Je retrouvai Sky et Kelly en passant, elles attendaient toutes les deux devant mon casier, semblant déterminées à me parler.

Je savais pourquoi elles voulaient discuter : elles espéraient comprendre la raison pour laquelle je leur avais mentit par rapport à ce que j'avais fait hier, elles cherchaient à trouver une justification qui expliquerai le fait que je n'avais pas mentionné l'agression passée... Nous arpentions en silence le couloir pour aller au réfectoire, chacune postée de par et d'autre de moi, tel des gardes du corps. Je sentais qu'elles attendaient que je prenne la parole. Aussi, j'inspirais profondément puis me lançais :
– Vous voulez savoir pourquoi je ne vous ai pas dit ce qu'il s'est passé hier, c'est ça les filles ?

Mes deux amies me lancèrent des regards posés, semblant signifier : « tu voulais que ce soit quoi d'autre ? ». Je hochais la tête puis m'éclaircissais la voix, rassemblant les idées éparpillées au fond de mon crâne afin de construire un mensonge réaliste – encore.
– Ce qu'il s'est passé dans la forêt m'a fait très peur et du coup j'ai préféré ne rien dire. Parce que tout vous raconter aurait signifié que ça s'était réellement produit et je n'étais pas encore prête à l'assumer...

Il y eut de nouveau un silence, comme presque à chaque fois que je trompais les gens, puis elles se mirent à parler en même temps, se confondant en excuses et posèrent des mains sur mon dos pour me réconforter. Après que leur besoin de me montrer qu'elles me soutenaient soit passé, Sky se décida à prendre la parole, ce qui ne m'étonna pas du tout en vue du personnage :
– Avri... Il y a autre chose que nous aimerions savoir...

Le ton peu à l'aise de sa voix commença à m'inquiéter, qu'allait-elle me demander ? Je serrais les poings dans mes poches et dessinais un sourire assuré sur mes lèvres, malgré le malaise qui me tiraillait l'esprit en ce moment même.
– Que voulez-vous que je vous explique les filles ?

Ma réplique dégoulinait de fausses notes, j'avais l'impression d'avoir chanté une mélodie dissonante qui jurait entièrement avec celle que j'étais censée entonner. Ce que je venais de déclarer me cassait les tympans, j'en avais tellement marre de devoir feindre à tout bout de champ ! J'avais mentit une fois et depuis je ne pouvais plus m'arrêter. La dissimulation et l'escroquerie semblaient s'être accrochées à moi. Je n'arrivais plus à m'en débarrasser, toutes deux m'étouffaient dans leur monde d'artifice à l'opposé de la réalité.
– Pourquoi as-tu demandé à Zac de te couvrir ? Et qu'est-ce que Jeff vient faire dans l'histoire ?

Vraiment, si elles m'avaient proposé de choisir entre répondre à leurs questions et avoir une seconde pour éteindre une bombe atomique de nature extra-terrestre, j'aurais opté pour la deuxième option, au moins je n'aurais à donner d'explications à personne puisque la seconde suivante, je serais morte.
– Eh bien, après avoir été poursuivie, Jeff m'a vue et...

J'AVAIS BESOIN DE TROUVER L'INSPIRATION, MAINTENANT !

Avant que je ne puisse reprendre, Kelly s'exclama :
– Oh non, je sais pourquoi tu nous as mentit !
Je la dévisageais choquée, mais que croyait-elle que j'avais fait ?
– Hum, c'est à dire ? Tu peux développer ? L'encourageai-je, espérant trouver une bonne excuse grâce à sa déduction ;
– Tu ne voulais pas qu'on sache que tu as fait quelque chose avec Jeff ! S'écria-t-elle.

J'eus l'impression que tout l'internat et même tout le Texas avait entendu sa phrase. Je plaquais mes mains sur sa bouche et scrutais les alentours, priant pour que personne n'ait surpris cette conversation privée.
– Je conclus de ta gêne que j'ai raison, marmonna la brunette, sous mes doigts.
Comme je ne réagis pas, elle se mit à lécher ma paume et je me reculais violemment, laissant échapper un petit bruit dégouté.
– Bah quoi ? Tu ne voulais pas me lâcher, je me suis débrouillée comme j'ai pu !

Je la fusillais du regard mais elle ne releva pas cette attaque. Alors qu'elle allait reprendre la discussion là où elle s'était arrêtée, nous constatâmes soudain que Sky ne parlait pas – ce qui n'était pas normal du tout – nous nous tournâmes dans un même mouvement pour découvrir la jolie blonde appuyée à un casier, un peu plus loin, me fixant avec des yeux ahuris. Je m'apprêtais à parler toutefois elle ne m'en laissa pas l'occasion :
– Tu... Tu as fait des... trucs avec Jeff ?

Je l'observais intensément, tout à coup effrayée par le tournant que prenait cet échange : si je récapitulais la situation actuelle dans ma tête, Sky était la meilleure amie de Chloé, Chloé était la plus grosse p*tasse que le monde est jamais créé, elle aimait Jeff, que j'avais embrassé... Et en plus, je ne pouvais hélas pas préciser que c'était juste un baiser sinon mes deux colocataires ne comprendraient pas pourquoi je ne le leur avais pas dit. En gros, si Blondy réagissait mal, j'étais dans une très, mais alors TRÈS grosse m*rde... Je faisais dans ma tête un petit tableau avec la colonne inconvénients et la colonne avantages de si je lui disais que j'avais « fait des trucs avec Jeff » et concluais rapidement – peut être un peu trop d'ailleurs – qu'il valait mieux confirmer ses soupçons.
– Oui, oui j'ai... fait des trucs avec lui.

La phrase avait un goût de vomis. Mon amie demeura bouche bée. Elle me lorgnait comme si je venais de lui dire que j'étais en faite une licorne descendue du royaume des bisounours et que je cherchais à éradiquer les chamallow de la Terre puisqu'ils nous appartenaient. Alors que j'étais sur le point d'aller chercher une pelle pour m'enterrer toute seule, Kelly vint à mon secours :
– P*tain Sky, tu vas pas rester la bouche ouverte toute la journée !

La personne concernée eut pour réflexe de clore ses lèvres dans un claquement de dents. Je venais de foncer tête baissée dans la tempête des crises de jalousies de Chloé. Au moment où je commençais à considérer le suicide comme une porte de secours, la blondinette se racla la gorge :
– Je n'aurais jamais imaginé que toi et...
Sans plus attendre je la coupais :
– Il n'y a strictement rien entre nous deux ! Hier j'étais traumatisée à cause de ce qui s'était passé et j'ai agis bêtement ! Mais je ne ressens rien pour lui ! Et je ne voulais pas vous en parler parce que cela ne signifiait vraiment rien pour moi et que du coup je pensais que ça ne servait pas que je vous en parle !

Mes deux amies me regardèrent avec la même expression que je n'arrivais pas à déchiffrer. Elles se firent ensuite face, s'échangeant un dialogue silencieux dont je ne pouvais pas faire partie... J'étais dans l'obligation de les regarder discuter de mes actes sans pouvoir comprendre et de cette façon, je n'avais pas la possibilité d'argumenter. Je croisais les doigts, espérant que Kelly me défendrait. Après une longue minutes – où j'avais pu être témoin de visages affectant toutes les expressions possibles et inimaginables – mes colocataires finirent par me faire face.
– Je pense que Chloé n'a pas besoin de savoir ce détail, mais la prochaine fois qu'il se passe quelque chose dans le genre, tu es obligée de nous en parler d'accord ? Récita Sky.

Je hochais la tête, sans pouvoir me débarrasser du souvenir encore frais de moi et Jeff, nous embrassant une nouvelle fois dans sa chambre...
– Avri, tu n'as pas entièrement répondu à notre question de tout à l'heure, me rappela Kelly.

Je la dévisageais, haussant les sourcils pour lui montrer que je ne voyais pas du tout où elle voulait en venir. Elle leva les yeux au ciel avant de m'expliquer :
– Pourquoi tu as demandé à Zac de te couvrir ?
– Mais comment vous... commençai-je, étonnée qu'elles soient également au courant de cette histoire ;
– Zac est mon meilleur ami, déclara la jolie brune.
Je m'étouffais devant cette révélation.

QUOI ?

Comment se faisait-il que je reste avec Kelly non stop depuis deux semaines et que je ne sois tout de même pas au courant ?
– Bon, ce détail n'est pas important, en revanche, la question que je t'ai posée juste avant l'est beaucoup ! Reprit mon amie.
Je soupirai, cependant je n'étais pas entièrement désespérée : j'avais une idée... Affectant un air mal à l'aise, je racontai :
– Ce matin, vous savez que je me suis faite convoquer.
Je lançais un coup d'oeil entendu à la brunette, qui avait été témoin de la scène – vu que nous étions dans la même classe en première heure. Celle-ci acquiesça et de ses mains, elle fit un geste pour m'enjoindre à continuer :
– On m'a posé des questions sur ce qu'il s'était passé et pourquoi je n'étais pas directement allée voir les professeurs.

Sachant qu'à ce moment là, j'étais dans la chambre de Jeff... J'ai paniqué et je me suis mise à dire n'importe quoi. Je leur ai expliqué que Zac m'avait trouvée et qu'il avait perçu la voix de mon agresseur. Sauf qu'en sortant de la salle, je les ai entendus envoyer quelqu'un pour l'amener ici.
– C'est pour ça que tu cherchais Zac tout à l'heure ! Tu voulais lui demander de te couvrir ! S'exclama Sky, me coupant dans mon élan par la même occasion ;
– Oui, c'est ça, confirmai-je. Je l'ai trouvé à temps et j'ai pu lui demander de faire ce que dont j'avais besoin...
– Et tu lui ne lui as pas encore donné d'explication ! Compléta Kelly ;
– Non.

Mes deux amies me regardèrent intriguée, la blondinette se décida à déclarer ce qui les étonnaient toutes les deux :
– Et qu'est-ce que tu vas lui raconter ?
Je n'eus pas à réfléchir, je savais que cette fois je n'avais pas besoin de déguiser la situation, ma seule nécessité à présent, c'était de me confier. Je répliquais donc sur un ton sincère, puisque pour une fois je l'étais entièrement :
– Je n'en ai aucune idée... Le problème c'est que je ne veux surtout pas qu'on sache que j'ai fait... une bêtise avec Jeff.
Je leur lançais un regard désolé et déplorable, de façon à intensifier leur compassion.
– Est-ce que vous pourriez m'aider ? Finis-je par leur demander.

Le temps sembla se figer un moment, je me retrouvais confrontée à des figures pensives. Elles paraissaient être en très grande réflexion et cette réaction me mit du baume au cœur : cela prouvait qu'elles tenaient toutes les deux à moi et qu'elles cherchaient réellement à m'aider. Ça me rappela Ellie, ma meilleure amie, qui était toujours présente lorsque j'avais besoin d'elle et inversement... Ellie... Je ne lui avais parlé qu'une fois depuis mon départ : quand j'étais arrivée au pensionnat. Ensuite j'avais complètement oublié d'aller voir mes mails puisque pour se faire, il fallait aller sur les ordinateurs qui se trouvaient à la bibliothèque, dans un bâtiment près de la forêt qui me faisait un petit peu peur. Et je n'avais pas pu l'appeler puisque mon forfait téléphonique était déjà saturé – après les deux ou trois appels passés à mon père pour le rassurer quant à mon intégration dans l'établissement. D'ailleurs, après ce qu'il s'était passée hier, il allait falloir que je l'appelle pour ne pas qu'il l'apprenne de la directrice qui je pense, était obligée de signaler ce genre d'accident aux parents.

Je me promettais donc de passer à la bibliothèque au moins une fois par jour et d'appeler mon père ce soir.
– Tu sais quoi ? S'écria soudain Sky, me ramenant à la réalité, dans le présent.
Je secouais la tête puis l'incitais à développer.
– On va lui dire que tu étais avec moi et que tu m'as trouvée parce que j'étais en train de sécher les cours – ce qui est vrai, je suis arrivée en retard alors j'ai décidé de ne pas y aller. Et comme c'est ma dixième absence injustifiée, si tu me dénonçais, j'allais passer en conseil de discipline. Ce qui est vrai aussi.
Je sautais de joie et la remerciais de son idée de génie, tout en la serrant dans mes bras de reconnaissance. Elle rit face à ma réaction disproportionnée, tandis qu'à côté, Kelly nous observait avec un sourire amusé. Alors que je me séparais de mon amie, je vis le regard de la belle brune descendre sur mes épaules et ses sourcils se froncèrent.
– Qu'est-ce qu'il y a ? l'interrogeai-je inquiète ;
– Ce n'est pas le gilet de Jeff que tu portes ?
Je me crispais entièrement et rougissais de sa remarque totalement véridique.
– Si, c'est son sweat, il ma l'a prêté ce matin, j'ai eu... un petit problème avec ton pull Sky... marmonnai-je ;
– Que s'est-il passé ? Demanda cette dernière ne laissant transparaître aucune hystérie – contrairement à ce que je pensais ;
– En courant pour aller chercher Zac, je me suis accrochée un clou qui sortait de la rampe des escaliers... Heureusement que Jeff est passé à ce moment sinon j'aurais dû me balader dans ça.
Joignant le geste à la parole, j'entrouvrais le vêtement afin de révéler le t-shirt Mickey. Les deux jeunes filles éclatèrent de rire et je baissais la tête pour cacher ma honte, tout en bataillant avec la fermeture pour refermer le gilet le plus vite possible.
– C'est pas ton haut de pyjama ça ? Questionna Kelly au bord des larmes ;
– Si, grommelai-je ;
– Mais qu'est-ce qui t'es passé par la tête en t'habillant ? Continua blondy, ayant du mal à parler tellement elle riait fort ;
– Je me suis rendue compte dans la salle de bain que ton pull grattait et j'ai eu la flemme d'aller prendre un t-shirt dans l'armoire, grognai-je en guise de réponse.
Leurs rires redoublèrent et je ne pouvais hélas pas leur en vouloir : il était vrai que dit à voix haute, mon comportement paraissait encore plus ridicule qu'il ne l'était en réalité.
– Bon, c'est bon, vous avez fini ? M'impatientai-je ;
– Oui, oui... répondirent-elles en chœur, le souffle saccadé.

Je reprenais mon chemin, n'attendant pas qu'elles se calment. Au bout d'une minutes, elles me rejoignirent, les yeux encore brillants par leur amusement puis nous nous dirigeâmes enfin vers le réfectoire pour aller manger.