Chapitre 15

Je relatai toute la conversation que je venais d'avoir avec mon père et je vis les visages perdre leurs couleurs, les lèvres se serrer et les yeux devenir vitreux. Tous prenaient conscience de la terrible erreur que j'avais commise en amenant Ellie sauf... Ellie elle-même :

- Et alors ? Vous m'apprenez à me battre et le tour est joué ! Lança-t-elle sur un ton guilleret ;

- Non... Ellie... Tu ne comprends pas... Commença Kelly d'une voix douce : Avri a suivi un super entraînement, avec un super agent et elle se serait fait tuer si elle n'avait pas été la fille de Madame C ou si sa tante n'avait pas été dans les parages. Ce n'est pas une question de puissance, c'est une question de contacts, contacts que tu n'as pas.

Il y eut un petit silence tandis que mon amie cogitait puis elle reprit :

- Eh bien on fait en sorte que je ne sois jamais seule !

Je fis mine de ne pas remarquer le discret regard réjoui qu'elle lançait sur Diego et répondis :

- Je pense aussi que ce sera la seule solution...

Après avoir pris encore quelques secondes de réflexion, je continuai :

- Le problème, c'est que je ne pourrais pas être celle qui t'accompagne, étant la grande cible numéro 2. Ce serait juste permettre à ces tarés de faire d'une pierre deux coups...

Les autres hochèrent la tête, mutiques, réfléchissant également aux solutions qui s'offraient à nous. Sky finit par briser l'instant de concentration pour dire ce que tout le monde avait eu le temps de constater :

- Avri devra éviter Ellie le plus possible, ou ne la voir qu'en groupe. Moi, je ne peux pas être une de ses protectrices, oui j'ai appris à me battre avec les cours mais je n'ai pas un bon niveau. Kelly, tu es toujours censée être une EMM et Diego un allié, Ellie devra toujours se trouver avec l'un de vous deux.

Ellie rosit de plaisir. Le problème, c'est que j'avais l'impression qu'elle ne prenait pas conscience de ce qui l'attendait. Nous mettions un petit plan tout pourri en place pour lui éviter une mort certaine, mais c'était loin d'être suffisant ! Que se passerait-il si Kelly ou Diego devait s'absenter, s'ils étaient maîtrisés ? Ellie serait une proie facile...

- Diego, tu dois l'entraîner. Il faut qu'elle puisse se défendre et le plus rapidement sera le mieux.

Diego acquiesça, les sourcils froncés.

- Ellie, tous les matins à 6 heures, je viendrais te chercher devant votre chambre et nous irons au gymnase, tous les soirs à 8 heures, tu me rejoindras avec Kelly et on continuera l'entrainement, déclara-t-il d'un ton sérieux.

Lui aussi devait se sentir fautif, après tout, il l'avait laissée venir tout autant que moi. Ellie hocha vigoureusement la tête et répéta à voix haute :

- 6 heures, Diego et 8 heures, Kelly.

C'est comme ça que la conversation prit fin et que chacun partit en cours : Ellie encadrée par mes colocataires à droite et moi et Diego à gauche. Après avoir traversé tout un couloir sans rien dire, Diego finit par parler :

- C'est pas ta faute.

Je ne dis rien et continuai de marcher. Le regard bas.

- Avri...

J'accélérai un peu. Malheureusement, mon prochain cours était plutôt loin et je savais qu'à un moment ou à un autre il faudrait que je réponde. Mais le plus tard serait le mieux.

- J'ai fait l'erreur aussi. Mais on va tout faire pour la protéger.

Ça avait l'air si simple dit comme ça. Si seulement. Mais je savais ce que c'était que d'être une menace dans cette école : drogue, trahison, mensonges, agressions... Tous les moyens étaient permis et nous étions sur leur champ de bataille. Ellie n'avait aucune idée de ce qui lui arrivait alors que moi je le savais très bien. J'avais été à sa place, j'avais été traumatisée, blessée, menacée...

Je connaissais cette situation et je n'avais pas été capable de me rendre compte juste une seconde qu'en l'amenant avec moi c'est à elle que je confiais ce rôle terrible. Mais quelle idiote !

- Avri ! Écoutes-moi !

Diego m'attrapa par les épaules pour m'arrêter et me forcer à le regarder. Je n'essayai pas de me dégager et me contentai de lui montrer mon visage désespéré. Pas besoin de parler. Je devais avoir une tête d'enterrement.

- Ce. N'est. Pas. De. Ta. Faute. Articula-t-il.

Je baissai de nouveau les yeux.

- Regardes-moi.

J'ignorai sa remarque. De sa main libre, il monta mon menton :

- L'erreur, on l'a faite ensemble et on va la résoudre ensemble. Ellie ne va pas mourir. Elle est courant de tout ce que tu as vécu, elle est intelligente et elle me paraît plutôt athlétique. On va l'entraîner, on va l'encadrer et dès qu'on trouvera la possibilité, on la renverra à Paris.

De nouveau, ses mots glissaient comme sur du beurre. Mais je ne pus cette fois m'empêcher de le contredire :

- Diego ! C'est facile ! C'est facile de raconter tout ça ! De dire que tout va bien aller et qu'elle ne risque rien ! Sauf que c'est des conneries ! Elle est en danger, à cause de nous ! Elle sait tout ! Tout ! Et elle est incapable de se défendre ! Pire ! Elle ne comprend même pas à quel point sa situation est risquée ! Tu penses qu'en deux séances elle saura se défendre ? C'est n'importe quoi ! Il m'a fallu un mois rien que pour pouvoir battre Chloé ! Chloé ! Elle qui n'est même pas une EMM ! On y arrivera jamais !

Je me dégageai de son emprise et me pris la tête dans les mains :

- C'est peut-être la dernière personne de ma vie d'avant Schooltime qu'il me reste et je l'ai envoyée tout droit à la morgue ! Tu te rends compte ! En un an j'ai perdu le peu que j'avais ! Une mère normale, ma tante, mon père et même Jeff ! Il me restait plus qu'elle et au lieu de la laisser en sécurité à Paris, j'ai pas pu m'empêcher de la faire venir ! Mais qu'est-ce qui m'a pris ! J'arrive même pas à comprendre.

- Eh oh !

Je n'écoutais plus rien d'autre que mes propres paroles et ne voyais plus que le mal, partout, que la mort, partout. Diego m'attrapa de nouveau, prenant mon visage en coupe :

- Laisses-moi gérer, fais-moi confiance. Je m'occupe de tout et toi tu gères tes problèmes parce que tu en as aussi. Tu n'as pas tué ta meilleure amie, je te signale qu'elle est en cours et qu'elle se porte très bien. Arrêtes de voir le monde en noir : vous ne vous retrouvez pas dans la même situation, to...

- Non c'est pire.

- Laisses-moi parler ! Toi, tu n'avais aucune idée de ce qu'était Schooltime, tu n'avais aucun allié et tu ne savais pas te battre. Tu étais même entourée par des personnes qui te droguaient ! Ellie est protégée, elle a des alliés, elle est au courant. Elle ne se fera pas droguer, elle sera entourée de personnes dont nous sommes sûrs de la loyauté et elle sera sûrement plus prudente que toi !

Peu à peu, je me détendis au son de ses paroles qui prenaient sens.

- Et puis, sans vouloir te vexer, t'as une curiosité maladive et un déficit en ce qui concerne l'instinct de survie, je pense que c'est propre à toi et qu'Ellie saura comment se garder à l'abris.

Cette remarque n'était pas forcément nécessaire mais il avait raison : j'étais du genre impulsif, à foncer tête baissée dans les pires situations et à prendre conscience après coup à quel point mes actes m'avaient mise en danger. Ellie n'était pas comme ça, si nous étions si proches, c'est parce qu'elle savait garder la tête froide quand j'explosais.

Je sentis tous les muscles de mon corps se détendre un à un tandis que j'acceptais enfin l'idée que ma meilleure amie n'était pas forcément condamnée.

- Souffles un grand coup et on repart, m'encouragea Diego.

Puis, cherchant sûrement à effacer les derniers doutes qu'il me restait, il renchérit :

- Et puis, tu as été formée par ta tante, moi je suis de la nouvelle école. Je pourrais m'avérer plus efficace qu'elle, tu crois p...

- Ça va, je vous dérange pas ?

Diego et moi eûmes un mouvement de recul, surpris par cette irruption impromptue et nous fîmes face à Jeff et Chloé, main dans la main. La blague. Je restai muette, à regarder leurs doigts entrelacés et c'est Diego qui répondit pour nous deux :

- Bah... si justement.

Je relevai la tête, étonnée par ses mots, mais il m'attrapa par l'épaule et serra discrètement mon bras, comme pour essayer de me passer un message. Je décidai de le laisser faire. Je n'étais de toute façon pas d'humeur à me re-disputer avec Chloé face à un Jeff aussi utile qu'une paire de Ski à la plage.

- Oh vraiment ?

Miracle, c'était les premiers mots que Jeff décrochait depuis qu'il avait retrouvé Cheveux Rouges. À croire qu'il était tellement amoureux qu'il en perdait la parole. Diego ne prit même pas la peine de répondre, se tourna vers moi en les ignorant royalement et me demanda :

- On y va ?

J'acquiesçai. Il me prit aussitôt la main et nous leur tournâmes le dos, mais la voix de Jeff retentit à nouveau :

- Vous faites quoi là ?

- Ça te regarde pas mon pote.

C'était la première fois que je voyais les deux cousins discuter et j'observais avec étonnement à quel point leurs échanges étaient tendus.

- Oh que si... reprit Jeff, dont la voix s'était subitement rapprochée.

À mon tour de réagir : je fis volte face et me retrouvai nez à nez avec lui. Je cachai ma surprise sous la colère :

- Oh que non ! Toi tu peux retourner dans les bras de ta copine, t'as pas voix au chapitre ! Je crois d'ailleurs que t'as pas de voix tout court d'habitude. Ouais c'est ça, habitues-toi à ce qu'elle parle à ta place, ça me permet de voir à quel point j'ai rien loupé en t'abandonnant ici.

Les traits de Jeff changèrent du tout au tout : d'une tension silencieuse, il devinrent rouges de colère. Il m'attrapa le poignet avec force et dit d'un ton calme qui laissait transparaître une rage effrayante :

- Tu penses que t'en as fini avec moi ? Tu penses que tu t'es débarrassée ? T'es loin du compte. Tu sais quoi ? J'ai le droit de prendre mon pied avec qui je veux et c'est pas avec toi que je veux le prendre. Mais je te laisserais pas foutre encore la merde partout où tu vas, donc oui, tout ce que tu fais me concerne.

Aïe.

Difficile de retenir les larmes de colère que je sentais naître sous mes paupières. Je serrai les poings tout en lui répondant :

- Non, non. T'as pas compris. Libre à toi de te taper une bimbo sans cervelle, ça fait sûrement du bien à ton ego...

J'entendis Chloé couiner mais Diego ne lui laissa pas le temps de répliquer, il compléta ma phrase d'un air entendu, tout en me prenant encore une fois la main :

- Maintenant si ça te gêne pas, elle va prendre la version améliorée.

Alors que nous leur tournions le dos, Jeff nous coupa dans notre élan :

- Je sais pas à quoi tu joues Diego, mais t'es en train de merder.

Je sentis les doigts de l'agent se serrer d'un coup :

- C'est toi qui merde, qu'est-ce que t'es en train de faire là ? Tu joues au con, je comprends pas ce qui t'arrive.

Il parlait d'une voix presque blessée, restant face au vide, les yeux perdus.

- Si t'étais resté avec moi, peut-être que t'aurais pu comprendre ? Lança Jeff avec le même ton.

D'accord, là ça se transformait carrément en embrouille de famille. Je décidai qu'il était temps pour moi de m'éclipser et me détachai discrètement de Diego. Je vis Chloé en faire de même, et si je ne l'avais pas autant détestée, j'aurais ri de notre situation à toutes les deux. Elle fit marche arrière, lentement. Je fis pareil. Nous allions bientôt disparaître chacune de notre côté, ni vu ni connu quand Jeff s'exclama :

- Pas si vite Avri.

Eh merde.

Je me retournai lentement pour faire face aux deux cousins dont l'attention était à présent entièrement focalisée sur moi. Cette lâche de Chloé ne demanda pas son reste et disparue quelques secondes plus tard.

- On a des choses à régler.

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