen."
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"Est-ce que finalement notre quotidien ne consiste pas à se promener sur des toits ?"
"Ça et frôler la mo-"
Félix eut à peine le temps de formuler sa réponse que son pied dérapa sur le bord de la toiture, déséquilibré, il agita ses bras pour tenter de se redresser dans un mouvement maladroit et assez ridicule. Heureusement, Hanbin saisit d'une poigne forte son bras, l'empêchant de tomber. Il tira le blond à lui avec une visage neutre, habitué à la hauteur et ses risques. Un rire lui échappa alors qu'un moue embarrassée et vexée déformait les traits de son partenaire.
"Ne prends pas trop tes propres paroles au pied de la lettre, ce serait dommage."
"C'est noté..."
Après une tape sur l'épaule, leur marche reprit. Les deux KIDS étaient arrivés à destination : les toits des hangars habitant les quartiers généraux des STRAY. Ils venaient ici assez souvent, habitués à y faire un tour pour espionner leurs rivaux. Ils savaient que cette procédure quotidienne était réciproque, alors ils étaient confiants sur le fait que personne n'irait les chercher ici. Les STRAY n'avaient pas grand chose à cacher dont les KIDS n'avaient pas connaissance, et inversement.
Pourtant, cette nuit-là un étau étrange se refermait sur la poitrine de Félix, un frisson glacial le prit de toute part. Il jeta un regard par dessus son épaule alors que Hanbin se rapprochait des grandes fenêtres de toit étrangement illuminés, au loin une mélodie sourde et mécanique semblait s'en échapper.
"Il y a de l'agitation là dedans.."
À l'entente des paroles de son partenaire, Félix se tourna dans sa direction. Après avoir balayé d'un regard le toit du hangar sur lequel ils se trouvaient, il en vint à la même conclusion. Les lumières et bruits sourds qu'ils percevaient provenaient de l'intérieur du bâtiment. Cependant, un autre détail attira son attention.
"Les fenêtres sont ouvertes d'habitude."
D'un hochement de tête, Hanbin acquiesça aux paroles de son collègue. Il s'empressa alors de s'accroupir auprès d'une des fenêtres dans l'espoir d'apercevoir ce qu'il se passait à l'intérieur. Ils n'avaient pas l'habitude de s'approcher des zones où ils pouvaient être trop visibles, si les STRAY ne viendraient pas les chercher, ils pourraient devenir agressifs en les apercevant sur leur territoire. Mais la situation était vraiment étrange, l'étau qui enserrait leur poitrine et leur gorge se resserrait alors qu'un immense sentiment de malaise les envahissait tous les deux. À la surprise de Hanbin, la fenêtre était recouverte de buée de l'intérieur, témoignant de la température anormalement haute dans le hangar. Ses sourcils se froncèrent alors qu'il sortit un briquet pour tenter d'effacer la buée qui lui barrait la vue.
"Il y a quelque chose qui cloche."
Le cœur de Félix rata un battement alors qu'il vit son partenaire se figer à la vue de l'intérieur du bâtiment. De là où il était il vit distinctement l'expression de terreur déformer son visage et cela ne fit qu'aggraver son anxiété et la panique qu'il ressentait à cet instant. Il n'osa pas faire un pas, et il dût attendre de longues secondes, celles qui ressemblaient à des heures, avant que Hanbin ne finisse par bouger, se tournant vers lui avec une expression totalement paniquée.
"Viens voir ici et dis moi que j'hallucine."
🩸
Avec prudence, le blond s'avança vers Hanbin, s'accroupissant à ses côtés avec lenteur. Il essayait de se préparer à tous les scénarios en quelques secondes, l'appréhension le rongeait de l'intérieur alors qu'il se pencha vers la zone de verre chaud. Tout ce qu'il avait pu imaginer s'évanouit alors que l'impossible et l'horreur apparurent finalement. Ce qui ressemblait à un abattoir d'hommes se dessinait sous ses yeux. Un bac de saignée composait le centre de la pièce, une ligne d'hommes paniqués était agenouillés en face, leurs jambes saignaient abondamment alors qu'un homme qui se tenait derrière eux rompait leurs ligaments avec un canif acérée, un autre s'occupait de leur ouvrir la gorge un par un pour permettre à leur sang de remplir le bac. Ce fluide écarlate coulait dans des gouttières qui remplissait de grandes cuves en métal dans un coin de la pièce. D'autres gouttières reliaient les cuves de métal à des bacs de récupération par dessus lesquels était accrochés des cadavres finissant de saigner. De l'autre côté du hangar, des hommes masqués à l'apparence de chirurgiens opéraient sur des corps ouverts, retirant leur organes et découpant leur peau pour l'isoler et leur permettre la coupe des muscles. Les restes humains étaient triés dans de grands conteneurs alignés près de la sortie du hangar, des hommes cagoulés semblaient venir récupérer leur contenu à l'aide de transpalettes rouillés et abîmés. Félix recula dans un sursaut, s'éloignant le plus possible de la fenêtre. Son souffle était saccadé, des larmes bordaient ses yeux alors qu'un haut le cœur le prit sans qu'il ne puisse se retenir. Hanbin se précipita vers lui pour l'aider à se redresser, il attendit quelques secondes que le blond reprit ses esprits avant d'intervenir.
🩸
"Putain tu m'étonnes qu'ils veulent pas laisser s'échapper des odeurs d'ici-"
Encore sous le choc, Félix n'eut pas le temps de rétorquer, à quelques mètres d'eux un bruit sourd résonna dans l'air et une silhouette apparut au loin, leur barrant l'accès à l'escalier de secours. Les deux garçons se figèrent, incapables de lâcher l'ombre menaçante qui s'avançait vers eux des yeux.
"C'est le moment où on doit partir."
"Vous ne pensez pas si bien dire."
Ils sursautèrent, se retournant vivement d'un mouvement synchronisé vers la voix qui s'était élevée derrière eux. Cette fois-ci, ils reconnurent la silhouette de Jisung, l'un des deux bras droits des STRAY qui sortait de l'ombre, un sourire étrange déformant ses lèvres. Avec les denses connaissances qu'il avait sur leurs ennemis, Félix n'eut pas de mal à déterminer l'identité de la première silhouette, Lee Minho, le second bras droit des STRAY. Son pouls accéléra dans une courbe exponentielle, la panique l'envahit alors qu'il était complètement tétanisé sur place. Il sentit Hanbin se relever dans son dos, agir pour les sauver. Il suivit son partenaire dans un élan désespéré. Les deux hommes qui les encerclaient étaient infiniment dangereux et fous à lier, ils n'auraient aucune pitié à les jeter en pâture comme bouts de chaires dans l'abattoir en dessous de leurs pieds.
"Casse-toi Félix, on se rejoint tu sais où."
Le nommé ne se fit pas prier, sous les ordres de Hanbin, il laissa celui-ci derrière sans se retourner, se précipitant vers le bord du hangar. Avant que Jisung ne soit plus rapide et ne l'atteigne, il sauta dans le vide, se raccrochant à la gouttière du bâtiment annexe. Il prit quelques secondes pour reprendre sa respiration coupé par la peur et l'adrénaline trop forte, puis il dévala le mur sur lequel il était accroché, brûlant le bout de ses doigts qui frottaient contre la brique rêche. Sa réception précipitée le déséquilibra, assis en plein milieu de la ruelle bordant le QG des kids, il n'eut pas le temps de reprendre ses esprits, il se précipita pour se relever et courir le plus loin possible.
Mais alors qu'il n'eut le temps que de parcourir quelques mètres à peine, une vive douleur le prit à l'épaule alors qu'il sentit sa chair se faire transpercer. Il tituba, se rattrapant contre le mur à proximité, son regard se dirigeant par réflexe vers la source du lancer de l'objet.
"Tu vas aller tout balancer à ton grand frère ?"
Sortant de l'ombre dans une démarche menaçante, alors que sa vue se troublait petit à petit sous la douleur et la redescente de l'adrénaline, ce fut le chef des STRAY, Seo Changbin, qui apparut sous ses yeux. En un instant il se retrouva plaqué contre le mur, le gabarit de l'homme en face de lui le recouvrant totalement, limitant grandement ses chances de s'échapper. Changbin se saisit du couteau planté dans son épaule d'une poigne forte, faisant s'échapper un long râle de douleur au blond qui transpirait à grosses gouttes. Il était complètement à sa merci, plus affaibli que jamais. Ses yeux parcoururent le visage de son agresseur, ses mains se posèrent sur ses épaules et son cœur loupa un battement. Un sourire carnassier déchira l'expression neutre de l'homme aux cheveux violet, une lueur perverse dansa dans son regard alors qu'il dévisageait à son tour le jeune homme contre lui. Tous deux connaissaient réciproquement leur nom, ils ne s'étaient jamais rencontrés auparavant. Changbin ne considérait pas Félix comme son futur grand rival de par ses affiliations de sang, mais plutôt comme l'un des points faibles de Chan qu'il cherchait à abattre absolument. C'était un fait, Félix manquait cruellement de capacités par rapport à d'autres membres des KIDS, il était un marginal dans son propre gang, et c'est ce qui intéressait particulièrement Changbin, une cible importante stratégiquement, facile à abattre.
"T'as pas d'honneur, tu laisses tes frères d'armes faire le sale boulot derrière. Si ton frère avait un minimum de bon sens tu pourrais faire un appât très intéressant avec ce joli minois, car tout ce que tu sais faire c'est t'enfuir sans jamais riposter Lixie..."
Le chef des STRAY était un grand sadique, il savait piquer où ça faisait mal, et il ne fallait pas être idiot pour comprendre que Félix était blessé par son infériorité et sa lacheté causés par son manque d'intérêt pour le gang de son frère. Une pique de douleur toucha son cœur alors que ses yeux se remplirent de larmes, lorsque Changbin agita son couteau dans sa plaie ouverte, il ne put empêcher celles-ci de couler. Un gémissement de douleur sortit de ses lèvres dans la même seconde alors que ses mains se refermèrent sur les épaules de son agresseur, palpant involontairement ses muscles. Lorsque son regard croisa celui du chef des STRAY, son cœur loupa de nouveau un battement.
"La-aisse moi p-partir.."
"Non."
Dans un élan de désespoir, Félix tenta d'envoyer son genou droit dans les parties génitales de Changbin. Mais celui-ci l'anticipa et intercepta sa cuisse de sa main, pressant sa chair entre ses doigts et soulevant les pans de sa jupe. Le blond ne put retenir les frissons qui parcoururent son corps à ce toucher. Il eut envie de se frapper pour réagir de la sorte. Il n'eut pas le temps de s'auto-flageller un peu plus que le chef des STRAY enfonça encore un peu plus le couteau dans sa chair, resserrant sa prise sur sa cuisse en même temps. La vue du jeune frère de son rival totalement offert et à sa merci eut le don de faire s'envoler tout un tas de papillons dans le ventre de Changbin, il prit du plaisir à voir le visage de Félix se tordre de douleur et à l'entendre gémir sa souffrance si près de son oreille.
Alors que Félix crut tomber dans les pommes, une alarme stridente retentit dans la ruelle. Il vit le violet être distrait par l'événement quelques secondes, et alors, il profita de cet instant précis pour le pousser avec toutes les forces qu'il lui restait. Changbin n'eut pas le temps de réagir, Félix s'était déjà éloigné à une vitesse fulgurante de lui. Il observa longuement sa silhouette titubante se tenant l'épaule s'éloigner de lui, et étrangement, son cœur se serra à cette vision.
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Le plafond du QG des KIDS était peint de taches d'humidités répugnantes, se mariant parfaitement avec l'aspect délabré des lieux. C'étaient d'anciens bureaux désaffectés qui habitaient le gang, réaménagés en un véritable carrefour de crimés et de délits. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Félix avait toujours vécu entre ses murs, recueilli par l'ancien chef du gang lorsqu'il n'était qu'un bambin. Le père de Chan s'était pris d'affection pour cet enfant seul, abandonné dans les rues d'AWARE. La vision de cet homme fort et dur avec un enfant aussi délicat que lui avait toujours attendri leur entourage. Mais l'homme était décédé, et son fils biologique, celui que Félix considérait comme un frère, avait prit les rênes du gang, le nommant comme second héritier direct du pouvoir. Personne n'avait cherché à prendre la place de Chan ou remit en cause ses décisions, il avait toujours été le plus digne à se voir attribuer la direction des KIDS. Félix avait toujours pensé que tout aurait été très différent s'il avait été l'unique héritier de leur père.
Une larme coula sur sa joue, son regard passa du plafond à ses mains tremblantes. Il se trouvait dans l'aile médicale du QG, recevant des soins pour sa blessure à l'épaule, et il ne s'était jamais senti aussi minable. Les mots de Changbin ne cessaient de tourner dans sa tête, et le pire, c'est qu'il était en accord avec chacun d'entre eux. Il n'était qu'un lâche indigne de son propre gang, un poids incapable de servir les valeurs qu'on lui avait inculqué toute sa vie.
Ses pensées continuèrent de divaguer, la tristesse qu'il ressentit s'évanouit, et une douce chaleur enserra sa poitrine, comme une caresse rassurante. Un sentiment d'apaisement l'envahit, et quand il ouvrit les yeux, son regard fut attiré par la seule fenêtre ouverte de la pièce, le tissu translucide servant de rideau virevoltant dans l'air. Son côté spirituel lui chuchotait que c'était une présence pleine de bonnes intentions qui avait réussi à le rassurer, il aimait penser cela.
Mais cela ne dura que quelques instants, sans qu'il ne put se contrôler, le chemin de ses pensées dériva vers le toucher du chef des STRAY. Son regard d'obsidienne, sa carrure forte et son aura envoûtante. Tout le ramenait à ces instants, à ces mots, à leur proximité et à son venin, Changbin était omniprésent dans sa tête depuis son agression. La boule de chaleur au creux de son cœur descendit vers son bassin, mais bien heureusement, ou malheureusement, il fut coupé par la porte de sa chambre qui s'ouvrit à la volée. Félix s'empressa de tirer ses draps jusqu'à son nez pour cacher ses joues rougissantes et autres traces des réactions étranges de son corps, alors qu'il observait son frère s'avancer vers lui, un sourire rassurant sur les lèvres malgré ses sourcils froncés.
"Ça va un peu mieux ?"
D'un hochement de tête dynamique, Félix prit un air désintéressé pour jouer les gros durs, faisant une belle démonstration de ses médiocres talents d'acteur à son frère.
"C'était une petite lame, j'vais survivre."
Chan leva les yeux au ciel, toujours le sourire aux lèvres. Il vint s'asseoir sur le bord du lit, couvant son petit frère d'un regard attendri, bien qu'un peu préoccupé.
"Je voulais te parler de ce que tu as vu là-dedans."
🩸
Et tout d'un coup, comme un flash, les images de l'abattoir revinrent à Félix, celles qu'il avait réussi à oublier. Il ferma les yeux dans une tentative de se débarrasser de ces formes traumatisantes, mais il ne fit qu'empirer son cas. La vue du sang, de la chaire à vive, des têtes scalpées aux corps entièrement écorchés, des conteneurs d'organes aux cuves de sang, des cadavres pendus aux hommes apeurés forcés d'attendre la mort à genoux, puis les silhouettes terrifiantes, acteurs principaux de toute cette violence. Finalement, après une profonde inspiration, il eut le courage d'ouvrir les yeux, affrontant le regard profondément inquiet de Chan, remettant le masque froid et sans peur qu'il aimait montrer à son frère et aux autres.
🩸
"Je suis pas un enfant Chan, le sang me choque plus depuis-"
"On a de bonnes raisons de penser qu'ils font bien plus que du trafic d'organes."
En un instant, des tonnes de scénarios catastrophes fusèrent dans la tête de Félix, conséquences de la sur-analyse des propos de son aîné. Du trafic sexuel à l'esclavage en passant par les crimes pédophiles, des images dégoûtantes passaient en boucle dans son esprit.
"Cette bande de gros dégueulasses..."
"C'est encore plus grave que ce que tu penses Lixie."
Le blond releva le regard vers Chan, le dévisageant avec une expression horrifiée. Toutes ses affreuses théories disparurent pour ne laisser qu'un énorme point d'interrogation. Son pouls se mit à accélérer alors qu'il essayait de se préparer au pire dans le silence le plus total. Finalement, Chan vint lui donner ce qui était censé être un coup de massue.
"Ils sont alliés à des wendigos."
"Des wendigos...?"
"C'est des alliés de choix, ils sont bien plus forts que nous, ce sont des êtres intelligents. Toute cette mascarade c'est leur contrepartie-"
"Attends Chan, j-je ne sais même pas de quoi tu parles.."
Le pouls de Félix chuta drastiquement alors que de nouvelles questions emplirent sa tête qui lui semblait déjà bien trop lourde. C'est à ce moment que Chan se rendit compte de la sincère interrogation dans le regard de son jeune frère, et puis il comprit.
"Excuse-moi.."
Lorsque son père avait recueilli Félix, Chan n'était encore qu'un jeune enfant. Mais d'aussi loin qu'il s'en souvienne, l'ancien chef des KIDS avait toujours fait en sorte de protéger l'innocence et la délicatesse qui caractérisait son second fils. Si Chan avait pu en être jaloux, lui qui avait été élevé à la dure avec l'objectif d'être un successeur digne, il avait compris en grandissant que l'ignorance de leur propre monde était une faiblesse. Souvent, Félix ne savait pas, et souvent, Chan s'en voulait de briser petit à petit cette naïveté touchante que son père s'était évertué à conserver avec le plus grand soin. Mais il avait besoin de Félix, sans lui à ses côtés pour gouverner tout serait plus compliqué, alors il allait à l'encontre des désirs de son géniteur décédé, une fois de plus.
"Ce sont des monstres, ils descendent de la pire partie d'entre nous ici bas..."
Chan se saisit de la main de son jeune frère, caressant sa peau pour apaiser ses tourments alors que le regard du blond était rempli d'appréhension. Il aurait aimé ne jamais avoir à expliquer cette part sombre de leur histoire à son petit frère.
"Il y a longtemps une vague de famine bien trop importante a frappé les bas fonds, certains ont préféré s'atteler à des pratiques bien trop sombres en salissant leur honneur plutôt que mourir."
Dans le regard de son cadet, Chan vit l'anxiété s'aggraver secondes après secondes. Mais en le voyant pendu à ses lèvres, il sut qu'il ne pouvait plus faire marche arrière, il se contenta alors de l'apaiser par les douces caresses qu'il lui prodiguait, poursuivant ce récit qui lui glaçait lui-même le sang.
"Les wendigos sont des créatures de l'ombre qui descendent de plusieurs générations d'êtres humains cannibales, de ceux qui autrefois ont été nos frères. Avec le temps, ils ont acquis par mutation des caractéristiques monstrueuses pour faciliter leur régime alimentaire, dont une mâchoire puissante armée de dents acérées, une force surhumaine et une capacité à se camoufler parmis nous. Aujourd'hui on ne peut plus les considérer comme des humains, alors on les a nommés comme ça."
Félix soupira, fixant sa main tremblante dans celle de Chan. Beaucoup d'informations et de réponses défilaient dans son cerveau, créant un mélange confus et indigeste qui lui donnait presque la nausée. Il comprenait mieux ce qu'il avait pu voir dans le hangar, toute cette chair, tout ce sang, c'était la part du marché des STRAY. Leurs ennemis principaux tuaient des innocents et bafouaient leur corps pour servir une alliance destructrice et nourrir des créatures répugnantes. Chan avait raison, c'était bien pire que tout ce qu'il avait pu imaginer comme scénarios.
"Donc on a de quoi s'inquiéter, on a presque l'air ridicule à trafiquer de la came à côté."
Alors que dans un élan de colère et de frustration, Félix se releva, Chan attrapa son bras, le forçant à se rasseoir à ses côtés. Lorsque sa poigne se fit plus forte, le plus jeune osa relever la tête pour croiser son regard empli de compassion.
"Ne dis pas ça, ce que les STRAY ont fait en s'alliant à eux est impardonnable. On a eu beaucoup de chance que vous les ayez capté avant que ça ne dégénère."
Le blond secoua la tête, rejetant la tentative de Chan pour le rassurer. Résigné, le chef des KIDS se leva alors, se dirigeant vers la porte dans un soupir et sans un regard en arrière.
"Je vais te laisser te reposer et digérer ça, mais on aura besoin de tout le monde le plus tôt possible."
Alors qu'il allait refermer la porte derrière lui laissant Félix assis seul avec ses pensées tumultueuses, une hésitation le prit soudainement. Le blond vit l'arrêt sur image de son aîné, et d'un mouvement de tête il l'invita à exprimer ce qu'il souhaitait. Chan secoua la tête comme pour se débarrasser de pensées contradictoires à la prononciation de ses mots avant d'élever la voix.
"J'ai rencontré une nouvelle recrue, c'était lui l'alarme quand Changbin t'as choppé. Il s'appelle Jeongin, pense à le remercier si tu le croise."
Et la porte se ferma finalement, laissant Félix encore plus perdu, alerté par le comportement étrange de son frère.
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Les lettres néon abîmées par le temps tenaient difficilement au-dessus d'une porte de secours à moitié enfoncée. Tout était tellement en mauvais état dans les quartiers d'Aware que cette entrée était sûrement une des plus jolies choses trouvables dans la ruelle sombre où Hyunjin s'enfonçait. Et alors qu'il passa la porte du "The Last Drop", situé en perpendiculaire des avenues les plus basses en altitude d'Aware, l'ambiance sombre, délabrée et lugubre qui régnait changea drastiquement. Cette nuit-là, le lieu était plein, la musique aux échos rêveurs et aux paroles lugubres envahissait l'espace.
Gonfle là le danger, dans le lit de Lethé
Au loin, de nombreuses silhouettes se déhanchant au-dessus des clients déchaînés, au rythme des pulsations musicales, leurs corps ondulaient, créant une harmonie visuelle ensorcelante. Il fallut peu de temps au lieutenant pour repérer sa cible au fond de la pièce, le seul et unique qui le traînerait ici bas. Des cheveux verdâtres décolorés, un corps aux formes rondes bien que fermes et musclées, une simple écharpe blanche qui cachait des points stratégiques de son torse et son bassin, enserrant sa peau claire dans une caresse désireuse, le laissant presque nu aux yeux des clients affamé de luxure visuelle. Des talons qui le rendait haut perché, d'un rouge vif assorti aux stroboscopes qui éclairaient son corps mouvant en parfaite harmonie, dans une musicalité envoûtante.
Flamboie l'onde vive [...] mais le style écarlate est si raide
Seungmin et Hyunjin avaient grandi ensemble dans ces bas fonds cruels. L'un rêvait d'art, de scènes et de lumières, l'autre voulait juste l'admirer. Hyunjin n'avait jamais caché ses sentiments pour celui qu'il aimait considérer comme une âme sœur, il avait toujours fait de sa sécurité et son bonheur une priorité. Et même si Seungmin ne semblait pas lui rendre cette affection romantique, cela n'avait jamais freiner son désir de protection envers son cadet. Alors il avait intégré les KIDS, assurant par la même occasion une place en sécurité sous les feux des projecteurs à Seungmin, même s'il avait pratiquement vendu son âme au diable une paire de fois pour ça. Rien ne comptait plus à ses yeux que la joie qui se dessinait sur les traits du décoloré. Et même lorsque leur relation avait atteint le stade charnel il y a des années, il n'avait jamais rien exigé plus de la part de Seungmin le laissant parfaitement libre de ses désirs, vagabondant entre les corps et les âmes qu'il lui plaisait, même s'il n'en faisait pas toujours partie. Seungmin semblait toujours regarder ailleurs, alors que Hyunjin n'avait d'yeux que pour lui.
Ton souffle, tes braises, ton eau, c'est comme ça
Il s'approcha du danseur lorsque sa prestation fut finie, le laissant encore quelques minutes interagir avec ses clients. Il observait ces mains qui le caressaient sans pudeur et ces lèvres chuchotant près de ses oreilles, frôlant sa peau dans une langueur interminable. Il voyait à quel point Seungmin semblait apprécier la flamme du désir dans leurs regards alors que ses traits étaient déformés de joie. Il respecta ces instants de torture pour son coeur meurtrie, et quadn le dernier homme fut parti vers une autre danseuse, il n'hésita pas à s'approcher du jeune homme pour lui tendre la main. Lorsque leurs regards se croisèrent, une nouvelle flamme s'alluma dans le regard de Seungmin. Pour lui, Hyunjin était sa maison, son lieu de confort après ces soirées d'embauche et de débauche, il ne voyait que sa lumière protectrice, son aura amoureuse et rassurante.
"Salut beauté.."
Le sourire doux du désigné s'étira un peu plus alors qu'il saisit de ses doigts délicats la main qui lui était tendue. Dans un mouvement gracieux, il descendit les escaliers qui le menaient au sol avec l'aide de Hyunjin, ce dernier ne le lâcha pas une seconde du regard, admirant la grâce et la douceur de chacun de ses pas. Quand Seungmin croisa ce regard-là, un soupir s'échappa par automatisme de ses lèvres alors que ses épaules s'affaissèrent et que son cœur se pinça.
"Tu m'aimes trop Hwang, c'est un problème."
"Je ne vois pas de quoi tu parles, je sais juste apprécier les belles choses."
Seungmin avait conscience des sentiments de Hyunjin depuis aussi longtemps que le concerné. Il se sentait mal de se tenir aussi proche de lui sans être capable de le rendre véritablement heureux. Seungmin était un être amoureux de sa liberté, trop longtemps confisquée là où il était naît. Il serait toujours infiniment reconnaissant du sacrifice de Hyunjin, le laissant rester à ses côtés tout en étant libre d'expérimenter les tourments de son cœur avec d'autres. Ce que Seungmin semblait ignorer c'était que tout semblait inlassablement le ramener au grand blond, si fort qu'il s'était laissé porter vers lui des années auparavant, la nuit la plus délicieuse de son existence. Depuis, il se laissait être proche de Hyunjin, il se sentait bien dans ses bras et avec lui, même si pour lui tout était parfaitement platonique. Il ignorait les battements de son cœur, car pour lui et son âme frivole, rester avec l'âme sœur reviendrait à brimer ses ailes qui ne cherchaient qu'à se déployer. Il était aveugle face à l'équilibre entre amour exclusif et liberté heureuse. Alors de temps en temps il s'autorisait à craquer avant de se retourner, et peut-être qu'un jour il oserait rester. Son cœur bâillonné lui hurlait de rendre heureux son amour à son tour, mais il était sourd, et surtout, il aimait plaire.
Seungmin laissa glisser sa main libre sur le torse du lieutenant, caressant la peau découverte par le col débraillé de sa chemise. Son regard se perdait sur ses propres mouvements, la tête baissée dans un espoir naïf de cacher ses joues rougissantes sous les belles paroles de son interlocuteur. Un soupir s'échappa des lèvres de Hyunjin alors qu'il admirait les détails dont il ne se lassait jamais, le moindre grain de peau qui composait le visage de Seungmin était à ses yeux la plus belle des pierres précieuses. Le danseur finit par relever la tête, leurs regards illuminés se croisèrent alors qu'ils échangeaient un sourire complice.
"Si tu veux, dans ce cas-là qu'est ce qui t'amène à part ta gourmandise ?"
Hyunjin sourit à ses mots, rigolant doucement en tirant sa main pour mener le danseur à travers la foule épaisse. Tous se retournaient vers eux, la beauté de Seungmin attirait, tout comme la présence du bras droit des KIDS à ses côtés. Ils disparurent derrière un cabinet isolé par des rideaux velouteux, cherchant l'intimité pour leur proximité et leurs paroles. Ils s'assirent sur la banquette à une distance raisonnable, et après avoir retiré ses talons, Seungmin posa son pied sur les cuisses de Hyunjin qui s'en saisit pour masser tendrement sa cheville. Ce qui ressemblait à une routine de part l'automatisme de leurs gestes était plutôt une connexion forte qui dépassait les mots, un moyen silencieux de faire comprendre ses envies à l'autre.
"Je n'aime pas te savoir ici Seungmin.."
"Hyunjin.."
"Je ne te parle pas de ce que je ressens Minnie, c'est autre chose."
En croisant le regard dur de Hyunjin, Seungmin se résigna à le croire, l'invitant à continuer.
"Il y a du mouvement chez les STRAY, ils sortent les grands moyens et j'ai peur qu'ils t'atteignent."
"Ce sont des bons clients, ils ne m'embêtent pas ne t'en fais pas pour ça."
"Ce n'est pas d'eux dont je parle."
Le lieutenant reprit la main de Seungmin dans la sienne, laissant une caresse de son pouce avant de s'approcher de son oreille. Un frisson commun parcourut leur corps sensible alors que Hyunjin prononçait des mots qu'il aurait aimé ne jamais avoir à prononcer.
"Des wendigos."
À l'entente de ses paroles, la prise de Seungmin se fit plus forte sur la main du blond, son corps se mit à trembler sans qu'il ne put le contrôler, un grand froid se fit en lui. La légende des wendigos était une histoire qu'on aimait raconter aux enfants des bas-fonds pour les empêcher de sortir seuls, ce récit avait toujours terrifié Seungmin. Il se revoyait bien trop jeune déjà dans les bras de Hyunjin qui tentait de le consoler de ses terreurs nocturnes. Ses cauchemars avaient pris vie, et la pensée qu'il n'avait plus ressenti cette peur aussi viscérale en lui depuis longtemps traversa son esprit. Sans pour autant lâcher la main du lieutenant, Seungmin prit ses chaussures et se leva dans une tentative de fuite, sûrement pour cacher cette réaction presque enfantine à son interlocuteur.
"Je vais prévenir les autres, merci Hyunjin"
Mais le nommé ne l'entendit pas de cette oreille, il s'empressa de retenir avec force le danseur, se levant pour le prendre dans ses bras. Il enveloppa son corps d'un étreinte rassurante, les bras enroulés autour de ses épaules, le visage de Seungmin enfoncé dans son cou alors qu'il tentait de calmer ses tremblements par de tendres caresses sur son dos. Les poings du danseur se refermèrent dans son dos alors qu'un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres. L'odeur de Hyunjin et la chaleur de ses bras avait toujours eu le don de le calmer, de ses premières années de vie à aujourd'hui. Comme des âmes sœurs platoniques, de son point de vue. Au bout de quelques minutes, Hyunjin s'écarta de son aimé pour déposer un tendre baiser sur son front, les yeux de Seungmin se fermèrent par automatisme alors qu'un mince sourire déforma ses lèvres.
"Un message et je débarque dans la seconde Minnie."
"Merci."
Après un dernier regard échangé, les deux amis se séparèrent d'un mouvement synchronisé. Seungmin récupéra ses talons tombés au sol dans l'étreinte et s'échappa à travers le rideau dans un mouvement rapide. Durant les quelques secondes où la foule était encore visible à travers le tissu, Hyunjin admira sa silhouette s'éloigner, se fondant dans la masse à laquelle il appartenait.
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"C'est positif"
Depuis que Hanbin avait prononcé ces mots en débarquant dans le bureau de Chan quelques jours auparavant, Félix avait été incapable de fermer l'œil. Son épaule était presque guérie, il n'était plus sorti depuis la découverte de l'abattoir et son frère ne le laissait jamais seul, s'assurant de garder un œil sur lui en toutes circonstances. Et pourtant, le blond s'était rarement senti aussi mal. Son frère mettait son trouble sur le compte des visions d'horreur qu'il avait subit, Hyunjin avait même arrêté de l'interpeller de façon agaçante depuis ces événements. Mais la raison des insomnies du jeune homme était tout autre, alors que tout le monde le pensait terrifié par l'alliance entre les wendigos et les STRAY, Félix priait juste pour ne jamais recroiser le chemin de Seo Changbin. Bien évidemment, la situation horrifique actuelle le contrariait, mais depuis qu'il avait croisé ce regard d'obsidienne, touchant et blessant son être, torturant son corps et son âme dans des sentiments opposés, il avait bien du mal à penser à autre chose. La contradiction des émotions qu'il avait ressenti en ces instants en sa compagnie le perturbait jour et nuit, mais tous l'ignorait. Et pourtant il se trouvait là, debout dans l'ombre aux côtés de son frère et Hyunjin, sûrement à quelques mètres de l'objet de ses pensées.
"On y va."
Ils s'avancèrent dans la nuit noire, se dévoilant tous les trois sous la lumière orange des lampes à huile. Avec un peu de concentration, Félix pouvait presque sentir la présence de leurs nombreux frères d'armes derrière eux, couvrant leurs arrières, protégeant leurs dirigeants à une distance raisonnable. Pour les minutes à venir, Chan avait tenu à ce que son jeune frère joue le rôle de témoin, porte parole des informations en possession des KIDS. S'il n'avait pas été enjoué par ce rôle qu'on lui avait donné, il s'était senti obligé d'accepter le cœur serré. Car encore une fois, les mots de Changbin le traitant de bon à rien tournaient dans sa tête, et dans une démarche de vengeance personnelle, il s'était vu forcé par son égo à prouver le contraire au dirigeant des STRAY.
Car en face d'eux, sortants de la pénombre, Changbin, Jisung et Minho marchaient dans leur direction.
Ce soir-là, les deux gangs avaient souhaité ouvrir le dialogue, c'était rare, mais la situation exceptionnelle semblait les pousser à sortir des sentiers battus, les uns et les autres
Les deux chefs se jaugèrent quelques instants à plusieurs mètres de distance, et finalement, les premières paroles de Changbin vinrent détruire le silence imposé.
"Ravi de te revoir Félix."
Félix n'eut pas le temps d'être effrayé ou de sentir son pouls accélérer dangereusement à la mention de son nom entre les lèvres de Changbin. Chan s'avança d'un pas, les poings serrés sur son trench de cuir.
"Pour commencer, c'est à moi que tu t'adresseras Changbin."
Le violet leva les yeux au ciel, laissant son regard passer du cadet à l'aîné dans un soupir lassé.
"Très bien, que veux tu me dire Bang ? C'était osé d'envoyer en émissaire pour une rencontre l'un des hommes qui a pénétré notre territoire n'est-ce pas ?"
"Ma façon de faire ne te regarde pas, je veux simplement que tu t'expliques."
Le violet se mit à sourire, son visage se déformant dans une expression moqueuse.
"Je ne vois pas de quoi tu parles."
"Je t'en prie Changbin, nous savons tous ce qui se cache dans ce hangar."
"Les nouvelles vont vite, si nous sommes tous au courant je ne vois pas l'intérêt d'avoir fait déplacer mes hommes jusqu'ici."
Le chef des KIDS soupira, son interlocuteur semblait être décidé à le faire tourner en bourrique. Chan aimait l'efficacité, plus lui et Changbin échangeaient des mots, plus il sentait son sang bouillir dans ses veines, le regard que l'homme posait sur son frère de temps à autre ne l'aidait pas à se calmer.
"Tu t'es allié avec des wendigos ?"
"Ton frère contre une information."
"Pardon ?"
Félix sursauta à l'entente de ces mots, la peur le prit de tous les côtés alors qu'il vit Jisung et Minho se mettre en mouvement pour l'atteindre. Heureusement pour lui, Hyunjin qui se tenait à ses côtés vint s'interposer, dérobant le blond de leur yeux, le couvrant de toute sa carrure. L'angoisse du blond se fit moins forte alors qu'il se faisait petit derrière le bras droit de son frère, son cerveau tournait à mille à l'heure pour essayer d'anticiper les événements, comprendre ce que Chan attendait de lui dans ce cas de figure. Mais la simple pensée de se rendre à Changbin le fit frissonner plus que de raison, lorsque la voix de celui-ci retentit une nouvelle fois, Félix sentit ses poils se hérisser sur ses bras dénudés.
"Je lui ai promis qu'il ne m'échapperait pas, je suis un homme de paroles tu sais."
Dans un élan de colère, Chan s'avança d'un pas vers son rival, haussant le ton dans l'espoir de faire taire les paroles déplacées de celui-ci.
"Félix ne servira pas de monnaie d'échange."
"Voyons Chan, nous savons également tous ici qu'il ne peut te servir qu'à ça. Alors que de mon côté..."
Le regard de Changbin passa de son interlocuteur à Félix, caché quelque mètres derrière. Il détailla ses jambes fines, la naissance de ses cuisses à l'ourlet de son short en vinyle, ses bras fins, ses épaules découvertes sous son débardeur blanc, son cou vierge, ses lèvres charnues, pour finalement croiser son regard sans prendre le temps d'assagir la flamme de désir qui dansait dans le sien. Dans cet accoutrement, le jeune homme lui semblait offert, comme si inconsciemment il avait voulu lui faciliter l'accès à sa peau claire, désirant peut-être secrètement ses caresses. En face de lui, Félix déglutit sous le regard lourd de sens du violet, le rouge monta à ses joues alors qu'il chercha à camoufler son corps de ses bras sous les yeux impudiques de Changbin. Il se sentait nu en sa présence, comme la proie d'un prédateur particulièrement affamé. Personne ne pouvait avoir de doutes sur les idées perverses qui traversaient l'esprit du chef des STRAY à cet instant. Alors, quand il formula implicitement ses pensées débraillées, Chan cru voir rouge.
"Il pourrait me servir à tout un tas de choses."
"Espèce de-"
Les paroles de Chan furent coupées par une épaisse fumée qui envahît la ruelle en quelques secondes à peine, Félix eut le temps d'apercevoir le fumigène qui avait été lancé avant d'être totalement aveuglé par le gaz s'en échappant. Ses yeux commencèrent à le lancer, il était totalement désorienté, il ne sentait plus la présence de Hyunjin à ses côtés, il entendait les pas paniqués et précipités aux environs. Félix était terrifié, n'importe quel membre des STRAY pouvait lui tomber dessus à tout moment pour le livrer à Changbin, et qui sait ce qu'il serait capable de lui faire subir par la suite. Un frisson remonta sa colonne vertébrale à cette pensée, puis sans qu'il ne puisse le prévoir, un corps chaud se colla au sien. Dans un élan de panique, Félix tenta de se débattre alors que l'inconnu l'entraîna avec lui d'une poigne forte. Sans prononcer un mot, ils s'arrêtèrent au bout de longs instants, l'air autour du blond semblait plus léger, et très vite, il reconnut la voix de son frère à ses côtés. Encore sonné, il mit du temps avant d'ouvrir les yeux, mais à sa grande surprise, il comprit que ce n'était pas Chan qui l'avait sorti de là.
En face de lui, sûrement essoufflé d'avoir essayer de le canaliser, se tenait un grand jeune homme au regard sombre. Son visage atypique retint l'attention de Félix quelques secondes alors qu'il le détaillait, ses yeux fins, sa mâchoire dessinée, ses traits anguleux, le bordeaux de ses cheveux. Il était vêtu entièrement de noir, l'uniforme des KIDS lorsqu'ils étaient en mission. Il faisait partie de ces individus que l'on oublie pas facilement, et inconsciemment, le blonde grava son image dans son esprit.
"Qui es tu ?"
Il sentit la présence de son frère dans son dos, s'approchant des deux garçons pour vérifier qu'il allait bien, l'absence de réaction de celui-ci suggérait à Félix qu'il le connaissait déjà. et cela se confirma lorsque son sauveur lui rendit ses paroles, un sourire malin se dessinant sur ses lèvres.
"Yang Jeongin, remercie-moi une seule fois, ça suffira."
Rassuré et impressionné, Félix ne sut retenir le sourire qui envahît son visage, celui qui valait tous les remerciements du monde.
Alors que de son côté, un grand malaise s'empara de Chan lorsque son regard croisa celui du nouvel arrivant.
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