Chapitre 1 : Regards
Printemps 2016
— Clem tu m'écoutes ?
La voix de ma meilleure amie me sortit de ma torpeur.
— Quoi ?
— Putain tu planes complètement ! C'est de ton mariage qu'on parle je te rappelle ! Tu as trouvé ton photographe ?
— Ah ! euh oui je crois ! Je te montrerai.
Comme d'habitude lorsque j'étais dans le métro, mon attention était en permanence captée par les discussions des personnes qui m'entouraient. J'avais du mal à suivre ma discussion avec Anna, qui pourtant me concernait directement puisque le sujet qui l'animait s'avérait être mon mariage.
— Désolée, repris-je, tu me connais, j'ai du mal à me concentrer dans le métro.
Mon amie me fit un clin d'oeil et me signifia que nous reprendrions notre discussion une fois sorties. Deux femmes discutaient des études de leurs enfants à côté de moi et je trouvais très amusant la façon qu'elles avaient de comparer leurs réussites respectives.
Lorsque le métro s'arrêta à la station suivante, de nombreuses personnes sortirent, je pus alors m'assoir avec Anna. Un jeune homme s'installa en face de nous, plongé dans un livre. Comme à mon habitude, je me mis à le détailler. Son visage m'était familier, j'étais certaine de l'avoir déjà vu quelque part. Il portait une casquette noire d'où dépassaient des cheveux mi-longs, vaguement attachés par un élastique à l'arrière de son crâne. Je scrutai la couverture du bouquin qu'il avait dans les mains : La Valse aux adieux, de Kundera. Il me paraissait étrange de voir un type de ce genre avec un livre. Son style était plutôt street, il portait un jean déchiré, des Nike, un t-shirt blanc avec une veste Adidas bleue. Je ne pouvais voir ses yeux car ses paupières étaient baissées vers les pages qu'il parcourait, une sorte de bouc mal taillé entourait ses lèvres.
Soudain, il releva la tête vers moi, sans doute avait-il senti mon regard. Deux prunelles brunes captèrent alors les miennes et je me sentis passée aux rayons X, il me toisa des pieds à la tête tandis que je rougissais, gênée d'avoir été prise en flagrant délit d'observation. Un sourire amusé naquit sur ses lèvres alors qu'il continuait de m'analyser silencieusement, je commençais à comprendre qu'il mettait en place un jeu de regards plus que suggestif.
"Mon pauvre garçon... Si tu savais à quel point tu n'as aucune chance."
Il dut lire cette phrase sur mon visage, car son sourire s'accentua. Affichant un air sûr de lui, il referma son livre et l'enfouit dans la poche arrière de son jean, tout en continuant de me dévisager. L'homme suivait le moindre de mes gestes, je vis ses yeux accompagner le mouvement de ma main lorsque je replaçais une mèche de cheveux derrière mon oreille. Ce duel visuel était de plus en plus intense et je refusais de m'y soustraire. Ce type était à la fois captivant et agaçant.
Anna qui regardait son portable depuis quelques minutes, releva la tête et prit conscience du monde qui l'entourait, elle remarqua presque aussitôt mon interlocuteur visuel. Mon amie écarquilla les yeux et me pinça la cuisse.
— Aïe ! chuchotai-je, tout en continuant de fixer le jeune homme.
"Saint-Germain-des-Près" annonça la voix préenregistrée du métro. C'était ma station, je devais mettre un terme à l'échange silencieux que j'avais avec le type à casquette. Je me levai tirant ma meilleure amie par le bras, l'homme ne me quitta pas des yeux, je sentais son regard me brûler tandis que je lui tournai le dos. Et si ? Et s'il me suivait ? Avant de sortir, je me retournai une dernière fois, comme pour le mettre au défi de le faire. Mais il ne bougea pas et je m'élançai sur le quai, suivie d'Anna.
— Cleeeeeem ! t'as vu qui était en face de nous ? me lança-t-elle.
— Tu parles du pervers qui me déshabillait du regard ?
— Me dis pas que tu l'as pas reconnu ?
— Sa tête me disait vaguement quelque chose.
Anna leva les yeux au ciel, l'air consternée par mon ignorance.
— C'était Nekfeu ! Un rappeur super connu ! tu sais, on écoutait 1995 quand on révisait le bac ! Tu vis dans une grotte ?
Ah ! C'était donc ça, le rapprochement se fit vaguement dans mon esprit.
— M'en veux pas mais pour moi les rappeurs ont tous plus ou moins la même tête. Bref, on parlait du photographe !
Alors qu'Anna reprit de plus belle son discours concernant mon mariage, je repensais aux yeux perçants du rappeur. J'avais, pendant quelques instants eu l'impression être totalement sondée par cet homme, ayant pourtant l'habitude de me faire mater par de gros lourds dans le métro ou dans la rue, celui-ci m'avait paru différent. Si d'une part son regard semblait me dire "Je te veux", il y avait quelque chose de plus, une sorte de mise au défi "montre moi qui tu es" paraissaient me crier ses prunelles.
Mais de toutes façons, je ne risquais pas de le recroiser.
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