Chapitre 6
belle saison – 4ème mois – 9ème jour – an 128
Le soleil était haut quand je rentrai de ma promenade, et Alison venait de se réveiller. Lorsque Garance et moi étions revenus, nous l'avions trouvée gisant à terre dans une marre de sang, complètement inconsciente. Quant à Adrianne, elle avait disparu. Introuvable. Elle devait être entre ses mains.
– C'est bon ? railla Garance lorsque je revins. Tu t'es calmé ?
Sa voix était froide. Elle devait sans doute m'en vouloir. Alison semblait encore sonnée. Elle gardait les yeux rivés sur ses mains.
– Comment va-t-elle ? Dis-je en ignorant sa remarque.
– Elle n'a pas dit un mot. C'est une chance qu'on l'ai trouvée vivante. Elle aurait pu y passer, de plus, elle a perdu pas mal de sang.
– Heureusement que tu étais là. C'est vraiment pratique ton don.
Garance avait réussi à stopper son hémorragie grâce à son pouvoir.
– Je peux stopper une hémorragie mais aussi en provoquer une. Alors fais gaffe, me prévint-elle d'une voix glaciale.
Je sentais bien qu'elle m'en voulait.
– Tu m'en veux ?
Elle évita mon regard.
– C'est ma faute après tout, avouai-je. C'est vrai, je me suis laissé aveuglé par mes émotions et je l'ai laissé s'en prendre à elles deux. Et maintenant Adrianne est entre ses mains...
Elle ne me répondit pas. Je savais que c'était ce qu'elle pensait.
– Non, articula Alison avec difficulté. Non, ce-ce n'est pas ta faute.
Pas ma faute ?
Pourtant, l'attitude de Garance disait que c'était ma faute.
Tout en elle avait l'air de crier : « c'est de sa faute, c'est lui coupable ! C'est forcement lui, vu que c'est son fils ! » Il n'y avait qu'à regarder ses yeux...
Certes j'étais fautif, mais le véritable coupable dans cette histoire, c'était Glarian, non ? Et puis, elle était aussi fautive que moi. Je clignai des yeux, fiévreux. Toute ça me donnait vraiment mal à la tête. J'étais épuisé. Mais on n'avait pas assez de temps pour que je puisse dormir. Surtout que mes cauchemars risquaient de s'intensifier. De nouveau, je fermai les yeux.
– Comment vas-tu ? Demandai-je à Alison.
Elle haussa les épaules.
– Ça va le faire, ne vous inquiétez pas. Il faut qu'on aille sauver Adrianne.
Je jetai un regard à Garance. Elle semblait éteinte, sans âme.
– On a dix jours pour la trouver, sachant qu'on sait où elle est. Repose-toi d'abord.
J'écarquillai les yeux.
– Tu comptes vraiment prendre tout ton temps pour aller l'aider ?
Elle me fusilla du regard.
– Tu vois bien qu'elle n'est pas en état ! Grogna-t-elle.
Elle me tapait sur les nerfs, et ma voix se refroidit.
– Ce n'est pas une raison pour attendre autant ! Si ça se trouve, il est déjà en train de la torturer ou d'expérimenter sur elle de nouvelles atrocités. Tu veux vraiment prendre tout ton temps ? Il faut qu'on élabore un plan. Il nous veut nous, c'est sûr qu'aller là-bas est un piège.
Elle bondit de sa chaise, rouge de colère.
– Et tu comptes vraiment te jeter dans la gueule du loup ? Il sera content, lui, au moins, il aura de nouveaux cobayes en plus pour ces expériences !
– C'est pour ça qu'il faut un plan !
– Mais tu te laisses aveugler par tes émotions, qu'est-ce que tu veux faire d'un plan que tu ne tiendras pas ?
– Qu'est-ce que tu en sais ?
– Regarde-toi, ah ben on voit que tu es calme !
– Et c'est toi qui dis ça, la bonne blague. Je te rappelle que sans moi tu serais encore en train de te lamenter dans ta grotte !
– Oh, alors tu estimes que je dois t'obéir ? Tu es bien comme lui, tu n'en as rien à faire de ma vie, c'est ça ? TU CROIS QUE J'AI ENVIE DE ME FAIRE DE NOUVEAU EXPÉRIMENTER PAR LUI ? TU Y PENSES À MOI, AU LIEU DE PENSER TOUJOURS QU'À TES PROFITS ?
Le coup partit tout seul. Sa joue claqua bruyamment. Elle tituba. Son visage était rouge, brûlant. Ses yeux brillaient.
– Tu vois ? Souffla-t-elle dans un filet de voix. Tu vois comment tu réagis ?
Elle me bouscula avec rage en partant, claquant la porte dans son dos. Je fixai mes mains. J'avais encore tout gâché. Je soupirai, désespéré. Je m'appuyais à un mur, avant de me laisser tomber au sol, assommé par ce fichu mal de tête.
– Tu estimes toujours que ce n'est pas ma faute ? Demandai-je à Alison dans un petit rire moqueur.
Elle baissa les yeux. Je reposai ma tête en arrière, contre la paroi. Ce mal de tête me tuait alors je fermai les paupières.
Je me réveillai doucement. J'étais allongé sur le sol en bois. Je me relevai. Par miracle, je n'avais pas fait de cauchemars. Je bâillai. Cela faisait du bien de enfin dormir. Je clignai des yeux. Mon mal de tête s'était comme... évanoui. Je m'étirai en silence. Il me fallut quelques instants avant que tous ces souvenirs me revinrent en mémoire. Ah oui, c'est vrai. J'avais oublié ne serait-ce qu'un instant tout ce qui était arrivé. J'aurais voulu que ce n'était qu'un mauvais rêve, qu'un simple cauchemar, et que je me réveillais, sans n'avoir jamais vu la trace d'une moindre menace, d'une moindre famille détruite. J'aurais voulu n'avoir jamais connu ce type, n'avoir jamais rencontré Garance, ni Alison ou Adrianne. C'était tout ce que je souhaitais. Tout ce que j'avais toujours voulu. Juste... oublier tout ce mal.
Ah...
Était-ce vraiment ce que je pensais ? Souhaitais-je vraiment n'avoir jamais croisé le chemin d'Adrianne ? Malgré toute la chaleur qu'elle avait apporté à mon cœur ?
Non, ce n'était pas ce que je voulais. Loin de là. Jamais je ne pourrais l'oublier. Alors je devais agir vite. Je devais trouver à tout prix un moyen de la sauver de ses griffes.
Je me levai d'un bond. C'était l'aube dehors, un jour s'était déjà écoulé. Il fallait faire vite. Je pris l'initiative de ne pas réveiller Alison qui dormait à poings fermés. Elle devait reprendre des forces. Garance n'était pas là. Peut-être était-elle déjà levée ? Cela n'avait absolument aucune importance. Si le fallait, si c'était la seule solution, j'irais sauver Adrianne seul, et elle ne m'en empêchera pas.
Je sortis de la chaumière et humai l'air frais du matin. Rien à voir avec l'odeur exécrable qui régnait à l'intérieur, suite à l'incendie. D'ailleurs, comment avait-il fait pour marquer ce message ? Est-ce que lui aussi avait-il, après toutes ces années, acquis des pouvoirs, suite à ses expériences ?
Je sentis ma migraine revenir. Je respirai doucement. Toutes ces questions me torturaient l'esprit. Je me dirigeai alors vers la toute petite grange que l'on avait aménagé. Par chance, elle n'avait pas été atteinte par les flammes. À l'intérieur régnait une odeur d'enfermé. Je n'en pris pas compte. J'ouvris ma malle si précieuse, et fouillai parmi les innombrables objets qu'elle contenait. Il y avait des vêtements, des carnets annotés, des nombreux papiers mais surtout, des cartes. De navigation, de la vallée, de la région même... J'inspectais chacune d'entre elles à la recherche de la bonne. Enfin, je la trouvais : la carte de la ville Bleue.
Je l'examinais en silence. Je sortis une plume et un encrier, avant de l'annoter de quelques mots.
La ville était entourée d'un grand mur, d'à peu près sept-huit mètres de haut, la protégeant du carnage environnant. Il n'y avait qu'une entrée, au sud, surveillée par un post de contrôle et une bonne dizaine d'obéissants. Impossible donc de passer par là. À l'est, se situait un ghetto. Cette partie-là de la muraille s'était un peu affaissée, et sa solidité n'était plus au rendez-vous. Je pourrais bien passer par là. Un peu plus au sud, se trouvaient les quartiers pauvres, comportant beaucoup de mendiants et de sans-abris. Plus au nord, il y avait l'hôpital, les vieux quartiers en démolition et plus à l'ouest, les hauts quartiers, où résidaient les patrons, chefs et autres... Tout à l'ouest, il y avait les quartiers des trafiquants, le laboratoire, mais également l'école et la place de la dernière larme, le lieu de rendez-vous qu'avait donné Glarian. Tandis qu'au centre de la ville, il y avait les quartiers riches, la place de la prière et la première maison ( chaumière ) considérée comme un lieu de culte.
Cette ville n'avait pas l'air bien méchante, vu d'ici, mais c'était un véritable champ de mines. Chaque rue était surveillée par des rôdeurs, des pilleurs et des voleurs. Posséder la moindre pièce était un réel danger dans cet endroit. Et puis, il ne fallait rien laisser paraître. Il fallait mentir, ne jamais révéler la vérité, ne jamais montrer sa peur, ne jamais faire confiance à quelqu'un. Quelles que furent vos prières et valeurs, c'était chacun pour soit.
Je plissai les yeux, inspectant chaque recoin de la carte. Elle était vieillit et tâchée ici et là d'eau, d'encre, et... d'un liquide étrange. Jaunâtre. Je reniflai. Du citron ? Est-ce que c'était... ? J'exposai la carte sous une vieille lanterne qui tenait à peine debout,
avant de plisser les yeux à nouveau. C'était bien ce que je pensais. Il y avait une
écriture. Une écriture ronde, trop ronde et étirée. Elle n'appartenait, ni à ma mère, ni à ce monsieur, ni à mon... enfin, à Glarian. Pourtant, il me semblait la connaître. Était-ce... ?
Non, sûrement pas.
Je tentai de lire le message, à demi effacé à cause du temps.
« La route pour .... sentr termi ..... tru... plot ... Holl... Is... d... une... ang... ouge... 4 .... 2359607 ... 08934.... 12478654..... ghtn... gyws.... Mikj... »
Hein ? Je ne comprenais rien. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Il me manquait des mots. J'insistai auprès de la lanterne, plissant de plus en plus mes yeux.
« La route pour... Sentier... terminrt ... truj... ploln... Holln... Isde... tune... eang... rouge... 4765... 2359607... ter... à08934... 2478654... ghetn... gyun... Milj... »
Peut-être à la lumière du soleil ? Je sortis avant d'exposer la carte aux rayons du soleil.
« La route pour attnde sentier terminnt touj... pls Hollnd... Islde... lune... cang... Rouge... 4765 et... 2359607... tere su... à 08934 lg... 2478654... ghettn ... guun ... Milljrs ... »
La carte se froissa dans mes mains. Avais-je bien compris ? Était-ce bien ces prénoms ? Qu'avaient-elles avoir avec tout ça ? Holland, je pouvais comprendre. Mais pour Isolde... Peut-être car...? Je secouai la tête. Non. Rien à voir. Je tentai de rassembler les mots :
« La route pour atteindre/attendre le sentier terminant toujours plus .... Holland... Isolde... lune... sang... rouge... 4765 et/est... 2359607... terre sud... à 08934 long... 2478654 ghetto...»
La fin n'était plus du tout visible. Il y avait des coordonnées. Depuis combien de temps ce message était-il inscrit sur cette carte ? Bien avant mon arrivée, sans doute. Cela ne devait plus servir à grand-chose. Je me demandais alors s'il y avait d'autres cartes du même cas. Je sortis la malle à l'air libre. Par chance, le soleil brillait fort et il n'y avait nul trace de nuage à l'horizon. Où étaient donc passés les éléments ? Ils ne me répondaient toujours pas.
J'inspectais chaque carte mais il n'y avait rien. C'était étrange. Mais soudain, je tombai sur une vieille carte de navigation décolorée par le temps. C'était la même écriture :
« La vatée est... ... Ive... Sino... Gade... Fey... Cyr... Rene... arde... Renez gar... êtr... tact... eux... risoue... Mourir... seule chose pour... cette.... Atredité. Mai po... faut y ... river avon... une de song... »
Le message semblait complet, même s'il restait certains mots effacés. Je tentai à nouveau de le déchiffrer.
« La vallée est... Rive ? River ? ... Sinon... Garde ?... Feyr ? ... Cyra... prenez garde prenez garde... être... tact ? Contact ? Avec eux ? ... Risque ... mourir... seule chose pour ... cette ... acidité ? Mais pour ... faut y arriver avont ? Avant ? Lune de sang... »
Je fronçai les sourcils. Quoi ? Que disait ce message ? Il mettait en garde contre quelque chose avant la lune de sang, si j'avais bien compris. Pourquoi donc ? Qui était cette chose ? J'eus soudain une idée. Si la personne en question était venu ici, elle avait sûrement dû écrire dans le carnet de recensement. Je l'espérais. S'il parlait d'un danger dans cette vallée – hormis Glarian – , je devais être en courant ! Je rentrai donc dans la cabane, les deux cartes annotées à la main, plus celle de la ville. Alison venait d'émerger. Elle se frottait frénétiquement les yeux, comme épuisée.
– Comment vas-tu ? Lui demandai-je.
Elle haussa les épaules.
– Bof, j'ai fait un cauchemar. Tu crois vraiment qu'on a une chance de la sortir de là ? C'est très bizarre mais mon corps me crie que c'est impossible et qu'on risque juste de mourir bêtement.
Cette fois, c'est à mon tour de hausser les épaules.
– Je ne sais pas. Mais on ne peut pas abandonner sans même essayer.
– Mieux vaut prévenir que guérir, comme on dit.
Je le dévisageai. Elle semblait éreintée, presque éteinte.
– Je ne te force à rien. J'irai seul, s'il le faut.
– Quoi tu es dingue ? S'exclama-t-elle, secouant vivement la tête. Non, non, non. Je viens avec toi !
– Tu es sûre ? Tu n'as pas l'air bien en forme. Garance m'a dit que tu as perdu beaucoup de sang. Il faudrait peut-être mieux que tu restes ici à reprendre des forces.
Son regard se rembrunit.
– Tu n'as donc pas confiance en moi, déclara-t-elle, froidement. Pourquoi ? Parce que je n'avais pas vu l'ennemi arriver, parce que je l'ai laissé s'enfuir avec Adrianne ou parce que mon don est défaillant ? Laquelle des trois raisons ?
Je secouai la tête.
– Aucune. Mon don aussi ne me répond plus ces derniers temps. C'est très étrange. Je n'ai pourtant rien fait qui puisse les mettre en colère à ce point, jusqu'à le laisser pénétrer sur ces terres sans rien dire.
– À quoi ressemble-t-il de base ? Me questionna-t-elle.
– Hum... Eh bien, il... il me ressemble un peu, avouai-je avec amertume. Il est brun avec les yeux couleur cuivre, assez grand en taille, maigre, avec une cicatrice sur toute la joue gauche. Sa voix ressemble à la mienne que je prends un ton froid et il est à moitié fou. Pas mal de tatouages recouvrent ces bras.
Rien que de se remémorer son image dans ma tête procura des frissons dans tout mon corps.
– Ce n'était pas lui, souffla-t-elle soudain.
Je relevai la tête, perplexe.
– Pardon ?
Avais-je mal entendu ?
– L'homme qui nous a attaqué Adrianne et moi, ce n'était pas lui. Celui-là était de taille moyenne, assez baraqué et carré, la peau bronzé par la chaleur, comme s'il était forgeron, ou quelque chose comme ça. Et ses yeux était noirs, comme... morts.
Elle frissonna.
Oui, je me souvenais maintenant. Il montait souvent la garde, empêchant quiconque d'entrer, ne pouvant ainsi pas découvrir ses magouilles. Il arrivait pourtant que je me faufile derrière son dos, pour pénétrer dans son laboratoire.
– Péri, murmurai-je.
– Qui ?
– C'est l'un de ses acolytes. Cela m'étonnait aussi, qu'il vienne en personne.
– On a pourtant reconnu tous les deux son écriture, répliqua une voix ferme dans mon dos.
Garance.
– Je n'ai pas la réponse à tous ces questions, répondis-je, me retournant. Et toi non plus d'ailleurs.
Elle me fusilla du regard. Notre dispute d'hier n'arrangeait rien à son caractère distant et froid d'origine. Son œil découvert lançait des éclairs, ses traits tendus, comme agacés. Plusieurs rides vinrent orner ses joues quand un rictus moqueur fendit son visage quand elle reprit :
– Et tu comptes les trouver où, tes réponses ? En y allant aussi bêtement que ça, te jeter dans la gueule du loup ?
Je m'efforçai de rester calme.
– Je n'en ai pas besoin, déclarai-je d'une voix posée. Je sais déjà de base où est son labo, ça me suffit.
– Oh, siffla-t-elle, toujours de son sarcasme. Tu as donc élaboré un plan ? Et c'est quoi au juste ? Débarquer au lieu de rendez-vous en disant : « on est là, rendez-nous Adrianne ou sinon on va être méchants ! »
Elle éclata de rire. Une fois de plus, j'ignorais ses railleries dérisoires. Si au début, elle était polie car on l'hébergeait, ce n'était plus le cas actuellement.
– Tu as fini ? Repris-je. Ce n'est pas que te voir rire me gène, mais ta présence me dérange.
Elle réprima un nouveau rire.
– De plus, tu comptes faire quoi, toi, exactement ? Rester ici, les bras croisés, pour ne pas prendre de risques ?
– Absolument. Ce n'est pas que je n'aime pas Adrianne. Mais je ne l'adore pas au point de m'approcher de ce taré, pour elle.
Je levai un sourcil.
– Quel entraide, on voit que tu es une amie en or.
Elle me toisa d'un regard indescriptible. Longtemps.
– Je n'ai aucune dette envers elle, alors je ne vois pas pourquoi je l'aiderai.
– Tu n'as pas besoin d'une dette, intervint Alison. C'est notre amie, non ?
– Rectification, c'est votre amie à vous, pas à moi.
Je fronçai les sourcils.
– Tu as pourtant sympathisé avec elle, remarquai-je.
Je regrettai aussitôt mes mots.
– Vous avez sympathisé avec elle, s'emporta Garance. Pas moi. Vous l'appréciez peut-être. Pas moi. Vous voulez aller la sauver. Pas moi. Alors maintenant, FICHEZ-MOI LA PAIX AVEC ÇA !
Et elle quitta la chaumière, claquant la porte dans son dos dans un bruit sourd. Je soupirai. Décidément, son caractère ne me plaisait pas du tout. Et ce serait donc sans elle pour le sauvetage d'Adrianne. Dans mon dos, j'entendis Alison pousser un soupir d'exaspération.
– Je ne comprends pas pourquoi elle ment, murmura-t-elle.
Je me tournai vers elle, sans comprendre.
– Comment ça ?
– Elle adore Adrianne, elle me l'a dit. Alors pourquoi affirmer le contraire ?
Un silence de plomb envahit la pièce tandis qu'elle réfléchissait.
– Parce qu'elle a peur, soufflai-je.
Elle releva la tête, surprise.
– Pardon ?
– Elle a peur de Glarian. Elle ne veut pas être à nouveau entre ses mains. Surtout qu'il ne peut plus rien faire d'elle à présent. Il risque d'à nouveau s'en débarrasser. Elle a peur de lui. Tu ne sais pas tout ce dont il est capable... C'est pourquoi moi, même s'il me terrifie, je ne peux me résoudre à abandonner Adrianne à ce monstre fou.
Mes poings se serrèrent quand je prononçai ses derniers mots.
Alison me sourit.
– Tu es trop mignon, s'exclama-t-elle.
Je le regardai, sceptique.
– Pourquoi donc ? Demandai-je, perplexe.
Son sourire narquois s'agrandit.
– Non rien, seulement, c'est mignon le fait que tu es prêt à confronter ton père, seul, pour la sauver.
Ma mâchoire se crispa.
– Ce n'est pas mon père, la contredis-je, d'une voix que je ne me connaissais pas. Il l'a été, mais il ne l'est plus depuis longtemps.
Son sourire s'évanouit d'un coup. Elle baissa les yeux.
– C'est vrai, désolée.
Ma remarque avait jeté un froid dans la discussion. Je regrettai presque d'avoir parlé.
– Repose-toi, lui dis-je finalement. Tu en as besoin.
Elle n'eut pas le temps de répondre, que j'attrapai mon carnet de recensement, reprenant mes occupations. Je le parcourais rapidement, d'une page à l'autre. Il devait y avoir une bonne vingtaine d'écritures différentes. Je remarquai à plusieurs reprises celle de Holland. J'eus un pincement au cœur en repensant à elle et son parfum. Sa silhouette m'apparaissait très vague, et son visage complètement flou. Je soupirai. Pourquoi n'arrivai-je donc pas à me rappeler d'elle. Il ne me restait plus aucun souvenir, hormis le fameux jour de notre arrivée. Pourquoi ma mémoire était-elle si vide à ce sujet ? Peut-être à cause de mon jeune âge durant cette époque. Pourtant, on a tous des souvenirs datant de nos six ans, non ?
« Ne dis pas de sottises, tu étais juste trop jeune. »
Je sursautai. Siena ? Oui. C'était sa voix.
« Pourquoi me répondre que maintenant ? Où étiez-vous ? Que s'est-il passé ? J'ai tant de questions pour vous... », pensai-je avec hargne.
Elle ne me répondit pas. Cela faisait près d'un mois que je n'arrivais plus à les joindre.
« Pourquoi ? »
« Je suis désolée, mais je n'ai pas le droit de te parler. Je dois te laisser. »
« Attends ! Pourquoi n'as-tu pas le droit ? Qui t'en empêche ? »
Elle poussa un soupir.
« C'est compliqué. Mais les autres non plus, n'ont plus la permission. Je vais être sévèrement punie si on apprend que je t'ai parlé. »
« Siena, s'il te plaît ! Réponds à une seule de mes questions : Garian est-il venu ici en personne ? »
« Non. »
« Mais son écriture... »
« Ce n'était pas son écriture. Tu n'as pas compris... »
« Comprendre quoi ? »
« Je te l'ai dit, c'est compliqué. Ne demande plus notre aide, ne nous fait plus confiance, au risque de mourir. »
« Comment ça ? Explique-moi ! »
« Tu... Hi ! Il est revenu ! Il va me punir ! Non ! Non, je t'en pris, je ne voulais pas... Aïe ! Il allait tout comprendre, je me devais de lui parler... Ah ! Non, arrête ! Promis je ne voulais pas, je suis désolée... Non ! Non ! Aïe ! Arrête, je t'en pris ! »
Plusieurs hurlements se mélangèrent et soudain, plus rien.
Aucun son.
Aucune parole.
Juste le silence.
Je clignai des yeux, reprenant peu à peu mes esprits. Le carnet était étalé par terre, des pages et des papiers annotés recouvrant le sol. Je me retenais à une chaise.
– Célian ! S'enquit Alison. Célian, ça va ? Tout va bien ?
– Hein, oh, oui, oui. Je... J'ai parlé avec Siena, et... et...
– Siena ?
– Le ciel, expliquai-je. Chaque élément se compose d'une entité puissante. Siena pour le ciel, Feyr pour le vent, River pour la mer, Gaïde la flore, selon Adrianne, et le feu... c'est toi qui sait.
– Cyra. Il s'appelle Cyra.
– Siena m'a parlé.
Je lui reportai donc ce qu'elle m'avait dit.
– Punie par qui ? Par quoi ?
– Je ne sais pas. Elle a juste dit « c'est compliqué ». Mais elle a dû partir, elle s'est faite prendre par cette personne, justement.
– Ah mince. Que t'a-t-elle dit d'autre ?
– Rien. Elle a coupé la conversation au moment où elle allait m'expliquer.
– Au moins, on a déjà une réponse. Quelqu'un ou quelque chose empêche les éléments de nous parler...
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