Chapitre 2
Nous arrivâmes à l'aéroport international Austin-Bergtrom très tôt le lendemain. Il était 6:00, heure locale et donc midi à Paris. La nuit de faux mouvements, créateurs de torticolis que je venais de passer m'avait achevée et je marchais dans l'aéroport comme un zombie en pleine famine. On alla chercher les bagages, bien que je n'en ai qu'un lointain souvenir puis mon père héla un taxi.
Quel ne fut pas mon désespoir en apprenant que le trajet jusqu'à Schooltime durait deux heures ! Celui-ci s'écoula dans une lenteur abominable : j'étais plus fatiguée que je ne l'avais jamais été dans ma vie et pourtant incapable de dormir à cause de l'appréhension... Je n'avais pas d'autre choix que d'observer le paysage qui, depuis près d'une heure, se bornait à une autoroute.
J'eus littéralement le temps de me plaindre 500 fois, de m'indigner 3 000 fois et d'assassiner mentalement mon père 6 487 fois. Malheureusement, cela ne changea strictement rien à la situation et finalement, la voiture pris un virage pour sortir vers une route cabossée nous amenant près d'une forêt verdoyante qui me rappela les photos que j'avais étudiées toute la nuit.
À partir de là, tout s'accéléra : les bois, denses et même effrayants, défilèrent pour laisser place à un petit sentier qui nous emmenait tout droit au cœur de cette nature obscure. Les feuilles des arbres cachèrent le soleil et nous plongèrent dans l'ombre, apportant un mauvais présage à l'arrivée qui suivait. Un panneau, qui paraissait tomber en ruine, indiquait "Schooltime" et quand on le dépassa, mon souffle se coupa. Tout à coup, j'aurais voulu faire demi-tour et recommencer encore trois fois, allers-retours compris, l'interminable trajet que nous venions d'effectuer. Malheureusement, c'était impossible.
Le chemin cahotant s'ouvrit soudain sur l'immense cour en graviers blancs que je connaissais déjà sans l'avoir jamais vue. Et face à nous, surplombant le reste du paysage, s'élevait Schooltime, un bâtiment gigantesque, dont la blancheur semblait irréelle, lui donnant des allures de château de conte de fées. Bon sang, l'architecte de ce bâtiment devait être un vrai mégalo ! Oui, c'est la première pensée qui me vint à l'esprit, très vite suivie par l'émerveillement puis, enfin, par l'angoisse, en apercevant tous les regards des étudiants converger sur moi.
Nous étions début février et j'avais fêté mes dix-sept ans quelques jours auparavant. Autrement dit, j'étais nouvelle, étrangère, et j'arrivais en plein milieu de l'année. Quoi de mieux pour se sentir mal à l'aise ? Je me trouvais au fin fond du cauchemar de tout lycéen introverti, et même si je n'étais pas d'une timidité maladive, mon assurance semblait avoir pris des vacances en cet instant. Peut-être avait-elle décidé de rester en France qui sait ?
Alors que le chauffeur coupait le moteur, mon cœur loupa un battement et ma tête se mit à tourner. J'allais devoir franchir le seul rempart qui me protégeait du regard des autres, seul bouclier contre leur jugement. Mes mains devinrent toutes moites tandis que je me tournai paniquée vers mon père :
- Papa, c'était marrant la blague, mais là ça va trop loin, on peut rentrer maintenant... Soufflai-je, un rire nerveux s'échappant de mes lèvres ;
- Calme toi Avri, tout se passera bien. Ne t'inquiète pas...
- Facile à dire ! Toi t'es vieux, tu connais pas ce genre de situations ! marmonnai-je.
Puis agacée, j'oubliai quelques secondes ma peur et poussai machinalement la porte, histoire de m'éloigner de lui. Cependant, lorsque je me retrouvai face à une douzaine de paires d'yeux, me scrutant comme si j'étais une nouvelle espèce animale et qu'il fallait se décider si oui, ou non, on voulait me garder en vie, mes émotions réapparurent en force et m'assaillirent d'un poids si imposant que mes jambes flageolèrent.
- Euh... Salut ? lançai-je à la cantonade, ne sachant pas quoi faire d'autre.
J'eus pour seule réponse un silence embarrassant qui me fit envier – chose que je n'aurais jamais cru possible – Callirhoé, enterrée vivante dans le mythe grec. J'allais rebrousser chemin, la main déjà posée sur la poignée quand une voix retentit au milieu de la bulle mutique dont j'étais, semble-t-il, à l'origine :
– M. Taylor ! Le voyage s'est bien passé ?
Et je vis, en haut des escaliers majestueux de l'entrée principale du bâtiment, s'avancer une femme d'une quarantaine d'années. Elle était grande et fine, des jambes interminables, une taille marquée, mise en valeur par un tailleur parfaitement coupé, un cou fin et gracile, un menton affirmé, des pommettes saillantes, un petit nez retroussé et des yeux en amande dont la couleur, d'un vert profond, s'accordait parfaitement à celle, menthe, de son habit. Pour finir, ses cheveux étaient rassemblés en un chignon fouillis calculé, laissant s'échapper quelques mèches ondulées qui encadraient son visage juste comme il fallait. J'avais l'impression de contempler une reine sortant de son château.
À côté d'elle, je devais avoir l'air d'une vraie souillon : je portais de vieilles baskets si usées que mes semelles se décollaient, un vieux jean troué involontairement et un vieux sweat gris, tâché pendant le voyage. Oui, tous mes habits étaient vieux. De plus, mes cheveux, mi-longs, étaient sales et – bon, je sais que je ne pouvais pas changer ça, mais ça ne m'empêchait pas d'être jalouse – mes yeux étaient ternes face à elle, j'avais un tout petit peu de vert, tout autour... Je vous jure, on pouvait le voir au soleil ! Mais comparé à elle, c'était ridicule. Merci Alexandre Taylor de m'avoir filé tes foutus yeux marrons !
Arrivée à notre hauteur, la miss parfaite ordonna aux élèves d'aller en cours et ceux-ci l'écoutèrent sans discuter, me libérant de mon envie subite de finir quatre mètres sous terre. Elle s'approcha de moi lentement, m'observant avec une attention légèrement gênante. Puis elle ouvrit la bouche et, comme elle venait de s'exprimer dans un anglais impeccable, je m'attendis à grincer des dents face à un accent à couper au couteau. Pourtant, quand elle me salua, ce fut dans un français parfaitement maîtrisé qui me surprit.
- Et pour toi Avril, comment s'est déroulé le voyage ? Me demanda-t-elle.
Je me sentis soudain toute petite et répondis en bredouillant un pitoyable :
– Super cool.
Sérieux, j'avais perdu mon assurance ET mon intelligence ? Belle promesse pour mon avenir dans cette école !
La femme fit mine de ne pas remarquer mon malaise et se tourna vers mon père avec qui elle discuta pendant un quart d'heure de détails sur la façon dont se passerait ma "rentrée". J'en profitai pour récupérer les bagages que le chauffeur me tendit et attendis impatiemment, allumant l'écran de mon portable toutes les deux minutes pour vérifier l'heure.
Enfin, la femme se tourna vers moi et s'exclama :
- Avril, viens ! Nous allons entrer ! Mais d'abord, je me présente : je suis Mme C, ta directrice ! J'espère que tu vas te plaire ici ! Bienvenue à Schooltime !
Bienvenue en enfer oui !
Ses mots semblèrent flotter quelques secondes dans les airs avant de vraiment prendre sens dans mon esprit. S'ensuivit le choc : elle était directrice, ELLE ? Du haut de ses quarante ans, si ce n'est moins, et de ses airs de fashionista ? Alors c'était comme ça l'école en Amérique ? Ou juste cette école ? Parce que Schooltime devait bien avoir un truc spécial pour que mon père ait lutté si dur pour m'y envoyer ! Quoi que... Je doutais qu'il m'y ait inscrite simplement parce que la directrice était jolie... C'était un peu excessif... non ?
Enfin, l'usage de la parole me revint, ainsi que ma capacité de compréhension et j'avançai tout en marmonnant un : « Merci, c'est gentil » bien loin de venir du cœur. Elle haussa les épaules, comme pour dire « c'est normal » puis pivota gracieusement sur elle-même et se dirigea vers les escaliers qu'elle venait de descendre. Tout en gravissant les marches une à une, je me mis à rêver de ce que j'allais trouver derrière les portes de l'internat.
Honnêtement, qui ne se serait pas monté la tête face à un pensionnat digne d'être mis en scène dans un Disney ? Lorsqu'on arriva enfin en haut, et ce ne fut pas une mince affaire avec tous les sacs que je me trimballais, la directrice poussa la porte en chêne massif, qui glissa silencieusement sur le sol pour nous découvrir cet intérieur sur lequel j'avais eu le temps de me faire 45 films en moins de dix minutes. Et là...
Un simple établissement au sol en linoléum et aux murs blancs.
Grosse déception.
J'avais espéré me retrouver à Poudlard, vraiment. Mais ce n’était rien d’autre qu’une école. Pas de carrelage en damier, pas de grandes cheminées surplombées d'un portrait imposant me souhaitant la bienvenue et pas de bougies flottant dans les airs. Au lieu de ça, on pouvait admirer des murs recouverts de dessins d'enfants ou de fiches informant que « les examens de fin d'année pour les terminales seraient lundi 5 août à 10:00 au milieu de la pelouse » soit dans précisément six mois.
Ce papier fut d'abord une piqûre de rappel sur le temps que j'allais passer dans ce trou à rats et je ne pus retenir un soupir résigné, mais très vite, mon soupir fut remplacé par de la curiosité : des détails sur le mot attirèrent mon attention... Pourquoi organiser une session d'examen en AOÛT ? Et pourquoi donner un point de rendez-vous dehors ? Sur une PELOUSE ? Et puis, d'où la sortaient-ils cette pelouse ? Il n'y avait que du gravier ou de la terre ici, pas d'herbe !
Mme C, voyant que je m'intéressais beaucoup à l'affiche, me lança un regard étrange, puis déclara d'un ton impassible :
- Ne te soucie pas de ces examens. De toute façon tu es en première il me semble, n'est-ce pas ?
Je l'observai, muette, déboussolée par sa réaction : n'aurait-elle pas dû me renseigner plutôt que de passer le sujet sans l'expliquer ? Comprenant que la proviseur attendait une réponse, je marmonnai un vague :
- En effet...
- Donc tu n'as pas à t'en soucier ! Et puis d'après ce que j'ai compris nous n'aurons pas la chance de te garder l'année prochaine.
Je la dévisageai, interdite cette fois : était-ce un reproche que j'avais perçu dans sa voix ? Bon sang, il était clair que quelque chose clochait ici ! Oui bon, peut-être aussi que j'avais très envie de trouver toutes les raisons possibles pour dénigrer cet endroit et pouvoir le quitter rapidement, mais ce n'était qu'un détail...
On reprit la marche en silence, traversant un couloir parsemé de portes vert clair, certainement des salles de classe, et entre ces portes, une multitude de casiers bleus et gris s'étalaient sur les murs, occupant tout l'espace. À mon grand étonnement, aucun élève ne trainait dans les couloirs, nous étions seuls, enveloppés dans un silence de plomb.
Je ne sais pas pourquoi, mais c'est l'instant que choisit mon cerveau pour me projeter une scène de Scream dans la tête : le moment où Sydney Prescott était attaquée par le tueur dans les toilettes vides. Évidemment, je fis un lien entre mon souvenir et la situation actuelle.
Heureusement que tu n'es pas Sydney, parce que dans cette école, t'aurais eu le temps de te faire torturer, démembrer puis brûler sans que personne ne s'en soit rendu compte.
Rassurant...
Cela nous prit bien cinq minutes pour traverser la totalité du couloir. Et tout le long du trajet, je psychotai sur une possible agression par un tueur en série. Et un possible meurtre avec, pour rôle de la victime, Avril Taylor évidemment ! Sinon ça n'aurait pas été marrant...
Finalement, une porte rose bonbon apparut à notre droite – décidément, l'architecte était mégalomane ET aveugle : je ne voyais pas d'autre raison qui expliquerait qu'on ait utilisé autant de couleurs vives dans si peu d'espace. Mme C l'ouvrit et mon père et moi la dépassâmes, valises en mains. On monta les escaliers sur deux étages, avec de courtes pauses où je respirais si fort que je me demandai à un moment si je n'allais pas finir par cracher mes poumons. On arriva dans un corridor assez long, tapissé d'une moquette noire épaisse et constellé de portes, noires elles-aussi, où étaient inscrits les numéros de chambre sur des plaques en métal. Accrochées à ces plaques, pendaient des ardoises présentant les prénoms des élèves qui y dormaient, tracés à la craie.
Ok, j'avoue, même si je n'aimais pas cet internat – il craignait un max avec son côté école de slasher movie – je ne pus m'empêcher d'admirer le concept. Ça se rapprochait plus de l'intérieur du château féérique dont j'avais rêvé en arrivant. Nous parcourûmes une longue distance. D'abord impatiente de connaître la pièce où je vivrais, la fatigue de devoir porter mes sacs commença à se faire sentir et j'eus envie d'en rester là et de m'installer simplement au milieu du couloir.
Les numéros défilaient inlassablement sans jamais arriver à ma chambre... 57, 58, 59, 60... J'allai partager mon idée de dormir par terre quand ENFIN la marche s'interrompit. Numéro 73 : Kelly et Sky. Ma fatigue disparut en un clin d'œil, remplacée par la peur et... l'excitation. J'allais rencontrer celles qui partageraient ma chambre les six prochains mois. Mes amies potentielles quoi.
Je serrai la lanière de mon sac entre mes doigts, blessant ce pauvre bagage qui ne m'avait rien fait. Mme C toqua et on attendit que quelqu'un ouvre avec tant d'impatience qu'on aurait pu détruire la porte à mains nues pour entrer. Enfin pour moi en tout cas.
- Kelly est en cours à cette heure-là mais j'ai demandé à Sky de rester pour te présenter les lieux, m'expliqua la directrice, comme pour combler le silence pesant qui nous étouffait.
Je hochai distraitement la tête, toute mon attention focalisée sur la poignée, comme si mon simple regard allait la faire pivoter. Et, miracle, c'est ce qu'il finit par se produire, après quelques secondes : la poignée pivota et la porte s'ouvrit. Mon cœur battait à la chamade alors qu'une silhouette se dessinait dans l'encadrement.
Pitié, pas de tueuse en série !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top