Chapitre 10
- Je...
J'étais actuellement en train de vivre un des moments les plus humiliants de ma vie : à rester muette, la bouche grande ouverte, face à ce couple qui semblait être au septième ciel et avoir oublié ma présence depuis mon départ. Mais comment avais-je pu être si naïve ? À croire que Jeff m'attendrait ? Il n'était pas de ce genre !
Deux options se présentaient à moi : soit je me mettais à crier comme une furie et je les séparais à coups de griffes, soit je faisais genre que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes – histoire de garder une certaine classe bien que je n'en avais presque plus aucune après ma superbe réaction.
Quoiqu'il en soit, je devais faire vite, parce qu'ils étaient encore trop occupés à se faire des mamours pour m'avoir reconnue, ils ne m'avaient pas adressé un seul regard. En fait, peut-être fallait-il profiter de cette chance pour battre en retraite ? Oui, c'était le plus sûr.
La cohue remplissant toujours les couloirs, je reculai de quelques pas pour disparaître dans la foule, ni vue ni connue. Malheureusement... Ce fut à mon tour d'être poussée et, comble du désespoir, je fus projetée en plein sur le couple, les percutant de plein fouet.
Putain de bordel de merde !
- Mierda, mais c'est quoi ton problème ?
Fin du monde dans cinq, quatre, trois, deux, un...
Contact visuel enclenché.
- Avri ?
Aussi bête que cela puisse paraître, le fait qu'il continue de m'appeler par mon surnom plutôt que mon prénom me consola. Mais j'enfouis cette sensation loin dans mon esprit parce qu'elle n'avait plus aucun sens à présent : il était plus qu'évident que Jeff sortait avec – qu'est-ce que ça faisait mal de le formuler – Chloé.
Et ce fameux Jeff me regardait comme s'il faisait face à un fantôme. Chloé leva la tête brusquement en l'entendant prononcer mon nom et quand ses yeux se posèrent sur moi, son visage se tordit en une grimace. C'est sûr qu'elle ne devait pas être très contente de me retrouver.
Mais finalement, c'était elle qui avait gagné, elle avait eu ce qu'elle voulait, et je ne doutais pas que dans quelques secondes, quand elle s'en serait rendue compte, elle se mettrait à parader devant moi, pour me ridiculiser encore un peu plus.
Mieux valait disparaître avant de fondre en larmes comme une idiote devant eux. Jeff ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose mais je reculai – faisant attention cette fois de ne pas me faire éjecter.
- Avri, qu'est-ce que tu fais ici ?
Je ne répondis pas, lui tournai le dos et plongeai au milieu du flot d'élèves pour ne pas avoir à lui répondre.
- Putain, AVRI RAMÈNES TON CUL ICI !
Bon sang, je rêvai où Jeff était en train de crier mon prénom dans les couloirs ? Est-ce qu'il avait perdu des neurones depuis qu'on s'était vu ? Parce que hurler Avril à Schooltime équivalait à crier « guêpe ! » à un repas de famille allergique : tout le monde s'arrêta d'un coup, cherchant d'où provenaient les cris.
Puis ils me virent.
Merde.
- Avril Taylor est revenue !
- Les mecs ! Avril, la folle, elle est là !
- Mais c'est vraiment elle ?
- Je croyais qu'elle avait été virée après avoir mis le feu au CDI ?
Ah ouais d'accord, maintenant j'étais considérée comme une psychopathe... Super...
Les gens se mirent à me parler, certain m'attrapèrent les bras, je ne savais plus où donner de la tête.
- Dis, c'est vrai que tu as créé une bombe avec ton déo ?
- Où t'étais pendant tout ce temps ?
- C'était comment ton séjour en prison, tarée ?
Oh non... Je commençai furieusement à manquer d'air, happée par tous ces gens aveuglés par leur curiosité malsaine. Je devais me sortir de là... Ils me couvraient tous. Je sentis mes jambes flageoler et je luttai pour ne pas tomber.
À vrai dire, j'étais encore moins à l'aise au milieu des foules depuis ce qui s'était passé quelques mois auparavant, avec Gabriel et sa bande d'abrutis. Alors que tout le monde m'appelait et me tirait dans tous les sens, je sentis un poids s'amasser sur ma poitrine et mon souffle se faire court.
PUTAIN AVRIL ! C'EST VRAIMENT PAS LE MOMENT DE FAIRE UNE CRISE DE PANIQUE !
Je savais que ma conscience avait raison. Mais, sérieux, si j'avais pu contrôler ce genre de choses, je n'aurais jamais eu ce problème ! Mon cœur accéléra tandis que je commençai à perdre l'équilibre, bringuebalée par la foule.
- Salut Avri chérie...
La température de mon corps chuta :
- D... Dean ?
Super, premier jour à Schooltime et j'allais m'effondrer dans les couloirs. Pas terrible pour paraître forte et indestructible...
- Mierda mais t'es vraiment pas douée ! Chuchota une voix dans mon oreille.
Soudain, deux bras s'accrochèrent à ma taille et par réflexe, je m'agrippai aux épaules de mon sauveur, trop mal en point pour réfléchir à la situation.
On me tira hors de la cohue et j'eus l'impression de revivre. Je pris trois grandes goulées d'air avant d'être tirée en arrière et emmenée dans des recoins plus éloignés de l'école.
Le rythme de marche était rapide et j'étais obligée de courir alors que je ne sentais même plus mes jambes. Aussi, quand je ne pus plus tenir, je résistai à la pression sur mon bras et pilai d'un coup, contraignant celui qui m'entraînait à s'arrêter.
- Stop ! J'en peux plus, en plus y a plus personne ici, ça sert plus à rien de courir ! M'exclamai-je entre deux inspirations.
Après quelques secondes, mon poignet fut de nouveau libre et je me pliai en deux, les bras appuyés sur les genoux, concentrée à reprendre mon souffle.
- Pourquoi tu m'as aidée, Jeff ? Finis-je par articuler sans pouvoir relever la tête.
C'est le silence qui me répondit.
- Je t'ai demandé quelque chose ! M'écriai-je, ayant à présent repris ma respiration.
Comme il ne disait toujours rien, je me redressai, redoutant qu'il se soit enfui pendant que je me reposais. Mais il était là, appuyé contre les casiers, à me scruter d'un air impénétrable. Je fis deux pas vers lui et m'arrêtai, tout près.
- Réponds.
Je cherchais à être menaçante mais il devait bien mesurer dix centimètres de plus que moi et le fait de lever les yeux pour le toiser rendait mon action beaucoup moins crédible. Cela ne m'empêcha pas de tenir mon regard et d'attendre : maintenant que j'avais commencé, je ne pouvais pas me rétracter, ç'aurait été encore plus honteux.
Il demeura silencieux, ses pupilles semblant percer les miennes, immobile. Seule preuve qu'il ne s'était pas transformé en statue : sa poitrine bougeait. Alors que j'allai reprendre la parole, il baissa la tête, approchant son visage tout près du mien, si près, que nos nez se frôlaient.
- Qu'est-ce que tu fais là toi ? Murmura-t-il ;
- Je suis revenue.
- Et pourquoi ça ?
- Parce que...
Parce que je voulais te retrouver, connard ! Mais toi tu ne m'as même pas attendue !
- Parce que je dois réparer ce qu'a causé ma mère.
- Vraiment ?
Il s'approcha encore un peu plus et cette fois, le bout de nos nez se toucha.
- O... Oui... bredouillai-je.
Et là, il m'attrapa par les épaules et m'embrassa.
Waouh !
C'était violent ! Il me pressa contre lui d'une main, tout en empoignant mes cheveux de l'autre. Et par réflexe, je répondis à son baiser, m'agrippant à son torse pour ne pas perdre l'équilibre. J'avais des étoiles dans les yeux, des papillons dans le ventre et toutes ces conneries ridicules qu'on trouvait dans les romans à l'eau de rose. J'avais dix mille fois toutes ces sensations.
Très vite, sa langue se fraya un chemin dans ma bouche alors qu'il nous tournait pour me coller aux casiers. Je me retrouvai pressée entre le métal et son torse musclé. J'enlaçai son cou avec force quand sa bouche se sépara de la mienne pour descendre sur mon menton, puis sur mon cou, y déposant une multitude de baisers.
Son genoux poussa mes jambes et par une petite pression, il me les fit écarter, puis les attrapa avec ses bras et vint les nouer autour de sa taille. Très vite, ses mains remontèrent, l'une dans ma nuque, l'autre sur ma joue. Il s'arrêta quelques secondes, pour m'observer. Nous étions tous les deux rouges et essoufflés, nos poitrines se soulevant à l'unisson.
Puis, après ce court temps de répit, il plongea de nouveau sur ma bouche et reprit son baiser là où il l'avait arrêté. Je laissai échapper un petit gémissement qui sembla faire redoubler son ardeur.
- Avri... Souffla-t-il entre deux baisers.
Sa main quitta ma nuque pour longer ma clavicule...
- Avri...
Ses doigts frôlèrent ma poitrine puis caressèrent mon ventre...
- Avril !
D'un coup, sa main se crispa, ses lèvres se détachèrent des miennes. Désorientée et essoufflée, je lui lançai un regard d'incompréhension. Sans prévenir, il abattit ses deux poings de chaque côté de mon visage. La violence du geste tordit le fer des casiers.
Et moi, je restai immobile, incapable de bouger – toujours pressée par son poids contre les casiers, si fort que je ne pouvais même pas délier les jambes de sa taille – ce qui était particulièrement gênant à présent.
- Qu'est-ce qui t'as pris ? S'exclama-t-il soudain, rompant le silence ;
- Quoi ? De partir ? Demandai-je, mal à l'aise ;
- Non, de revenir ! Pourquoi t'es là ! Sa voix augmenta de quelques octaves, il ne parlait plus, il criait.
Je pris sur moi pour ne pas être effrayée, je pris sur moi pour ne pas sentir la douleur que me procuraient ses mots. Et, au lieu de pleurer – comme j'en avais envie, je lui tins tête :
- Je le devais ! Pour ma tante ! Et pour tous les élèves de Schooltime !
- Les élèves de Schooltime ne t'ont rien demandé ! S'énerva-t-il.
De nouveau, une boule gonfla dans ma gorge. J'avais l'impression de me prendre des coups de poings en pleine figure. Comment, comment pouvait-il dire ça ? Avait-il oublié ce qu'il m'avait dit ce soir là, quand le CDI avait brûlé ? Avait-il oublié tout ça ?
Je ne comprenais plus rien, tout ce qui m'avait poussée à revenir, tout ce qui m'avait poussée à tenir était en train de m'exploser à la tête. Mais je ne devais pas montrer ma faiblesse, hors de question ! Je devais être forte !
Et puis, bon sang, je devais VRAIMENT changer de position parce que, comme ça, acculée contre lui, je n'avais aucune prestance ! Je gigotai, tentant de me libérer mais il resserra sa prise.
- Tu n'avais pas à revenir. Repris Jeff d'un ton menaçant ;
- Et toi tu n'as pas ton mot à dire ! Répliquai-je ;
- Oh si je l'ai !
- Oh non, pauvre crétin !
Nouveau coup dans les casiers qui me fit sursauter bien malgré moi.
- Rentres chez toi ! Murmura-t-il avec un air meurtrier ;
- Ta gueule ! Ton avis ne compte pas, je vois pas pourquoi tu devrais choisir ce que je fais à MA place !
- Parce que ! C'est comme ça ! Tu dois m'écouter !
- Ou quoi ? Tu vas taper dans des casiers et faire un caprice ? Non merci.
- Fais ce que je te dis Avri.
- Non, je vais ce que je veux.
La tristesse et la surprise avaient laissé la place à la colère, qui était bien plus facile à gérer. Avec toute ma force, je repoussai le torse de Jeff. Il ne recula que d'un pas mais cela me permit de libérer mes jambes qui retrouvèrent le sol. Je me redressai d'un coup et m'écartai de lui. Nous étions face à face maintenant. Et j'étais prête à m'enfuir. Mais je voulais d'abord lui clouer le bec.
- Je te préviens, princesse, si tu ne m'écoutes pas, je vais te ramener en France moi-même. Dit-il avec un sourire dépourvu de joie ;
- Vas plutôt coucher avec Chloé et laisse moi mener ma vie comme je l'entends ! Répliquai-je du tac au tac.
Quand il ouvrit la bouche, je sus qu'il allait prononcer quelque chose d'horrible, je le sentis, à son regard. Et, même si la colère était un excellent bouclier contre les bombes qu'il était en train de m'envoyer, je n'étais pas sûre qu'il résisterait à cette attaque. Aussi, je ne lui laissai pas le temps de parler :
- De toute façon je suis passée à autre chose, et j'ai pas vraiment envie de toucher un mec qui est passé sur la moitié des filles de l'école. Ça ira.
Je lui tournai le dos et m'avançai d'un pas décidé vers le bout du couloir, non loin de la porte où mes amis m'attendaient.
- Tu dis ça, mais ça te dérangeait pas y a deux minutes ! Cria-t-il dans mon dos.
Aïe.
- C'est parce que j'étais en train de m'imaginer avec ton cousin, abruti ! Répondis-je.
Puis je me mis à courir pour arriver à cette porte et fuir ce qu'il me dirait. Parce que je savais qu'il me blesserait et si c'était le cas, j'allais craquer. Heureusement, je ne l'entendis pas et sans hésiter, j'ouvris cette foutue porte pour découvrir...
personne...
Il n'y avait personne !
Rien !
Du vide !
Ellie et Diego n'étaient plus là.
…
…
- MERDE !
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