Chapitre 72 : Parents
Nous étions de nouveau tous les deux face au Docteur Rougier, il expliquait à Ken comment gérer mes nouvelles crises.
— Pour s'en sortir, Clémentine doit tout faire pour espacer les crises. Et cela passe par deux choses : la première c'est de ne plus se faire vomir, la deuxième c'est de manger régulièrement, à heures fixes.
Je soupirai, j'avais tellement peur de grossir si je ne me faisais pas vomir...
— Et pour guérir psychologiquement ? demanda Ken.
— On ne guérit jamais vraiment de ces troubles là, mais il faut apprendre à vivre avec et à les maîtriser pour ne plus se laisser dominer. Le sport aide beaucoup à condition qu'il soit pratiqué de façon régulière et surtout pas à outrance.
Le rappeur m'adressa un regard entendu, du genre « J'te l'avais dit ».
— Petite question Ken, que faites vous pour gérer vos tendances dépressives ?
— J'écris, je noircis du papier. J'évacue tout dans mes textes.
Le docteur hocha la tête, visiblement très satisfait par cette réponse.
— Vous avez déjà pensé à faire de même Clémentine ?
Je fronçai les sourcils.
— Moi ? Faire du rap ? C'est pas dans mes cordes ça Docteur !
— Mais non voyons, rit-il, pas du rap, vous êtes une littéraire Clémentine, vous ne travaillez plus et je pense que c'est un tort. Vous devriez expulser tout ça par écrit, racontez ce que vous voulez, votre vie, des histoires, des poèmes, vous gardez trop à l'intérieur.
Je n'y avais jamais pensé. Devant mon air interdit, le docteur reprit :
— Vous savez ce qu'on va faire ? Vous allez partir tranquillement en vacances, dans votre valise vous mettez un carnet et un stylo. Dès que vous en sentez le besoin vous écrivez, tout ce qui vous passe par la tête. À votre retour, vous pourrez choisir de me faire lire ou non. Mais écrivez.
Je hochai la tête, j'avais envie de tenter le coup, après tout je n'avais rien à perdre.
— Tu vas le faire ? me demanda Ken une fois que nous fûmes dans la rue.
— Oui, j'ai envie d'essayer.
Il mit son bras sur mes épaules et je me serrai contre lui. J'aimais tellement ces moments où nous nous retrouvions tous les deux dans Paris.
— Beauté, j'ai une question.
— Oui ?
— Je vais déjeuner avec mes vieux là, tu veux venir ?
J'étais vraiment surprise, il voyait toujours ses parents seuls ou avec sa sœur habituellement. C'était la première fois qu'il me proposait de se joindre à eux. Cela m'intimidait beaucoup.
— Tu es sûr ?
Il hocha vigoureusement la tête.
— Ouais, j'ai envie qu'ils te connaissent.
Devant mon air incertain, il me pinça la joue avec un regard amusé.
— On est pas obligés de leur dire que tu sors de chez le psy, t'inquiète pas !
C'était un pas énorme pour Ken, il séparait toujours sa famille et ses relations amoureuses. Alors pourquoi ne pas faire un pas à mon tour.
— Ok mais attends, j'appelle Sneazz je devais le voir à midi.
Mon ami décrocha à la première sonnerie.
— Ouais t'es où Mandarine ? j'suis chez toi t'y es pas.
Je souris en entendant sa voix, un jour il faudrait que je lui dise à quel point je l'aimais.
— Euh j'étais chez le psy Sneazzou... Et euh en fait... Ken me propose de déjeuner avec ses parents.
— Ah ouais donc toi t'es ce genre de reus qui laisse son kho en galère pour aller grailler avec les beaux parents ?
— Boude pas chaton... ce soir si tu veux on sort et je danse avec toi pour attirer les meufs.
Ken fronça les sourcils mais je l'ignorai.
— Genre grosse cuite à l'ancienne de la Team Sneazzy&Mandarine ?
— Oui.
— Ok, bon ben je squatte chez toi cet aprem, à ce soir sœur !
— Bisous chaton.
Ken écarquilla les yeux tandis que je raccrochais.
— Chaton ? Sérieusement ? T'es au courant que tu violes sa street cred !?
— Ça va il aime bien, il dit que ça le rend précieux. Me regarde pas comme ça Ken, c'est pour rire.
Il secoua la tête, visiblement offusqué.
— Putain mais tu nous transformes tous en fragiles là, ça devient inquiétant.
Je levai les yeux au ciel, j'étais pas prête d'appeler Mékra par un petit nom affectueux.
— Je sors avec Moh ce soir du coup.
— Ok, fit-il, fais pas trop la folle. Tu lui diras qu'il a ordre de te ramener chez oim avant 3h. J'ai envie de te faire l'amour et je me lève tôt demain.
Ken dans toute sa splendeur. Mes joues devaient être cramoisies car il éclata de rire.
Il m'entraîna vers Montparnasse où nous devions retrouver sa famille pour déjeuner.
Ils parurent surpris de voir Ken accompagné, évidemment, il n'avait pas prévenu.
Le rappeur me présenta simplement comme « Clémentine », ne donnant pas plus d'informations. Ses parents me posèrent quelques questions sur ma vie, avec beaucoup de politesse, je pus à peine m'exprimer tellement Ken répondait à ma place.
— Hé ! Le repris-je au bout d'un moment, On est pas dans une interview du $-Crew où tu peux monopoliser le micro !
Sa mère m'adressa un clin d'œil amusé.
— Il es bavard hein ? Sa sœur a dû se battre toute sa vie pour pouvoir en placer une. Heureusement qu'il a trouvé le rap, il peut raconter sa vie pendant des heures sans que personne le coupe.
Un sourire amusé naquit sur les lèvres du Fenek, et cette fois c'est moi qui en rajoutait une couche.
— Parfois, je lui pose une question simple, du genre « Quel est ton film préféré ? » il va me faire une dissertation de 30 minutes sur l'influence de La Haine sur le rap français. Pareil, on ne peut pas se balader quelque part à Paris sans qu'il me raconte toutes les bêtises qu'il a faites avec les gars à cet endroit.
Mais j'ai développé une technique pour faire semblant de trouver tout ce qu'il dit très intéressant.
La mère de Ken me prêta alors une attention toute particulière. Le rappeur me fixait avec un regard que je connaissais bien.
« T'es une sale peste et tu me rends ouf. » criaient ses prunelles.
— Je le fixe, comme ça, avec un regard plein d'admiration, et je hoche la tête l'air de dire « qu'est-ce que t'es brillant Kenny ». Je rajoute des petits « ah oui ? » « Ah dis donc ! » « Non ? Impossible t'as pas fait ça quand même ?! ». Comme ça je peux écouter distraitement tout en vacant à mes occupations.
Les parents de Ken éclatèrent de rire et l'intéressé passa son pouce le long de sa gorge pour me signifier que j'étais morte.
Le reste du repas se passa dans la bonne humeur, je pris sur moi pour manger correctement, sentant le regard perçant de mon copain qui vérifiait que mon assiette soit vidée.
Observer Ken avec ses parents m'en appris encore plus sur lui. L'admiration qu'il leur portait me saisit. Il y avait une sorte de pudeur affectueuse dans sa relation avec son père et une tendresse mêlée de respect dans celle qu'il entretenait avec sa mère.
Je me sentis un peu triste, me rendant compte que jamais lui, ne pourrait faire la connaissance de l'homme merveilleux qu'était mon père. J'espérais que ma mère finisse par accepter sa présence dans ma vie, elle ne semblait toujours pas prête à l'apprécier, lui reprochant de m'avoir rendue malade.
Sur le chemin du retour, Ken me questionna sur ce que j'avais pensé de ses parents.
— Ils sont géniaux, on sent qu'ils ont vécu des trucs pas faciles mais ils sont hyper humains.
Il me sourit en saisissant ma main.
— Je suis content que tu les aies vus. J'pense qu'ils t'ont kiffé, ma mère a dit « Faut que tu prennes soin d'elle Kenny. »
Je ris en l'entendant imiter la voix maternelle.
— Tu sais Beauté, j'finirai par séduire ta ronneda... C'est toi en plus vieille, elle devrait pas résister longtemps à mon charme de grec.
Pour une fois, je n'eus pas tellement envie de rire.
— Tu aurais peut-être séduit mon père alors, c'est à lui que je ressemble le plus dans le caractère. Je regrette tellement qu'il ne puisse pas te connaître... Tu sais la dernière fois que je l'ai vu, avant qu'il meure il m'a dit « J'ai besoin de partir en te sachant avec quelqu'un qui veillera sur tes nuits agitées. ». Je lui avais assuré que c'était le cas, même si à l'époque c'était un peu compliqué entre nous.
Ken me serra très fort contre lui.
— Je pense que maintenant il peut être en paix Chérie, parce que j'suis prêt à plus fermer l'œil de ma vie pour veiller sur toi.
Si une part de moi avait envie de hurler à la disquette, une autre se laissa bien trop vite liquéfier par ces mots tendres et si bien choisis.
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