Chapitre 9
Les lieux me parurent dans un premier temps étrangement vides, pas d'élèves dans la cour, pas de traces de vie où que ce soit à l'extérieur du bâtiment... C'était bien différent de mon premier accueil dans cette école, un an plus tôt.
Des images soudain traversèrent mon esprit, comme des flashs, me rappelant toutes ces fois où j'avais couru ici, poursuivie, où j'avais été menacée de mort et que je n'avais pas trouvé l'aide dont j'avais désespérément besoin.
Tout compte fait ce n'était pas si étrange : maintenant que j'y pensais, il y avait rarement des élèves dans cet espace. Ce qui avait été bizarre, c'était plutôt mon accueil la première fois. Ma mère avait dû mettre le paquet pour rencontrer sa fille... tu m'étonnes !
J'entendis les portes claquer derrière moi et je sus que mes deux acolytes étaient sortis du taxi. Mais je ne pris pas la peine de me retourner. Je fermai simplement les yeux et inspirai un grand coup. L'air était d'un froid glacial, un froid hivernal, comme à mon arrivée, la première fois. L'air s'emmêlait dans mes cheveux, les faisait danser autour de ma tête. L'air sentait les bois, il sentait le frais, la nature.
Je n'avais jamais pris conscience de toutes ces sensations qui m'accaparaient en ce moment même, pourtant, alors que je les vivais, je compris à quel point elles m'avaient manquées.
-Tu devrais fermer la bouche, vu le nombre d'heures qu'elle a passées ouverte cette nuit j'ai peur que ta mâchoire se décroche.
Outrée, je lançai un petit coup de poing dans le bras de Diego qu'il intercepta facilement. Les réflexes de cet homme étaient inhumains.
- Quand est-ce que tu vas arrêter de te moquer de moi ? Marmonnai-je en retirant ma main de sa poigne assurée ;
- J'ai pas encore choisi, rétorqua-t-il avec un immense sourire en coin, allez, maintenant viens nous aider avec les valises !
Il m'ébouriffa les cheveux et partit à l'aide de la pauvre Ellie qui s'empêtrait dans les sacs. Je jetai un dernier regard au bâtiment avant d'aller les aider. De toute façon, l'école n'allait pas disparaître comme ça !
Nous prîmes les bagages ensemble et alors que je me dirigeai vers les escaliers principaux, Diego m'arrêta et m'indiqua le petit chemin réservé aux profs que je connaissais bien maintenant : grâce à lui, j'avais pu m'enfuir de Schooltime sans être repérée. Aujourd'hui, je l'empruntai de nouveau... pour rentrer à Schooltime sans être repérée. La belle affaire !
Nous traversâmes la petite cour privée puis arrivâmes à la porte qui menait droit sur les couloirs. Alors qu'Ellie allait l'ouvrir, je changeai d'avis sur la façon dont nous procéderions :
- Attends ! Je pense que c'est mieux si je vais direct voir ma mère : ça ne veut rien dire de s'introduire comme ça ! On n'a pas de chambre pour mettre nos affaires et on va pas y aller à plusieurs. C'est mieux que j'y aille.
- Et au moment où elle va rappeler des agents pour te rapatrier en France tu vas faire quoi ? Demanda Diego d'un ton agacé ;
- Elle ne le fera pas.
- Et qu'est-ce qui l'en empêcherait ?
- Tu verras. Je sais ce que je fais.
Sans lui laisser le temps de réagir, j'ouvris la porte, entrai et la refermai derrière moi. Non, elle n'était pas verrouillée, mais mes amis étaient assez intelligents pour comprendre que cela serait complètement stupide d'essayer de me rattraper tout en restant discrets.
J'avançai à pas de loup. Je crois que je ne m'étais jamais baladée aussi tôt dans l'établissement. Tout le monde dormait à l'heure qu'il était. Enfin, c'est ce que je pensais jusqu'à ce que je découvre de la lumière dans quelques salles de classe ainsi que des sons provenants de la cuisine.
Ça n'est peut-être pas si endormi que ça...
J'allais devoir me montrer prudente vu les circonstances... J'accélérai le pas et me collai aux murs, histoire de ne pas me faire surprendre par derrière. Alors que j'avais atteint l'aile juridique, je commençai à réfléchir à ce que je pourrais bien dire à ma mère... En vérité, mon « je sais ce que je fais » que j'avais adressé à Diego tout-à-l'heure n'était qu'un mensonge pourri. Je n'en avais aucune idée. Et je devais trouver. Ça devenait urgent !
Quand j'arrivai devant son bureau, je me figeai. Mon esprit était vide. Aucune raison, aucune idée, aucun chantage ne me venait. J'étais là, si près du but, et j'étais incapable de frapper. Parce que si ma mère me parlait maintenant, je resterais muette. La panique afflua dans mes veines. J'étais pétrifiée. Incapable d'esquisser le moindre geste. À la fois mon cerveau tournait à une vitesse phénoménale, et à la fois il faisait du surplace.
Alors que les battements de mon cœur accéléraient de façon incontrôlable, j'entendis des voix résonner à l'autre bout du couloir. Sans réfléchir, je toquai et ouvris : le choix était vite fait, je préférais être retrouvée vivante en France que morte au Texas ! La poignée ne résista pas et je déboulai en plein dans... ce qui ressemblait à tout point de vue à une vidéoconférence...
Ma mère était, comme à son habitude, sur son trente-et-un, elle parlait à trois hommes et deux femmes, tout aussi strictes quant à leur style vestimentaire. Enfin, elle avait parlé à ces cinq personnes, parce que maintenant, ils étaient tous TRÈS silencieux et TRÈS concentrés sur ma petite personne.
Oups...
Bon, pour l'arrivée discrète et diplomate, c'était loupé. Le pire, c'était que je restai là, à rendre leurs regards à ces personnes, immobile, muette, et pire que tout : la bouche encore grande ouverte.
Non mais ça devient une manie ou quoi ?
Finalement, après un silence de quelques millénaires, ma mère prit la parole :
- Très chers bienfaiteurs, je vais devoir vous laisser, je crois qu'un de mes petits espions a une grande nouvelle à m'apprendre !
Tout à coup, c'est comme si cette bulle silencieuse explosait et que nous nous retrouvions sur un champ de bataille : les voix percèrent le mutisme comme des rugissements de bombes et vinrent m'abattre sans hésitation :
- Une de vos espionnes ? Elle ressemble à une pauvre fillette qui vient faire une crise parce qu'elle a perdu sa poupée
- Why doesn't she speak ? Is she stupid ?
J'étais peut-être une vraie quiche en anglais, mais « stupid » sonnait de la même façon dans les deux langues... merci madame... Les critiques affluèrent, aussi violentes que des flèches, aussi rapides que des balles, et aussi efficaces que des bombes nucléaires.
Ma mère ne les interrompit pourtant pas, sûrement pour ne pas montrer qu'elle avait un attachement particulier pour cette « pauvre fillette ». Et tout allait à merveilles pour elle, jusqu'à ce qu'un mot atterrisse dans la conversation et change l'atmosphère brusquement : nous n'étions plus sur le champ de bataille, nous étions au fin fond du pôle nord, prêts à geler sous le froid de leur ton. Et ce mot n'était rien d'autre que :
- Avril ?
Alors, les tons glaciaux laissèrent la place à un silence pesant une tonne et tous me scrutèrent de nouveau. Mais cette fois, au lieu de voir dans leurs regards du mépris, je trouvai de la pure haine.
Oh oh...
- Comme je vous l'ai déjà dit, très chers bienfaiteurs, je vais devoir vous laisser... déclara une dernière fois ma mère, puis les cinq têtes disparurent de son écran dans un concert de protestations.
Pendant quelques secondes, nous ne dîmes rien. On se contenta de se scruter mutuellement, en vrais chiens de faïence. Je savais pertinemment que le calme qui s'amassait entre nous précédait une tempête sans nom.
Mais j'avais beau le savoir, j'étais incapable de faire le premier pas. Je tentai à tout prix de me raccrocher à cet instant unique, à l'écart. Cet instant reposant où je n'avais pas besoin de réfléchir à comment je pourrais nous sauver mes amis et moi.
Puis, l'instant prit fin, le calme s'effondra et la voix de ma mère, aussi tranchante qu'un couteau, inonda la pièce :
- Non mais qu'est-ce que tu fais là ?
- Je...
- Ton père est au courant au moins ?
- Euh...
- Est-ce que quelqu'un t'a vue ?
- Bah...
- Et puis comment t'as fait pour arriver jusqu'ici ?
- J'ai...
- T'es folle ou quoi ? Tu sais dans quel pétrin tu viens de me mettre ?
Une autre succession de questions suivie mais je décidai de la fermer, comprenant qu'elle n'attendait pas encore de réponse. Enfin, quand elle se tût, j'expliquai :
- Papa est courant que je suis ici, je lui ai laissé un message sur le frigo, normalement personne ne m'a vue, j'ai fait attention. Je suis venue en avion, j'ai payé le billets avec mon propre argent et comme je suis majeure je n'avais pas besoin de l'accord d'un tuteur. Et si je suis ici, c'est parce qu'il est hors de question que vous me laissiez papa et toi à l'écart de Schooltime.
Je pris un temps pour souffler puis repris :
- Je sais que vous voulez me protéger. Je sais surtout que ça te pose des petits problèmes pour accomplir tes plans de psychopathe. Mais tu vas devoir comprendre que je suis contre toi. Je suis ton ennemie, dans le camp adverse. Et si tu m'empêches de rester ici, alors...
L'idée apparut d'un coup, aussi rapide que l'éclair :
- Alors je rendrais l'histoire de Schooltime publique. Je me doute que tu te sers de votre position pour faire pression sur l'État : tu leur dis que s'ils en parlent à la presse, tu feras exploser l'établissement avec plein d'enfants à l'intérieur ou un truc du genre. Mais moi je sais une chose : si tu fais exploser cet internat, tu fous en l'air toutes tes chances de mener à bien ta mission.
Je jouais un jeu très dangereux. Mais la différence entre moi et la CIA, c'était que je ne lui demandais pas d'arrêter son activité, je lui demandais juste d'accepter de réintégrer sa fille dans le programme, sachant qu'elle était entièrement contre son camp. Ouais, c'était dangereux. Mais je n'avais pas d'autre idée.
- Donc à toi de choisir : tu préfères accepter une gamine dans tes locaux, ou risquer de bousiller tout le travail sur lequel tu t'es acharnée depuis si longtemps ?
Je parlerais d'Ellie et Diego plus tard...
Ma mère m'observa, le regard vif. D'un côté, je ne pouvais m'empêcher de me demander comment elle avait pu sombrer ainsi dans la folie : elle avait, comme certaines personnes, le regard intelligent. Ce genre de regard qui donnait l'impression de tout comprendre, tout retenir, tout analyser sans problème.
Alors comment ? Comment avait-elle pu se tromper à ce point ? Comme ma mère, une personne de mon sang, qui avait voulu se battre pour sa patrie, s'était retournée contre elle et avait décidé de la détruire simplement à cause d'un rejet ?
Il fallait croire qu'intelligence n'était pas synonyme de force. Et je détestais cette faiblesse qui l'avait transformée en monstre. Car cette faiblesse avait à tout jamais foutu ma famille en l'air. Car cette faiblesse avait coûté la vie d'un nombre incalculable d'adolescents. Car cette faiblesse m'obligeait aujourd'hui de risquer la mienne pour empêcher le pire. Et enfin, car cette faiblesse me forçait à m'opposer à ma propre mère et même à mon père.
- Et qu'est-ce que tu penses qu'il va se passer si tu reviens ? Tout mon corps enseignant veut ta peau, tu seras en terminale, à cinq mois de l'examen final et tu n'auras aucune protection. Tout ce que tu vas gagner, c'est un aller simple pour la mort.
- Peut-être, mais je ne te demande pas ton avis. En plus, Diego est ici, il est venu avec moi. Il me soutiendra et il est fort. Je ne compte pas participer aux examens, ne t'inquiètes pas, ce sera un poids en moins sur ta poitrine, je suis sûre que tu peux m'éviter ce désagrément.
Cette dernière phrase était mon plus gros mensonge. Mais j'avais conscience que si je lui avouais mon véritable plan – qui était d'arrêter ces examens une bonne fois pour toutes – elle ne me laisserait jamais revenir. Je devais jouer carte de la petite ado qui ne pensait qu'à retrouver ses amis et qui s'opposait à sa mère sans pour autant agir contre.
- Et qui d'autres est venu ? Je ne t'ai peut-être pas vue grandir mais je commence à te connaître Avri, tu n'es pas venue seule. Sinon je ne suis même pas sûre que tu aurais fait un crochet à mon bureau : tu serais directement allée t'installer dans ton ancienne chambre.
- Eh bien... maintenant que tu en parles. Il y a peut-être mon amie d'enfance qui attend dehors... Elle s'appelle Ellie, elle ne se mêlera pas de tes affaires, j'y veillerais. Je veux juste lui présenter tous mes amis et passer une dernière année avec eux. Ensuite, on repartira à Paris sans avoir participé aux exams.
Mon histoire était en partie vraie, concernant Ellie. Ma mère sembla peser le pour et le contre. Elle me dévisagea attentivement, gribouilla quelques notes sur un coin de papier puis se racla la gorge :
- Je ne vois pas l'intérêt que tu reviennes ici, tu ne comprends pas les raisons qui me poussent à agir comme je le fais. Tu ne veux pas de moi pour mère, j'ai très bien compris. Même si tu es protégée par Diego Flores, tu restes la cible de tous les adultes du pensionnat et tu ne pourras pas sauver tes amis quand le moment sera venu. Pourtant, je comprends que tu veuilles passer tes derniers moments avec ceux que tu as côtoyés l'an dernier. Je préfère te prévenir que tu auras plus de cinq EMM à tes trousses, à l'affût du moindre de tes faits et gestes. Je vais aussi faire appeler un autre agent de la CIA pour veiller sur toi. Et quand je l'aurais décidé, tu rentreras en France. S'il faut te droguer pour ce faire, je n'hésiterais pas.
Elle oubliait de mentionner que mon chantage ne lui laissait pas vraiment le choix. Après tout... ce n'était qu'un détail... Je hochai vigoureusement la tête à chacune de ses déclarations. De toute façon, je savais que je n'en respecterais certainement aucune. Aussi, mieux valait bêtement acquiescer sans même écouter toutes ces conneries.
Quand je sortis du bureau, j'étais sur un petit nuage. Ok, j'étais de nouveau en danger de mort. Ok, j'avais foutue ma meilleure amie dans la merde. Ok, ma mère cette psychopathe m'avait menacée. Mais j'étais rentrée, et j'allais tout faire pour changer la donne et sauver la vie de tous les élèves ici présents. Et surtout, il était temps de retrouver mes vieilles connaissances.
Je repartis en sens inverse, prête à annoncer la merveilleuse nouvelle à mes compagnons de voyage. Mais je me rendis très vite compte que la conversation que j'avais eue avec la directrice avait traîné en longueur : l'établissement était entièrement réveillé, les couloirs grouillaient d'étudiants endormis et j'allais devoir faire face à la surprise générale de mon retour.
Non pas qu'ils m'adoraient tous. Mais mes exploits quant aux nombreux carnages que j'avais pu faire m'avaient rendue célèbre. Je ne passais pas inaperçu à Schooltime...
Cependant, ce n'était vraiment pas le moment de me retrouver coincée au milieu d'une foule en délire. Je devais d'abord aller chercher Diego et Ellie. Aussi, je rentrai la tête dans les épaules, cachai mon visage avec mes cheveux et avançai à l'aveugle, priant pour ne pas percuter quelqu'un.
Mon plan marcha comme sur des roulettes pendant dix minutes. Enfin, la foule se dissémina, j'étais dans des couloirs éloignés du réfectoire – or c'était là bas que se concentrait toute l'agitation. Je fis moins attention, accélérai le pas et... percutai quelqu'un.
Merde.
- Aïe ! Fais attention !
Oh non... Je connaissais TRÈS bien cette voix. Je relevai la tête lentement, prête à devoir faire face à des cris hystériques mais ce que je vis me laissa sans voix.
J'avais imaginé beaucoup de choses en revenant ici : que Kelly était redevenue une EMM, que Jeff était parti faire l'examen en avance, que Sky avait pété un câble et s'était transformée en deuxième Chloé.
Mais ce à quoi je devais faire face dépassait toutes mes attentes. J'avais pensé à tout, comme je le répétais, mais pas à retrouver Chloé dans les bras de Jeff, la tête nichée contre son torse, le front accueillant les lèvres du beau gosse. Non, c'est sûr, je n'avais pas pensé à ça.
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