Chapitre 62

Je restai immobile, les poings serrés, le regard dans le vague, les lèvres closes et le nez froncé, me laissant porter par mon étonnement.

Tout me semblait retourné, déformé, tordu, le monde n'était pas dans le bon sens, ses bords ne cessaient de tanguer depuis quelques temps et aujourd'hui ils avaient carrément renversé le navire, j'avais la tête sous l'eau et je vivais dans un autre univers, un univers opposé à celui que l'on m'avait présenté pendant ma jeunesse, un univers ébranlé et délavé.

Je n'étais plus la même à présent, j'avais changé de sang, changé de caractère, changé d'environnement... même mes instincts s'étaient modifiés. J'étais tellement différente de la petite parisienne qui avait quitté la France !

À cet instant où mes pieds avaient pour la toute dernière fois franchi le seuil de ma maison j'avais, sans le savoir, abandonné ma naïveté et mon enfance. J'avais abandonné celle que j'étais.

Où était passée Avril Taylor ? Qu'était-elle devenue ?

Tout était étrange, les pointes étaient des ronds, les cœurs étaient des croix, les chats étaient des chiens, le ciel était rouge et surtout... Ma prof de sport était la mère qui m'avait abandonnée à la naissance !

J'avais l'impression qu'on avait versé sur ma vie un venin maléfique qui l'avait contaminée jusqu'à la racine pour en faire ressortir un résidu flasque et honteux, que personne n'aurait voulu détenir.

Tout me paraissait maintenant illogique : mon existence même n'avait aucun sens. Qui était mon père ? Qui était ma mère ? Qui étais-je ?

Comment pouvais-je me connaître si je ne connaissais pas ceux qui m'avaient aidée à forger mon caractère ? J'étais totalement paumée et déprimée. Je n'avais personne à qui parler, parce qu'ici aucune putain de personne n'était digne de confiance !

Parler à Jeff, Kelly ou Sky revenait à me mettre en danger, parler à mon père équivalait à parler au plus grand menteur du pays et parler à ma toute nouvelle mère c'était tout simplement parler à un agent de la CIA surentraîné et dépourvu de sentiments profonds !

J'étais vraiment toute seule, je vivais des trucs pas mal traumatisants et ma seule façon de pouvoir les extérioriser c'était en les écrivant au coin d'un cahier de brouillon pour tenter de me débarrasser de toutes mes angoisses et mes peines.

Seulement ça ne suffisait pas. Malgré ce que je voulais croire, je n'étais pas assez forte, pas assez courageuse, j'avais besoin d'un soutient, aussi minime qu'il soit !

Besoin que quelqu'un puisse écouter mon histoire, me croire et me donner son avis sur la situation et la manière dont je devrais réagir. Qui pouvait m'aider ?

Ellie, tu te souviens d'elle tête de nœud ? Ellie ta meilleure amie, dont tu ne pouvais pas te séparer jusqu'à il y a quelques mois !

Bon sang ! Comment avais-je pu l'oublier ? Pourquoi ne cessais-je de l'oublier ? Ellie formait mon tout, la deuxième partie de mon cerveau, celle qui me connaissait mieux que je ne me connaissais moi-même ! Si quelqu'un pouvait m'écouter, me croire et me conseiller, c'était bien elle !

Toute fière de mon illumination, je me levai d'un coup... pour retomber deux secondes plus tard en gémissant.
– Putain de blessure de merde !

Le Jeans qu'on m'avait confié avait viré au rouge écarlate et collait ma peau à l'endroit même où je sentais le sang pulser et la peau brûler.

J'avais tellement mal ! Comme si mon sang s'était transformé en eau de mer et que le sel s'incrustait dans ma peau. Je ne m'étais jamais fait planter par un couteau auparavant mais je pouvais confirmer que c'était atrocement douloureux !

Avec précaution cette fois, je pris le temps de m'appuyer sur la jambe intacte, de me redresser à l'aide de mes mains tout en empêchant tout contact entre le pied de ma jambe blessée et le sol.

Quand je fus debout et équilibrée, je posai très délicatement la pointe de ma chaussure sur le linoléum, puis le talon, m'appuyant finalement sur les deux pieds. J'eus d'abord envie de rechuter pour couper ce flux lancinant qui traversait mon corps depuis la base de mon mollet jusqu'à mon cœur, mais je me forçai à ne pas écouter mes envies et me concentrai sur mes objectifs : aller à l'infirmerie, me faire recoudre, prendre des béquilles, aller dans ma chambre, prendre mon portable et ENFIN appeler Ellie. Ce que je fis.

Les couloirs étaient malheureusement bondés puisque l'heure du dîner venait de terminer et que celle de couvre-feu allait bientôt sonner.

Tout le monde s'activait pour regagner les étages du dessus et me frayer un passage dans cette marée humaine vaste et oppressante était terriblement désagréable, surtout avec l'état de ma jambe.

J'essayai tant bien que mal de me faufiler entre tous ces adolescents excités et réussissait presque à en sortir indemne quand :
– Avri !

Le premier pas qui m'avait permis de me sortir de tout ce tintamarre fut effacé et je replongeai tête baissée dans la cohue, mon bras violemment tiré par une main inconnue.

Seulement cette main n'était pas tellement inconnue que cela pour moi, car il n'y avait qu'une seule personne dans ce pensionnat qui était capable d'agir de la sorte, sans se soucier de personne, tout en criant mon prénom haut et fort : Sky.

Je me retrouvai donc en plein dans la mêlée, face à Sky qui me regardait avec des yeux écarquillés :
– Avri ! Je suis restée à ton chevet toute la première journée et le début de la deuxième mais Madame Cralhem a obligé un de nous trois à s'en aller pour prendre les cours et ni Kelly, ni Jeff n'aurait accepté alors... bah c'est moi qui m'y suis collée quoi. Mais je voulais retourner voir comment tu allais ce soir ! Apparemment tu es réveillée ! S'écria-t-elle d'une traite.

Putain mais comment elle fait pour ne pas avoir besoin de reprendre son souffle une seule fois ?

Je hochai la tête en réponse silencieuse puis la questionnai sur un sujet qui me dérangeait :
– Kelly et Jeff ne sont pas venus te voir pour te le dire ?

La jolie blonde fit la moue tout en réfléchissant puis me regarda de nouveau tout en secouant la tête en signe de négation :
– Non, mais peut être qu'ils ne m'ont pas trouvée, tu t'es réveillée il y a longtemps ?

Oui, je m'étais réveillée l'après-midi mais il était vrai que mes deux amis étaient restés avec moi le plus longtemps possible et cela devait seulement faire une heure que nous nous étions quittés donc il était très probable que l'hypothèse de Sky soit véridique, pourtant une petite voix intérieure ne cessait d'affirmer que ce n'était pas normal.

Et si ce n'était pas normal, alors cela voulait dire que soit Sky était une EMM et que c'était elle qui m'avait suivie, les autres ne pouvant ainsi pas la trouver, soit Kelly et Jeff étaient les EMM et ils m'avaient espionnée, ne prévenant donc pas mon autre colocataire.

Je penchais tout de même plus pour la première option : Sky n'était pas présente à mon réveil, les autres si.

– Euh, Avri, tu peux me répondre ?
La voix de celle-ci me ramena dans le moment présent et je me rappelai soudain ce qu'elle m'avait demandé :
– Oui, je me suis réveillée en début d'après-midi mais ils sont restés avec moi jusque dans la soirée donc je pense que tu as raison : ils n'ont pas dû avoir le temps de venir te parler.

Elle acquiesça puis me présenta un sourire resplendissant, ou plutôt, un sourire Colgate.
– En tout cas je suis super contente que ça aille mieux ! Je savais que tu étais maladroite mais quand même ! De là à faire une telle chute dans les escaliers!

Hein ?

Ah oui ! Mme Cralhem... euh non, pardon, ma MÈRE me l'avait dit : j'étais censée avoir fait une mauvaise chute. Je ris mal à l'aise tout en me frottant la nuque pour dissiper cette culpabilité de lui mentir à tout va.

J'avais vraiment envie de me sortir d'ici et ma blessure commençait à ronger le haut de ma jambe – tout du moins j'en avais étrangement l'impression. Il fallait que je réussisse à clore le sujet avec Sky, je n'avais pas le temps de rester ici, j'avais une petite urgence médicale pour le moment.

Alors que j'allais lui expliquer la situation, une chevelure flamboyante fit son apparition. Génial, miss cheveux-rouges se joignait à la fête !

– Oh mon Dieu Avril ! J'ai appris ce qui s'était passé ! J'espère que ça va !
Son ton semblait sincère et je la lorgnai avec suspicion, pour quand était prévue la pique ?

– C'est Jeff qui est passé tout me raconter, il était vraiment inquiet, heureusement que je suis toujours là pour le rassurer... à ma façon.

La voilà !
Pauvre garce !

Je lui rendis son sourire plus faux encore que la poitrine de Nicki Minaj et répondis sur le même ton :
– C'est vrai, heureusement que tu es là, je ne sais pas où il pourrait aller d'autre quand je ne suis pas là, il a bien besoin d'un bouche trou !

Les sourires s'effacèrent alors pour présenter de chacun des côtés des yeux noirs et des mâchoires contractées.
– Oh tu sais, je me demande bien qui de nous deux est le bouche trou sachant que c'est toi qui est arrivée en deuxième, et que c'est avec moi qu'il va le plus loin...

Je ne savais pas si elle bluffait mais dans le cas contraire, cela voulait dire que Jeff m'avait utilisée comme toutes les autres filles, et ce n'était pas ce qu'il y avait de plus agréable à entendre.
– En fait miss tomate sur pattes, je me demande pourquoi tu es en train de t'en vanter : entre toi et moi, à ton avis qui respecte-t-il le plus ? Celle qu'il se tape ou celle qu'il protège ?

S'ensuivit un très court silence pendant lequel la couleur de cheveux de Chloé se répandit sur tout son visage. Apparemment je l'avais mis très en colère, et le pire dans toute cette histoire, c'est que j'adorais ça !

– Tu n'es rien d'autre qu'une petite vierge qu'il faut dépuceler pour lui, une fois qu'il aura eu ce qu'il voulait, il te jettera comme il l'a fait avec toute les autres. Mais moi, je serais toujours à ses côtés, parce qu'il m'aime et qu'il ne peut pas se passer de moi.

La gifle partit toute seule, non vraiment, je le jure ! Ma main claqua contre sa joue et sa tête valdingua dans le côté opposé sous les regards ébahis de Sky et des autres élèves.

Comme si j'avais besoin de toute cette attention maintenant que j'avais tué un professeur ! Ce geste était une grosse erreur, et je m'en rendis compte au moment où les yeux de miss cheveux-rouges s'enflammèrent et qu'elle me sauta dessus.

Je tombai durement sur le sol, ma colonne vertébrale semblant exploser sous le choc. Les mains de Chloé s'agrippèrent à mes cheveux et les tirèrent dans tous les sens, heureusement que je ne craignais pas !

Je tentai vainement de calmer l'hystérique plaquée sur mon ventre mais ne trouvant aucun succès face à cette technique pacifique je fus contrainte d'employer les grands moyens : nous étions par terre, je n'avais donc pas besoin de me poser sur la jambe qui me faisait tant souffrir et je pouvais donc me battre sans difficultés...

J'envoyai ainsi mon poing dans le ventre de Chloé ce qui lui coupa la respiration et lui fit relâcher sa prise sur ma longue chevelure. J'en profitai pour passer ma jambe intacte devant son torse puis me redressai de façon à retourner la situation : à présent j'étais sur elle et elle était au sol, j'étais en position de force. Je levai alors le bras, nouant mes doigts et m'apprêtai à frapper quand une main tira violemment sur mon épaule.

Quelqu'un me prit par la taille et je fus collée contre un torse dur et musculeux. Chloé glissa sous mon corps et se retrouva elle aussi immobilisée, mais par Sky.

Ce qui me fit remarquer que Blondy cachait bien son jeu : malgré ses airs de starlette, elle était assez musclée pour maintenir une Chloé complètement hystérique, ce qui prouvait bien qu'elle représentait un suspect potentiel !

La tomate sur patte gesticulait comme un asticot tout en me lançant toute une flopée d'insultes et, maintenant que la colère commençait à retomber, je ne pus m'empêcher d'exploser de rire, ce qui amplifia l'énergie de la petite rousse qui se mit à bouger de plus belle sous mon regard hilare.

– Avri, je ne sais pas ce qui te prend mais c'est du n'importe quoi ! Me gronda alors la voix de celui qui me retenait.
Je tournai lentement le visage pour me retrouver confrontée au regard glacé de Zac, qui paraissait vraiment très en colère.

Merde.

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Coucou tout le monde !
Je suis vraiment désolée d'avoir mis autant de temps, mais disons que mes profs ont eu la super idée de mettre tous les contrôles en même temps et que je n'avais plus une minute pour écrire...
J'espère que vous ne m'en voulez pas trop...
En tout cas si vous avez aimé ce chapitre n'hésitez surtout pas à commenter et à aimer et si vous trouvez que je prends trop de temps plaignez-vous, je m'excuserais personnellement auprès de chacun d'entre vous !

Baci, Ellecey

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