Chapitre 10

- Tu dois te demander pourquoi je t'ai convoquée ici, fini-t-elle par répliquer, coupant enfin le silence.
- Oui, répondis-je d'une petite voix.

Elle me dévisagea quelques instants avant de reprendre :
- Et bien c'est simple, je voulais savoir si tu t'intégrais dans ta nouvelle école.
Je la fixai avec des yeux ronds.

Elle m'expliqua rapidement qu'elle savait qu'arriver en milieu d'année était difficile et qu'elle voulait savoir si je n'avais pas trop été chamboulée. Je lui dis alors que tout allait bien et que mes colocataires étaient très sympathiques.

Le temps passait et je commençai sérieusement à me demander quand est-ce qu'elle me laisserait partir sans oser dire ça de vive voix. À chaque fois que je croyais qu'elle allait enfin me libérer, elle reposait une question. Au bout d'un moment, ma frustration était telle que je ne pus m'empêcher de lui demander si je pouvais m'en aller.
- Oh je suis désolée de t'avoir retenue si longtemps ! Je n'ai pas vu le temps passer ! Conclu-t-elle sérieusement gênée ;
- Ne vous inquiétez pas, lui répondis-je, mais maintenant il faudrait que je retourne en cours...
- Très bien, alors à plus tard Avri.
Je pris mon sac et m'en allai rapidement.

Une fois derrière sa porte j'expirai bruyamment comme si j'avais retenu mon souffle tout le long de notre entretient.

Sur le chemin vers ma classe de sciences, je n'arrêtais pas de me demander pourquoi elle avait voulu me parler. L'opinion de toutes les personnes que je connaissais sur elle était simple, claire, nette et précise : Mme C était une femme froide qu'on ne voyait jamais. Peu de gens avaient la chance de l'entendre parler pendant leur scolarité ici. Et plus je réfléchissais à la demi heure que j'avais passé quelques secondes plus tôt, plus j'étais étonnée. Pourquoi ? Pourquoi voulait-elle savoir si je m'intégrais, pourquoi voulait-elle savoir si je me sentais bien ? Pourquoi me poser toutes ces questions sur mon passé, sur ma vie ?

Quelque chose m'échappait et je n'arrivais pas à savoir quoi, ce qui m'énervait vraiment. Arrivée devant la classe je poussais un soupir exaspéré me souvenant que les deux heures de sciences que j'allai devoir affronter se déroulaient en présence de Jeff le beau gosse qui s'était placé à côté de moi sur la paillasse...

Pendant ces neuf derniers jours j'avais réussi à l'ignorer car rien ne me préoccupait et que je pouvais me concentrer pleinement sur cette tâche. Mais aujourd'hui je ne pourrais pas faire comme si je ne le voyais pas, j'étais trop intriguée par ma conversation avec la directrice. Je levais la main pour toquer et lorsque je tapais les trois coups je me rendis compte - très fâchée contre moi-même - que j'avais hâte d'assister au cours, j'avais hâte de pouvoir enfin lui parler...

La porte s'ouvrit et je m'excusais immédiatement auprès du professeur en lui montrant le mot que la proviseur m'avait confié. Je me tournai ensuite vers ma place et découvris - surprise - qu'il n'y avait personne sur cette table.

Je me plaçai, luttant de toutes mes forces pour ne pas le chercher du regard. Je m'asseyais, sortais mes affaires et attendais que le prof continue sa leçon pour commencer mon enquête. Dès que la voix de l'enseignant retentit, j'embrassai la salle du regard dans l'espoir de le trouver devant, seul car je n'étais pas là et qu'il ne pouvait pas rester au fond.

Je finis par le voir, devant effectivement, mais pas tout seul. La chevelure rouge de la fille qui se tenait à côté de lui me glissa des envies de meurtres dans la tête. Le jour où j'étais enfin prête à lui reparler c'était finalement lui qui s'était lassé ! J'avais envie de foncer à la cantine, prendre un poignée de couteaux et de revenir pour les enfoncer dans le ventre de Chloé.

P*tain de b*rdel de m*rde !

Les deux heures passèrent tellement lentement qu'à la fin je me demandai si je n'avais pas développé un super pouvoir qui me permettait de ralentir le temps. Cependant après avoir eu le temps de vivre une fin du monde, sa reconstruction et une deuxième apocalypse, la cloche sonna et je me levai en quatrième vitesse pour foncer dehors. Je ne me sentais pas capable de passer tout mon déjeuné à observer Jeff et Chloé en train de flirter ouvertement.

Devant la salle, Sky et Kelly m'attendaient et j'improvisai rapidement une excuse pour pouvoir sortir toute seule sans qu'elles n'éprouvent le besoin de m'accompagner. Je disais donc que la directrice m'avait demandé pendant notre rendez-vous de remplir certains formulaires attestant que j'avais bien intégré cette école, j'expliquai par la suite, emportée dans mon élan, que la doyenne m'avait convoquée car il y avait eu une erreur de dossier et que je n'étais pas inscrite officiellement dans cette établissement.

Le vocabulaire administratif que j'utilisais convainquit très vite mes deux amies et en peu de temps, j'étais dans le jardin du lycée. Sans réfléchir, je m'avançai vers la forêt, là où je m'étais perdue le premier jour. Je me rendis compte avec étonnement que je n'y étais jamais retournée et que je n'étais donc jamais allée sur cette pelouse que les terminales devaient rejoindre pour l'examen. Alors, prise d'une pulsion aventurière, je partais à la rechercher de ce mystérieux endroit.

Au bout de dix pas, je comprenais que je m'étais égarée. Je marchai de plus en plus lentement jusqu'à m'arrêter définitivement : je devais me rendre à l'évidence, je n'avais aucune idée d'où je me trouvais n'y d'où je devais aller... Malgré ce qui aurait été le plus logique, cette fois je n'éprouvais aucune crainte, juste une certaine excitation.

Je me remis à trottiner sur mon chemin inconnu, me demandant si j'allai me retrouver où si j'allais mourir là. Les arbres s'élevaient au dessus de ma tête et surplombaient le ciel avec une silhouette plus que menaçante et pourtant je n'avais pas peur, je me faisais penser au petit chaperon rouge, naïve et gentille qui traversait les bois de la même façon que moi.

Les feuilles mortes craquaient sous mes pas, créant une mélodie rythmée dans ce monde dépouillé. Je me mettais à fredonner une chanson et la buée sortie de ma bouche pour entourer mon visage d'une auréole vaporeuse. Les troncs ne m'étaient en rien familiers et je continuais de m'enfoncer dans cet univers dénué de couleurs.

Au bout d'encore cinq ou six minutes je déambulais dans l'espace dévoré par l'hiver avant d'entendre des voix. Celle d'un adulte, âgé, et celle d'une femme, plus jeune. Je me rapprochai discrètement, ne me rappelant plus si j'avais vraiment le droit de me trouver ici.

Après quelques mètres parcourus, je m'appuyais contre un arbre, derrière un gros buisson et écoutais. Je savais que ce n'était pas bien d'espionner, mais un de mes plus gros défauts était ma curiosité démesurée...
- On a enfin décidé qu'on allait s'affirmer ! Comment peux-tu dire ça ? S'écria la voix d'homme ;
- Je ne veux pas tout arrêter ! Je veux juste ralentir le processus !

Je me rendis compte à cette réplique que cette voix me disait quelque chose.
- Et pourquoi veux-tu attendre deux ans ? Tu étais prête il y a encore six mois ! Qu'est-ce qui a changé ? Continua le monsieur qui semblait de plus en plus énervé ;
- Rien... rien n'a changé, murmura la dame.
Seulement le ton effrayé qu'elle venait d'employer rendait son mensonge évident...

Mais pourquoi cette voix m'était si familière ? J'étais sûre de l'avoir déjà entendue hélas je n'arrivais plus à mettre de visage dessus...
- Nous savons tout les deux que tu ne dis pas la vérité, dis l'homme, maintenant si tu ne veux pas que je découvre tes raisons, il va falloir que tu acceptes de continuer l'opération. Les autres sont d'accord avec moi. On fait pression avec les enfants mais un jour ils vont trouver une solution ! Et là ce sera trop tard ! Tu comprends ça ?
Il hurlait à présent et cela me fit sursauter.

Les feuilles craquèrent sous mes pieds et ma proximité ne pus estomper le bruit révélant ma présence aux deux personnes. Mon pouls s'accéléra d'un coup. Je ne sais pas pourquoi mais j'avais comme l'impression que ces deux personnes n'étaient pas fréquentables et que je ne devais surtout pas leur dévoiler mon identité.

Avec une terreur sourde enracinée au plus profond de mon être, j'entendis des pas se rapprocher de l'endroit où je me tenais... Faisant en sorte de ne pas laisser place à la panique, j'essayai de réagir de manière diplomatique et pris le temps de réfléchir malgré les bruits qui indiquaient que l'individu était tout près.

Avril trouve une solution TOUT DE SUITE ! Tu dois te cacher, mais tu ne peux pas te déplacer parce que ça fait trop de bruit, trouve une solution, trouve une solution, trouve une solution...

Je finissais par m'accroupir, lentement, très lentement, prenant soin de ne pas faire sortir un seul son qui pourrait indiquer à mon ravisseur que j'existais bel et bien.

Je me retrouvais donc par terre, recroquevillée sur moi même. Les pas se rapprochèrent davantage et mon cœur battait à la chamade, il battait tellement fort que j'avais peur que l'être derrière les arbres l'entende et qu'il sache où je me réfugiais. Cependant après quelques minutes à attendre, j'entendis la voix de la femme, loin de moi, s'exclamer :
- Tu vois bien qu'il n'y a personne ! Arrête de t'inquiéter dès que tu entends le moindre bruit Guillaume ! On est dans une forêt ! Évidemment que nous ne pouvons pas être entièrement dans le silence ! Maintenant excuse moi mais j'ai d'autres choses à faire que de te parler. Je m'en vais, et j'espère bien que toi aussi.

Sur ce, je pus savoir qu'elle partait vu sa démarche sonore qui indiquait qu'elle ne se trouvait plus sur la pelouse mais dans les bois. J'écoutai attentivement les craquements, m'assurant de la distance qui nous séparait. D'après ce que je pouvais percevoir, elle était très éloignée de moi et j'en fus instantanément soulagée.
- Non je ne t'excuses pas S, marmonna l'homme tellement proche de moi que je manquai de faire une crise cardiaque.

Il ne fallait surtout pas réagir mais c'était très difficile - si ce n'était pas impossible - avec cette proximité. Il fallait que je sois immobile, un seul mouvement et j'étais morte. J'attendis donc que ce type s'en aille mais le silence qui m'entourait soulignait le fait qu'il ne bougeait pas. Curieuse, je tournai ma tête dans des angles étranges de façon à pouvoir l'observer à travers le feuillage.

J'aperçus un trou qui perçait le mur de végétation qui nous séparait et très vite je plaçais ma tête à côté, de manière à ce que je puisse y jeter un coup d'œil. Je me retrouvais donc face à des mains. Des mains qui attrapaient un téléphone portable.

Le monsieur tapa un numéro sur le clavier et porta son téléphone à son oreille - du moins c'est ce que je déduisais puisque je ne pouvais pas voir au dessus de ses coudes.
- Allô ? Oui, elle nous cache quelque chose, il n'y a aucuns doutes. On doit trouver quoi, pour lui faire pression sinon elle n'acceptera jamais de continuer la mission.

Plus il parlait et plus je me disais que je connaissais ce timbre... Lui aussi ne m'était pas étranger... Hélas le vent et la nature m'empêchaient d'entendre clairement les voix et donc de comprendre qui en étaient les auteurs...

Il répondit à son interlocuteur par l'affirmative et j'entendis le crépitement de feuilles mortes qui se brisaient attestant qu'il s'éloignait enfin. Ses pas se firent de plus en plus distant et à un moment je ne pus même plus les distinguer...

Ni une ni deux j'en profitais pour me lever et rebrousser chemin. Je commençais tout juste de marcher quand j'entendis l'homme crier :
- Attendez !

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