Chapitre 5
saison des pluies – 4ème mois – 6ème jour – an 128
Il était assez tard quand nous mangeâmes. Je donnais plus de nourriture à Garance. Vu sa maigreur, c'était plus que vital pour elle. Ensuite, je lui soignai ses quelques blessures mal cicatrisées qui lorgnaient son corps. Elle se lava et nous nous couchâmes...
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Le soleil se levait doucement sur la mer, ses rayons éblouissants l'horizon. Celle-ci était plutôt calme. Ses eaux caressaient tendrement la falaise avec générosité. C'était un paysage dont on ne pourrait, selon moi, jamais se lasser. C'était juste magnifique. J'étais assis sur mon fidèle rocher, regardant cet acte miraculeux.
– Ouah, s'extasia une voix dans mon dos. C'est incroyable !
Je me retournai. Adrianne se tenait derrière moi, aussi rayonnante que jamais. Ses yeux de verre débordaient des saveurs du jour levant. Elle s'assit à mes côtés, tout sourire.
– Tu comptais assister à ce spectacle sans moi ? Me reprocha-t-elle.
– Bah, maintenant tu vas tout gâcher.
– Sympa.
– Ça va, je te taquine.
– Mouais.
Elle fit la moue. Elle était adorable.
– C'est vraiment beau, reprit-elle plus sérieusement.
– Oui.
Elle semblait émue. Sans doute parce que, là d'où elle venait, elle n'avait pas dû avoir la chance d'y assister ne serait-ce qu'une seule fois. Nous restâmes quelques instants sans parler. Il fallait dire que c'était un paysage à couper le souffle.
– Dis, reprit Adrianne d'une voix calme. Hier, vous avez parler d'une personne qui te ressemble avec Garance. De qui parliez-vous ?
Je baissais les yeux.
– C'est compliqué, soupirai-je.
– Tu n'es pas obligé de me répondre.
– Je préfère, oui. C'est un peu personnel...
– Ne m'en dis pas plus, je comprends.
– Merci.
Je fus soulagé qu'elle n'insista pas. Elle ferma les yeux, comme pour sentir l'air marin qui venait soulever ses cheveux avec tendresse. Les rayons de l'aurore baignaient son visage avec bonté. Son sourire ensorcelant ne quittant jamais ses lèvres, ses traits se détendirent. Son visage semblait si délicat que j'eus peur que la moindre brise un peu plus forte ne vienne briser son charme inné. Soudain, ce vent tant redouté submergea son corps. Mais elle n'en perdit pas moins de sa beauté. Même au contraire. Ses cheveux se rebellèrent, ils virevoltaient au vent comme des serpents dansant au rythme d'une musique tant appréciée. Elle se mit à rire. Son sourire fendit son visage avec allégresse et grâce, ses yeux pétillants de vie, sa beauté reflétant sa joie de vivre. Elle était juste sublime. Et pas seulement de l'extérieur. Personne ne pouvait rivaliser avec tant de ravissement et de vertu.
– Ouah, soufflai-je, conquis par son enchantement.
Elle se tourna vers moi, incrédule.
– Qui a-t-il ?
– Rien, c'est juste que... tu m'éblouis.
J'étais sincère. C'était rare de voir mon cœur parler ainsi. Elle rougit de plaisir.
– Oulà là là là... tu as dû te cogner la tête, ou peut-être que tu as de la fièvre...
Elle glissa sa main entre mes cheveux, afin d'atteindre mon front.
– C'est vrai, je suis fiévreux de toi.
Elle rougit encore plus. Elle tenta de partir mais je la retins doucement.
– Tu ne sais pas à quel point tu fais vibrer mon cœur...
Je l'amenais à moi avec délicatesse avant de déposer sur ses lèvres mille autres saveurs que je tenais à lui faire découvrir. Elle rosit de surprise mais ne me repoussa pas. Elle ferma les yeux, et je fis de même. L'enivrance m'envahit, et mon cœur palpita dans ce plaisir aussi désirable soit-il. De nombreux sentiments s'emparèrent de ma pleine conscience : la joie, le désir, le bonheur, l'excitation et autres, se mélangeant en moi en un sentiment d'euphorie. Rien n'est plus satisfaisant que de goûter aux délices des anges. Je demandais aux éléments de me pardonner. Je la dérobais de ses saveurs, de ses couleurs, de son onctuosité, car, quel être humain, à ce moment-là, était plus friand que moi de ce genre de délices ? Le péché anime les êtres au cœur absent. Je m'excusais auprès des éléments de me permettre, ne serait-ce que quelques instants, d'enfreindre ces lois de vie si privatives.
Je rouvris les yeux en même temps qu'elle, conquis. Je me détachais d'elle, à contre cœur. Elle semblait sonnée. Que pensait-elle ? Était-elle vexée ? M'en voulait-elle ? Avait-elle aimé ? Parcouru d'un doute étant donné qu'elle gardait le silence, je me tournais vers la vallée, pour voir ce qu' elle ressentait. J'ouvris les yeux en grand.
C'était magnifique. Tout bonnement magnifique. Tout était si luxuriant... Mille et unes couleurs recouvraient la vallée. Chaque plante, resplendissait de mille et un éclats de vie. C'était... beau et vivant. Tout était leste, vigoureux, svelte, majestueux... Les animaux se baladaient, les plus heureux du monde, à travers cette végétation si abondante et vivace. Chaque végétal était encore humidifié par la rosée où se reflétaient les rayons de l'aurore, faisant étinceler toute la plaine. Je n'avais jamais rien vu de tel. Aucun lever ou coucher du soleil ne pouvait rivaliser avec pareille splendeur.
Voilà donc ce qu'elle pensait.
Je me tournais vers elle. Elle gardait les yeux rivés sur le sol. Ses joues étaient encore teintées de rose, mais un sourire se dessinait sur ses lèvres. Elle semblait ravie. J'en fus sincèrement heureux.
– Tu sais, balbutia-t-elle. Moi aussi... moi aussi je t'aime.
– Vraiment ?
Elle opina de la tête. Je sentis la joie monter en moi. C'était un véritable feu d'artifice de sentiments que je peinai à contenir en moi. Wow, que se passait-il ? Quelque chose de bizarre remuait en moi. Je ne savais pas trop comment réagir. Je ne compris pas tout. Néanmoins, je vis les yeux d'Adrianne s'ouvrir en grand, pétillant d'excitation.
– Ça y est, s'écria-t-elle. Enfin, tu souris vraiment !
C'était une sensation étrange. Cela me tirait sur les joues, me donnant des crampes. Mais pourtant, je continuais. Enfin, je pouvais lui rendre tous ces sourires qu'elle m'avait donné, et qu'elle me donnait encore. Elle sourit à son tour. Elle resplendissait de vie. C'était un moment magique. Féerique. J'aurais voulu qu'il dure éternellement. Mais toutes bonnes choses ont une fin. Je le compris lorsqu'un cri strident retentit à travers la vallée. Cette voix, c'était Alison.
Nous nous précipitâmes donc à son secours. Lorsque nous arrivâmes enfin, nous vîmes une Alison écœurée au plus haut point et une Garance aussi blanche que l'écume, terrifiée.
– Que se passe-t-il ? M'exclamai-je, alarmé.
– C-c'est à l-l'inter-rieur il-il y a un-un m-m-message, bégaya Alison.
Je fronçai les sourcils avant de me précipiter dans la cabane, suivi de près par Adrianne. J'ouvris les yeux en grand. C'était effectivement un message, écrit sur le mur principal à l'encre rouge. Je m'approchais. Je tendis la main avant de toucher une lettre bizarre de mon index. L'encre détint sur mon doigt. Elle était donc encore fraîche. Avec hésitation, je la goûtai.
– Mais qu'est-ce que tu fais ? S'écria Adrianne dans mon dos.
Un goût écœurant envahit ma bouche. Rien à voir avec les saveurs qui m'enivraient encore quelques secondes auparavant.
– Je rêve, soufflai-je. C'est du sang.
Adrianne poussa un petit cri d'effroi.
– Et il est encore frais.
Je me tournai ensuite vers le message en entier. Il était écrit dans une langue étrange. Pourtant, cette langue, je la parlai de naissance. Et il y avait cette écriture. Je frémis. Elle carrée, rapide, sans élégance, à la va-vite. Je l'aurai reconnue entre toutes. Je ravalai ma salive avant de lire, avec hésitation, ce fameux message. Il était assez vague, parlant des éléments, de la vallée, d'une certaine étrangère à l'apparence de monstre, d'un secret, d'une malédiction, d'un événement cauchemardesque et de la ville Bleue. Un frisson me parcourut. Il n'était pas signé, mais je savais très bien qui l'avait écrit. Il n'y en avait pas deux. Mais comment avait-il pu écrire ce message sachant qu'il n'était pas là quand je m'étais levé ? Il était donc venu. Il m'avait retrouvé. Je jetai un regard à Garance, qui se tenait sur le pallier, aussi blême que jamais. Dans ses yeux se lisait la même crainte. Elle aussi avait compris. Où était-il maintenant ?
– Que dit ce message ? Demanda Adrianne.
Derrière Garance, se tenait Alison. Elle aussi semblait intriguée. Je soupirai avant de de nouveau regarder Garance. Elle me scrutait. Elle s'attendait peut-être à ce que je leur explique. Je suppose qu'elle aussi voulait savoir ma version des faits.
– Garance, dis-je. Viens avec moi, on va inspecter les environs pour voir si cette personne est encore là.
À contre cœur, elle acquiesça. Au cas où, j'ouvris une petite commode avant de sortir un vieux canif, que je gardais précieusement.
– Juste au cas où, expliquai-je, voyant la mine inquiète d'Adrianne.
Mais avant de sortir, je vérifiai le grenier au cas où il se serrait caché. Mais rien.
J'ordonnai ensuite à Adrianne et Alison de rester à l'intérieur et de s'enfermer à clé. Elles obéirent aussitôt, et Garance et moi sortîmes. Ce n'était pas seulement pour faire diversion que j'avais dis ça. Il devait être encore dans les parages, c'est pourquoi je devais prendre toutes les précautions nécessaires. Nous traversâmes la vallée en silence, avant de se poster sur une colline en amont. La vallée n'était que de plaines, et d'ici, nous pouvions voir à des kilomètres à la ronde. Je scrutai chaque buisson, chaque arbre, chaque amas de terre ou de branchages, susceptibles de cacher un individu. Nous ne parlions pas. Il y avait plus urgent à régler. Après près de dix minutes, je décidai de changer de poste. Garance me suivie, en silence. Elle ne broncha pas, mais elle était d'une pâleur à faire froid dans le dos, si bien que j'évitai de la regarder. Nous changeâmes trois fois d'endroits. Où était-il ? Il n'avait pas pu s'envoler, ni aller bien loin. La vallée était immense, et avec tous les dénivelés, nous mettions généralement une ou deux bonnes heures à tout traverser, même en connaissant le milieu. Alors où était-il passé ? Où se cachait-il ? Peut-être avait-il une cachette, ou un passage secret ? Peut-être était-il passé par les sentiers de la falaise ? Je demandai au vent, à la mer et au ciel. Aucun ne me répondit. Je leur redemandai, encore et encore. Mais rien. Ils restaient silencieux. Pourquoi ? Pourquoi ne me disaient-ils rien ? Était-ce à cause d'Adrianne ? Ils m'avaient pourtant dit d'en faire ce que je voulais, non ? Mais là, c'était autre chose. S'il y avait eu un homme de l'extérieur revenant détruire, n'auraient-ils vraiment rien fait ? Cela m'étonnait. Peut-être ne l'avaient-ils juste pas vu. Non, cela m'étonnait aussi. C'était bizarre. Quelque chose n'allait pas.
– Garance, demandai-je. Vous veniez de le voir, à l'instant où vous vous êtes levées, c'est ça ?
– Oui. Mais c'est Alison qui l'a vu la première. Moi je dormais encore. C'est son cri qui m'a réveillée.
– Je vois. Il est donc entré quand vous dormiez.
– Mais Adrianne et toi, quand vous vous êtes levés, le message n'était pas là ?
– Non. Après, je me suis levé avant elle. Mais il n'y avait rien non plus.
– C'est bizarre. Tu crois vraiment qu'il est venu ?
Je fronçai les sourcils.
– Qu'entends-tu par là ?
– Je ne sais pas, tu ne trouves pas ça étrange qu'il soit venu juste pour ça et est reparti aussi vite. Surtout qu'il semble avoir disparu de la circulation.
– Si, très. Surtout que les éléments refusent de me répondre quand je leur demande où il est.
– Il nous déteste tant. S'il nous avait à portée de mains, il aurait déjà sauté sur
l'occasion. C'est si bizarre que c'en est inquiétant.
– On va devoir redoubler de vigilances.
– Oui. On retourne à la cabane ?
– Oui.
Nous prîmes donc le chemin du retour. Garance marchait devant moi, tandis que je cherchais toujours à joindre les éléments. Que se passaient-ils à la fin ?
– Dis, reprit Garance. Pourquoi tu ne leur as rien dis ?
Elle tenait vraiment à ce que je parle. Au moins, là, on était seul.
– Elles n'ont pas besoin de savoir, ça ne ferait que les inquiéter plus qu'autre chose.
– Tu n'en sais rien. Peut-être qu'elles veulent des explications. Moi, en tout cas, c'est ce que je veux. Comment le connais-tu ?
– C'est compliqué, soupirai-je, embarrassé.
– Il faut que tu nous expliques. À moi, à Adrianne et à Alison.
– Est-ce que j'ai vraiment le choix ?
– Non.
– Bon, d'accord. Je fais ça quand on rentre.
– Merci.
Je toquai à la porte.
– C'est nous. On ne l'a pas trouvé. Il semble avoir disparu. Vous pouvez nous ouvrir ?
– Oui, s'il vous plaît ? Insista Garance.
Nous entendîmes des bruits de meubles déplacés et de cliquetis des clés de la serrure, avant que la porte ne s'ouvrit sur Adrianne qui semblait rassurée.
– Enfin vous êtes là. J'avais peur qu'il vous arrive malheur, s'écria-t-elle, soulagée.
Nous entrâmes donc. Adrianne referma la porte à clé, et aida Alison à remettre un meuble devant.
– Juste au cas où, expliqua-t-elle en me faisant un clin d'œil.
Je lui souris. Elle était vraiment mignonne.
– Non je rêve, s'exclama Alison. Tu souris ?
Je me sentis rougir.
– En-enfin bref, repris-je d'un air plus grave, sentant le regard pesant de Garance. Il... Il faut que je vous parle.
Elles me regardèrent avec un air déconcerté.
– Asseyons-nous, proposai-je. Vous voulez du thé ?
– Je n'aime pas le thé, répondirent en cœur Alison et Garance.
– Adrianne ?
– Non, ça ira merci je n'ai pas soif.
Nous prîmes donc place autour de la table, Adrianne à mes côtés. Garance me regardait avec gravité. Je devais donc tout leur dire. Je soupirai. Je n'aimais pas recenser le passé, elles allaient sans doute m'en vouloir.
– Tu dois leur dire, insista une nouvelle fois Garance.
– Je sais bien.
Je soupirai une nouvelle fois.
– A- Adrianne, tu te souviens quand tu es arrivée, je t'avais dis avoir toujours vécu ici ?
– Heu, oui...
– Ce n'est pas tout à fait vrai... Avant, je vivais à la ville Bleue.
– J'en étais sûre, pesta Garance à voix basse.
J'ignorais sa remarque.
– J'imagine que vous ne savez pas où c'est ? Devinai-je.
Alison et Adrianne secouèrent la tête.
– C'est une ville, derrière les hautes montagnes qu'on voit se perdre à l'horizon lorsque l'on monte sur les collines. Bien plus loin que la vallée où était emprisonnée Garance. Oui, bien plus loin... C'est une ville comportant beaucoup d'habitants. Elle est considérée comme étant oppressée, vile, où les villageois doivent obéir à leurs supérieurs, qui correspondent d'ailleurs à tous les critères des gens du monde extérieur. Là-bas, on ne peut, ni entrer, ni sortir, sauf en ayant une dérogation de la part de tous les supérieurs, c'est-à-dire tous les riches, patrons et chefs. Une vraie prison. On l'a dit « bleue », référence à l'énergie qui circule dans ses terres. La ville est située au cœur d'un véritable champ de bataille, au milieu d'une rencontre entre force, gravité et énergie, si bien que là-bas, l'eau reste en suspens. Elle ne touche jamais le sol et reste constamment dans les airs. Les gouttelettes s'étendent tout au long de la vallée. Là-bas, les couleurs ne s'imprègnent pas et se diluent. Si bien, que tous les murs et bâtiments de la ville sont blancs, aux reflets bleutés, d'où son nom si spécifique. C'est la seule ville à proximité de notre vallée, à des kilomètres à la ronde. On dit que, de base, les habitants sont des rescapés du carnage qui frappait les terres, et qu'ils se sont retrouvés piégés. On raconte que c'était un vieux berger qui vivait dans une petite maison, ayant servie de refuge, ce qui a incité les fuyants à aménager les terres. Cette vieille bâtisse en pierre existe toujours, et est devenue un sorte de lieu sacré.
Une famille vivait dans le centre de la ville, dans un quartier vide. Le père, Glarian, acheta pas mal de bâtiments et y créa une sorte d'orphelinat. Étant médecin d'origine, il récupéra des dizaines d'enfants sur lesquels il mena des expériences plus atroces les unes que les autres. Il a alors commencé à tout vouloir. Il transforma leurs A.D.N. et fit des dizaines d'essais sur la métamorphose, le clonage, la résurrection et l'immortalité. Bon nombre d'enfants moururent, d'autres se virent pousser des ailes, des cornes, des queues, pour certains des sortes de pouvoirs naquirent en eux.
Sa femme était bien évidement au courant de ses recherches effroyables, elle essaya de l'arrêter, et le dénonça, mais en vain. Et c'est à ce moment-là qu'il commença à la battre, elle et ses enfants. Elle vit sa fille aînée se faire détruire sous ses yeux. Elle tenta de la sauver, sans réussite. Alors, tentant de sauver son fils encore inerte, elle s'enfuit une nuit. Mais elle ne savait pas où aller dans ce carnage environnant. Il pleuvait à grosses gouttes, le vent était déchaîné et il faisait un froid glacial, mais elle devait fuir loin. Elle gravit les montagnes, malgré les vents. Elle traversa des vallées, jusqu'à la côte. Elle la longea longtemps. Et après deux jours, elle tomba sur une vieille chaumière. Elle y est entrée. Elle était habitée. C'était un vrai bazar à-dedans. Il y avait des papiers annotés de partout, des cartes accrochées aux murs étaient recouvertes d'une écriture rapide, à la va-vite et d'une langue inconnue, et puis, il y avait des casseroles ici et là, récupérant les gouttes d'eau qui tombaient du toit fuyant. Il y avait également un lit... occupé. C'était un vieux monsieur, dormant à poings fermés. Elle le réveilla donc. Fort heureusement, il n'était pas mort. Elle lui expliqua la situation. L'homme fut étonnement attentif et à l'écoute. Elle lui déballa alors tout ce qu'elle avait sur le cœur. Quand elle eut fini son récit, il lui proposa alors de manger. Elle accepta avec joie. Elle mangea. Son fils âgé de 4 ans aussi. Il lui proposa des habits secs. Elle se changea, changea son fils. Il lui proposa alors de dormir. Elle dormit. Son fils aussi. Et la cohabitation commença. L'homme était veuf depuis des années et n'avait pas d'enfants. Il apprit à la femme et au garçon tout son savoir, concernant les animaux, les plantes, la navigation, le temps, sa langue... tout ! Plusieurs années passèrent ainsi. Deux. Et, soudainement, la cohabitation passa de trois à un. Y avait-il une raison ? L'enfant n'en savait rien. Il les chercha. Longtemps. Mais rien. Il fit ensuite la rencontre des éléments. Puis le temps passa. Et ce garçon, c'est moi.
Un silence de plomb envahit la pièce. Voilà. Elles l'avaient eue, leur explication. Je gardai les yeux rivés sur le rebord de la table. Je sentis quelqu'un me prendre par la main. Je savais que c'était Adrianne. Elle ne m'en voulait donc pas. J'étais rassuré. Qui plus est, elle me soutenait. Je jetai un regard à Garance. Elle avait les yeux baissés, et se mordillait la lèvre.
– C'est pour ça que tu lui ressembles, souffla-t-elle lassement.
– Et tu es une de ses expériences, c'est ça ? Déduisit Alison.
– Oui, acquiesça Garance. Hélas oui.
– Quelle horreur, murmura Adrianne, écœurée.
– Il m'a retrouvé, repris-je.
– Je crois bien.
Je soupirai, désespéré.
– Qu'est-ce qu'on va faire ?
– On va prendre les précautions nécessaires, déclara Alison. À partir de ce soir, on va faire des rondes par deux. Une moitié de la nuit ce sera par exemple Célian et Adrianne, et l'autre moitié, Garance et moi. Ensuite, personne ne sortira seul, c'est clair ? Chacun devra toujours être accompagné, et ne devra pas partir trop loin. Et est-ce que tu as d'autres canifs ? Ou sinon on pourrait prendre des couteaux comme armes pour se protéger.
– Je crois que j'en ai un deuxième.
– Parfait. Alors on fait comme ça ?
Nous acquiesçâmes tous.
Le soir venu, c'était donc Adrianne et moi qui étions de garde. J'avais avec moi mon canif et elle un couteau de cuisine assez aiguisé. Garance et Alison dormaient en silence. Je regardai par la fenêtre. Dehors, tout était calme, avec une légère brise. Pas
une chouette ou un hibou ne venait perturber ce silence pesant. C'était si silencieux que ça en donnait froid dans le dos. La lune brillait haut et fort. Ce serait bientôt la pleine lune. Adrianne était à mes côtés, emmitouflée dans une couverture.
– Tu as froid ? Lui demandai-je.
– Un peu.
Je ne savais pas trop quoi lui dire. J'avais besoin de m'excuser auprès d'elle.
– Tu sais, je... je suis désolé de ne pas t'avoir dis toute la vérité dès le début. Tu as le droit de m'en vouloir.
– Tu me considérais encore comme une étrangère, c'était normal.
– Ne me cherche pas d'excuse. Je suis juste désolé.
– C'est gentil, mais je ne t'en veux pas, tu sais. Ça a dû être dur pour toi. Tu n'as jamais su réellement ce qui leur était arrivé ?
– Jamais. Ils sont partis chassés un jour, et ne sont jamais revenus. Je les ai attendu longtemps, et, ne les voyant par revenir, je suis parti à leur recherche. C'est comme ça que j'ai connu les éléments, j'ai retourné les vallées, jusqu'au hautes montagnes. Peut-être qu'il les a retrouvé...
– Je n'espère pas.
– C'est la raison la plus probable.
– Viens t'asseoir avec moi, s'il te plaît.
Je jetai un dernier coup d'œil dehors avant de prendre place à ses côtés. Elle posa sa tête sur mon épaule avec affection.
– Bouh, j'ai envie de dormir, pas toi ?
– Pas trop, sachant qu'il pourrait revenir.
– Oui, il faut être prudent, déclara-t-elle dans un bâillement.
– Toi, tu dors sur place.
– Oui, un peu. Mais quand même, cet être est horrible.
– Oui, d'ailleurs tu ne trouves pas ça bizarre qu'il est entré juste pour écrire ce message et est reparti aussi vite ?
– Il devait sans doute te chercher mais vu qu'il ne t'a pas trouvé, il est reparti pour ne pas qu'Alison et Garance ne s'en prennent à lui. Après tout, avec leurs pouvoirs... enfin après, c'est vrai que c'est très suspect. D'ailleurs tu sais quel est le pouvoir de Garance ? Peut-être qu'elle n'en a pas.
– Si elle en a. Je sais pas lesquels mais elle en a, elle me l'a dit.
– Il doit sans doute le savoir vu que c'est lui qui...
Elle ne termina pas sa phrase. Elle n'en avait pas besoin. J'avais très bien compris la suite. Je frémis en imaginant la scène.
– Ça devait être horrible, murmura-t-elle d'une voix tremblante.
– Tu ne sais pas à quel point.
Je la sentis frissonner. Je la serrai alors dans mes bras. Elle se blottit contre moi affectueusement...
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Je me réveillai en sursaut, le souffle court et me redressai. Je regardai autour de moi. Oh, ce n'était donc qu'un rêve. Bon, un cauchemar en l'occurrence. Je calmai ma respiration. J'avais mal, mais vraiment très mal dormi. Des souvenirs étaient remontés à la surface pendant que je dormais. Je frissonnais en repensant à mon cauchemar. Il m'aura vraiment hanté toute ma vie.
Je me levai. Dehors, le soleil était déjà levé. Je fronçai les sourcils. Ça ne me ressemblait pas de dormir autant.
– Ben alors, tu as dormi longtemps pour quelqu'un qui se lève tôt, s'exclama la voix joviale d'Adrianne.
Je me retournai vers elle. Elle, Alison et Garance étaient toutes débout. Je me relevai difficilement.
– Tout s'est bien passé cette nuit ? Demandai-je.
Il semblait que oui car elles souriaient.
– Nickel ! Affirma Alison. De plus, on a inspecté les environs, tout est nickel !
Je soupirai de soulagement.
– Heureusement...
Puis le temps passa. Chaque jour et chaque nuit, nous étions sur nos gardes. Nous étions de ronde à tour de rôle, inspections les environs avec prudence. Je dormais mal. Mes nuits étaient hantées par lui. Je revoyais son visage, ses mains tachées de sang, toutes ses expériences... Et puis, sa voix retentissait de sa froideur. Je ressentais à nouveau cette souffrance, tous ces coups sur mon corps. Tout cela se raviva en moi. Un jour, j'étais entré par accident dans son labo. Je l'avais vu testé ces expériences sur des enfants, à peine plus vieux que moi à ce moment-là. Leurs visages apeurés transformés par la douleur me hantaient, me revenant en tête à chacun de mes rêves. Je commençais à être vraiment épuisé. Il devait être bien loin. Mais quand allait-il revenir maintenant qu'il m'avait retrouvé ? Allait-il être seul ? Qu'allait-il nous faire ? Qu'était-il devenu depuis tout ce temps ? Et qu'avait-il fait de ma mère et du monsieur qui m'avait accueilli ? Ces questions me torturaient l'esprit. Adrianne s'inquiétait pour moi. Je voyais son visage soucieux et je tentai maintes et maintes fois de la rassurer, mais en vain !
Et plus les jours passaient, plus ma crainte grandissait. Je devenais dingue.
Mais une nuit, alors qu'Adrianne et moi venions de nous endormir, Alison nous réveilla, complètement paniquée.
– Il est revenu, il est revenu ! Criait-elle.
Je me levai et dans un même mouvement, m'emparai de mon poignard. Adrianne fit de même.
– Il a mis le feu dehors ! Tout brûle et je n'arrive pas à atteindre l'incendie !
Garance était à la porte, la peur se lisait sur son visage. Nous nous précipitâmes à l'extérieur.
Tout était en feu. La maison était entourée par des flammes qui s'élevaient bien plus haut que nous. L'air était irrespirable, pollué par la fumée et les cendres. Je toussai, les autres également. Alison essayait en vain de stopper l'incendie avec peine. Elle suppliait, criait, jurait... Les flamme s'élevaient toujours plus haut et se rapprochaient de plus en plus. Je priai alors le ciel, Siena, d'intervenir. Comme avec Alison, il resta sourd à mes appels. Garance battait des ailes pour éloignait le feu, mais ça ne servait décidément pas à grand chose.
– Célian ! Me cria Adrianne. Demande au ciel de faire quelque chose !
– Je l'ai fais mais il ne fait rien !
– Quoi ? Pourquoi ?
– Je ne sais pas. Ça fait plusieurs jours que les éléments ne me répondent plus.
– Hein ? Comment ça ? Tu as perdu ton don ?
Je frémis. Au mon dieu non, je n'espérai pas ! Alison s'égosillait devant les flammes, complètement désespérée.
– Écoutez-moi ! Arrêtez tout de suite, vous allez finir par nous blesser, voire pire !
Je toussai à nouveau. La sueur perlait mon front. Il faisait chaud, trop chaud.
– Il n'y a pas d'autre porte dans la chaumière ? Me demanda Adrianne qui essayait au mieux de trouver une solution.
– Non, rien !
Soudain, Garance poussa un cri strident. Un cri d'animal aigu. De chauve-souris, plus précisément. Je n'en compris pas la raison car elle se tenait à bonne distance des flammes, ce qui n'était pas le cas d'Alison.
– Alison ! Recule, tu es trop près !
Elle ne m'écoutait plus. Elle semblait dans une logorrhée paniquée. Elle tremblait de peur, n'arrêtant pas de supplier le feu, qui lui, était à ses pieds, dévorant l'herbe avec frénésie et aisance. Je me rapprochais et la tirai par le bras, l'éloignant des flammes. Elle était toujours bizarre, parlant dans le vide. Soudain, je vis le toit commencer à brûler.
– Oh non, soufflai-je.
Un nouveau cri retentit, Adrianne, cette fois. Je me tournai vers elle, mais elle avait disparu. Un filet de flammes séparaient Garance et elle d'Alison et moi. J'eus à peine le temps d'apercevoir leurs visages effarés que le feu devint une véritable forteresse entre nous. Un rejet de cendres me parvint. Je toussai. De nouveau, j'implorai Siena. Elle ne me répondit toujours pas. Les flammes dévoraient les murs de ma maison avec acharnement. Nous étions si près du feu que je crus que ce serait la fin. J'étouffais. Mon pantalon prit soudain feu. Je poussai un cri d'effroi. Mais soudain, tout disparu dans une épaisse fumée de cendres. Je fus pris d'une quinte de toux, avant de reprendre mes esprits et de regarder autour de moi. Alison était debout devant moi, les mains tendues en avant. Le feu s'était presque éteint. Il restait quelques flammes et braises chatoyantes par terre. À travers la fumée, je vis Adrianne et Garance, saines et sauves. Elles nous rejoignirent.
– Que s'est-il passé ? S'enquit Adrianne.
Je lui montrai Alison du menton.
– Je crois qu'elle y est parvenu.
– Venez vite, cria soudain la concernée. Il y a un message.
Nous nous précipitâmes à ses côtés. Sur le sol, les braises formaient effectivement des mots. Les mêmes que l'autre fois. Je tressaillis.
– Il est bel et bien revenu, murmurai-je.
– Que fait-on alors ? Demanda Adrianne.
– Il faut le retrouver ! Insista Garance, prise d'un élan d'énergie. On ne peut pas le laisser s'échapper une deuxième fois !
– La dernière fois, les recherches n'avaient rien données, et pourtant, on n'avait pas perdu de temps, dis-je.
– Alors que proposes-tu ?
– Il a dû passer par un des sentiers de la falaise, on devrait y aller...
– Je m'en charge, me déclara Garance, avant de pousser un nouveau cri de chauve-souris égorgée, faisant froid dans le dos.
Son cri résonna dans la vallée. Peu de temps après, un grouillement retentit. Puis plusieurs, non des dizaines, des centaines mêmes de bestioles volantes. Je plissai les yeux. C'était bien ce que je pensais. C'était des chauves-souris qui se dirigeaient droit sur nous. Alison hurla tandis que la nuée se jeta sur elle. Mais elle ne lui fit rien et la contourna de justesse. Elles se posèrent sur l'herbe calcinée, sur la chaumière, les arbres voisins... Elles étaient des centaines. Garance leur parla d'une voix criarde dans une langue inconnue. Elle semblait énervée, mais dans ses yeux se lisait une étrange sérénité, allant à l'encontre de sa voix. Dès qu'elle eut finit son discours, toutes les chauves-souris s'envolèrent une à une, virevoltants de droite à gauche. Elles se dispersèrent dans tous les moindres recoins de la vallée, même si la plupart se dirigèrent vers la falaise.
– Elles vont s'en charger, affirma Garance, sourire aux lèvres.
– C'est... spécial, lui dis-je.
Alison semblait être de mon avis.
– Rentrons, décidai-je. On verra si elles nous appellent.
Nous rentrâmes donc à l'intérieur de la chaumière, à moitié carbonisée. L'air était encore envahit par la fumée. Nous toussâmes. Comme la dernière fois, nous barricadâmes la porte avec un meuble qui tenait encore debout. Nous attendîmes en silence. Longtemps. Enfin, une, deux, non, cinq chauves-souris revinrent à nous. Garance les écouta pépier sans rien dire. Nous la fixions avec insistance. Que disaient-elles ? L'avaient-elles retrouvé ? Elles s'agitaient avec panique. Enfin, Garance se tourna vers moi.
– À la falaise, me souffla-t-elle. Elles veulent nous mener à la falaise.
– Suivons-les ! M'exclamai-je sur-le-champ. Alison, Adrianne, vous restez ici !
– Pourquoi toujours nous ? S'offensa Alison, dans un soupir las.
– Vous n'avez rien à voir avec tout ça. Ce ne serait pas juste qu'il se prenne à vous aussi.
– Moi ça ne me dérange pas de rester ici, je n'ai aucune envie de me retrouver face à cet être fou furieux, déclara Adrianne.
Je sentis qu'Alison hésitait.
– Oui, tu as raison, se décida-t-elle finalement.
J'avais toujours mon couteau à la main. Nous sortîmes en vitesse et courûmes à la suite des chauves-souris qui s'élançaient à une rapidité monstre. Je n'avais jamais couru aussi vite. À mes côtés, Garance faisait de son mieux pour éviter les dénivelés piégeurs. Nous traversâmes la lande, puis la vallée. Nous descendîmes dans plusieurs sentiers de la falaise. La mer était encore étrangement calme, malgré le fait qu'un certain visiteur avait pénétré sur ces lieux. Je ne comprenais pas la vallée en ce moment, son comportement était bizarre, inexplicable.
Les chauves-souris s'arrêtèrent soudain. Je fronçais les sourcils.
– Que se passe-t-il ? Demandai-je à Garance. On ne l'a pas encore trouvé !
– Non. Mais regarde.
Elle pointa du doigt un rocher de la paroi rocheuse. Je regardai dans sa direction indiquée. Il y avait de nouveau un message. De nouveau écrit avec du sang, et c'était encore son écriture. Mais cette fois, il était différent. Ce n'était pas les mêmes mots. J'ouvris les yeux en grand. « il fallait faire attention » , disait-il. « Quelles sont leurs armes ? Quelles sont leurs défenses maintenant que leurs pouvoirs n'y sont plus ? Il fallait faire attention, Célian. Il pourrait bien y avoir la mort à cause de toi. Tu as toujours été comme ça , sans la moindre trace de perspicacité. Alors maintenant je te pose la question : voudrais-tu retrouver son cadavre ? Si la réponse est non, retrouve-moi à la ville Bleue, place de la dernière larme. Tu auras seulement dix jours. »
Et à ce moment-là, la voix d'Adrianne retentit à travers la vallée...
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