Chapitre 65

Quand j'arrivai devant le hall d'entrée, je me mis à maudire plein de choses, tout d'abord le manque de temps (avec le couvre feu il ne me restait pas plus de 20 minutes), puis le noir puisque la nuit était tombée depuis au moins une demi heure.

Je maudis la forêt, qui dans l'obscurité ressemblait tout simplement au décor bien glauque d'un sale film d'horreur et je maudis aussi le froid, parce qu'à cette heure ci, la température semblait tout droit sortie d'un congélateur du plus grand des igloos de l'antarctique.

Mais ce qui anima le plus ma colère ce fut l'idée qu'il y ait eu dans l'histoire, un architecte assez con pour foutre un CDI à l'extérieur, près d'un bois aussi chaleureux et accueillant que Chloé, si ce n'est plus !

Non mais sérieux ! Qui de normalement constitué se serait dit : « tiens tiens... Pourquoi ne pas construire un lieu de travail et de communication bien loin de l'établissement, ça permettrait aux étudiants de faire une jolie balade et puis peut être même de leur faire rencontrer un loup non ? Et puis je suis sûr que les élèves adorent sortir en pleine nuit pour aller parler à leurs parents, ils adorent aussi devoir rentrer en passant par cette même forêt toujours en pleine nuit alors qu'ils sont claqués ! Oh putain comme je suis intelligent j'ai des idées de génies ! Tant que j'y suis, pourquoi ne pas peindre tout l'internat en couleurs pastels ? »

Bon, ok je m'emportais un peu... Mais il y avait tout de même un fond de vérité dans ma remarque : il fallait être complètement écervelé pour placer un CDI au milieu d'une forêt.

Avec les poings serrés et la mâchoire contractée, je poussai la porte et sortis dans le froid polaire de cette nuit voilée d'un ciel sans étoiles. Le vent soufflait dehors et les arbres ployaient sous celui-ci, créant des gémissements lugubres à vous en donner des cauchemars – ou de bons scénarios pour un film d'épouvante pourquoi pas ? J'enfonçai ma tête entre mes épaules et marchai rapidement pour ne pas tarder ici.

C'était vraiment désagréable d'aller à ce putain de centre de documentation, le froid semblait s'infiltrer sous ma peau et je sentais ses doigts glacés encercler mon cœur dans un étau piquant.

De plus, autour de moi s'élevait la forêt, dont les fines silhouettes arquées des arbres paraissaient par moment créer l'illusion que ceux-ci étaient des monstres, des chimères aux membres crochus qui tentaient de m'attraper.

Je n'avais pas envie de rester ici, pire qu'une envie d'ailleurs, un besoin : il m'était impossible de rester là où j'avais faillit me faire tuer... trois fois.

Serrant encore plus les poings et les dents, j'accélérai le pas et atteignis enfin ce que je cherchais. Quand j'arrivai à destination, j'ouvris brusquement la porte et la refermai tout aussi rapidement, me collant à la cloison qui me séparait de ce monde sordide qui m'attendait de l'autre côté.

Je demeurai immobile quelques secondes, la respiration haletante et le cœur battant à la chamade dans ma poitrine. Après avoir soufflé un bon coût et repris mes esprits, je levai les yeux pour découvrir la documentaliste à son bureau, qui me scrutait d'un regard éberlué.

Son expression me fit presque autant rire que l'idée que je me fis de moi-même : je comprenais très bien pourquoi elle était tellement étonnée, je venais d'entrer comme une furie dans la salle pour m'appuyer ensuite sur la porte comme si je voulais empêcher celle-ci de se rouvrir.

Et le pire dans tout ça, c'est qu'elle devait vraiment me prendre pour une folle dingue puisque c'était elle également qui m'avait trouvée lorsque j'avais fait ma première hallucination...

Il ne manquait plus que je me déshabille entièrement en chantant la marseillaise sur une des tables de son CDI pour qu'elle puisse confirmer ses hypothèses quant à ma santé mentale.

Avec un sourire contrit, je me redressai puis lui adressai un signe amicale de la main, espérant que cela suffirait pour la rassurer sur mon état. Elle me rendit mon sourire, bien que le sien fut plus hésitant et je lui fis comprendre que je me dirigeai vers les ordinateurs au fond de la salle d'un signe de tête.

Je traversai donc chacun des nombreux rayons de livres, laissant mon regard divaguer sur les couvertures. Parfois, quand je n'étais pas pressée, j'allais même jusqu'à m'arrêter en plein milieu du passage pour sortir un livre de sa place d'origine et pouvoir admirer sa couverture.

Bien sûr, il était évident qu'une couverture ne révélait en rien le contenu du livre qu'il illustrait... pourtant j'avais toujours placé une importance capitale dans la présentation des fictions que je lisais.

Quoi qu'il en soit, je finis par arriver là où je voulais aller et m'assis rapidement sur une chaise tout en cliquant un nombre incalculable de fois sur la souris pour faire réagir l'écran.

Celui-ci s'illumina sur le menu Windows et je dirigeai immédiatement le curseur sur Skype. Il fallait que je me presse, il ne devait pas me rester plus d'un quart d'heure à présent. J'inscrivis mon identifiant puis mon mot de passe et sélectionnai le profil de Ellie pour l'appeler. L'écran vira au bleu et une sonnerie stridente retentit dans tout le CDI.

Je sursautai et tentai par tous les moyens de faire taire ce son tandis qu'une nuée de « chut ! » m'assaillaient soudain. Je trouvai un tiroir sous le bureau et y découvris des écouteurs à l'intérieur que je m'empressai de sortir et de brancher à l'unité centrale. Le bruit cessa aussitôt et je baissai le son tout en approchant les fils de mes oreilles.

– Allô ?
Tout-à-coup, l'image de ma meilleure amie se matérialisa sur l'écran et j'eus la folle envie de sauter de joie – mais je dus m'en empêcher sous peine de conforter la documentaliste dans ses idées de folie à laquelle j'étais victime pour elle.

– Salut vieux poivron, chuchotai-je avec amusement ;
– Oh la la ! Ça fait tellement longtemps qu'on ne m'a pas appelée comme ça ! S'exclama-t-elle d'un air mélancolique, tu ne sais pas à quel point ça me manque grosse choucroute !

Je gloussai en me remémorant tous ces bons moments passés avec cette fille. Des moments qui pendant longtemps avaient formé mon quotidien et qui aujourd'hui ne représentaient rien de plus que des souvenirs révolus, rien de plus que le passé, car c'est ce qu'ils étaient : passés.
– Alors comment tu vas ? Lui demandai-je.

Et cette simple question fut une sorte de lancement d'une bombe nucléaire : celle d'Ellie Cercatti. Après plus de trois mois sans avoir réellement communiqué, il était tout simplement impossible qu'elle reste calme et silencieuse, elle avait trop de choses à me raconter et j'avais un petit peu l'habitude de ce type de cas de figure.

Ellie était ce genre de filles qui n'hésitent pas à dire ce qu'elles pensent et à faire ce qu'elles veulent, ce qui rendait la vie trépidante pour elle : elle se fourrait toujours dans des histoires rocambolesques qui paraissaient inimaginables de prime abord. Seulement quand on connaissait Ellie, plus rien ne restait inimaginable très longtemps, la devise « rien n'est impossible » avait tout simplement été créée pour elle.

Et depuis quelques temps, j'avais l'étrange impression que ce côté de sa personnalité avait légèrement déteint sur moi. C'était d'ailleurs une des nombreuses raisons qui m'encourageaient à me confier à elle : Ellie était la personne qui risquait le plus de me croire et qui me serait de plus bon conseil.

Aussi, dès qu'elle eut fini de me raconter toutes les conneries qu'elle avait pu faire, je me lançai dans l'explication des récents évènements.

Évidemment, je ne lui dis rien à haute voix, sachant à quel point j'étais surveillée ici, et je me contentai donc de lui parler de faits vaseux tout en rédigeant chacun des malheurs que j'avais vécus depuis mon arrivée à Schooltime.

Et plus j'écrivais, plus je voyais ses yeux s'agrandir. À la fin de mon récit, j'avais TOUT dit. Rien n'était passé à la trappe. En partant de mes colocataires adorables mais étranges, par la pétasse de Chloé et le séducteur qu'était Jeff et en finissant par les agressions et celle en particulier qui avait aboutit au meurtre du professeur d'arts plastiques.

J'allai même jusqu'à évoquer madame Cralhem, son lien de parenté avec moi, son métier et sa phrase fétiche, qu'elle me resservait sans cesse malgré son peu de contenu : « ne fais confiance à personne ».

Je supprimai ensuite chacun de mes messages pour ne laisser aucune preuve de cette conversation puis lui posai la question qui me brûlait les lèvres :
— Est-ce que tu me crois ?

Elle resta muette au moins une minute, me scrutant avec des yeux plissés et un regard méfiant qui me fit perdre une énorme partie de ma confiance. Puis, alors que je perdais espoir elle s'exclama :
– Mais bien sûr que je te crois carotte cuite, tu pensais vraiment que le contraire était possible ?

Je poussai un soupir de soulagement puis lui lançai un sourire apaisé :
– Merci patate molle, parce qu'ici, c'est très dur de trouver quelqu'un de confiance comme tu peux t'en douter, murmurai-je.

Elle hocha solennellement la tête et je ne pus retenir mes mains d'applaudir. C'était trop beau d'avoir enfin quelqu'un. Quelqu'un d'objectif, quelqu'un de confiance et quelqu'un qui me soutenait.

– Maintenant j'aimerai savoir oignon confit, à ton avis, de qui dois-je vraiment me méfier ?
Mon amie prit un air concentré, plaçant ses doigts sous son menton et laissant ses cheveux blonds glisser devant son visage.

Je comprenais le mal qu'elle ait à me donner une réponse, mais je ne perdais pas espoir. Quoi qu'elle dirait, j'étais persuadée que cela m'aiderait...
– Eh bien, même si ça ne va sûrement pas te faire plaisir, ceux qui sont les plus suspects sont Sky, Jeff et Kelly...

Ou pas...

Je la dévisageai avec agacement tout en répliquant :
– Tu penses vraiment qu'ils sont tous les trois concernés ?
– Concernés il n'y a aucun doute, tous les trois... ça reste un mystère que je ne peux pas élucider à ta place...

J'eus brusquement envie de la contredire, mais je me retins : elle avait totalement raison, mais ça ne m'aidait pas plus que cela. Car j'étais déjà consciente que ces trois là étaient ceux dont je devais le plus me méfier.

J'avais juste espéré que Ellie aurait une autre logique, une logique plus intelligente qui aurait disculpé mes trois plus proches amis de toute accusation et qui aurait au contraire souligné à quel point Chloé par contre pouvait être complice.

Malheureusement il n'existait aucune logique comme celle-ci et la seule qui dominait était celle que je connaissais, celle qui m'obligeait à m'isoler de tous ceux que j'aimais le plus ici...

La conversation reprit ensuite mais le cœur n'y était plus, j'avais besoin de cogiter sur tout ça, seule. Je finis par remarquer l'heure et compris qu'il ne me restait plus que trois minutes avant le couvre feu et je saluai rapidement ma meilleure amie avant de me déconnecter, d'éteindre l'ordinateur et de ranger les écouteurs là où je les avais trouvés.

Je repartis ensuite en sens inverse et arrivée à l'entrée du CDI, je dis poliment au revoir à la documentaliste qui m'adressa un sourire gentil. Je soufflai un grand coup puis poussai la porte, retournant dans ce réfrigérateur géant qui nous servait de cour.

Au pas de course, je traversai celle-ci, tentant par tous les moyens de ne pas regarder la forêt qui maintenant s'élevait de façon menaçante devant moi. Je ne voyais presque plus rien et le vent qui s'échappait des arbres ressemblait étrangement à une respiration... une respiration humaine.

Un frisson me parcouru l'échine et j'accélérai, essayant d'ignorer la peur qui commençait à prendre place à la racine même de mon âme. J'allai bientôt atteindre l'escalier principal quand j'entendis des pas.

Le doute n'était plus permis : quelqu'un me suivait, j'en avais la certitude. Et je ne sais pas ce qui me prit à ce moment car, au lieu de fuir le danger comme à mon habitude, je décidai de lui faire fasse et rebroussai chemin pour m'approcher de celui qui voulait apparemment m'effrayer.

J'en avais raz le bol d'avoir peur, raz le bol de toujours me terrer quelque part. Un jour où l'autre il allait bien falloir que je les affronte, et aujourd'hui semblait approprié. Les pas s'arrêtèrent alors que je m'approchai.

Puis d'un coup il reprirent leur chemin mais dans l'autre sens : il s'enfuirent en courant. Ni une ni deux, je sautais sur l'occasion et les suivis.
– Attendez ! Qui êtes-vous ? Pourquoi me suivez vous ? M'écriai-je en comprenant que la distance qui me séparait de l'individu était trop large pour que je puisse le rattraper.

Aucune réponse ne me parvint. J'accélérai alors le rythme, me lançant dans un sprint déchaîné. Je ne pouvais pas le laisser m'échapper, j'avais besoin de réponse, besoin aussi de leur faire comprendre à tous qu'ils ne me faisaient pas peur et qu'ils pouvaient aller se faire foutre avec leur foutues tentatives pour m'impressionner.

Et alors que j'étais à mon maximum, que je courais à ma plus grande vitesse et que je pensais enfin pouvoir le rattraper, je me pris un énorme mur dans la tête. Le choc fut si violent que le mur tomba et que je m'écroulai dessus, pantelante.

– Putain mais ça fait mal ? Qui est assez con pour courir comme ça en pleine nuit ? S'énerva alors le mur sous moi ce qui me fit sursauter.
Oh que je connaissais bien cette voix...
– Jeff ?
– Avri ?

Je ne sais pas très bien pourquoi, mais j'explosai de rire. Moi qui l'avais cherché toute le soirée, je le retrouvai lorsque je ne le cherchais plus.

Vous êtes vraiment des chieurs tous les deux.
Après les âmes sœurs, on a les âmes chieuses !

Et je ris de plus belle, Jeff m'accompagnant dans cet accès d'hilarité. Je ne sais pas très bien combien de temps cela dura, mais finalement, on se calma et je posai la tête sur son torse, pensive à tout, sauf à l'étrangeté de la situation : on était au beau milieu de la nuit, près d'une forêt flippante, allongés l'un sur l'autre alors que le couvre feu était passé et le pire c'était que, bien qu'entièrement conscients de toutes ces choses, ni lui ni moi ne bougions.

Pire que cela, quand enfin l'un de nous deux finit par remuer, ce fut Jeff, pour m'attraper le visage et le monter jusqu'au sien, que je ne distinguais pas dans l'obscurité.
– T'as vraiment le chic pour te trouver là où on ne t'attend pas, dit-il avec amusement.

Puis, avant que je ne puisse répliquer, il pressa passionnément ses lèvres sur les miennes.

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Et sur cette jolie petite fin de chapitre, je vous souhaite à tous un joyeux Halloween ! Amusez-vous bien !
Baci, Ellecey

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