Chapitre 10 : Promenades
— Surprise, fit-il, quand j'arrivais à sa hauteur.
Je rougis, trop heureuse de le voir là ce soir, c'était inespéré.
— Désolée, plaisantai-je, un ami m'a dit de faire attention aux gars bresson sur le chemin du retour. Vous n'avez pas l'air clair, je dirais même que vous ressemblez à un voyou.
Le coin de sa bouche s'étira pour m'adresser un sourire mutin.
— Cet ami a l'air d'être un mec bien, et vous d'une jeune fille très désobéissante...
Je ris et il me pinça la joue, laissant au passage son bras sur mon épaule.
— J'te raccompagne chez toi et on discute un peu ? J'étais au stud toute la journée, j'ai besoin de me dégourdir les pattes.
— Comment t'as su que je bossais là ? Je croyais que tu n'étais pas à Paris.
Il eut un petit rire moqueur, je tournais la tête vers lui pour observer son profil rieur, j'aimais la profondeur légère de nos discussions. C'était vraiment pour moi une source d'apaisement, l'impression que pendant quelques heures, je sortais de ma vie pour être celle que j'étais vraiment.
— Je suis à Paname depuis deux jours. Et sinon... Google Maps. Bon alors, Lettre ouverte ?
— J'avais complètement oublié... c'est incroyable que t'aies écrit un couplet sur un événement aussi anodin.
Ken me lança un regard pénétrant et tritura sa lèvre supérieure avec ses dents, j'avais remarqué que c'était un tic chez lui quand il réfléchissait.
— Tu sais Clémentine, quand on écrit, y a pas vraiment d'événement anodin. Le moindre moment un peu mélancolique, quotidien, heureux, peut te donner de l'inspiration. Même la vieille qui arrose ses plantes en face de chez toi peut t'inspirer un couplet. Alors une jolie go qui chiale dans le métro et te lance des regards insistants...
Il avait raison, moi qui aimait tant la littérature je savais que l'inspiration pouvait naître partout, simplement j'étais assez émerveillée que ma modeste personne puisse en être la source.
— Pourquoi tu pleurais ? Je me suis toujours demandé.
Je réfléchis un instant, tentant de me remémorer les événements qui occupaient ma vie trois ans auparavant.
— Je crois que c'était à cause des parents de Paul, ils m'ont mené la vie très dure. Sa mère surtout, elle a toujours été persuadée que j'en avais après leur argent. Je n'ai jamais manqué de rien mais je viens pas d'un milieu aisé tu vois, alors qu'eux ont beaucoup d'argent.
Ken leva les yeux au ciel, visiblement agacé.
— Ça me rend ouf ces gens, je comprends pas. C'est encore comme ça ?
Je soupirai.
— Oui, enfin plus ou moins, ils ont pas trop digéré la demande en mariage. Je me sens toujours un peu redevable, pour l'appart par exemple, ma future belle-mère sous-entend facilement que je suis une femme entretenue.
— Toi ça te dérange pas de vivre chez eux ? Enfin t'as pas envie d'être indépendante pour qu'ils aient rien à te reprocher ?
Je ricanai, comme si c'était si facile...
— Tu crois que ce n'est pas ce que je veux ? Jusqu'à cette année je vivais dans une chambre de bonne de 9m2 parce que je refusais de vivre dans cet appartement. Mais depuis les fiançailles, Paul a insisté pour que je m'installe chez lui, normalement c'est temporaire. J'espère que quand on sera marié on prendra un appart plus simple qu'on paiera tous les deux.
Encore une fois, le rappeur leva les yeux au ciel et cela m'agaça, j'avais l'impression qu'il me jugeait. Je me dégageai de son bras et m'arrêtai net en me tournant vers lui.
— C'est facile pour toi de juger parce que tu es extérieur au problème ! Crois moi je fais ce que je peux et surtout ce n'est pas définitif.
Ken pris alors mes mains dans les siennes et m'attira vers lui.
— Clémentine, je ne te juge pas, me dit-il doucement, j'essaie de comprendre ce que tu fous avec ce gars.
C'était on ne peut plus direct.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Parce que j'ai pas l'impression qu'il te rende heureuse.
Je n'aimais pas la tournure que prenait la conversation, la remise en question allait trop loin, j'étais vraiment mal à l'aise.
— Si, mais c'est juste qu'en ce moment c'est compliqué, il a beaucoup de boulot et on est stressé par le mariage. C'est un événement qui m'angoisse beaucoup.
Ken me lâcha et nous reprîmes notre chemin côte à côte.
— J'espère que t'as raison, mais selon moi, quand on se marie avec la bonne personne c'est plus excitant qu'angoissant.
Je ne sus quoi répondre, une petite voix dans ma tête hurlait qu'il avait raison.
— Je suis paumée Ken.
Une larme s'échappa de mon œil et je sentis son regard brûlant sur moi. Il plaça de nouveau son bras sur mon épaule mais n'ajouta rien et l'on continua notre route. Nous arrivions bientôt chez moi.
— Je suis désolé, finit-il par dire, Mais Clem faut que tu vives ta vie, personne va le faire à ta place. J'ai pas envie de te recroiser en larmes dans le métro à 35 piges parce que tu auras passé ta jeunesse à subir les choix des autres. Réfléchis bien à ce que tu fais.
Je hochai la tête, il avait parfaitement raison. Sauf que j'étais verte de peur, toute ma vie était construite en fonction de Paul, de nos carrières, de notre mariage. Remettre en question cette relation revenait à détruire tout ce que j'avais construit depuis six ans. Ken sentit que je n'étais pas prête à aller plus loin dans la discussion et la fit dévier vers des sujets plus légers. Il m'apprit qu'il faisait de nombreux aller-retour dans la région de Sète car il jouait dans un film avec Catherine Deneuve. J'en fus très impressionnée.
À partir de ce soir là, régulièrement le matin, je recevais un message pour savoir à quelle heure je sortais du travail. Tout aussi régulièrement, je le retrouvais devant le café et nous marchions jusqu'à chez moi en discutant. Nous nous amusions souvent à nous arrêter pour lire ensemble le manuscrit sur lequel je travaillais, il critiquait le style de l'auteur et se moquait parfois des histoires un peu ridicules que certains arrivaient à pondre.
Ces balades nocturnes me faisaient un bien fou, toute ma vie me paraissait s'en porter mieux. J'étais plus gentille avec Paul, je bossais d'arrache-pied, je pouvais enfin discuter avec un ami. Car oui, au fil des mois, je finis par le considérer comme un ami, il m'écoutait avec bienveillance et surtout m'obligeait à réfléchir. J'en appris également beaucoup sur lui, il me parlait de ses amis, son clan comme il disait, des filles qu'il voyait parfois, de son rap, de son film. J'avais l'impression de vivre deux vies en parallèle, peut-être que ce n'était pas très sain, mais j'avais enfin trouvé un équilibre qui me permettait d'être heureuse.
La seule ombre au tableau, c'était l'animosité que Ken avait envers mon fiancé, je finissais par éviter le sujet car je ne supportais plus ses critiques.
Une fois, alors que je sortais avec Paul de la fameuse brasserie non loin de mon travail, nous avions croisé Ken, il m'avait fait la bise, je lui avais présenté un Paul extrêmement surpris qui lui avait tendu une main polie, mais le rappeur s'était contenté d'un signe de tête dédaigneux.
— Pas si sympa que ça le Nekfeu, avait dit mon fiancé une fois Ken disparu.
J'avais haussé les épaules, tout comme le fenek deux jours plus tard quand je lui avais reproché sa conduite.
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