Chapitre 8
Le déjeuné passa sans accrochage, même si je surprenais de temps à autre les regards assassins de Chloé. Bientôt, nous nous levâmes pour déposer nos plateaux. On se dirigea ensuite dehors, sous le soleil qui ne réchauffait rien du tout en cette saison. Je grelottais, vêtue uniquement d'une chemise et d'une jupe et j'espérais vraiment que nous n'allions pas nous attarder ici.
Cependant j'avais la drôle d'impression que les garçons n'étaient pas du tout dans le même état d'esprit, car l'un d'eux piqua le sac de Chloé qui commença à lui courir après en lui hurlant de le lui rendre. Les autres se placèrent en cercle autour d'elle et se balancèrent l'objet au-dessus de sa tête sans jamais lui donner. Ils étaient tous morts de rire, sauf moi qui commençai vraiment à me demander si je n'étais pas atteinte de Parkinson. Soudain, alors que mes dents claquaient, une veste s'abattit sur mes épaules et sans même me retourner pour voir qui me l'avait confiée, je l'enfilai et serrai les bras autour de ma poitrine, soupirant de soulagement.
- Ça va mieux ? Fit Sa voix au creux de mon épaule.
Je hochai timidement la tête.
- OK alors j'y retourne.
Je le regardai s'éloigner pour attraper le sac qu'on venait de projeter un peu plus loin. Il était tellement beau... J'enfouissais ma tête dans sa veste. Et il sentait tellement bon... Comme j'aurai aimé à ce moment là qu'il me prenne dans ses bras et... NON. Non non non et non. Pas de ça. Je secouai brusquement la tête et clignai des yeux.
Ce mec t'as traité de bourge qui réclame l'attention de tout le monde !
Oui mais il m'avait empêché de tomber après, ça pouvait être vu comme une excuse non ?
Il flirte avec toutes les filles ! Il flirte avec Chloé !
Bon je devais vraiment l'éviter. Ce mec n'était pas du tout mon genre et je savais très bien que si je commençai dès le premier jour à m'intéresser à lui, je n'en souffrirai que davantage.
Leur jeu dura environ une demi heure, puis, une fois son bien récupéré, Chloé proposa à toute le bande d'aller sur la pelouse, près de la forêt. Dès que j'entendis sa proposition, je ne pensai plus qu'à une seule chose : l'examen. Je levai la tête, à la recherche de cet endroit sans le trouver : autour de moi s'étendait un vaste parc de graviers avec, ça et là, des bancs et des tables en bois. Derrière nous se trouvait un grand escalier en pierre qui nous permettait de rentrer dans l'établissement. Le groupe s'avança alors vers la gauche, là où la forêt était le plus proche. Je les suivais silencieusement, légèrement angoissée par la densité des arbres et leurs formes maléfique en cette saison. Plus on s'approchait et plus mon souffle était embué. Bientôt, on entra dans ce lieu effrayant où les arbres dénudés semblaient prêts à nous emprisonner de leurs doigts brisés. Les autres marchaient devant moi, sans se rendre compte à quel point ce coin était glauque. Ils riaient et ce son ne faisait qu'intensifier la peur qui montait au fond de mon être. Ils paraissaient tous si naïfs à se chamailler alors qu'ils s'enfonçaient dans cette zone sombre et malfaisante. Le chemin continuait et la lumière disparaissait. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine.
Soudain, j'entendis un bruit derrière moi. Je me retournai, terrifiée par ce que j'allais découvrir. Mais il n'y avait rien. Je m'arrêtai alors de marcher, de bouger, de respirer même. J'étais un boule de nerfs, prête à partir en courant dès que le bruit retentirait de nouveau. Ma concentration était telle, que ce fut seulement au bout d'environ cinq minutes que je réalisai - non sans horreur - que le silence s'était fait autour de moi et que mes amis n'étaient plus là. Ils n'avaient apparemment pas vu que je m'étais arrêtée et avaient continué leur trajet, m'abandonnant à mon propre sort dans ce paysage lugubre. Ma respiration se fit alors précipitée. Je respirais trop vite, trop fort. Je le savais ! Je savais que je devais me calmer, que réagir de cette façon n'arrangerait pas les choses, mais c'était plus fort que moi... J'étais seule. C'était ce que je redoutais le plus au monde : la solitude. J'avais toujours eu cette peur, encrée au fond de mon âme. Et maintenant, je me retrouvais au milieu d'une forêt sinistre, n'ayant pour compagnie que le bruit de ma respiration sifflante.
Bientôt, ma crise s'intensifia et je sentis des fourmis grimper le long de mes pieds et de mes mains. Je secouai celles-ci aussitôt, sachant pourtant pertinemment que ce n'était qu'une illusion due au trop plein d'oxygène que j'étais en train d'avaler. Les fourmis continuèrent leur chemin et montèrent jusqu'à ma tête. Je la pris alors dans mes bras et tombai, incapable de rester debout. Le choc ne fut pas violent car les feuilles mortes avaient amorti ma chute, pourtant il résonna dans mon crâne comme le son d'une cloche qu'on aurait secoué juste à côté de mon oreille. Je me recroquevillai sur moi-même, utilisant toutes mes forces pour contrer cette panique qui emprisonnait ma gorge et mes poumons.
Le temps passa. Je ne sais pas exactement combien de minutes s'écoulèrent, mais peu à peu, ma respiration redevînt régulière. Je me détendais enfin et m'allongeais sur le lit de feuille que je m'étais créé en tombant dessus. Une sérénité m'emplit quand je vis un petit écureuil sortir du buisson qui m'avait tellement terrorisée tout à l'heure. Je me redressai et m'avançai vers cet adorable petit animal.
Je m'approchai doucement, de peur qu'il ne s'enfuit. Mais il resta immobile, devant sa cachette. À environ un mètre de lui, je m'agenouillai et tendis la main. Il n'en fallut pas plus pour qu'il détale le plus vite possible. Déçue, je regardai son pelage flamboyant grimper à l'arbre voisin.
Je restais quelques secondes devant le buisson quand un reflet à l'intérieur de celui-ci attira mon attention. Je me rapprochai, devinant une forme cylindrique. J'allai tendre la main pour l'attraper quand une voix - sa voix - résonna derrière moi :
- Qu'est-ce que tu fais ?
Je me retournai, soulagée de le voir et de ne plus être isolée. Il s'approcha alors rapidement de moi et passa sa main dans mes cheveux. Étonnée par ce geste, je reculai instinctivement.
- T'inquiète pas, je voulais juste t'enlever ça.
Il montra son poing fermé et l'ouvrit pour révéler une feuille. Je rougis instantanément. Et merde. Qu'est-ce que je m'étais dit tout à l'heure déjà ?
Il drague Miss Cheveux-rouges !
Une minutes passa entre nous, puis deux, puis trois. Personne ne savait quoi dire et pourtant je ne me sentais pas à côté de la plaque. Cette scène était teintée d'une certaine poésie : deux jeunes silhouettes se faisant face, n'ayant pour conversation que la douce mélodie du vent qui les séparait. Deux silhouettes au milieu de cette vaste étendue d'arbres et de feuilles. Deux silhouettes exilées qui semblaient connectées l'une à l'autre.
Je secouai la tête pour me débarrasser de ces pensées étranges et pour revenir droit sur la réalité. Et dans cette réalité, on pouvait voir deux personnes qui ne savaient pas quoi se dire et qui ne trouvaient rien de mieux à faire que de se dévisager stupidement. Il était temps que l'un de nous prenne la parole et comme il n'avait pas l'air prêt à faire le premier pas, c'est moi qui le fis.
- Pourquoi tu es ici ?
De nouveau, le silence inonda notre environnement et je crus - non sans agacement - qu'il ne me répondrait pas. Cependant, il parut finir par se réveiller :
- Toi, qu'est-ce que tu fais ici ? On marchait tous et puis Kelly nous a demandé où tu étais. Après on a paniqué parce que tu ne connais pas la forêt et que ça peut être un vrai labyrinthe, m'expliqua-t-il ;
- Et où sont les autres ? M'enquis-je ;
- On s'est séparés, ils doivent nous attendre à l'escalier, là où on était tout à l'heure, conclu-t-il.
Je faisais une pause de quelques secondes pour intégrer ce qu'il venait de me dire puis je répliquai d'un air enjoué - à grands regrets je dois l'avouer :
- Alors nous n'avons pas de temps à perdre, allons les rejoindre !
Jeff hocha la tête mais ne bougea pas d'un pouce. Je lui faisais donc un signe de la main pour lui montrer que c'était à lui de me guider sur ce chemin qui m'était totalement inconnu. Il se racla la gorge et se mit en marche. Je le suivais de peu, même si je glissai une dernière œillade au buisson scintillant.
Je décidai de mémoriser le trajet pour revenir un jour et découvrir ce qui se cachait ici.
Ce ne fut pas long et en moins d'un quart d'heure, nous étions au point de rendez-vous. Tout le monde se jeta sur moi pour me demander si j'allai bien et me demander ce que j'avais fait là bas. Je donnais une vague explication, omettant certains détails tels que la crise de panique et le mystérieux trésor. De toute façon, personne ne m'écoutait vraiment.
Un bruit de cloche sonna, signe que nous devions retourner en cours et ce fut avec soulagement de ma part que je m'élançais vers le grand bâtiment. J'allai monter les escaliers quand quelqu'un m'attrapa le poignet.
- Eh, fit le beau latino, j'ai besoin de mon sweat.
Sa voix était aussi douce que du velours et je ne sais pas pourquoi mais j'eus une violente envie de rougir. J'enlevai rapidement le vêtement et le lui tendais, le regard fuyant, cherchant à tout prix à éviter qu'il ne surprenne mes joues colorées. Je chuchotai un petit merci à son attention et m'enfuyais comme une voleuse dans les escaliers. D'accord il était gentil, d'accord je voulais devenir quelqu'un de plus fort. Cela n'empêche que je ne pouvais pas complètement réinitialiser mon disque dur et être à l'aise avec les garçons qui me plaisaient était une donnée très endommagée si ce n'est pas totalement supprimée.
À peine arrivée en haut des marches, je rejoignais mes deux colocataires qui m'attendaient sur le pas de la porte. Sans un mot, je leur tendis mon emploi du temps. Sky l'attrapa et le déplia avant de pousser un soupir de satisfaction qui parvint instantanément à me réconforter. Ce petit bruit voulait tout dire : j'étais dans sa classe.
- On est en sport ! Kelly tu nous rejoins à la récré !
Merde. D'accord je n'étais plus toute seule mais... En sport, en sport ? Je devais être maudite.
- OK, mais avant on doit te prévenir Avri que les cours de sport ici sont un peu particuliers... finit par glisser Kelly ;
- C'est à dire ?
Elle me dévisagea quelques seconde avant de clore la discussion avec un insupportable :
- Tu verras...
Et sans me laisser le temps de lui ordonner de développer elle s'en alla, me laissant perdue face à mes propres questions. Je tournai la tête vers Sky mais à son regard je vis qu'elle n'allait pas m'en dire plus. Bon, il allait falloir que j'aille à ce cours à la noix pour comprendre les sous-entendus de mes deux amies... Je soupirai et suivis la jolie blonde qui partageait mon cours.
Le chemin n'était pas très compliqué mais vu le mauvais sens d'orientation que j'avais, en seulement trois pas je compris que je ne saurai pas comment revenir aux escaliers. Cela m'énervait un peu sachant que j'avais besoin de savoir comment aller à cet endroit pour pouvoir repartir à la recherche de l'objet brillant que j'avais aperçus dans la forêt.
Nous arrivâmes face à deux grandes portes battantes jaunes qui amenaient à un gymnase. Là, se trouvait une femme entre deux âges, les cheveux blonds attachés en une queue de chevale haute. La professeur était la caricature même du prof d'EPS - Education Physique et Sportive - avec ses baskets, son jogging et son sweat à capuche assorti. Elle avait un sifflet autour du cou et paraissait ne prendre nullement soin de son corps : sa peau était sèche et légèrement ridée malgré le fait qu'elle devait être trop jeune pour ça et ses cheveux ressemblaient plus à de la paille qu'à autre chose.
Nous allâmes nous asseoir sur un des tapis de sport bleus collés au mur.
À cet emplacement, je pouvais voir toute la salle et savoir qui entrait et sortait de la pièce. C'était un gymnase tout ce qu'il y avait de plus banale : des tapis en guise de sol, un mur d'escalade à droite, des barres parallèles, des barres à symétrique et une poutre en face. La prof se trouvait au milieu, attendant au pied de grue l'arrivée tardive de ses élèves.
Peu à peu, un flot continu d'étudiants envahit la salle et au bout de ce qui me parut une éternité - sûrement en raison du fait que tout le monde me regardait - la dame se racla la gorge :
- Comme vous pouvez le constater nous avons une nouvelle élève. Je sais que c'est rare et que c'est normal que vous vous intéressiez à elle mais je ne veux pas que mon cours sombre dans l'anarchie, aussi, pour vous prouver que mademoiselle Taylor est une élève comme les autres, je vais lui demander de venir me rejoindre pour vous faire la démonstration de la leçon d'aujourd'hui.
QUOI ?
Le ton qu'elle employait était rude et méchant, j'étais complètement sonnée par sa dernière réplique. Sky me poussa doucement l'épaule et m'intima de me lever pour ne pas l'énerver. Le regard désolé qu'elle posa sur moi ne fit qu'intensifier l'inquiétude qui m'étouffait déjà.
- Allez, on a va pas vous attendre pendant 50 ans ! Continua la démone qui nous servait d'enseignante.
Je m'avançai lentement tout en faisant tout mon possible pour que mes pas paraissent plein de l'assurance qui me faisait défaut. Arrivée à sa hauteur, je me tournai calmement vers elle, rassemblant tout mon courage, prête à affronter son exercice qui - j'en étais sûre - allait être un réel supplice.
- Très bien, aujourd'hui, nous allons apprendre comment mettre quelqu'un au sol avec un geste seulement.
Re- QUOI ?
- Attaquez moi.
Je mis au moins vingt minutes à comprendre qu'elle s'adressait à moi, et vingt minutes encore pour agir. Je m'avançai vers elle, hésitante et sans que je ne comprenne rien, je me retrouvai le dos au sol, son pied sur mon ventre. La honte teintait mes pommettes et j'essayai - sans grand succès - de me dégager de sa funeste prise. Je gesticulai comme un ver de terre pathétique sous son pied qui semblait constitué de plomb. Au bout d'au moins un bon quart d'heure, elle daigna enfin me relâcher et je me relevai rapidement, sentant l'humiliation émaner de tous les pores de ma peau.
- Comme vous avez pu vous en rendre compte, cette jeune fille n'est pas entraînée et je n'ai eu aucun mal à la plaquer par terre. Nous allons faire un deuxième essaie, mais cette fois, mademoiselle Taylor, lorsque je vous attraperai le bras, essayiez de placer votre pied droit derrière le mien et de le tirer vers vous.
Écoutant attentivement ses conseils, c'est avec une énorme concentration que cette fois je m'élançai vers cette tortionnaire. Au moment où elle empoignait mon bras, je fis exactement ce qu'elle m'avait dit et réussi à la déséquilibrer. J'aurai sûrement dû tirer plus fort mais cette femme, aussi mince soit elle, pesait quand même lourd pour le cure dent que j'étais. Aussi, malgré mon geste, elle se reprit vite et je tombais une nouvelle fois lourdement sur le tapis. J'eus le temps de voir vingt mille chandelles et d'entendre toute les cloches du monde avant de sentir son abominable pied se reposer sur mon abdomen. Elle allait ouvrir la bouche pour recommencer à me critiquer ce qui faisait enfler la contrariété au fond de moi. Et quand j'entendis quelques ricanements moqueurs dans la salle, c'en était trop.
Je ne sais pas d'où me venait cette colère et cette intrépidité soudaine mais j'attrapai la cheville de ma prof et tirai fort dessus. En moins de deux secondes chrono elle se retrouva à mes côtés. Je me redressais alors énergiquement et posai à mon tour un pied sur son ventre non sans éprouver une certaine satisfaction.
- Vous disiez ?
Le ton que j'avais employé était plus qu'irrespectueux et pourtant je m'en fichais comme de l'an 40. J'avais réussi à faire disparaître cette prétention de son visage et ça, ça valait tout l'or du monde !
Cependant, quand j'entendis ma victime s'éclaircir la voix, je sentis toute ma témérité m'abandonner. Je retirai alors faiblement ma chaussure et m'écartai de ce qui allait être mon bourreau dans peu de temps. Au moment où je la vis se relever et ouvrir la bouche, j'étais prête pour ma condamnation à mort.
- Très bonne initiative ma petite.
Je restai quelques secondes pétrifiée par ces mots qui n'avaient pas de sens.
J'attendais un rire ou un cri qui montrerait qu'elle était en train de se moquer de moi et qu'elle allait me tuer juste après. Pourtant, rien ne vînt. Je levai la tête pour la dévisager sans un mot.
- Par contre, votre réplique était loin d'être nécessaire. Aussi j'espère que vous comprenez pourquoi je me sens obligée de vous coller.
Je clignai des yeux. La voilà ma punition. Mais qu'elle imbécile je pouvais être ! Mon premier jour de cours dans cet internat et ma première heure de colle de toute ma vie. Géniale.
Voyant que la femme attendait une réponse, je marmonnai ce qui ressemblai plus ou moins à une affirmation.
- Très bien, maintenant, allez vous asseoir à l'écart, je ne veux plus vous voir, coupa-t-elle en me lançant un regard victorieux.
C'était décidé, je haïssais cette femme. Je me tournai donc brutalement vers l'endroit qu'elle pointait du doigt - le mur derrière le matériel de gymnastique - et allai m'y installer. Je me retrouvais donc à faire face à la classe, seule. Elle m'avait mise au coin, comme on le faisait avec les maternels.
Une rage profonde mêlée d'indignation agrippa ma gorge et c'est très frustrée que je regardai la prof continuer son cours avec un autre élève.
La suite de l'heure passa lentement mais calmement pendant que je ruminais en silence.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top