Chapitre 19

Quelle est belle, quand même. Elle est toujours là, parmi la beauté de l'horizon. Au loin, le soleil se couche. Ses yeux débordent des jolies teintes vermeilles qui s'y reflètent. Il y a du vent aussi, qui soulève ses fins cheveux dans son dos. Sa robe me parait soudain légère. Elle n'a donc pas froid alors que le crépuscule atteint le ciel ? Elle ne semble même pas le remarquer. Elle regarde le lointain, une lueur nostalgique dans les yeux. Elle a l'air si triste. Je m'approche, lui dépose ma veste sur ses épaules. Elle me regarde, surprise, puis me sourit. Un vague souvenir se remémore en moi. Ce sourire m'est familier. Je la connais, j'en suis sûre. Mais je suis incapable de me rappeler qui elle est. Elle porte soudain sa main à mon visage et le caresse du bout des doigts. Cela semble lui procurer une certaine satisfaction, mais également une certaine douleur. Elle retire sa main, son sourire maintenant évanouit. Ai-je fait quelque chose de mal ? Je l'ignore. Mais ses yeux débordent de tristesse. Cela me procure un pincement au cœur. Je n'aime pas la voir dans cet état. Je n'aime voir personne dans cet état. Elle détourne le regard, trop de douleur en elle pour pouvoir soutenir le mien plus longtemps. Elle se retourne et semble vouloir partir. Me fuir ? Je l'ignore. Mais je ne la retiens pas. Elle n'est pas mon appartenance. Puis, la vision s'estompe et je fus de nouveau entouré de noir.

- Célian ! Célian, réveille-toi, s'il te plaît !
Mon nom résonnait dans le néant qui m'envahissait. Du noir. Seulement du noir. Et cette voix. Claire, fluide. Mais également... affolée, avec une pointe d'empressement. Une main me secouait vigoureusement l'épaule. Elle m'appelait. À mi-voix. Qui était-ce ? Pourquoi m'appelait-elle ?
Je me décidai alors à ouvrir les yeux.
Du noir, encore du noir. Non, une ombre. C'était elle, celle qui m'appelait. Je me relevais lentement, plissant les yeux.
- Célian, chuchota-t-elle avec empressement.
Alison.
- Qui a-t-il ? Demandai-je.
Elle avait l'air tendue, pressée.
- Elle arrive, prépare-toi, m'expliqua-t-elle.
Je plissai les yeux, sans comprendre. Pardon ? Avais-je bien entendu ?
- Qui arrive, exactement ?
- Ici, on l'appelle la Mort rouge. Prépare-toi, elle est tout près.
Je fronçai les sourcils avant de tendre l'oreille. Plusieurs minutes s'écoulèrent. Beaucoup. Je ne sus combien exactement. Je ne comptais pas. J'étais épuisé, je voulais juste continuer de dormir. Mes moments de répit étaient si rares, si brefs... je voulais en profiter au maximum. Je décidai alors de me rendormir. Mais alors que je m'apprêtais à fermer mes paupières pour continuer ma nuit, un cri strident à glacer le sang s'éleva soudain dans le silence. Je me redressai d'un mouvement vif. Un autre hurlement retentit. Et ce fut le chaos le plus total. J'entendis des cris, des ordres, un tumulte assourdissant, coups de feu... se mélangeaient en un vacarme le plus désordonné qu'il soit. Et puis le sol tremblait. Je ne savais pas ce qui se passait. Qui était cette fameuse "Mort rouge" ? J'avais l'impression que je n'allais pas tarder à le découvrir. Et plus le temps passait, plus ce brouhaha se rapprochait dangereusement. Je frémis. Coups de feu, lames s'entrechoquant, cris de douleur...
Et puis des pas, nombreux, se rapprochant de plus en plus...
Un grondement s'éleva soudain dans le couloir d'à côté et le sol trembla sous mes pieds.. Et puis, une à une, les briques du mur vacillèrent. Je fronçai les sourcils... Quand soudain, d'immenses racines percèrent à travers le mur, avant de s'écarter, créant une énorme brèche. Des ombres entrèrent, au nombre de huit. L'une d'entre elles brandit ce qui devait être une lanterne dont la lumière illumina la pièce. Les personnes se rapprochèrent de nous, traversèrent le labo, avant de s'arrêter devant nos cellules. Je sentis leurs regards se poser sur moi, sur nous. Je déglutis. Qu'allaient-ils nous faire ? Ils échangèrent un regard entendu. L'un d'entre eux, sûrement un garçon vu sa largeur d'épaules, s'avança vers ma cage. C'était un véritable géant, aux muscles d'acier. Par méfiance, je reculai. Il saisit les barreaux à pleines mains, puis se concentra pendant quelques instants. Enfin, j'entendis le métal craquer faiblement. Puis, je le vis se courber sous la pression, se tordre, s'arquer. Un passage. Étroit, mais assez grand pour que je puisse passer. Le garçon me tendit sa main. Avec méfiance, je la saisis. Elle-même faisait le double de la mienne. Il m'extirpa de cette cage puis, fit de même avec les autres. Alison sortie, elle bondit au cou de la fille du milieu et l'embrassa vigoureusement à pleine bouche. Je levai un sourcil. Tiens donc, elle m'avait caché certaines choses. Elle remarqua alors que je les regardai. Je détournai vite le regard, pour ne pas qu'elle se fasse de fausses idées. Mais contre toute attente, elle me sourit.
- Voici Maëlig, ma petite amie, présenta-t-elle.
Cette dernière ôta sa capuche, pour laisser découvrir une femme aux traits graciles et raffinés, cheveux bruns foncés, rebelles, yeux verts brunâtres. Elle esquissa un faible sourire hospitalier, en guise de politesse. Je lui adressai un signe de tête poli. Puis, Alison me présenta un à un tout les autres. Le garçon à la force spectaculaire, c'était Brook. La fille à la lanterne, s'appelait Inaya. Il y avait également une adolescente aux cheveux blancs comme neige nommée Shirley, un garçon blond grisé aux yeux péridots me fut présenté en temps que Léandre, frère jumeau d'Alison, un autre brun foncé au regard océan nommé West, grand frère d'Adrianne et enfin, deux autres femmes les accompagnait. Et à ma grande surprise, la première fut Garance.

Elle n'avait pas l'air contrariée, même au contraire, elle semblait... satisfaite. La deuxième personne s'approcha doucement, avant de me prendre un peu maladroitement dans ses bras.

– Qu'est-ce qu... m'exclamai-je.

Mais j'écarquillai soudain les yeux en grand. Cette odeur... ce serait... ? Non, impossible.

– Adrianne ? M'étranglai-je. C'est... c'est toi ?

– Oui, souffla-t-elle dans un filet de voix.

– Tu es vivante ? Tu es vivante !

Je la serrai conte moi avec tendresse. Mon bébé, mon p'tit chat à moi... malgré moi les larmes me montèrent aux yeux. J'étais fou de joie, et de regret.

– Oh je suis si désolé, c'est ma faute, tout est ma faute ! Tu as le droit de m'en vouloir, je suis horrible ! J'ai faillis te tuer ! J'ai faillis te tuer de mes mains ! J'ai fais couler ton sang, je t'ai blessé, je t'ai fais mal ! Je suis désolé, tu ne peux pas savoir à quel point je m'en veux !

Je la libérai de mon étreinte. Je ne la méritais pas. Je ne méritais pas de la prendre dans mes bras, de l'embrasser, de la serrer fort contre moi, de respirer son odeur, je ne méritais pas. Pas après ce que j'ai fais. Je revoyais ses yeux emplis de terreur, son sang couler...

– Je... je comprendrais que tu ne veuilles plus de moi après ce que je t'ai fais. Je comprends, ne t'en fais pas. Je ne suis qu'un monstre...

Ma voix s'éteignit, une boule douloureuse encrée dans la gorge. Mais contre toute

attente, elle s'approcha de moi, et déposa sur mes lèvres un frêle baiser de tendresse. Je ne comprenais pas, pourquoi faisait-elle ça ? Pourquoi ne me rejetait-elle pas après ce que je lui ai fais ?

– Si tu crois que je t'en veux, murmura-t-elle, tu te mets le doigt dans l'oeil. Je ne pourrais jamais t'en vouloir, je t'aime trop pour ça. Es-tu au courant que ce n'est pas ta faute ? Que Glarian s'est juste servi de toi ? Qu'il t'a manipulé ?

– Mais j'aurais dû reprendre mes esprits !

– Je te signale que quand on est manipulé, il est strictement impossible de retrouver

son état d'origine tout seul. Enfin, ta volonté était tellement forte que tu as fini par te libérer de son emprise.

– Oui mais, bien trop tard.
– Tu aurais vraiment pu me tuer, mais tu t'es arrêté juste à temps. Alors merci !

– Mais comment as-tu fais pour rester en vie autant de temps ?

– Quand tu t'es libéré de leur emprise, ils ont eut peur que tu t'échappes. Ils se sont précipités, mais... ils m'ont laissé là-bas. Par chance, Garance et les autres étaient partis en éclaireurs, et ils m'ont trouvé. Ils m'ont emmené à l'hôpital juste à temps.

– Oh, je... oui, c'est bien...

Je marquai une pause, le temps de digérer tout ça.

– Alors pendant tout ce temps tu étais en vie...

– Eh oui !

– Je t'ai cru morte...

– Désolée de ne pas être venue plus tôt vous sauver il y a eut certaines complications et...

– Hey, ce n'est pas grave, ne t'en fais pas...

Je caressai son beau visage en douceur. J'étais heureux, tout simplement heureux. Elle était là, elle était vivante, je la tenais dans mes bras... rien au monde ne pouvait m'enlever ce plaisir, ce sentiment de sérénité de l'esprit qui m'habitait enfin. J'étais si soulagé et je me sentais enfin apaisé. Je voulais me faire pardonner.

– Tu ne m'en veux donc pas ? Insistai-je.

– Bien sûr que non !

– Pourtant je... j'ai faillis te tuer de mes mains...

– Tu n'étais pas toi-même, c'est Glarian qui a faillit me tuer, pas toi. C'est lui qui m'a fait du mal, qui m'a blessée, pas toi.

– Mais il l'a fait en étant dans mon corps, à travers moi.

La main d'Adrianne se posa sur la mienne et elle plongea son regard d'océan dans mes yeux. J'y vis une étrange sincérité mêlé à un profond sentiment de culpabilité. J'eus un pincement au cœur.

– Alison t'a dit la vérité, n'est-ce pas ? Me demanda-t-elle avec une pointe d'inquiétude dans la voix.

– Oui, mais je m'en fiche. Je... peu importe si vous étiez de son côté de base, maintenant vous êtes là, avec moi.

– Je suis désolée de t'avoir menti, je... j'avais peur de mourir... Mais je t'aime, je te le jure, n'en doute jamais s'il te plaît !

Ça se voyait. Je le voyais dans ses yeux, ses gestes, sa façon de me parler, de me considérer...

– Mais je n'en ai jamais douté, soufflai-je calmement.

Je lui souris. Même dans la pénombre, je voyais son visage rayonnant de bonté. Je déposai mes lèvres sur les siennes et l'embrassai langoureusement. Je ne la méritais pas, mais elle avait fait ce choix de me garder, alors je voulais lui donner autant d'amour que possible.

Quelqu'un toussota dans mon dos.

– C'est bien mignon tout ça, déclara Garance. Mais nous ne sommes pas encore sorti, ne l'oubliez pas !

Je me défis d'Adrianne, bien qu'à contre-cœur.

– Quel est le plan maintenant ? Demandai-je, retrouvant mon sérieux.

Elle échangea quelques mots à voix basse avec ses coéquipiers avant de se tourner à nouveau vers moi.
- Nous devons maintenant sortir d'ici, maintenant. Mais pour ça, il faudrait que tu battes Glarian.
- Moi ? Demandai-je, interloqué. Certes, c'est ce que j'ai toujours voulu, mais... il est beaucoup plus fort qu...
- West et Léandre seront avec toi, déclara-t-elle. Nous, on s'occupe des autres.
- Mais... non, soupirai-je. Je vous jure qu'il est très fort, je ne pourrais jamais le vaincre, non, il faut trouver autre chose.
Garance blêmit et écarquilla les yeux de surprise.
- Qu... Quoi ? Balbutia-t-elle. Mais... Et ta promesse, alors ? Et ta vengeance ?
Je soupirai, les yeux rivés au sol.
– Si seulement c'était aussi simple, gémis-je.
À ma grande surprise, Garance s'approcha de moi. Je n'eus pas le temps de lui demander quoi que ce soit, elle me gifla violemment. Ma joue me brûla quelques instants, et je gardai les yeux baissés. Je vois, c'était tout ce que je méritais.
- Idiot, s'écria-t-elle. Tu crois vraiment qu'on va le laisser s'en tirer aussi facilement ? Il nous a détruit, il a détruit nos vies, nos familles ! Cette fois c'en est trop, il faut l'arrêter une bonne fois pour toute !
– Oui, murmurai-je, encore sonné. Mais comment ?
Elle haussa les épaules.

– Ça, c'est à toi de voir. Mais tu y arriveras, c'est sûr !
Je levai un sourcil.
- Si tu le dis, fis-je, moyennement convaincu. Juste un détail, toi aussi tu étais dans le coup avec Alison et Adrianne ? Je veux dire, tu étais au courant qu'elles...
- Eh bien oui. Une fois que Glarian m'a emprisonné dans ce temple abandonné, Adrianne a commencé à demander aux animaux de prendre soin de moi. Sans elle, je serais déjà morte à l'heure qu'il est. J'étais au courant de leurs venues, elles m'avaient prévenue. Nous avons donc utilisé un moyen pour que tu me trouves, sans évoquer le moindre soupçon. Adrianne a alors demandé à ce daim de te conduire à moi pour me libérer.
Je la dévisageai en silence. Qui l'aurait cru ? Je m'étais quand même bien fait berné. Elle affichait un sourire innocent. Elle n'avait pas l'air de s'en vouloir beaucoup. Soudain, un coup de feu retentit, et une balle siffla juste à côté de mon oreille. Je sursautai, surpris, avant de me retourner dans un même mouvement.

Glarian, juché sur la barrière de la mezzanine. À ses côtés se tenaient Péri, Lowcast, et six autres mastodontes baraqués.

– Oh mince, fit-il avec une voix mielleuse. Je crois que je viens de gâcher vos si joyeuses retrouvailles. Mais voilà que je vais avoir de nouveaux cobayes, qui plus est sont des personnes dont je suis à la recherche depuis pas mal de temps. On dirait bien que vous m'êtes servi sur un plateau.

À ses dires, Garance vira au rouge. Elle sortit plusieurs lames de sa ceinture, prête à combattre. Ils descendirent de leur perchoir pour nous barrer le chemin. Ils nous encerclèrent. Nous prîmes chacun l'un d'entre eux et, comme prévu, je me retrouvai face à Glarian. J'échangeai un regard entendu avec Alison et Garance, et tout commença. Je vis Garance s'élancer vers son assaillant, se battre avec aisance et rapidité. Elle était vraiment douée. Alison elle-même se battit. Tout le monde se battait. Combat à mort ? Qui savait ? Je me tournai vers Glarian.

Ça y est. Enfin. Le moment pour moi de ma vengeance avait sonné. Il allait voir. Voir ce que c'était de sentir la souffrance. Il allait connaître ce que faisait la douleur. Il allait avoir mal. Je voulais qu'il ait mal, qu'il s'agenouille devant moi, me suppliant d'arrêter. Je voulais voir la peur sur son visage, le désespoir, la tristesse et la souffrance. Que son visage soit déformé, qu'il crache du sang, qu'il se lamente, me priant, s'excusant à mes pieds. Il allait enfin connaître la sensation, lorsqu'un déluge s'abat sur vous.

Il ne recula pas. Il n'avait l'air stressé le moins du monde. Il me fixait. Son regard braqué sur moi, mon corps, guettant mes moindres faits et gestes d'un œil soupçonneux. En apparence, il avait l'air toujours sûr de lui, d'une prestance à toute épreuve, un rictus moqueur au coin des lèvres. Mais ses yeux le trahissaient.

Je tentai de contenir ma colère, de la rassembler en amas. Amas de sentiments diverses mélangés. Haine, aversion, colère, dégoût, rancœur... il me répugnait. Ce n'était qu'un être abject, immonde. Un monstre sans cœur. Comment pouvais-je le décrire ? Je ne savais pas. Il était si... si... ce n'était qu'une répugnante créature que je ne pouvais décrire. Il n'y avait aucun mot, juste... des sentiments. Je le détestais. Je le haïssais plus que tout au monde. Je voulais qu'il paye pour tout ce qu'il avait fait. Pour Holland, Adrianne, Djalyss et puis tous les autres... il allait payer. Il allait comprendre maintenant tout ce que je ressentais à cet instant précis. Je priais le ciel pour qu'il me laisse goûter au plaisir de la vengeance. J'espérerais que les éléments me pardonneront, qu'Adrianne me pardonnera...

Mon sang se glaça dans mes veines. Mes oreilles se bouchèrent. Je retins ma

respiration. Ce moment tant attendu. Maintenant. J'en avais la possibilité. Entre mes mains. Enfin. On verrait s'il rirait toujours, maintenant que le déluge allait s'abattre sur lui.

Du vent, une bourrasque brisa une vitre de l'usine pour y pénétrer. À nouveau, il

s'accumula en une masse compacte et virulente, autour de moi. Les appareils des machines volèrent, les verres se brisèrent sous la pression.

De nouveau, la pluie s'abattit sur la décharge, cingla la toiture d'eau éparse. Rage et déferlement de haine, voilà ce qu'elle représentait. Elle fendait l'air, s'écroulait sur le toit, s'infiltra par les imperfections, pour s'introduire à son tour dans la pièce.

Au début, il contra, esquiva, se protégea avec aisance. Il était coriace, armé. Il m'attrapa, me frappa, me blessa à la joue. Il s'acharna de son fouet. La lanière de cuire s'encra dans ma chair, ouvrant mes veines. Je tentai alors d'esquiver. Il était violent, me saisit par le col, m'asséna de coups de poings dans la mâchoire. Je serrai les dents, essayant vainement de me débattre. J'agrippai son fouet par une main, le ramena à moi. Une douleur aiguë m'atteignit la paume, mais je l'ignorais. Je le frappai à mon tour, lui flanquait un coup de pied dans les côtes. Il grogna, reprit possession de son fouet, me battit à nouveau. La lanière de cuire s'inséra à nouveau dans ma chair.

Mais Feyr et Siena ne se laissèrent pas faire aussi facilement cette fois. Ils s'acharnèrent sur son armure invisible, à coups de rafales cinglantes et averses battantes. Feyr fendit sur sa proie, dévora, ravagea, cingla sans scrupule. Glarian fut inatteignable, et ça me rendait malade. Et il se jetant sur moi avec toujours plus de vigueur et de violence.

Siena le noya, s'engouffra dans ses vêtements, sa bouche, son nez, ses oreilles. Il toussa, cracha.

Je ne l'avais jamais vu comme ça. Il criait, de peur ou de douleur, je ne savais pas trop. Il avait peut-être peur. Il avait mal. Il m'insultait de tous les noms, tentait de se défendre, de me manipuler à nouveau. Mais maintenant, ça ne marchait plus. Il ne m'atteignait plus. Fini. Plus jamais. Il était certes armé, mais pas assez face à moi et les éléments. Le vent l'asséna avec violence, la foudre et le tonnerre s'abattirent sur lui. Et puis je le frappai, encore et encore. J'attrapai un poignard posé par terre, m'avançai vers lui. Je le rouai de coups. Je voulais qu'il meure, qu'il aille au diable, c'était tout ce que je lui souhaitais. Pardonner, je n'crois pas, non.

Mais il se relevait, encore et toujours. Comment en trouvait-il la force ? Ses yeux me fusillaient avec amertume. Lui aussi me détester. Je le voyais dans ses yeux, ses gestes, sa façon de me considérer.

Il contourna une machine pour réduire la distance qui nous séparait, pour se jeter à nouveau sur moi, poignard à la main. Je trébuchai par inattention en arrière, tombait à terre. Mince ! Je tentai de me relever. Trop tard. Il était déjà sur moi. Il me gifla de toutes ses forces, me maintint au sol. Il était plus carré et baraqué que moi. Il avait plus de force. Mais je ne me laissais pas faire pour autant. Je lui flanquais un violent coup de pied dans les côtes. Je me débattis avec rage. Il allait voir de quoi j'étais capable. Je le giflai à mon tour, tentai de me débarrasser de lui. Sa main se referma dans mon cou comme un étau, me serra. Ses ongles s'encrèrent dans ma chair, lacérèrent, saignèrent, étouffèrent. Je déglutis avec peine, me débattant vainement. Ma respiration s'affola. Je le frappai. Il m'étrangla, me coupa la respiration. Pareil à ce qu'il avait fait la dernière fois, je manquai d'air. Je suffoquai sous la pression. Je serrai les dents, me forçant à rester conscient. Ma gorge était sèche, je n'avais plus d'air. Ma vision se troubla et commença à virer au noir. Je me débattais comme je pouvais. Je frappais, frappais, frappais. Dans ma main droite, je cherchais désespérément à tâtons un échappatoire. Mes doigts se refermèrent soudain sur un manche. C'était... oui ! Je plantai la lame dans sa chair. Il émit un cri aigu, me lâcha. Je me relevai en vitesse. Il portait sa main à son abdomen, maintenant imbibé de sang, se répandant sur ses habits, ses doigts, le sol à une vitesse ahurissante. Un rictus abject déforma son visage. Ses traits se durcirent. Il se releva, saisit une dague à son tour, et fendit sur moi. Je l'esquivai, slalomai entre plusieurs machines. Les éléments s'acharnèrent à nouveau contre lui. La foudre craqua, électrocuta ses membres. Le vent s'effondrait sur lui, le giflait, le cinglait violemment, il le propulsa soudain à travers la pièce, le fit traverser bon nombre de ses machines. Le verre explosa à son contact. Glarian finit sa course nette, s'écrasant contre un mur. Il lâcha un gémissement de douleur.

Grêle et averse battante en profitèrent alors pour attaquer à leur tour. Glarian se couvrit le visage de ses bras. En vain ! Je l'entendis pousser des jurons et des cris de douleur.

Son abdomen saignait maintenant abondamment. Est-ce que cela allait suffire pour... ? Mes pensées furent interrompues par un nouveau cri strident s'échappant de sa bouche. Le vent, la pluie, la grêle, la foudre. Il devait avoir mal. Il devait avoir peur. Il devait vouloir me supplier de lui laisser la vie sauve, d'arrêter. Pardonner. Ce

mot sonnait d'une couleur lointaine dans ma bouche. J'esquissai un faible sourire du bout des lèvres. Il s'élargit soudain, à deux doigts de rire. Pardonner. Quelle ironie ! La vengeance était si amère et si douce à la fois. D'une enivrance sans nom. J'étais peut-être devenu aussi fou et ignoble que lui, mais jamais je ne le laisserais sans tirer aussi facilement. Plutôt mourir ! Il allait payer, payer pour tout ça ! Je souris. Je voulais qu'il souffre, encore et encore. Je comprenais maintenant pourquoi il était si accro !

Une explosion retentit soudain dans mon dos. Je jetai un coup d'œil furtif par-dessus mon épaule... et je vis une Alison au regard de braises, ses veines gonflées à bloc. Elle tenait un poignard dans sa main droite, et de toute évidence, j'étais visé. Sans hésitation, elle se jeta sur moi. Je l'esquivai de justesse. Ses cheveux virevoltaient dans les airs, enivrés de puissance. Elle leva sa main gauche... et la pièce entière prit feu. Un mur de flammes se dressa autour de moi, m'encerclant. Des braises volaient, de la fumée envahissait l'air. Je toussai. À nouveau, elle bondit, tenta de planter la lame de son poignard dans ma chair. Feyr la repoussa violemment. Je demandai à Siena d'éteindre l'incendie. Elle obtempéra aussitôt. Eau contre feu. On se demandait qui des deux gagnerait. Mais Alison ne se laissa pas faire aussi facilement. Elle m'asséna de coups, créa toujours plus de flammes. La fumée recouvrait une majeure partie de l'air, l'oxygène ! Je toussai à nouveau. Je tentai de contenir l'incendie, de maintenir les flammes autant que je le pouvais. Le feu atteignit soudain le plafond, le dévorant sans scrupule. Une poutre s'effondra. J'esquivai les flammes. Et puis, Siena avait beau déverser sur elles tout un déluge, c'était comme si elle ne faisait rien, comme si elle n'existait plus. Je cherchai désespérément des yeux un échappatoire. Où étaient les autres, dans tout ça ? Je ne voyais personne. Juste du feu, et encore du feu. La fumée et les braises me piquaient les yeux et ma vision se brouilla. Je toussai. L'air était envahit. Je peinais à respirer. J'implorais Siena de s'obstiner. Alors il plut, plut, plut dans la pièce. Mais le feu subsistait toujours. Alison tentait vainement de m'atteindre, mais je la repoussai à coups de vents violents. J'étouffais. Et puis, où était passé Glarian ? J'essayai de voir quelque chose, mais mes yeux étaient larmoyants à force d'être brûlés par cette masse noirâtre. Soudain, une douleur lancinante dévora mon bras. J'eus un bref mouvement de recul. Je m'étais bien brûlé, et quelques gouttes de sang tombèrent à terre. Je serrai les dents sous la douleur. Je ne pouvais pas continuer comme ça, il fallait que j'agisse. Alors, à partir de maintenant, Cyra s'agenouillerait devant moi et Siena, coûte que coûte.

Ce fut un véritable torrent qui s'abattit sur l'incendie. Déferlement de pluie, de foudre, de grêle et de neige. Une vraie tempête digne de ce nom. J'entourai le feu, l'encerclant, le noyant dans mon déluge. J'avalai les flammes, les braises, les cendres, la fumée... je les dévorais, les ravageant sans regret. C'était moi, le maître de ce lieu, à présent. J'aperçus Léandre, du coin de l'oeil, maîtriser Alison. Je le vis l'attraper par le cou, la griffer. Quelques gouttelettes d'une couleur verdâtre coulèrent sur ses vêtements, et l'instant d'après, elle s'écroula au sol.

L'incendie était dès à présent éteint. Chacun reprit ses esprits. Je passai en revue une à une chaque personne. Nulle trace de Glarian. Mes poings se serrèrent et je me décidai à le retrouver. Ce ne fut pas long, car il était monté dans la mezzanine. Je le rattrapai. Il saignait beaucoup et sa respiration semblait saccadée. Mais il n'en avait pas moins perdu de son mordant. Il se jeta sur moi, je l'esquivai, lui fis une balayette. Il m'agrippa le bras à la volée et me tira violemment en arrière, avant de me plaquer contre le mur. Il me flanqua un coup de poing dans la mâchoire. Il me tenait brutalement par le col. Je ramenai à moi mes jambes, prenant appui sur le mur, avant de fracasser mon crâne contre le sien. Une douleur aiguë m'atteignit à la tête, mais je l'ignorais. Il tressaillit, me lâcha. Je profitai de cette ouverture pour lui donner à mon tour un coup de poing. Il poussa un juron, bondit sur moi. Je n'eus pas le temps de l'esquiver, et le prit de plein fouet. Nous tombâmes à terre, lui m'écrasant. Je me cambrai, le repoussant de mes jambes. Je me remis sur pied en faisant une roulade arrière... pour me retrouver propulser un mètre plus loin. Je chancelai pour reprendre mon équilibre, et il ne loupa pas cette occasion. Nouveau coup de poing au visage, me faisant quitter le sol. J'en profitai pour lui donner un coup de pied dans la mâchoire. Je tombai à terre. Il se jeta sur moi, poignard à la main et tenta de m'atteindre. Je reculai de justesse, envoyant son arme valser dans les airs d'un coup de pied. Pas le temps de me relever, il me frappa à nouveau. Je roulai à terre, puis me remit sur pied. Il m'agrippa le col, me flanqua un nouveau coup. Je me laissai tomber en arrière, paumes contre sol, mes jambes le frappant de plein fouet. Il me lâcha, pour porter sa main à sa joue pendant quelques instants. J'en profitai pour invoquer les éléments. Il esquiva de justesse plusieurs pieux de glace, mais Feyr ne le loupa pas. Il fut propulsé contre le mur avec violence. Siena le cingla de grêle et de pluie éparse. De nouveau, le déferlement torrentiel des éléments s'abattit sur lui. Tempête. Vent. Averse. Grêle. Glace. Foudre. Tous s'acharnaient sur lui. Il devait savoir que nous, les misérables êtres humains que nous étions, nous n'étions rien face à la puissance des éléments. Avait-il mal ? Sûrement. C'était mon vœu le plus cher. Il fut a nouveau projeté dans les airs, traversa une de ses machines en verre dans un fracas assourdissant, avant de s'écraser sur le sol devant moi. Les éclats de verre l'avaient coupé et le sang suintait le long de ses membres. Il avait l'air si frêle, dorénavant. Il n'avait plus son assurance ni son air supérieur, à présent. Cette vision me comblait de joie et d'euphorie. Je souris. Il leva ses yeux faibles sur moi. Oui. Je voulais qu'il me regarde. Qu'il se sente inférieur. Qu'il s'excuse plus bas que terre. Qu'il regrette d'exister. Oui, c'était ce que je voulais. Le voir... pitoyable.

Je m'approchais de lui, poignard à la main et le lui flanquai sous la gorge. Ses yeux de glace dorénavant remplis de terreur braqués sur moi, il tremblait. De peur, de douleur. Je le haïssais. J'aurais voulu le tuer sur le champ, mais il y avait ces questions. J'ouvris lentement la bouche... et le plafond craqua bruyamment au-dessus de nous.


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