Chapitre 28 : Train

Je devais me rendre à l'évidence. Il me manquait beaucoup plus que ce que j'aurais voulu. Je me surpris à compter les jours qui me séparaient de son retour, à me demander ce qu'il pouvait être en train de faire tandis que j'étais au travail.

J'avais toujours un pincement au cœur en jetant un œil au café d'en face lorsque je sortais du boulot.

Un soir, en rentrant tard, mon téléphone sonna et je fus surprise de voir son nom s'afficher sur l'écran.

— Ken ? répondis-je en décrochant.

— Beauté.

Mon cœur fit un bon dans ma poitrine. Et dire que quelques semaines plus tôt je trouvais ce surnom ridicule... Sa voix grave me semblait plus rauque que d'habitude.

— Tout va bien ? Tu as besoin de quelque chose ? Je ne suis pas encore à l'appart.

— J'avais envie de t'entendre. Je viens de finir un concert, le public était bouillant, on a foutu un de ces bordel !

Ceci expliquait sa voix cassée. J'étais étonnée et touchée par sa franchise, mon cœur battait fort.

— Tu manques à l'appartement, murmurais-je, c'est vide sans toi et toute ta bande qui squatte.

Un instant de silence au bout du fil, je l'entendis répondre à quelqu'un qu'il était au téléphone.

— Et à toi, j'te manque ? demanda-t-il enfin.

Je connaissais trop bien ce ton de voix, c'était celui qui allait avec cet air amusé et ce sourire en coin dont il avait le secret.

— Bof, je peux me balader à poil dans l'appart sans craindre pour ma pudeur.

Il rit doucement.

— Me tente pas, je pourrais avancer mon retour.

Je n'osais pas dire que je n'y voyais pas d'inconvénient, ne voulant pas créer de gêne dans cette discussion légère et me contentais de rire à mon tour.

— Sérieux, j'te manque pas un peu Clémentine ?

J'étais partagée entre l'envie de le chambrer et celle d'être honnête pour une fois. Comme je mettais du temps à répondre, il reprit :

— Parce que si c'est le cas, je voulais te proposer un truc.

Je ne pus réprimer un sourire gaga.

— Quoi donc ?

— Ça dépend de ta réponse.

Il était décidément très fort pour obtenir ce qu'il voulait.

— Ok.

— Ok quoi ? demanda-t-il, amusé.

— Ok tu me manques un peu, avouai-je.

— Rien qu'un peu ?

— Ken !

Il était insupportable quand il s'y mettait.

— Tant pis, si je t'avais manqué plus on aurait pu s'arranger, mais vu que tu es très bien sans moi, je te laisse.

Je percevais le rire dans sa voix, il était décidément incroyablement sûr de lui.

— Tu me manques beaucoup.

— C'est bien.

Je levai les yeux au ciel.

— Keeeeen arrête, que veux tu que je te dise de plus !

— Que mon absence t'est insupportable et que ta vie sans moi n'a aucun sens.

J'explosai franchement de rire, il ne doutait de rien celui là.

— Rêve pas trop le Fenek, fais moi ta proposition ou je raccroche.

Il rit à son tour.

— On en peut plus de graille de la merde. Viens ce week-end, tu nous feras de la bonne bouffe et tu pourras enfin voir un de nos concert. Rejoins nous à Nyon pour le paléo.

— Dis donc, ce n'est pas moi qui te manque, c'est ma cuisine. Je ne sais pas trop si je dois bien le prendre.

Il s'adressa à nouveau à quelqu'un d'autre et je l'entendis dire qu'il négociait.

— Beauté, j'ai vraiment envie de te voir. Et les gars aussi. Je te prends le billet, même si c'est contraire à mes principes de payer le train.

Comment ne pas fondre en entendant cette voix rauque se faire si douce pour me convaincre.

— Je vais prendre mon samedi, comme ça je peux partir assez tôt le matin et rester avec vous jusqu'au dimanche soir.

— Fooort ! Faut que je te laisse, mais j'ai hâte de te voir, je dois te parler d'un truc. Prends soin de toi.

— Je t'embrasse, profite bien, à dans deux jours !

En arrivant à l'appartement, je me remémorais cette conversation, ne pouvant m'empêcher de la trouver bizarre.  Celles que j'avais avec Paul quelques semaines plus tôt étaient presque moins tendres.

De quoi voulait-Il me parler ? Voilà qui allait alimenter mon imagination pendant quelques temps.

Comme promis je reçus deux billets de train sur ma boîte mail, il avait vraiment envie que je vienne.

Les deux jours qui suivirent me parurent durer une éternité, j'étais surexcitée à l'idée de voir Ken en concert.

Dans le train pour Genève, je regardais des vidéos prises dans les festivals précédents et postées sur les réseaux sociaux. L'adolescente qui était installée à côté de moi jeta un œil sur mon écran.

— Vous aimez bien Nekfeu ?

Je fus surprise par le ton poli et le vouvoiement avec lequel elle s'adressa à moi.

— Oui, lui dis-je en souriant, mais tu peux me tutoyer, je ne suis pas beaucoup plus vieille que toi. Et toi tu aimes bien Nekfeu ?

— Oh oui j'aime énormément sa musique, j'ai eu des gros problèmes dans ma famille et ses textes m'ont permis de beaucoup évacuer. Il donne vraiment envie de se battre pour être soi même, et ne pas se laisser bouffer par la société.

De plus en plus étonnée qu'elle se confie ainsi à moi, j'avais envie de la prendre dans mes bras tellement elle avait l'air à fleur de peau.

— Comment tu t'appelles ?

— Violette. Ne te moques pas s'il te plaît, ajouta-t-elle en me voyant esquisser un sourire.

— Je m'appelle Clémentine, loin de moi l'idée de me moquer de ton prénom.

Elle rit alors à son tour. Je continuais de discuter avec Violette tout le long du trajet. Elle m'expliqua que ces dernières années avaient été pour elle un enfer, son père était alcoolique et battait sa mère, il venait de prendre de la prison ferme après un procès très compliqué où elle avait dû témoigner. À seize ans, elle avait vécu infiniment plus de choses difficiles que moi et ma ridicule rupture. Violette me touchait vraiment et j'eus envie de faire quelque chose pour elle.

— Tu es attendue à Genève ? Enfin tu es pressée ? J'aimerais te présenter quelqu'un.

— Euh non je rentre en tram. Qui donc ?

— Tu verras.

Discrètement, j'envoyais un message à Ken en priant pour qu'il le lise avant que le train n'arrive. Ce qui relèverait carrément du miracle.

Moi : Viens à la gare me chercher, c'est important.

Je devais normalement commander un taxi pour les rejoindre sur le lieu du festival.

Une heure plus tard, en débarquant sur le quai avec Violette je cherchais des yeux un signe de la présence de Ken. Je ne tardais pas à le repérer, enfin à les repérer. Il avait ramené Mekra avec lui. Ils étaient à l'écart, la tête baissée sous leurs casquettes et capuches, n'ayant pas trop envie de se faire remarquer

— Viens avec moi, dis-je à Violette.

Elle me suivi et lorsqu'elle reconnu la personne vers qui nous nous dirigions elle s'arrêta net.

— C'est Nekfeu. Je ne comprends pas, tu le connais !? Attends je n'ai pas envie de l'embêter... Comment ça se fait qu'il soit là ?

L'adolescente avait l'air paniquée.

— Eh arrête, c'est un très bon ami, ne t'inquiète pas. Suis moi.

Quand les deux rappeurs nous repérèrent ils eurent l'air surpris de voir que j'étais accompagnée. Ken s'approcha un peu trop rapidement de moi, il semblait vraiment dérouté.

— T'es pas venue seule ? Qu'est-ce qu'il s'est passé pourquoi tu m'as demandé de venir ? J'ai cru que c'était grave !

— Ravie de te revoir moi aussi, dis-je en déposant un baiser sur sa joue, je peux te parler une minute ?

Je me tournais vers Violette.

— Attends moi.

Je tirai Ken, éberlué, par la manche et lui racontai brièvement ma rencontre avec Violette et sa situation. Au début, il râla en me reprochant de lui avoir tendu un piège, puis l'histoire de Violette le toucha. Il retourna vers elle, curieusement assez gêné par la situation. J'allais pendant ce temps saluer Hakim qui paraissait dépassé par les événements.

Pendant cinq minute, Ken et Violette échangèrent quelques mots, il avait posé sa main sur son épaule, dans un geste presque fraternel. La gentillesse et la douceur que je lisais dans son regard me bouleversaient profondément. Pour lui dire au revoir il la tchecka comme une pote, après avoir noté quelque chose sur son portable. Je les rejoignis pour saluer Violette.

— Merci infiniment Clémentine, tu es la personne la plus gentille que je n'ai jamais rencontrée. Je suis heureuse de savoir que Nek a des personnes aussi bien dans son entourage, ça en dit beaucoup sur lui.

Je croisai le regard de Ken et ne parvint pas à déchiffrer son expression.

— Je suis ravie d'avoir fait ta connaissance, tu veux que je vous prenne en photo en souvenir ?

Elle me sourit.

— En fait j'aimerais bien prendre une photo avec vous deux...

J'étais émue qu'elle m'apprécie à ce point.

— Ah ouais d'accord tu me peta mon public ! rit Ken.

Mekra, toujours un peu perdu, nous prit en photo, puis il nous fallut rejoindre les autres sur le lieu du festival. Je serrais une dernière fois Violette dans mes bras après lui avoir laissé mon numéro de téléphone.

— T'inquiète pas, tu vas la revoir la tipeu ! me dit Ken dans le taxi avec un sourire en coin, Je lui ai dit de venir au concert. T'iras la chercher à l'entrée du festoch, au moins tu seras pas seule dans la fosse. Me refais pas des coups comme ça toi, t'es une galère, j'ai cru qu'il t'était arrivé une couille.

Même si j'avais du mal à me figurer comment j'aurais pu être seule dans la fosse, j'étais absolument ravie que Ken ait fait ce geste pour Violette. Après lui avoir lancé un sourire démesurément reconnaissant, j'embrassai sa joue en le remerciant sous l'œil amusé d'Hakim.

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