Chapitre 6 : Déjeuner


— Clémentine vous êtes distraite ces derniers jours, concentrez vous ! me réprimanda ma patronne alors que je venais de faire tomber un manuscrit au milieu du couloir.

Elle lorgna ensuite ma bague de fiançailles.

—  C'est votre mariage qui vous occupe l'esprit à ce point ?

J'aurais aimé lui répondre par l'affirmative sans mentir.

— Je suis désolée Christine, je resterai plus tard si vous voulez.

L'éditrice en chef me toisa un instant et je vis son visage s'adoucir.

— Non, prenez votre après-midi, vous avez besoin d'une pause.

J'ouvris de grands yeux, surprise par sa soudaine gentillesse. Comme j'allais répliquer elle m'indiqua que sa décision était prise.
Je me retrouvais donc à être libre à midi et proposai à Anna de déjeuner avec moi dans une brasserie. Elle accepta aussitôt, sa vie d'étudiante lui permettant de disposer de son temps comme elle l'entendait.

Une demie heure plus tard, je discutais joyeusement avec ma meilleure amie devant un superbe burger. Ma patronne avait raison, j'avais vraiment besoin d'une pause. Après avoir évoqué rapidement les préparatifs du mariage, nous nous amusions à détailler les gens qui passaient dans la rue, cherchant à leur inventer une vie, une famille, une histoire. Ça faisait des années qu'Anna et moi pouvions passer des heures à ce jeu. On riait beaucoup, au point où les gens nous regardaient de travers.

Un peu plus tard, après avoir beaucoup discuté, je lui confiais que j'avais écouté l'album de Nekfeu et que j'avais beaucoup aimé.

— Oui j'aime bien aussi, mais je ne connais pas tout, me répondît elle.

— Finalement, c'est moi qui vais t'en apprendre sur lui, plaisantai-je.

— J'aime bien Égérie.

Je hochais la tête, ce n'était pas forcément l'une de celle qui m'avait le plus touchée mais je devais admettre qu'elle était parfaitement écrite et composée.

Quelques minutes après, alors que je demandais l'addition, le serveur revint avec un papier plié en quatre.

— Un Monsieur a réglé et a laissé ça pour vous.

Surprise, je dépliais la feuille et mon cœur fit un bond dans ma poitrine lorsque je reconnu l'écriture qui la recouvrait.

« Je serais curieux de savoir ce que tu as pensé de mon album.
Cette nuit, 2h, même banc.
Sois là si tu veux forcer le destin. »

Mon pouls battait dans mes tempes, il avait entendu notre conversation. Il était là, quelques minutes plus tôt et je ne l'avais pas vu. Comment le hasard pouvait-il nous réunir au même endroit encore une fois. Paris pourtant si grande, si peuplée ne cesserait de me surprendre.

J'avais l'impression de voir son visage en lisant ces mots, j'apercevais entre les lettres son sourire moqueur et ses yeux pétillants de malice.

— Tu peux m'expliquer le délire ?

Anna me fixait, incrédule. Je ne savais pas quoi dire, j'avais peur qu'elle me juge ou ne comprenne pas. Pourtant c'était ma meilleure amie et j'avais besoin de conseils, je me décidais donc à lui raconter notre discussion nocturne et ce qui venait de se passer.

— C'est complètement dingue comme histoire ! s'écria-t-elle une fois que j'eus fini.

J'acquiesçai. Moi même, en racontant l'histoire, j'avais du mal à y croire.

— Je fais quoi ?

— Bah tu meurs d'envie d'y aller non ?

Dire le contraire aurait été un mensonge, je répondis par l'affirmatif avec un sourire gêné.

— Et bien fonce, tu pourras plus faire ce genre de choses quand tu seras mariée. Et puis même, qu'est-ce que tu risques ? Il n'a pas l'air d'être un tueur en série. Dans tous les cas je suis au courant donc s'il faut j'appelle les flics.

Je levai les yeux au ciel, ce n'était pas ça qui m'inquiétait.

— Et Paul dans tout ça ? Je lui dis quoi ? Et Ken ? Il va se dire que je suis une fille légère si je viens retrouver un autre homme que mon fiancé au milieu de la nuit.

Ce fut au tour d'Anna de loucher en direction du plafond.

— Clem tu penses beaucoup trop. Prends ça comme une histoire amusante qui t'arrive et qui ne t'engage à rien. Sois plus curieuse que prévoyante.

Quelques heures plus tard, je tournais en rond dans l'appartement, n'ayant toujours pris aucune décision. Mon téléphone sonna alors que je répondais à un mail de la couturière que j'avais choisi pour ma robe de mariée.

— Oui ?

— Chérie c'est moi, j'ai emprunté le portable d'un collègue je suis en rade de batterie.

Je reconnu la voix de mon fiancé et mon cœur se serra, je n'aimais pas lui cacher des choses.

— Qu'y a-t-il ? demandai-je.

— J'aimerais inviter deux collègues dîner à l'appart ce soir. Tu peux te charger du repas, quelque chose d'un peu raffiné ?

Je soupirai, c'était assez récurrent comme demande.

— Oui, d'accord.

— Très bien, merci à ce soir. Je t'aime.

Il raccrocha sans écouter ma réponse. Je n'avais absolument aucune envie de me mettre au fourneaux. J'adorais faire la cuisine, j'étais assez douée pour ça, mais je ne supportais pas quand ça impliquait un stress. En gros, si j'étais obligée de le faire, c'était un combat pour m'y mettre. Je savais que Paul attendait de moi que je sois une femme accomplie, qui présente bien devant ses collègues et ses clients, mais parfois c'était au dessus de mes forces. La mort dans l'âme, je cherchais une recette dans le carnet que je m'étais constituée au fil des années.

Quelques heures plus tard, alors que je me préparais dans la salle de bain, j'entendis du bruit dans l'entrée puis des rires dans le salon. Paul devait être rentré.

— Clem ? l'entendis-je m'appeler.

Je le rejoignis, saluai ses deux invités et leur proposai un apéritif en prenant leurs vestes. Dans le couloir, je ne pu m'empêcher d'entendre leur conversation.

— Tu nous avais caché cette superbe créature Paul.

« Créature », très valorisant.

— Un homme intelligent protège ses trésors, répondît mon fiancé.

Je n'avais aucune idée de la façon dont je devais prendre cette phrase. Je n'aimais pas le fait d'être considérée comme un objet.

Le dîner se poursuivit sur la même lancée, on me complimenta plusieurs fois sur ma cuisine, ou plutôt on complimenta Paul sur ses bon goûts en matière de femmes. IL avait trouvé une femme magnifique, IL avait trouvé un vrai cordon bleu. Personne ne s'intéressa plus à moi, ils parlèrent toute la soirée du travail.

Quand ils partirent, Paul me remercia et m'annonça que j'avais impressionné ses collègues.

— J'ai hâte de t'épouser, conclût-il, en déposant un baiser sur ma tempe.

Je bouillonnais intérieurement, ayant pris sur moi toute la soirée, mais là il n'était plus question que je fasse semblant.

— La prochaine fois, emmène les au restaurant ou chez ta mère, ça m'évitera de jouer la boniche.

Je quittais ensuite la pièce en lui laissant la table à débarrasser et la vaisselle à ranger. Après avoir enfilé un jogging et un t-shirt je me précipitai sous la couette et enfonçai mes écouteurs dans mes oreilles.

À l'instant où j'entendis la voix envoûtante du rappeur, ma décision ne fit aucun doute.

Sûreté ta mère la pute.

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