Chapitre 13
Les deux heures qui suivirent furent des plus longues de ma vie : Dean ne cessa de parler en menaces à peine voilées et en insultes déguisées pendant que Jeff ne m'accordait aucun regard et se concentrait sur Chloé.
Honnêtement ? J'étais tellement préoccupée par son attitude que c'est lui qui me fit le plus souffrir, et non pas Dean. Le petit EMM dut se rendre compte qu'il ne me faisait aucun effet parce qu'au milieu de la deuxième heure, il finit par se taire – et je pris plus d'un quart d'heure à le réaliser, c'est pour dire.
Non, parce que je n'en avais rien à faire qu'il me prenne pour une folle, qu'il me traite de « salope qui fout tout en l'air » ou encore de « grande malade qui aurait mérité que son avion se crash », c'était prévisible et presque cliché de sa part. De toute façon, sur certains points, j'étais même de son avis. Et puis il ne représentait pas de vrai danger au milieu de la classe. Vraiment pas. Alors que Jeff, il représentait un véritable danger pour ma santé mentale.
Il était là, à faire des mamours avec Chloé qui n'hésitait pas à me lancer des sourires victorieux. Géant. J'avais envie de la trucider. Et pendant ces deux heures interminables, je peux vous dire que les scénarios pour la torturer et lui infliger une mort lente et douloureuse dans ma tête s'étaient succédés. Mais au final, quand la sonnerie retentit, je n'avais rien fait et ils se levèrent tous deux et se dirigèrent vers la sortie sans demander leur reste. Je n'eus droit à rien d'autre de la part de Jeff qu'une froide ignorance.
Aïe.
Bon sang, mais c'était quoi son problème ? Comment pouvait-il m'embrasser, passer une heure à flirter avec moi puis se jeter dans les bras de ma pire ennemie ? Cela n'avait aucun sens ! Je rangeai lentement mes affaires, prise dans mes pensées, cherchant une raison qui justifierait les actes du latino sans jamais rien trouver.
Si bien que je ne me rendis compte que trop tard que la classe était vide et que le silence régnait. Un silence de plomb, preuve qu'il n'y avait plus personne dans un rayon plutôt large. C'était normal, tout le monde devait se rendre à la cantine pour la pause... Mal à l'aise – me rappelant surtout que chaque fois que je me retrouvais seule, ça finissait de la pire des manières – je me glissai entre les tables à la hâte et sortis de la salle au pas de course.
Plus vite je retrouverais la foule, plus vite je serais en sécurité. Je serrai mon sac contre ma poitrine en arrivant au premier rang et longeai le bureau du prof en courant presque.
Mais alors que je dépassais la porte, quelque chose s'accrocha à mon coude et me plaqua vivement contre un mur, si fort, que j'en perdis mon sac qui tomba bruyamment sur le sol.
- Mais qu'est-ce que...
- Enfin seuls, me souffla-t-il dans l'oreille.
Et ces simples mots suffirent à hérisser la totalité des poils de mon corps.
Merde.
- Dean ? T'es toujours là ? Demandai-je d'une voix faussement assurée ;
- Bien-sûr que je suis toujours là, j'attends ce moment depuis au moins six mois.
Je décidai de ne pas répondre et d'attendre, me redressant dans toute ma grandeur pour montrer que je n'avais pas peur. Malheureusement, même du haut de mon mètre 70, je ne lui arrivais pas au dessus du menton. Pour l'effet intimidant, c'était raté.
- Je t'ai manqué princesse ?
- Pas spécialement, marmonnai-je, pour lui comme pour moi.
À vrai dire, j'avais oublié le sujet " Dean " après avoir quitté l'internat. De toute façon, il ne m'avait pas embêtée depuis longtemps et je savais que ce n'était pas lui qui avait mis le feu au CDI. Aussi, il ne représentait pas la plus grande des menaces et mon cerveau l'avait comme occulté.
- Toi tu m'as manqué, souffla-t-il à mon oreille.
Sans pouvoir le contrôler, je me plaquai encore plus contre le mur, histoire d'échapper à ses lèvres... mais cela ne servit à rien.
Ok, donc j'étais bloquée, dans un couloir vide – parce que oui, tous les couloirs que j'empruntais étaient toujours étrangement vides si bien que je me faisais persécuter à chaque fois – fatiguée de mon voyage, affaiblie par la faim et face à un psychopathe. Bienvenue dans ma vie.
- Tu sais que... ta tête est mise à prix ici... continua-t-il dans mon cou.
Je luttai pour ne pas avoir de haut le cœur et tentai de penser stratégie : j'étais en position de faiblesse, je n'avais pas fait d'exercice physique depuis six mois, il était évident que Jeff ne viendrait pas à ma rescousse et je n'avais pas d'arme à portée de main. Je devais donc trouver un moyen de lui faire lâcher prise et fuir. Pas d'autre solution et pas de plan B.
- Je me doute... répondis-je, histoire de faire la conversation – et de gagner du temps surtout !
- Ce n'est donc pas très malin de rester seule dans une pièce vide... loin des...
Il s'éloigna un peu pour me jauger puis reprit :
- Des regards indiscrets.
- Si je me permets ça, c'est que j'ai suivi un entraînement particulier et que je peux tout simplement me le permettre, lançai-je.
Autant tenter un petit coup de bluff. Cela ne ferait de mal à personne.
- Vraiment ?
J'entendis le sourire dans sa voix sans avoir à le regarder. Apparemment, je mentais encore plus mal que ce que j'espérais.
- Tu t'es entraînée ? Entre tes allers retours au café du coin ? Où ça ? Devant la télé ?
Ses mots eurent l'effet d'une véritable douche froide. J'avais ma réponse : le soir où j'avais fuit dans la nuit, la veille de mon agression, quelqu'un me suivait bel et bien, et ce quelqu'un travaillait pour le compte de Schooltime.
- On voit que t'es bien renseigné... répliquai-je, essayant de masquer au mieux ma peur.
Alors qu'il allait me répondre, mon cerveau tournait à toute vitesse : si j'avais été suivie, c'était donc que Schooltime n'avait pas tiré de trait sur moi, et si j'avais failli être agressée, c'était qu'elle voulait ma peau, que ce soit ici ou ailleurs. Pourquoi mon père ne me l'avait pas dit ? Était-il au moins au courant ?
Et puis, s'ils voulaient tant me tuer... alors... alors je venais de foncer droit dans la gueule du loup ! Mes bras se couvrirent de chair de poule tandis que j'avançai dans mes conjectures : s'ils voulaient à tout prix me tuer, quoi de mieux que de me faire venir dans leur siège ? Au milieu des tueurs et des pièges et loin des agents ?
Quelle horreur ! Comment se faisait-il que Diego n'ait pas pensé à ça ? Pourquoi m'avait-il amenée alors que je courais un tel danger ? Était-il de leur côté ? Et s'il ne l'était pas, était-ce une mission secrète de la CIA ? Cherchaient-ils encore à m'utiliser comme pion ?
La gifle que je reçus en pleine figure et qui fit valser ma tête d'un côté à l'autre me ramena direct à la réalité. Je levai la main pour me défendre mais l'EMM me la retint.
- Ça t'apprendra à m'ignorer !
Je ne pris pas la peine de répondre et laissai la colère imprégner mon sang en silence.
- Maintenant écoutes-moi bien : j'ai le choix, soit je t'amènes vivante et ils peuvent t'interroger eux-même, soit je t'amène en plusieurs morceaux avec un enregistrement pour prouver que je t'ai interrogée.
Lentement, je vis sa main glisser entre nos deux corps pour aller chercher son téléphone dans sa poche. Il le monta, le déverrouilla sans me quitter des yeux et appuya sur le dictaphone avec un grand sourire :
- Moi je préfère la seconde option.
Pourquoi ça ne m'étonnait pas ?
Il était vraiment temps que je lui échappe, parce qu'interrogatoire, ça signifiait torture, et torture, ça signifiait douleur. Or, je n'avais certainement aucune réponse à ses questions (tout ce que je savais, c'était que ma tante était agent de la CIA, mais elle s'était très bien débrouillée pour se faire démasquer ; et puis personne n'aurait l'idée de me demander si Mme C était ma mère) : j'allais donc rester muette et il finirait par me tuer dans d'atroces souffrances.
Saleté de karma, je rêvais des différentes morts que je pourrais infliger à Chloé et finalement, l'heure suivante, c'était à moi qu'on infligeait la fameuse mort.
- Comment as-tu fait pour t'échapper ?
- Quoi ?
Je ne pus masquer ma surprise : n'avaient-ils pas vu Diego et Mme Cralhem me faire sortir en douce ? Pourtant, je me souvenais très bien des voitures qui nous avaient suivis et... et de Diego leur tirant dessus. Peut-être n'étaient-ils pas revenus vivants... Mais dans ce cas, qu'est-ce qui incriminait ma tante ? Son absence à l'infirmerie ? Mais Diego aussi était absent alors...
- Comment as-tu fait pour t'échapper ? Répéta Dean en hurlant, envoyant un coup à mon front pour le faire cogner durement contre le mur.
- Je...
Je ne savais pas ce que je pouvais me permettre de révéler et ce que je devais garder pour moi.
- Je...
Je devais trouver une porte de sortie, tout de suite !
- Avril ! Lança Dean sous le ton de la menace.
Je sentis sa main libre glisser entre nous pour chercher quelque chose dans son autre poche, puis une douleur s'éveilla soudain sur mon poignet. Un couteau. Il avait un couteau.
- Ta peau est si fragile... murmura-t-il en regardant la lame avec émerveillement, je n'ai même pas appuyé qu'elle rougit. Encore une toute petite pression et tu saigneras.
Je ne dis rien, retins de toute mes forces le cri qui montait dans ma gorge.
- Je ferais une entaille juste là, à ton artère. Et j'attendrais que tu parles. Si tu ne dis toujours rien, je m'occuperais de l'autre. Tu finiras par te vider de ton sang, et mourir.
Ne. Pas. Montrer. Tes. Faiblesses.
- Et tu vas faire comment pour avoir tes réponses si je meurs avant ? Demandai-je, gagnant le plus de temps possible, à la recherche d'une idée.
- T'inquiètes pas pour ça.
Et là, il appuya. La douleur brûlante me fit perdre l'équilibre pendant quelques secondes et je tombai mollement sur son épaule.
- C'est ça princesse, donne moi tout.
Si je n'avais pas été tellement concentrée sur la sensation du sang qui dégoulinait sur mon bras, je crois que j'aurais vomi suite à cette réplique. Après avoir repris mes esprits, je me plaquai de nouveau contre le mur pour m'éloigner de cet être répugnant le plus possible.
- Tu vas parler maintenant ?
- Je...
J'étais à court d'idée.
Bravo Avri, tu te ramènes comme une fleur à Schooltime, et dès ta première matinée, tu te fais coincer et sauvagement assassiner. Si c'est pas du talent.
J'aurais voulu pouvoir rire de mon sort, s'il n'avait pas été aussi lamentable. Voilà, voilà comment Avril Taylor finissait ses jours. Peut-être que j'aurais dû avoir peur. Mais tout ce que j'éprouvais c'était une horrible haine de moi-même : tout était de ma faute, j'étais trop bête, trop bête pour agir prudemment.
Je décidai de faire face à Dean et de ne lui offrir, sous aucun prétexte, la peur qu'il voulait que j'exprime. Je n'avais plus qu'à mourir la tête haute :
- Vas te faire foutre, connard.
Je lui crachai au visage.
- Alors là tu...
- Lâches-la Brewer, tout de suite.
Une voix s'éleva derrière nous, au fond du couloir. Puis on entendit le clic d'une arme chargée.
Si je n'avais pas bien pu discerner la voix, je ne connaissais qu'une personne ici adepte aux armes à feu :
- Diego...
Mon cœur se mit à battre à la chamade dans ma poitrine alors qu'enfin, quelqu'un venait m'aider. Alors qu'enfin je n'étais plus seule.
- Sí petite, c'est moi. J'aimerais bien qu'un de ces jours on échange les rôles.
Il réussit même à faire se dessiner un sourire sur mes lèvres, alors que j'étais en train de me vider de mon sang, face à un psychopathe... C'est qu'il était doué.
- Avec plaisir, répondis-je.
Ce moment de répis fut de courte durée... À peine eus-je prononcé ces paroles que Dean m'assena un coup de béquille qui me fit tomber. Il s'élança ensuite sur l'agent avec un cri de rage. Diego, surpris, ne put rattraper son revolver quand son adversaire l'envoya valser. Mais il ne perdit pas son sang froid et entama le corps à corps avec un visage serein et une facilité de déplacement déconcertante.
Ni une, ni deux, je me relevai, et courus vers eux, prête à l'aider. Pas question de recommencer comme en France. Je n'allais pas le laisser sauver la petite damoiselle en détresse que j'étais.
Alors même que Dean levait son couteau droit sur le visage de Diego, j'attrapai son bras et n'hésitai pas une seconde : le plantai dans son dos. Le coup n'était pas mortel : de nature peu souple, le bras de l'EMM ne put s'enfoncer que dans son épaule gauche. Néanmoins, il s'effondra automatiquement.
Il y eut un temps de silence, alors que Diego observait la scène pour comprendre ce qui venait de se passer. Il passe de moi au corps inerte de Dean, puis du corps inerte de Dean à moi. Enfin, un sourire en coin se dessina sur son visage :
- Eh bien, bravo petite, bon travail.
Il tendit la main et je tapai dedans tout en répétant, pour la millième fois :
- Ne m'appelle pas « petite ».
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