Chapitre 73 : Écrire
Août 2017, Turquie
Nous n'étions pas partis ensemble depuis la Grèce. Me retrouver avec Ken à l'autre bout de l'Europe était comme une sorte de rêve.
Jamais il n'avait été aussi attentionné avec moi, il s'appliquait à ce que tous les repas soient parfaitement réglés, m'emmenait courir, marcher pendant des heures dans la ville lorsque je sentais la crise monter.
Au début, je n'osais pas lui dire qu'elles venaient, j'essayais de me cacher, d'en faire sans qu'il s'en rende compte. Mais il me connaissait si bien à présent. Il pouvait presque lire sur mon visage que j'allais mal.
Ce qui était le plus compliqué pour moi, c'était d'accepter le changement de mon corps. Accepter que mes bras s'épaississent, que mon ventre soit moins creux, mes côtes moins saillantes. Si je vivais mal ces métamorphoses, Ken en revanche en était ravi. Il savait qu'il ne devait surtout pas me faire de réflexion, mais je voyais dans son regard satisfait lorsqu'il observait mon corps dénudé que ma récente prise de poids le comblait d'aise.
La balance avait été proscrite de mon environnement, je n'avais pas le droit de me peser. Mais un jour, en arrivant dans un hôtel à Bursa je fus surprise d'en trouver une.
Ken explosa lorsqu'en entrant dans la salle de bain, il me surpris en train de fixer les chiffres inscrits sur l'écran.
— Tu te fous de ma gueule ?
Je relevai brusquement la tête vers lui. La culpabilité fit rougir mes joues. Je descendis aussi sec de la balance.
Le rappeur s'en saisit, se précipita dans la chambre à grandes enjambées et la jeta par la fenêtre.
Un bruit fracassant annonça qu'elle s'était explosé sur le goudron de la rue.
— Ken putain mais t'es malade ! Quelqu'un aurait pu se la prendre sur la tête !
— J'm'en bats les couilles. Tu sais très bien que tu dois pas te peser.
J'avais envie de rire de son air excédé, le fait qu'il ait lancé la balance par la fenêtre m'amusait beaucoup.
— Ma parole ça te fait golri ?
J'éclatais de rire devant sa mine ahurie, je ne pouvais plus m'arrêter.
— T'as... t'as balancé... la balance... hoquetai-je.
Ses prunelles s'éclairèrent finalement de me voir rire de la situation. Les chiffres qui m'avaient tant perturbée quelques minutes plus tôt s'évaporaient dans mon hilarité.
— Dans le clan on aime pas trop les balances.
Je le rejoignis bien vite pour passer mes bras autour de son cou.
— T'es une galère Beauté.
Je battis des cils en lui adressant un sourire charmeur.
— Mais tu m'aimes quand même hein? roucoulai-je
Il leva les yeux au ciel et posa simplement ses lèvres sur les miennes.
— Alors ? Combien tu pèses ? Qu'au moins ça serve à me rassurer.
Je déglutis avec peine, je n'avais pas repassé la barre des 50kg depuis qu'il était parti au Japon.
— 52.
Son regard s'éclaircit instantanément et un sourire victorieux naquit sur ses lèvres.
— Fort !
Il me serra puissamment dans ses bras. Peut-être que pour moi c'était difficile à admettre, mais le voir aussi heureux fit passer ma frustration. La guérison serait lente, compliquée, je connaîtrais des rechutes à coup sûr, mais je voulais m'en sortir.
Pour lui.
Sur les conseils du Docteur Rougier, je m'étais mise à écrire, c'était devenu indispensable à mes journées, passer une heure ou deux à noircir les pages de mon carnet. Comme je ne savais pas quoi écrire, j'avais décidé de raconter tout ce qui m'était arrivé depuis un an et demi, tous mes ressentis. C'était une façon de comprendre ce qui avait motivé ma dépression et ma maladie.
Me replonger dans tous ces événements déclenchait parfois des larmes, parfois des sourires amusés.
Je revoyais ces derniers mois défiler comme un film, Ken dans le métro, sur les quais, les collègues de Paul qui m'avaient rendue dingue. Je repensais à ma découverte de Feu, à nos discussions nocturnes interminables, à cette première fois où il m'avait embrassé sous cette porte cochère, au vide qui avait suivi jusqu'à la trahison de Paul.
Je me revoyais débarquer chez lui, Sneazz qui se payait ma tête, et là, cette nuit où nous avions fait l'amour.
La « colocation » restait pour moi un souvenir merveilleux où rire et affection se mêlaient sans cesse, tout comme durant les premiers mois de notre relation.
Je pouvais encore entre sa voix me chuchoter à l'oreille son premier « je t'aime » . Cette même nuit où il m'avait annoncé son départ.
La tristesse, le manque, la douleur de le voir partir, tout cela en revanche me semblait si loin. Je choisis de les écrire aussi, comme pour les sortir de mon cœur à tout jamais.
Je réalisais vite que le souvenir le plus douloureux était celui de cette rupture sur les quais. Mon cœur avait vraiment été broyé. Après l'avoir écrit, j'eus besoin d'un temps pour respirer, pour gérer cette tristesse qui m'avait emplie en revivant cette nuit de détresse.
Septembre 2017, France
Ken m'avait emmené en week-end surprise en Bretagne, nous étions partis sur un coup de tête. Je n'avais plus fait de crise depuis les vacances en Turquie, il voulait que nous nous retrouvions un peu tous les deux avant le rush des concerts de septembre. Nous étions allés nous recueillir sur la tombe de mon père et avions ensuite poussé jusqu'à la côte.
Je continuais d'écrire, tout le temps, c'était devenu mon occupation principale. J'avais finis ma rétrospective de l'année, je me concentrais désormais sur de nouvelles idées et avait entamé l'écriture d'un roman.
Ken me soutenait énormément, il adorait relire mes chapitres, changer mes tournures de phrases. Je devais parfois lui rappeler que ce n'était pas les textes de son futur album.
Je sentais peu à peu la tristesse me quitter, je démarrais une nouvelle vie. Par rapport à la nourriture, il me fallait un rythme extrêmement rigoureux mais tant que je m'y tenais, mon corps m'obéissait.
J'avais retrouvé à peu près la silhouette que j'avais avant de connaître Ken, cela avait été dur à accepter, mais d'un autre côté, je lisais dans son regard tellement de fierté et de joie lorsqu'il me détaillait...
— T'es tellement belle, me dit-il alors que nous nous promenions le long des falaises, je t'ai jamais vue aussi désirable.
Je rougis et il dégaina son portable.
— Tu vas me prendre en photo ? Là ? Mais c'est nul y a trop de vent !
Le jeune grec me sourit tendrement.
— On s'en fout, je veux garder un souvenir d'aujourd'hui.
Je levais les yeux au ciel et me prêtait au jeu. Au moment où il prit la photo, une énorme bourrasque plaqua les cheveux sur mon visage.
— Ah bah parfait, fis-je en admirant le cliché, on voit pas ma tête.
— C'est comme ça que t'es la plus belle Chérie, me répondit-il avec un sourire en coin.
Je le frappai pendant qu'il m'entraînait vers la plage. Nous restâmes de longues heures à discuter, à prévoir notre départ au Japon qui approchait. Parce que oui, cette fois, j'avais décidé de le suivre.
Sur le chemin du retour, je ne résistais pas à la tentation de le prendre en photo à mon tour.
— J'suis grave plus photogénique que toi en fait, fit-il en observant le cliché.
— Ça c'est parce que sur cette photo il fait presque nuit.
Il fronça les sourcils.
— T'insinues que quand il fait jour j'suis cheum ?
Ces mêmes jeux répétés à l'infini, ce même regard brûlant, ces mêmes sourires en coin qui m'avaient touchée en plein cœur dès le départ.
Je ne voulais plus que ça, toute ma vie. Sentir ses yeux posés sur moi, sa main pincer ma joue, qu'il m'appelle Beauté ou qu'il me traite de peste, qu'il me prenne dans ses bras, que nous passions des heures à nous chamailler, à discuter, à écrire, à marcher dans Paris ou dans une ville du bout du monde.
À demain pour l'épilogue ❤️
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