Chapitre 8

                                                   belle saison– 4ème mois – 11ème jour – an 128

Je me réveillai en sursaut. Encore un cauchemar. J'avais été naïf de croire que cela n'arriverait plus. Je me levai. Plus que huit jours. Je regardai par la fenêtre. L'aube. Garance et Alison dormaient encore. Je les réveillai doucement.

– Préparez-vous, dis-je. On va bientôt partir.

La distance qui séparait la vallée de la ville Bleue était assez importante, il nous faudrait au mieux passer une seule nuit à la belle étoile. Je n'aimais pas passer la nuit dehors, avec les bêtes sauvages. Ce n'était pas que j'en avais peur, mais je me méfiais. On ne savait jamais comment ils réagiraient.

Alison grommela quelque chose avant de s'étirer. Garance fit de même et déploya ses ailes. Puis, nous mangeâmes, avant de préparer nos affaires. Je vérifiai qu'on avait tout.

– Vous voulez que je vous accompagne pour le trajet ? Demanda Garance.

– Comme tu veux, lui dis-je. Après, ce serait risqué. Surtout avec ton apparence.

– Ah oui, c'est vrai.

Je la dévisageai.

– Puis-je te poser une question ? Lui demandai-je.

Elle fut surprise.

– Vas-y, me répondit-elle sur un ton suspicieux.

– Que t'a-t'il fait à l'œil ?

Elle sursauta. Elle hésita un moment, avant d'enlever son cache-œil.

– Vois par toi-même.

Je fus stupéfait. Ce n'était qu'une cicatrice. Une cicatrice béante, recouvrant une majeur partie de son côté droit. Et un orbite vide.

Je grimaçais. Concluant que j'avais compris, elle remit son cache-œil.

– Oh... Ce... C'est...

– Je ne sais pas ce qu'il en a fait. Et je ne préfère pas savoir.

– Je comprends.

Oui. Il était capable du pire.

– Bon, où est Alison ? Reprit Garance. Le soleil est déjà levé.

– Je suis là, j'arrive ! Retentit sa voix depuis le grenier.

– Mais qu'est-ce que tu fiches là-haut ? Gronda Garance avec froideur.

– Bah je range.

– Tu... ranges ? Répétai-je.

– Bah oui, mes affaires, expliqua-t-elle en descendant.

– Soit. Bon, j'ai pris mon sac à dos. J'y ai mis de la nourriture, une gourde, deux couvertures, des couteaux, une corde et une lanterne.

Je lui tendis mon deuxième canif.

– Range-le dans ta poche. Personne ne doit le voir.

Elle obtempéra. Je la dévisageai un instant, avant d'aller lui chercher une veste dans la malle. Je ne voudrais pas qu'elle attrape froid, j'avais besoin d'elle.

– Tiens, dis-je en revenant. Il pleut souvent à cette période de l'année.

– Merci beaucoup.

– T'as intérêt à en prendre soin, d'accord ?

– Promis !

Je me tournai ensuite vers Garance.

– Essaie de trouver d'autres choses sur ces mystérieuses personnes durant notre absence. Mais ne prends pas de risques inutiles. Tu pourrais aller au bois pluvial. C'est ici !

Je lui montrai l'endroit sur la carte de la vallée.

– Tu es sûr que l'on n'a pas besoin de la carte ? Me demanda pour la millième fois Alison.

– Je te l'ai dit, je connais le chemin par cœur.

– Mais... si jamais on se perd ?

– On ne va pas de perdre, OK ? Fais-moi confiance, bon sang !

– OK,OK, c'est bon, je te crois, pas la peine de t'énerver.

Elle passa néanmoins la tête par dessus mon épaule pour voir une dernière fois la carte. Ainsi que celle de la ville Bleue.

– Donc, reprit-elle avec sérieux. C'est par là qu'on va entrer, c'est ça ?

Elle désigna un endroit de la muraille.

– Oui. On attendra la nuit, sinon on se ferra prendre en moins de deux.

– À ce point ? s'étonna-t-elle. Et... qu'est-ce qu'on risque ?

– Au mieux, on se fait exclure de la ville, au pire, on nous tue.

– C'est... radicale.

– Tu ne sais pas à quel point. C'est un vrai nid de guêpe cette ville. C'est pourquoi il faut être vigilant. Toujours sur ses gardes et ne parler à personne. Retiens ça, surtout, ne parle à personne. Sinon, les gens vont comprendre que tu n'es pas d'ici, et tu seras prise pour cible.

– Prise pour cible ?

Je levai les yeux au ciel. Il fallait décidément tout lui expliquer.

– Tu ne veux pas savoir, crois-moi.

Elle me scruta un instant.

– C'est à cause de cette ville que tu es si froid de nature ?

Je plissai les yeux. J'étais froid de nature ? Ah bon ?

– Tu trouves que je suis froid ?

– Oui, très.

– Oh, je l'ignorais.

– Allez, dépêchez-vous. Intervint Garance. Je vous rappelle qu'il fait déjà jour.

J'opinai de la tête.

– Oui, allons-y.

Mais je m'arrêtais pour me tourner vers Alison.

– Tu es prête ? Demandai-je.

– Prête à point ! Affirma-t-elle.

– Alors on y va.

– Bonne chance, et évitez de mourir ! Nous salua Garance.

Alison frissonna.

– C'est le genre d'encouragement qui fait flipper, murmura-t-elle.

– Elle a pourtant raison.

– À ce point ?

Puis, nous marchâmes. Longtemps. Nous traversâmes la vallée, la forêt où était retenue Garance, une autre vallée, encore une autre. En silence. Qu'est-ce que j'aimais le silence ! Alison tenta à plusieurs reprises d'engager la discussion. Mais elle ne menait pas loin et elle commençait à stresser. Regrettait-elle de venir ? Je pouvais la laisser là si elle le voulait. Mais... je doutais qu'elle retrouverait le chemin toute seule. Peut-être pouvait-elle m'attendre, enfin si je revenais. Le soleil commençait à se coucher à l'horizon. Le crépuscule recouvrait le ciel. Mais je n'étais pas fatigué, il fallait croire que ma motivation me donnait des ailes. Alors je continuais. Tant qu'Alison ne se plaindrait pas, je continuerais d'avancer.

Les hautes montagnes se dessinaient au loin, découpant le ciel. Il faisait de plus en plus sombre. Au loin, résonnait le champ acharné d'un loup. Cela devenait dangereux de continuer dans le noir. Je cherchais alors un endroit où construire le campement, pour passer la nuit.

– Viens, dis-je à Alison. C'est endroit là-bas est parfait pour passer la nuit.

Elle me suivit sans discuter. C'était un arbre arqué de façon étrange, comme si ses branches étaient un piège disant « venez, venez près de moi » et attendaient le moment propice avant de refermer ses mâchoires, à l'abri du vent, parfait pour allumer un feu. Je commençais à rassembler du petit bois sec, et des pommes de pin. Alison s'assit sur l'une des racines de ce grand chêne. Elle soupira. Elle semblait fatiguée. Nous avions marché toute la journée, et elle ne s'était jamais plainte. Je disposais cinq pommes de pin entassées avant de les recouvrir de brindilles. Alison embrasa le tout. Je rajoutais plusieurs brindilles pour l'alimenter, afin de m'assurer de sa dureté.

– Ça va ? Demandai-je à Alison. Désolé, je t'ai fais beaucoup marcher aujourd'hui.

– Je vais bien, ne t'inquiète pas. On va dormir ici.

Je sortis les couvertures de mon sac, avant de lui en tendre une.

– Tiens, il fait froid la nuit.

Elle la prit en souriant.

– Merci. Tu as pensé à tout.

Je sortis ensuite de la nourriture que j'avais mis dans une boîte pour l'emporter. Je servis Alison, avant d'en prendre moi aussi. Je n'avais pas beaucoup faim, à vrai dire mon estomac était noué. Mais je devais reprendre des forces pour les jours à venir. Il le fallait, si je voulais lui tenir tête. Même si, l'affronter n'était pas au programme. C'était vraiment à éviter. C'est pourquoi nous allions prendre toutes les précautions nécessaires.

Après une dernière bouchée, je montai à la cime de l'arbre, pour mesurer la distance qu'il nous restait, et celle qu'on avait parcouru.

– On a bien avancé, dis-je à Alison. Si ça se trouve, on y serra demain soir.

– Super.

Elle semblait hésiter un moment avant de reprendre :

– Tu as peur, toi ?

Si j'avais peur ?

– Un peu, admis-je. Je ne veux pas le revoir. Jamais. Mais... si c'était la seule solution pour sauver Adrianne, peut-être que...

Je m'arrêtai. Ma voix tremblait. Oui, j'avais peur. Peur de lui, de le revoir, de ce qu'il nous ferait lorsqu'il nous aurait entre ses mains. Je secouai la tête. Non, on allait repartir avec Adrianne, coût que coût ! Alison me sourit tristement.

– Tu crois vraiment qu'on a une chance ?

– Je l'ignore. Mais il faut bien tenter. On ne va pas la laisser mourir, non ?

– Non, on va la sauver !

Je souris en redescendant de l'arbre. Ça me rassurait de savoir qu'elle était avec moi, que je n'étais pas seule. Mais je ne voulais pas l'impliquer dans mes histoires de famille, surtout qu'elle n'avait rien à voir avec tout ça.

– Merci de m'accompagner, dis-je. Tu n'étais pas obligé de venir avec moi et de prendre autant de risques. Mais merci, ça me rassure de ne pas être seul.

Elle écarquilla les yeux, choquée.

– Oh, c'est... c'est étrange, fit-elle. Tu es sûr que tu n'es pas malade ? Ou alors c'est Adrianne qui te manque trop... oui, ça doit être ça.

– De quoi tu parles ? demandai-je, sans comprendre.

– Bah, en temps normal, tu ne dévoiles jamais tes sentiments, et là tu me remercies même !

Je levai les yeux vers le ciel. Ça y est, il faisait nuit.

– Faut dire que beaucoup de choses ont changé avant tout ça. Moi, je...

Je marquai une pause, hésitant.

– J'ai toujours vécu seul ici, alors je n'aime pas beaucoup parler de moi. Je ne suis pas trop extroverti, vois-tu.

– Dis, ta mère, tu n'as vraiment jamais su ce qui lui était arrivé ?

– Jamais. Peut-être que mon père la retrouvée, peut-être qu'elle est morte, ou peut-être qu'elle s'est juste barrée. Je ne sais pas.

– Elle s'appelle... Holland, c'est ça ?

– Oui. Tu sais je...

Devais-je lui dire pour les messages ?

– Je vous ai menti, à toi et Garance.

Elle écarquilla les yeux, surprise.

– À quel sujet ?

Je soupirai, embarrassé.

– Tu ne me croiras pas innocent, après ça. Garance ne me lâchera pas si je lui dis, c'est pour ça que j'ai gardé ça secret.

– De quoi parles-tu ?

– Les messages. Sur la cabane et sur la falaise, écris au sang. Ce... C'était mon écriture, quasiment la même. Sauf que... moi, je n'ai jamais écris ces messages, je te le jure ! Même si le matin je me lève tôt, je te jure que ce n'est pas moi ! Siena a dit que ce n'était pas Glarian. Son écriture et la mienne sont quasiment les mêmes. Tu y crois toi ? C'est bizarre, mais je te promets, je n'ai rien fais de tel.

– Je te crois, ne t'inquiète pas.

– Vraiment ? M'étonnai-je.

– Ben, même si tu n'étais pas avec nous à ce moment-là, tu... eh, mais si !

– Pardon ?

– Bah, pour le message dans la cabane, tu étais avec Adrianne à ce moment-là, et pour celui de la falaise, tu dormais. De plus, je ne vois pas pourquoi tu aurais fait ça.

– Garance ne m'aurait pas cru sur parole, elle. Déjà que j'ai mis du temps avant de gagner sa confiance, elle ne m'aurait pas lâché, si je lui avais dis. En vrai, je suis plutôt content qu'elle ne vienne pas avec nous, sans vouloir être méchant.

– Non, je comprends. Moi aussi j'ai un peu de mal avec elle, elle est assez spéciale.

Silence.

– Et aussi, repris-je. Pour la liste sur les sois-disant gardien, je... enfin, j'ai connu une Isolde. C'était il y a longtemps, à la ville Bleue. Elle avait à peu près la même écriture, si je m'en souviens bien.

– Vraiment ? Qui était-elle ?

De nouveau, silence.

– Je... euh, je ne peux pas t'en dire plus, désolé.

– Quoi ? Pourquoi ?

– C'est... compliqué, soupirai-je.

Je ne pouvais pas prendre ce risque. Ce serait la mettre en danger. Nous mettre en danger. Elle, moi, et puis, tous les autres...

Je jetai quelques brindilles et herbes dans le feu.

– D'accord, je n'insisterai pas, concéda Alison. Tu m'en as déjà dit beaucoup. Je pense d'ailleurs que c'est la plus grande conversation que j'ai eu avec toi jusqu'à présent.

Je haussai les épaules. C'était vrai, je ne parlais que rarement autant. Je levai les yeux vers le ciel. La voûte céleste était magnifique. C'était un fond bleu-nuit, recouvert d'une poussière argenté qui brillait de plus belle. Je reconnaissais chaque constellation, chaque étoile, chaque planète, visibles. J'avais assisté à ce paysage des dizaines de fois, pourtant, comme les levers de soleil, je ne m'en lasserais jamais. C'était d'une telle splendeur que j'en avais des frissons. Alison suivit mon regard, et eut le souffle coupé.

Nous restâmes un moment en silence, observant ce spectacle si angélique. Soudain, une étoile filante passa, son firmament vaporeux scintillant avec grâce et élégance.

– Tu as vu ? soufflai-je doucement à Alison.

Elle hocha la tête, trop absorbée par sa contemplation pour détourner les yeux. J'eus un sourire au coin.

Puis, la nuit se passa sans encombres, à mon grand soulagement.

*******************

Je fus réveillé aux premières lueurs de l'aube.

Sept jours.

Je m'empressai de réveiller Alison. Nous ne devions pas perdre de temps. J'éteignis le feu. Nous bûmes une gorgée d'eau, mangeâmes un morceau, avant de reprendre la route. À ce niveau-là du chemin, la pente était plus raide, plus rocheuse, et il y avait des affaissements ici et là. Nous marchâmes. Longtemps. Il finit par pleuvoir. Je m'en fichais, alors nous continuâmes.

Mais la pluie tombait drue, et le vent nous cinglait le visage. La terre glissait sous nos pieds, et la vision nous était limités. Nous nous abritâmes donc, sous un gros chêne. Je remarquai qu'en plus d'être trempée, Alison était couverte de boue. Elle avait dû tomber plusieurs fois, victime des dépressions de terrain. Je serrai les dents, quand je vis l'état du manteau de ma mère. Mais je ne lui dis rien. Je savais qu'elle faisait du mieux qu'elle pouvait. Elle grelottait mais ne se plaignait pas. Je lui donnais mon manteau, bien qu'à contre-cœur.

La pluie cessa enfin. Nous reprîmes donc la route. Ce contretemps nous avait ralentis. Les pierres et la terre étaient trempés, glissantes, piégeuses. Je prévins Alison. Nous nous n'arrêtâmes pas pour manger ou pour boire. Nous avions trop de retard à rattraper. Quelles horreurs était-il en train de faire subir à Adrianne ? Peut-être que quand on y arriverait elle ressemblerait déjà à Garance ? Ou peut-être qu'il serait trop tard ? Je secouai la tête. Non, il fallait penser positif ! Mais bon, avec lui, penser positif était difficile. Un nouveau cobaye, il s'empresserait de l'expérimenter, non ? Le connaissant, oui.

Nous passâmes une nouvelle nuit à la belle étoile, mais cette fois, je ne souriais plus. Notre plan allait-il marcher ? Avions-nous une chance contre Glarian ?

Je dormis très mal. Nouveau cauchemar.

**********************

Six jours.

Nouvelle journée de marche. Mais cette fois, dans les environs de midi, nous arrivâmes au pied des montagnes. Devant la pancarte. Je sentis Alison frissonner.

– Nous ne devrions pas attendre la nuit ? Demanda-t-elle, prudente, me voyant continuer d'avancer.

– Il nous reste encore du chemin à parcourir. La ville Bleue se trouve au-delà des montagnes.

Elle me suivit. L'ascension fut rude. Le sentier était raide, étroit, trempé, et rocheux. Heureusement que je n'avais pas le vertige ! Car nous surplombions les vallées. D'ici, on voyait à des kilomètres à la ronde. C'était très beau. Mais on n'avait pas le temps de rêvasser. Nous grimpâmes jusqu'au sommet. La vue était splendide. À couper le souffle. J'accordais à Alison une petite pause, de quoi se restaurer. Puis, nous reprîmes la route. Nous descendîmes. Remontâmes. Descendîmes. Remontâmes. Alison tomba trois fois. Mais elle ne broncha pas. Je tombai également, mais qu'une seule fois. J'avais glissé sur du gravier.

Enfin, nous arrivâmes aux abords de la ville. Elle se situait dans un creux entre les montagnes. Une mini-vallée, en quelque sorte. Nous restâmes là. Les murs se dressaient toujours aussi froidement, renfermant en leurs lieux les pires criminels. Trafiquants, assassins, voleurs et autres grouillant dans chaque rue.

Mon estomac se serra. Plus nous attendîmes, plus je me sentais mal. J'avais la nausée. Était-ce à cause de toutes ses remontrances ? Sûrement.

Le crépuscule recouvra le ciel de ses teintes chaleureuses. Mais à ce moment-là, elles ne m'apportaient plus aucun réconfort.

Bientôt.

Il fallait attendre quelques minutes encore. La nuit prit peu à peu place.

Enfin.

Je me levai, en direction de la ville, Alison sur mes talons.



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