Chapitre 2

Je traversais la lande, avant de la déposer sur une vieille souche humide. Elle s'assit sans broncher.

- Alors vas-y, montre-moi ton don, ordonnai-je froidement en la fixant dans le blanc des yeux.

Elle opina, avant de se tourner vers la plaine, sourire aux lèvres.

- Raconte-moi une blague, fais-moi rire, me demanda-t-elle, gaiement, d'une voix un peu trop enjouée, par rapport à son état d'âme de mort-vivante.

Mais elle croisa mon regard. Mon regard lourd de sous-entendus. Et elle baissa les yeux, son frêle sourire s'effaçant.

- Bon, ce n'est pas grave...

Elle ferma ses paupières. Quelques instants silencieux s'écoulèrent. J'attendis. Ses lèvres s'agrandirent soudain, fendant son visage en deux dans un splendide sourire faisant pétiller ses prunelles outremers.

- Ha...Ha ! Ha ! Ha !

Elle rit aux éclats. Un beau rire à vous hypnotiser. Était-ce ça, sa magie ? J'avais l'impression de n'avoir jamais ri comme ça. Je fus envieux ne serait-ce qu'un instant, et je n'en compris pas la raison. J'avais la sensation que sa gaieté emplissait une partie de son cœur, chose que je n'avais jamais réussi à faire, elle semblait si heureuse ainsi. Elle n'était ni laconique, ni forcée, ni fausse, ni sur la défensive. Elle était simplement elle, simplement à sa place, dans son élément.

Et à ce moment-là, la plaine prit vie.

Mes yeux s'écarquillèrent sous le coup. Toute la vallée implosa, s'illumina, les plantes éclosant en mille et une couleurs. Rose, violet, jaune, bleu... De véritables constellations de vie nous entouraient. Je ne les avais jamais vu aussi épanouies, aussi resplendissantes. J'eus un pincement au cœur malgré mon émerveillement. Je n'avais jamais réussi à les guérir autant. La végétation s'intensifia. De nouvelles plantes virent le jour. Le nombre de fleurs et autres végétaux doubla, voire tripla. Je n'avais jamais vu la flore aussi luxuriante, vivace et leste. Je ne savais où donner la tête, tout était splendide, intense, opulent, somptueux. Je ne cessai de tourner sur moi-même, tout autour de nous brillait de renaissance.

Quel miracle cette fille venait-elle de produire ?

La visiteuse s'arrêta de rire et se tourna vers moi, ses yeux luisant de vie. Elle me fit face de sa prestance devant ma personne abasourdie par son don admirable.

- Tu as vu ? S'exclama-t-elle, tout sourire, presque émue elle-même par ses émotions.

- Ça veut dire que tu les comprends et les écoutes ? Soufflai-je, sans quitter le paysage du regard. Que tu les guéris ?

- Oui !

Je devais reconnaître que j'étais impressionné et terriblement ravi.

- Je ne pensais pas voir quelqu'un d'autre aussi adepte à guérir leurs blessures. Contrairement à la mer, au vent et au ciel, je n'ai jamais réussi à savoir leurs ressentiments face à tout ça, je ne suis jamais parvenu à les aider. Je me suis toujours senti impuissant vis-à-vis d'eux.

Je me couvris la bouche d'un mouvement sec, avant de me retourner pour ne pas voir son visage, ou ne serait-ce que sa réaction. Non... Qu'est ce qui me prenait de me confier à un inconnu de l'extérieur ? Elle était comme eux, je ne devais pas me laisser amadouer.

- Tu parles à la mer, au vent et au ciel, répéta-t-elle lentement, d'un ton semblant perplexe, d'une voix très douce.

Oh non, non, non...

- Tu es maudit, toi aussi ?

Sa question fendit l'air. Ses yeux luisirent d'espoir intense. Je crois qu'elle avait dû laisser tomber le rôle de la fille sarcastique. Était-ce car elle était sur la défensive qu'elle avait réagi ainsi ?

- Maudit ? répétai-je d'une voix blanche, étrangement beaucoup trop calme. Oh non, ce sont plutôt eux. Nous communiquons avec les éléments. Ils sont incapables de comprendre leurs blessures alors qu'ils crient de douleur. Si tu savais comment je les déteste. Quand je suis né, cette plaine était un véritable havre de souffrance. Tout ici se morfondait dans d'atroces fractures. Un véritable carnage. Et eux, EUX, ils n'ont rien fait pour les aider ! Ils les ont laissés endurer jusqu'à les rendre malade sans rien faire ! Ils voulaient qu'ils crèvent ! Ils leur voulaient du mal !

Un silence tomba dru, comme un brouillard pesant, opaque. Elle gardait les yeux rivés sur le sol, silencieuse.

- Si tu savais le temps que j'ai mis, repris-je d'une voix lasse, si faible. Simplement pour leur faire retrouver ne serait-ce qu'un brin de sérénité...

– Voilà qui ne m'étonne pas d'eux, soupira-t-elle. Dès qu'ils ont découvert cette capacité que le ciel m'a offert, ils m'ont fait subir tellement de choses. J'ai vécu sous les injures, sous les coups. Ils m'ont placée dans un endroit glacial, un asile qu'ils appelaient ça. Ils m'ont qualifiée de folle, de maudite, d'enfant du Diable. Ils disent que je ne suis qu'une sorcière, un monstre, que cette capacité en moi n'est qu'une malédiction. Je leur faisais peur. Je les écœurais. Et puis, je faisais du bruit dans les journaux, dans les rues, on parlait de moi et ça, l'État ne l'a pas aimé. Ils ont décidé de m'abandonner ici, en faisant croire aux gens que j'étais morte d'une quelconque manière. Ils voulaient me faire disparaître, me faire croupir, me faire taire. D'où je viens, on dit que ces terres sont encore sous la domination de l'Enfer. On dit que personne ne survit ici, tout le monde y succombe. Personne n'ose s'en approcher, même de loin, même si ces côtes n'apparaissent qu'à l'horizon. Et c'est ce que je pensais aussi. Je ne m'attendais pas à te trouver toi, ici, et toute cette verdure, ce paradis...

Sa voix était lointaine, perdue dans ses pensées. Elle semblait absente, si détachée.

- Et je ne peux aller nulle part, continua-t-elle dans un filet de voix plus qu'éteinte, sans aucune trace d'espoir.

Comme si elle ne ressentait même plus de désespoir, plus rien. Elle semblait si triste, si morte, si brisée. Tant de solitude me procura un intense pincement au cœur. Je ne voulais pas entendre la suite de son histoire, je voulais qu'elle se taise, je ne voulais pas me rappeler. Pas la souffrance. Plus jamais.

- Plus personne ne veut de moi, j'effraie les gens, reprit-elle, ses membres tremblant au son de sa voix. Ils m'ont rejetée, m'ont fait du mal, m'ont fait subir tellement d'horreurs. Je... je n'arrive plus à résister, je n'arrive plus à vivre. J'ai si mal. Je suis détruite et si seule... tellement seule...

Elle me fit face, le visage noyé par les sanglots. Elle sourit à nouveau, le retour de son air laconique, emprunt de tristesse et de douleur, un sourire déchirant, désespéré. Et son regard suppliant, quémandant ne serait-ce qu'un peu d'aide dans l'enfer qu'elle semblait vivre.

- Laisse-moi mourir, d'accord ? déclara-t-elle faiblement me faisant me figer sur place. Jette-moi aux flots, tue-moi, de n'importe quelle façon, je m'en fiche. Laisse-moi juste en finir et disparaître. Je veux qu'on m'oublie, je veux qu'on m'efface. C'est à présent... mon souhait le plus cher.

Ses dires me glacèrent sur place. Ce désir me terrifia d'une telle force que je demeurai médusé pendant quelques instants. Cette détresse, cette souffrance...Et le ton qu'elle employait, si désespéré, comme si elle parlait de son dernier rêve, son dernier vœu, la dernière chose pour laquelle elle tenait. Toute sa tristesse emplissait son timbre de voix, la faisant devenir rauque, tremblante, noyée.

- Je... N-non, voyons ! balbutiai-je. Ne dis pas de telles choses, c'est insensé ! Tu viens de l'Extérieur, tu dois être heureuse d'avoir reçu un enseignement aussi instructif. Allez quoi, toi au moins tu as eu une belle vie ! Tu viens de la haute, non ?

- Quoi ? Qu'est-ce que tu en sais ?

- Ça se voit à des kilomètres à la ronde ! Toi au moins, tu n'as vécu aucune famine. Tu ne sais pas ce que c'est que de crever de faim, de devoir voler pour manger, de voir tous ses proches dévorés par les maladies. Tu ne sais rien de la souffrance que vous, vous, les gens de l'Extérieur avez provoqué sur nos terres !

Elle se figea, effarée, pendant quelques instants. Ses yeux s'embuèrent et elle se mordit la lèvre. Elle enfouit son visage dans ses bras avant de fondre en larmes, semblant être anéantie par mes dires. J'y étais peut-être allé un peu trop fort. Mais... elle venait de l'Extérieur, alors elle... elle le méritait... Mais le méritait-elle vraiment ? Après tout, elle avait l'air d'avoir aussi souffert de ces monstres...

Je sentis Feyr pester dans mon dos, mais je préférais l'ignorer, sachant pertinemment ce que pensaient les éléments de tout ça.

Plusieurs instants s'écoulèrent, et la vallée se détériora. Je vis avec effroi les plantes faner en un éclair, tout se détruire, se morfondre dans de la pourriture. Cette vision m'écœura, figea mon sang dans mes veines sous le coup de la panique.

- Non, a... arrête ! M'exclamai-je, alarmé.

Elle releva la tête presque instantanément, le visage encore baigné de larmes. Elle s'empressa de les écraser furtivement du revers de sa manche.

- Ah oui, c'est vrai. Je suis désolée.

Elle tenta un faible sourire. Une lueur si triste emplissait ses yeux, un tel désespoir... Son visage était déformé par une grimace horrible, fausse, transperçante. Les larmes brûlaient ses yeux, coulaient le long de ses joues, roulaient jusqu'à tomber au sol. Ses pupilles, ses iris criaient sa souffrance, témoignaient de sa douleur, son désespoir. C'était une scène absolument affligeante.

Et puis, je ne compris plus ce qui se passait dans ma tête. Toute ma colère faiblit, puis s'évapora. Mes épaules s'affaissèrent. Qu'importe ce que me diront les éléments, qu'importe le crime qu'avaient commis ces ancêtres, je ne pouvais lui en vouloir plus longtemps. Je comprenais sa détresse, ce sentiment d'abandon et de solitude qui l'atteignait, tel qu'avait ressenti cette vallée. Quelque chose en moi me disait qu'elle était sincère. Mon instinct ? Non, une impression... de déjà vu, comme si je la connaissais, et que je savais que je pouvais lui accorder ma confiance. J'étais incapable au fond de moi de lui en vouloir plus longtemps face à son allure brisé.

- Tu sais... tu... tu peux rester ici, je pense que les éléments seront d'accord, finis-je par déclarer dans un murmure, si bas que je crus tout d'abord qu'elle ne m'eusse pas entendue.

En vérité, je n'en savais rien. Il me faudrait trouver des arguments pour les convaincre. Ma réponse m'étonnait moi-même. Pourquoi avais-je dit ça ? Alors qu'elle... qu'elle... sa race, ses origines... mais ma colère m'avait quitté à présent. J'étais empli de tristesse, de désolation, de compassion envers elle. Je ne lui en voulais plus le moins du monde.

- Vraiment ? S'exclama-t-elle, bouche bée.

Elle était encore plus surprise que moi. Ses lèvres tremblaient, les larmes affluèrent. Elle se couvrit la bouche de sa main, semblant ne pas y croire. Essayait-elle de ne pas se laisser tenter par l'espoir ? Elle ne me croyait pas, mais ne pouvait lutter contre ses derniers brins de désir désespéré qui lui restait au fond d'elle.

- Oui. Tu vas m'aider à soigner ces contrées, d'accord ? Elles ont grand besoin que quelqu'un s'occupe d'elles, après tout le mal qu'elles ont reçu...

Elle écarquilla ses yeux brillant, emplis de soulagement et de bonheur. Ses lèvres se dressèrent peu à peu et à nouveau les larmes vinrent perler ses orbes aquamarins.

- Merci, s'exclama-t-elle. Merci vraiment, tu ne sais pas tout ce que ça représente pour moi. Cela doit être la première fois que quelqu'un m'accepte. Je... Merci... Merci...

Elle m'adressa un beau sourire et un regard plein de reconnaissance. Les larmes coulaient le long de ses joues, sans qu'elle ne résiste. Elle semblait absolument soulagée que je l'accepte ici. Comme si c'était la première fois, comme si je venais de réaliser le rêve d'un gosse, comme si tout ce qu'elle avait toujours voulu était juste d'être acceptée.

Elle pleura longtemps. De joie, d'émotion. Je respectai ce moment de soulagement et de bonheur qu'elle éprouvait. Elle semblait avoir monstrueusement souffert, et avoir été détruite, brisée, depuis des années. J'étais presque ému de pouvoir lui apporter autant de ravissement.

Au bout d'un certain temps, je me raclai la gorge, embarrassé, ne sachant trop comment réagir.

- Je me demandai... cet élément que tu as reçu pour don, quel est son nom ? demandai-je calmement.

- Gaïde. La faune et la flore, c'est Gaïde.

- Je vois... Et, continuai-je timidement. Est-ce que... tu as un nom ?

- Je m'appelle Adrianne, et toi ?

- Eh bien, tu vas me trouver bizarre, mais je... je ne m'en souviens plus.

- Comment ?

Je secouai la tête, un peu embarrassé face à ses pupilles plissées.

- Non. Je ne m'en souviens vraiment pas.

- C'est... bizarre, déclara-t-elle finalement.Comment ça a pu arriver ? Tes parents n'ont pas...

- Oh, je n'en ai plus, la coupai-je rapidement.

Elle écarquilla les yeux, puis grimaça, embarrassée.

- Oh je... je suis désolée...

- Ce n'est pas grave, tu ne savais pas.

Mais soudain, elle se tourna vers les plantes d'un mouvement vif.

- Ah oui, vraiment ? S'exclama-t-elle à leur adresse.

- Que disent-elles ? Demandai-je, intrigué.

- Vous êtes sûres ? Insista-elle. Bon, si vous le dites.

Elle se tourna ensuite vers moi, tout sourire.

- Eh bien, elles disent qu'apparemment tu t'appelles Célian.

- Cé...lian ? Répétai-je, sceptique.

Vraiment ? C'était mon nom ?

- Oui, ce n'est pas très commun, en effet, affirma-t-elle, incertaine.

- Bon, d'accord...

Un silence s'ensuivit.

- Euh, repris-je. Tu... Tu veux peut-être que je soigne ta blessure ?

Elle opina de la tête, surprise et touchée.

- Ce serait gentil et ça m'arrangerait...

- Viens, je t'emmène chez moi, et au passage je vais te présenter les autres.

Elle acquiesça, ravie. Je la portai donc à nouveau, afin de la conduire chez moi. Nous traversâmes la lande. Elle s'extasia devant chaque plante, chaque végétal de la plaine. Était-elle vraiment sincère ? Ou étais-je au contraire en train de commettre une terrible erreur ? Je l'ignorais. De toute façon, nous verrions ce que diront les éléments, et je craignais déjà leur réaction lorsque je leur demanderai la permission de la garder ici.

Je l'amenai près de la falaise, là où je me trouvai quelques minutes auparavant.

À la vue de la jeune fille, la mer envoya de nombreux rouleaux contre la côte et le vent se mit à souffler un peu trop vigoureusement. La partie n'allait pas être gagnée d'avance...

- Je vous présente Adrianne, déclarai-je solennellement d'une voix puissante. Elle a été envoyée ici car elle est apte à communiquer avec la faune et la flore, ou devrais-je dire Gaïde. C'est un don que le monde lui a offert, et que les gens de l'Extérieur ne comprennent pas, bien trop imbus de leur personne pour se préoccuper de la nature. C'est pourquoi elle a été bannie de leurs terres pour des motifs de folie et de sorcellerie. Si cela ne vous dérange pas, j'ai accepté qu'elle reste afin de guérir la lande. Elle a fait une démonstration de son talent tout à l'heure. Feyr l'a vu. Néanmoins, je me dois de vous demander votre avis, à vous qui résidez dans ses lieux depuis bon nombre d'années, je ne peux aller à l'encontre de votre désir. Son sort sera votre souhait.

Je posai un genou à terre, la tête inclinée vers le sol.

- S'il vous plaît, murmura Adrianne d'une voix basse. Je ne suis pas là pour vous nuire. Je veux seulement vous aider. Comme vous l'a dit Célian, j'ai été bannie de mes terres pour cette résolution. En arrivant ici, je pensais trouver une terre désolée, détruite. J'avais peur d'arriver trop tard. Je suis désolée pour tout ce que mes ancêtres vous ont fait subir. Je suis consciente que je ne mérite aucune exception, aucun traitement de faveur, car je fais bel et bien partie de leur espèce. Néanmoins, ma demande est la suivante : je veux juste rester ici, en échange de mes services pour vous aidez à guérir la flore. Je serai votre servante, et je réaliserai tous vos désirs, qu'ils me soient difficiles à accéder ou non. Mon sort sera comme vous le désirez.

Elle se tut, attendant patiemment leur réponse. Comme moi, mais avec plus de maladresse, elle posa un genou à terre, se retenant à mon épaule, et abaissa la tête. Plusieurs minutes de silence tendu s'écoulèrent. Enfin, la mer, River, me répondit avec lassitude :

« Fais-en ce que tu veux, toi qui, jadis, nous a sauvé de notre malheur. Cette enfant devra t'obéir au doigt et à l'œil, elle ne se plaindra pas, et devra servir Gaïde, comme tu l'as toujours très bien fait avec nous de tout ton cœur. Telle est notre seule condition concernant le sort de cette étrangère. »

- Vraiment ? M'étonnai-je, en relevant subitement la tête.

Je ne m'attendais vraiment pas à ce qu'ils lui donnent leur consentement. Adrianne se tourna vers moi, s'apprêtant à me demander ce qu'ils avaient dit. Mais elle s'arrêta brusquement, et se tourna d'un coup sec vers la lande.

- Oh... S'exclama-t-elle, doucement.

La surprise et le soulagement se lisaient sur son visage.

- C'est entendu, je ne vous décevrai pas. Merci infiniment !

Elle s'inclina si bas que son front frôla le sol. Elle manqua, au passage, de tomber en avant. Je la rattrapai de justesse.

- Fais attention !

Elle me sourit tendrement.

- Ne t'en fais pas. Tes désirs sont des ordres.

Elle s'inclina de nouveau. Mais cette fois, pour moi. Je me sentis rougir d'embarras.

- Ne...Tu n'as pas à t'incliner, c'est normal, voyons ! Grommelai-je, gêné. Allez, viens. On va soigner ta blessure.

Je la conduis donc jusqu'à ma chaumière.

- C'est toi qui a construit cette maison ? Me demanda Adrianne, alors que je la déposais sur une des chaises bancales que je possédais.

- Non, elle était déjà là quand je suis né. Remonte ton pantalon.

Elle s'exécuta. Je redoutais les questions qu'elle allait poser par la suite.

- Et... Tes parents, où sont-ils ? Osa-t-elle d'une voix incertaine. Tu vis tout seul ?

Je soupirai bruyamment, piqué au vif. Et voilà, il fallait que ça tombe...

- Je t'en pose, moi, des questions sur ta famille ? Raillai-je d'une voix glaçante.

Elle baissa les yeux, honteuse.

- Je suis désolée, je ne voulais pas...

- Écoute, repris-je froidement. Si j'ai accepté de te recueillir c'est pour Gaïde, uniquement pour Gaïde, par pour qu'on fasse ami-amie.

- Très bien.

J'appliquai un onguent sur sa plaie béante, après l'avoir recousue. Elle s'était bien amochée la jambe.

- Dis-moi, pourquoi les éléments t'ont-ils accepté, malgré tes origines ? Tu es pourtant humain...

Je tentai de rester calme. Pourquoi était-elle si indiscrète ? Pourquoi voulait-elle à ce point connaître ma vie ? Mais je pris mon mal en patience et acceptai de lui répondre :

- Je ne me souviens pas très bien. Ma mère m'avait toujours défendu de sortir de cette chaumière, à cause du déluge qui faisait rage dehors. Mais, quand je les ai vu, il y a eu... comme un déclic. Je leur ai parlé calmement. Je voulais à tout prix les aider. Ils étaient si désespérés qu'ils ont accepté. Alors, jour après jour, je les ai soignés.

- Comment ?

- Au début je les ai écoutés. Ils m'ont confié leur douleur, ils voulaient tous abandonner cette vallée à son sort, ils voulaient se venger des Hommes. Alors, j'ai essayé de les résonner. Je leur ai fait comprendre de ne pas tout laisser tomber, qu'il y avait encore de l'espoir, que nous pourrions nous construire un avenir, une vie où nous serions heureux... Et je ne voulais pas dire que des belles paroles. Alors, j'ai commencé à les aider. J'ai fais tout ce que je pouvais faire malgré mon jeune âge. J'ai nettoyé la mer d'une bonne partie des déchets qui la polluait, j'ai replanté les plantes, j'ai secouru des animaux, je les ai rassuré du mieux que je pouvais. Tu ne sais pas à quel point ils craignent qu'à nouveau, les gens du monde extérieur reviennent...

Un silence s'ensuivit. Elle ne dit rien, de toute façon il n'y avait rien à dire là-dessus. Et elle les avait, ses réponses.

- Enfin bon, soupirai-je. J'ai fini ton bandage, tu peux redescendre ton pantalon.

Elle obtempéra.

- Merci.

- Mais de rien.

- En tout cas, tu es bien courageux et patient, d'avoir réussi à les aider, malgré qu'ils étaient au plus mal, malgré le massacre qui régnait dans ces plaines.

- Enfin, au début je ne pouvais pas faire grand-chose. C'est au fur et à mesure des années, ils se sont apaisés.

- Oh, allez, c'est aussi grâce à toi ! Sinon, ils t'auraient déjà tué, s'ils l'avaient voulu.

- Peut-être.

Elle me scruta avec indifférence, reprenant son sérieux.

- Et, que veux-tu que je fasse exactement ?

- Je ne sais pas vraiment, tu le sauras par toi-même, tu agiras selon ton instinct et ton cour. Prends le temps d'écouter la plaine s'il te plaît, je pense qu'elle en a grand besoin. On avisera par la suite.

Elle hocha la tête.

- Bien.

Plusieurs minutes passèrent. Aucun de nous ne dit quoique ce soit. De toute façon je n'aimais pas parler.

- Dis, reprit Adrianne. Comment te nourris-tu ?

Quelle question stupide !

- Je mange des plantes, des fruits, des légumes, je pêche ou je chasse.

Son regard s'illumina.

- Tu as un potager ? S'enquit-elle.

- Si on veut. Il y a une petite clairière assez vide de l'autre côté de la colline le plus au sud. J'y ai planté un bon nombre de graines, et au nord, il y a un petit verger caché par la végétation. Sinon je vais cueillir des fruits et des baies plus loin dans la clairière, il y a des bois et des forêts.

- Il n'y a donc aucune ville ou village à proximité ?

- Aucun.

Mon ton était sec. Glacial. On ne pouvait pas dire que j'étais la personne la plus apte à communiquer avec autrui.

Nouveau silence. Elle se mordillait la lèvre, comme si elle hésitait à dire quelque chose. Je soupirai.

- Pourquoi, tu as faim ?

Elle semblait un peu gênée.

- Euh, oui, un petit peu. Mais ce n'est pas si grave, je peux bien sûr tenir, ne t'en fais p... Célian ?

- Je reviens.

Sur-ce, je la laissai dans le cabanon. Le vent soufflait toujours. Il faisait froid. Le soleil avait commencé à décliner, l'horizon se confondant dans des nuances vermeilles. Je traversai la lande d'un pas vif. Je n'aimais pas me balader le soir, au cas où l'obscurité me jouerait des tours. De plus, la température baissait pour la nuit.

Enfin, j'arrivai à la fameuse clairière où j'avais semé pas mal de graines. Malheureusement, peu d'entre elles avaient poussé. Je déracinai une salade, des pommes de terre et quelques carottes. Je demanderais à Adrianne de passer redonner vie à ce lieu. Je retraversai de nouveau la plaine sous les yeux attentifs des premières étoiles. Comme le ciel n'était pas couvert, nous les voyions bien. On aurait dit de la poussière de paillette, qui constellait le ciel, laissant de magnifiques traînées derrière elle. Je rentrai avec empressement dans la vieille chaumière. Elle fut gênée quand elle vit les légumes que je tenais dans mes bras.

- Oh non ! Il ne fallait pas ! Je t'ai dit ...

- Je ne vais te laisser mourir de faim non plus. Et puis, il faut bien que je mange aussi. D'ailleurs, est-ce que demain ça te dérangerait de passer soigner mes plantations ?

- Bien sûr que non, et puis, je te dois bien ça !

- Merci...

- Merci à toi, vraiment.

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