Chapitre 15

J'ouvris les yeux avec peine... et fus de suite aveuglé par la lumière. Je gémis. Je me relevais. J'étais de retour dans une de ses cellules. Mes mains et mes pieds étaient garrottés de cordes, mes membres recouverts d'ecchymoses et de plaies. J'avais mal. Où était Adrianne maintenant ? Était-elle encore dans cette ruelle, maintenant morte à présent ? Mes yeux me piquèrent, et un sanglot pointa dans ma gorge. Comment avais-je pu ? C'était ma faute, tout était ma faute. J'aurais dû l'aider, j'aurais dû m'arrêter, j'aurais dû retrouver mes esprits... J'aurais dû... mais je ne l'avais pas fait. Les larmes vinrent embuer mes yeux. Je ne les retins pas. J'avais si mal au cœur, c'était comme s'il saignait. J'avais mal, comme si on m'avait arraché un membre. C'était ma faute. Tout était ma faute.

– Célian ? S'éleva la voix d'Alison dans mon dos. Tu... tu pleures ?

– Ne me regarde pas. Je suis immonde. Comment ai-je pu lui faire ça ? Comment ? J'ai vraiment tout gâché !

Je repliai mes jambes sur mon torse, avant d'enfouir mon visage dans mes genoux. Les pleurs me firent tressauter les épaules. Je ne me retenais pas. J'étais détruis de l'intérieur.

– Célian, fit Alison d'une voix tremblante. Écoute moi, ce... ce n'est pas ta faute, d'accord ? Tu n'as rien fait, tout ça c'est à cause de Glarian. C'est lui qui t'a manipulé. C'est de sa faute à lui, tu n'y es pour rien...

– Je l'ai tuée de mes mains ! ELLE EST MORTE PAR MA FAUTE !

– Si ça se trouve elle n'est pas morte !

– ELLE ÉTAIT INCONSCIENTE ET EN SANG QUAND J'AI PERDU CONNAISSANCE ! QU'EST-CE QUE TU CROIS QU'ELLE EST ENCORE EN VIE ?

– Peut-être que quelqu'un la trouvée et...

– ARRÊTE D'ESPÉRER, C'EST FINI !

– Mais...

– TAIS-TOI, JE T'EN PRIS ! ARRÊTE !!

Je plaquai mes mains contre mes oreilles. Elle soupira, avant de reprendre d'une voix plus douce :

– Célian, écoute-moi, s'il te plaît ! Ce n'est pas ta faute, tu comprends ?

– BIEN SÛR QUE SI, N'ESSAIE PAS DE LE NIER ! Vociférai-je.

– NON !

– ALORS POURQUOI MES MAINS SONT RECOUVERTES DE SON SANG ? POURQUOI SUIS-JE BLESSÉ ? POURQUOI ELLE N'EST PAS LÀ AVEC NOUS ? HEIN, POURQUOI ?

Ma voix s'arracha, et je fondis en larmes. Je poussai un cri. De rage, de tristesse... Je m'en voulais. J'en voulais à Glarian. J'en voulais à la terre entière. Je devais déverser ma haine sur quelque chose. Je criais encore, jusqu'à ce que ma voix se déchire. Non, non, non ! Pourquoi fallait-il que je gâche tout, une fois encore ? Pourquoi ? Pourquoi elle ?

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J'avais mal.

J'avais mal comme si j'allais mourir.

C'était un sentiment horrible, mais c'était tout ce que je méritais. J'étais immonde. Un monstre. Comme lui. J'étais bien son fils. Quelle ironie.

Je pleurais sans fin. Je me sentais seul, terriblement seul, dans cette souffrance. Comme si j'étais tombé au fond d'un gouffre. Seul. Sans personne pour m'aider à en sortir. Néanmoins, j'entendis la respiration forte et saccadée d'Alison. Elle aussi pleurait. Il y avait de quoi. Elle allait m'en vouloir. Sûrement. En tout cas, moi, je m'en voulais.

– Je suis désolé, murmurai-je. Je suis désolé, je suis désolé, je suis terriblement désolé, c'est ma faute, tout est ma faute. Je suis un monstre. Je suis désolé...

Ma voix s'éteignit. Je pleurais à chaudes larmes. Je ne m'arrêtais plus. Je n'y arrivais plus. J'étais si abattu que je ne remarquai même pas la venue de Glarian, qui se tenait devant les barreaux de ma cellule. Il abordait ce même sourire narquois. Rictus au coin de la bouche, par amusement.

– Oh, ça te fait rire, hein ? Grognai-je avec hargne. Pauvre fou !

– Eh bien, oui, me répondit-il simplement, avec condescendance.

Le ton qu'il prenait me rendait fou. Dingue. Il n'en avait rien à faire qu'elle soit morte. Ça l'amusait même.

– Maintenant, au moins, tu me crois quand je te dis que je peux te manipuler. Tu n'as plus intérêt à me provoquer dorénavant. Tu sais ce qu'il t'attend, sinon...

– Sale... espèce d'enfoiré ! Criai-je en me précipitant aux barreaux de la grille dans un élan d'énergie. Je te jure que... que... que si je n'étais pas dans cette cellule, je te ferai regretter l'envie de recommencer !

Il éclata de rire. Oh ça s'amusait ! Ça le faisait rire !

– VA CREVER AUX ENFERS ! C'EST TOUT CE QUE TU MÉRITES !!

Il riait. Il continuait de rire. J'enrageais.

– Célian, calme-toi ! S'enquit la voix d'Alison dans mon dos.

Je l'ignorais. J'étais trop en colère pour l'écouter.

– Raahhh ! VIENS-LÀ ! Ouvre cette cage, et viens te battre à la loyale si tu es si fort ! JE TE JURE QUE TU VAS PAYER ! TU NE MÉRITES QUE DE CREVER ! JE VEUX QUE TU SOUFFRES ! VA AU DIABLE !! Aboyai-je.

– Célian, arrête ! S'exclama Alison.

Mais il riait, IL RIAIT ! COMMENT LA MORT DE QUELQU'UN POUVAIT-ELLE LE FAIRE RIRE ? J'étais au bord de la crise de nerds lorsqu'il finit par quitter enfin la pièce, nous laissant nous lamenter sur la mort d'Adrianne.

– ENFOIRÉ !! criai-je de toutes mes forces.

J'ahanai, tentant au mieux de me calmer. Alison passa son bras à travers les barreaux et posa sa main sur mon épaule.

– Célian, du calme ! Je sais que ça te met hors de toi, et moi aussi, mais...

– La ferme ! Fous moi la paix ! Rugis-je en repoussant violemment son bras.

Elle sursauta face à mon agressivité. Je me rendis compte alors à quel point je ne valais pas mieux que mon père. J'étais aussi violent. J'étais aussi immonde. Ma colère s'envola d'un coup, laissant place à la tristesse. Alison me dévisageait. Je ne savais pas si elle était choquée par ma violence, ou avait pitié pour moi.

– Je suis désolé, soufflai-je. Je... j'ai besoin d'être seul.

– Oui, je... je comprends.

Elle retira sa main et repartit à l'autre bout de sa cellule, avant de se blottir contre les barreaux, tête dans les bras, genoux repliés. Je me laissai retomber à terre, avant de me recroqueviller sur moi-même, la douleur me cisaillant le cœur.

**************************************

– Célian, m'appela Alison.

Je levai à peine la tête vers elle.

– Il faut que tu manges, sinon tu vas finir par être malade ! Ça fait deux jours que tu n'as rien avalé du tout.

Deux jours. Cela faisait deux jours qu'elle était morte.

– Je n'ai pas faim, soufflai-je.

– Ce n'est pas une raison. Moi non plus je n'ai pas faim, mais je mange, car il faut bien tenir bon.

– Alors mange ma part, si ça te chante. Je ne vais pas la prendre, de toute façon.

– Célian, s'il te plaît, mange ! Je sais que tu es triste, et moi aussi, mais Adrianne ne voudrait pas te voir comme ça, tu ne crois pas ?

Je me retournai, pour lui tourner le dos. J'étais allongé sur le sol glacial de cette cellule.

– Je ne suis pas triste, murmurai-je. C'est une autre sensation. C'est comme si... on m'avait arraché un membre. Mon cœur saigne. J'ai si mal. Je voudrais mourir.

– Parti comme tu es, tu risques bel est bien de finir mort de faim. Et c'est normal de ressentir ça. Adrianne, tu... tu l'aimais.

– Je l'aime toujours. Ce n'est pas parce qu'elle est morte qu'elle n'existe plus dans mon cœur.

– Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Moi aussi, elle est encore présente en moi. J'ai l'impression que ce n'est qu'un mauvais rêve, et qu'on se réveillera bientôt. Comme si tout ça n'était pas réel.

– Je l'espère. Et puis, il faut dire que Glarian a mené tellement d'expériences jusqu'à créer des choses improbable auparavant.

– Oui.

Elle hésita un moment, avant de reprendre :

– J'ai peur Célian, qu'est-ce qu'il va nous faire ?

– Tu n'aurais jamais dû me suivre.

– Je... je voulais sauver Adrianne.

– Sauver Adrianne, répétai-je dans un murmure avec amertume

Cela sonnait dans ma bouche comme quelque chose d'idyllique, comme une réalité lointaine, un espoir étouffé.

– Je suis vraiment un monstre.

De nouveau, je fus pris de sanglots. Alison ne me répondit pas. Est-ce qu'elle était

d'accord avec moi ? Je n'en savais rien. Ce n'était pas ma préoccupation du moment.

Et puis les jours passèrent lentement, les plus insipides de ma vie. Je ne mangeais plus, je ne dormais plus, j'en étais incapable. Comment le pourrais-je alors que j'avais... j'avais... tué Adrianne ? Mon cœur se serrait à cette pensée. C'était pourtant la vérité, la triste réalité, la plus grosse erreur de ma vie.

Glarian expérimenta de nouveau sur moi, mais pas autant qu'avant. Cela ne me faisait rien. Aucune des douleurs que m'infligeaient ces machines ne pouvait égalisé celle qui me rongeait de l'intérieur. Je ne ressentais rien. J'étais comme vidé, lesté d'émotions si ce n'était de la tristesse et de la culpabilité. Djalyss et Alison tentaient au mieux de me rassurer, me réconforter avec des belles paroles. Je connaissais la chanson mieux que quiconque. Je détestais que l'on me mente. Je trouvais ça... ignoble et hypocrite. Mais à quoi bon mettre des adjectifs sur des sentiments et des actes, qu'est-ce que cela changeait à la manière de vivre de notre monde ? À quoi bon parler, si personne ne vous écoute ? Ce n'était pas pour rien que le ciel nous avait fait don de la parole. Il fallait en faire bon usage. Pourtant, qu'est-ce que signifiait « bon usage » pour nous, êtres immondes que nous étions ? Peut-être que nous avions mal compris cela ? Pardonner, hein ? Mais comment pourrais-je pardonner au monde d'avoir créer la race humaine ? Qu'est-ce qu'il attendait de nous au départ ? Partis comme nous étions, nous ne connaîtrions jamais la réponse. L'être humain était abject. Ce n'était pas sa faute s'il tuait, s'il ne créait que du mal autour de lui, ce n'était pas de sa faute s'il était immonde, c'était seulement encré dans ses gènes, dans sa race, son instinct. La loi du plus fort. Du pouvoir. De la dérision. Ainsi allait notre société. J'eus un rictus moqueur. Société... nous avions inventé des mots, des lieux, des races, des différences, pour nous sentir supérieurs aux autres. Pourquoi avons-nous inventé la supériorité ? Pourquoi avons-nous écouté notre orgueil ? Pourquoi vouloir le pouvoir et la domination ? Pourquoi vouloir à tout prix faire de l'ombre aux autres, en appeler à la souffrance et à la guerre ? Cela nous faisait-il vraiment plaisir de voir le sang couler ? Nous étions incorrigibles, mais pourtant irréprochables. Dans quelle horreur notre monde s'était fourrée ? Je ne voulais même plus savoir. Moi, la seule certitude que j'avais, c'était d'avoir l'impression d'être né sur la mauvaise planète.

Même les coups de fouet de Glarian ne m'atteignaient plus. Je ne voyais que du sang couler au sol. Toujours plus. Toujours plus longtemps. Au bout d'un moment, cela me procurait même une certaine satisfaction. L'espace de quelques instants, j'en oubliais mon mal-être. La joie dans la douleur, comme on dit. C'était un désir enivrant de le provoquer pour recevoir davantage de coups de fouet. Cela ne plaisait pas à Alison, elle et Djalyss me réprimandaient souvent. Elles avaient l'air vraiment inquiètes. Ce n'était pourtant pas ce que je voulais. D'ailleurs, pourquoi étaient-elles anxieuses à ce point pour moi ? Ne m'en voulaient-elles pas ? Pourtant je... je...je n'étais qu'un monstre. Je ne méritais pas autant d'attention.

– Célian ! M'appela soudain Alison, dans mon dos.

Je rouvris les yeux, épuisé.

– Qu'est-ce que tu veux ? Lâchai-je froidement.

– Il va bientôt revenir, dit-elle d'une voix monotone.

Elle marqua une pause avant de continuer en hésitant :

– Tu ne voudrais pas lui poser des questions ?

– Quelles questions ? Fis-je, sans comprendre.

– Sur sa soi-disant venue dans la vallée et les messages ? Tu ne voulais pas...

– Je ne sais plus, plus rien ne m'importe.

– Mais moi je veux savoir ! Insista-t-elle. Comment est-il venu alors que Siena affirme le contraire ? Qui a écrit ces messages si ce n'est pas lui ? Qui a enlevé Adrianne et m'a blessé ? Moi je n'ai pas vu notre agresseur, c'est passé tellement vite, je ne sais même pas par où il est entré...

Sa voix était aigu, criarde, me donnant la migraine. Elle me posait trop de questions, alors que moi... je n'arrivais plus à réfléchir, à penser.

– Peut-être que c'était Adrianne qui était manipulée, répondis-je, sans conviction.

– Ne dis pas n'importe quoi, elle n'a jamais été victime de ses expériences avant qu'elle soit enlevée, reprit Alison d'un ton grave.

– C'est vrai...

– Je suis d'avis qu'on doit lui demander !

Je soupirai. On aurait dit un enfant qui faisait un caprice. J'avais autre chose à penser que de gérer cette crise enfantine.

– Écoute Alison, fais comme tu veux, moi je m'en fiche.

– Il va bientôt revenir, prépare-toi.

Un sourire mesquin se dessina sur mes lèvres. Du sang allait de nouveau couler. À cette pensée, mon sourire s'élargit.

– Je suis la personne la plus prête au monde, crois-moi.

Alison poussa un soupir d'exaspération. Que pensait-elle réellement ? Me prenait-elle pour un fardeau ? Comme si j'étais une cause perdue ? Peut-être bien, mais cela m'importait que trop peu.

Effectivement, environ une demi-heure après, Glarian pénétra dans la pièce, son fouet toujours à la main. Lowcast et Péri le suivaient. Péri avait l'air abattu, comme s'il avait été forcé de venir. C'était la première fois que je le revoyais depuis que j'avais essayé de m'enfuir. Il avait sans doute dû passé tout ce temps à guérir. Il boitait encore légèrement, trahissant la prestance de sa silhouette massive. Glarian s'arrêta à nouveau devant ma cellule. Je lui souris, tentant au mieux de masquer ma joie et mon impatience. Néanmoins, ses traits se durcirent et sa mâchoire se crispa. Son regard était glacial, rude, sec. Je n'avais même plus peur.

– Eh ! Intervint soudain Alison, à l'adresse de Glarian. Excusez-moi, je voulais savoir comment vous êtes venu dans la vallée ? On ne vous a ni vu arriver, ni vu

repartir, mais pourtant... bah, vous avez enlevé Adrianne.

Mon père tourna légèrement la tête, et ses yeux de bronze se posèrent sur elle. Je sentis qu'elle regrettait, qu'elle redoutait sa réaction.

– Je peux savoir qui es-tu déjà ? Cingla mon père avec froideur.

– Je m'appelle Alison, Alison White. Je vous signale que je suis votre prisonnière, vous devriez savoir un minimum qui je suis.

Mais face à son regard de fauve, elle se rembrunit.

– Hum, enfin, répondez à mes questions, s'il vous plaît. La première, je vous l'ai déjà posée comment êtes vous venu dans la vallée ?

Je devais reconnaître qu'elle avait du cran d'insister. Mais son aplomb ne plut pas vraiment à mon père. Il la toisa quelques instants avec froideur. Puis, un sourire cynique recouvrit ses lèvres et il réprima un gloussement. Il s'accroupit devant sa cellule, s'abaissant à sa hauteur. Alison avait l'air tendu, craignant sans doute sa réponse. Il lui sourit laconiquement.

– Dis-moi petite, sais-tu pourquoi le ciel t'a-t-il donné le don de feu ?
Elle secoua la tête, hésitante.

– Alors sais-tu pourquoi tout le monde t'a-t-il toujours tenu à l'écart de leur société ?

– Mes différences, souffla-t-elle dans un filet de voix.

Il opina de la tête.

– Oui, c'est ça. Tes différences. Parce que toi, tu n'as pas le même sang qu'eux, parce que tu es l'enfant du feu, parce que tu entends des voix, des murmures, des chants tout autour de toi depuis toute petite. Tu as toujours lutté contre leur emprise, refusant pertinemment de les écouter. Tu faisais des crises à l'école, parfois même, tu t'en prenais aux autres. Tu leur faisais peur. Tu étais rejetée, reniée, considérée comme folle. Et puis il y a eut cet incident. Ce jour où, par inadvertance, tu les as écouté. Tu voulais te venger d'eux, pour ce qu'ils t'ont fait. Alors tu as créé cet incendie...

– C'est faux ! Récria Alison d'une voix déchirée. Je n'ai jamais voulu ça ! Pourquoi tout le monde refuse de me croire ?

– Tout simplement parce que tu n'as jamais voulu voir la vérité en face. Six morts, Alison. Tu as déjà tué, tu t'en souviens ?

– Mais ce n'était pas moi, nia-t-elle, le visage noyé par les sanglots. Je... je n'ai jamais...

Elle hoqueta, sa voix s'étranglant dans sa gorge. Glarian tendit une main vers elle. Je me crispai. Pourtant, il essuya une de ses larmes. Elle sanglota fortement, ses épaules tressautant au rythme de sa respiration saccadée. Elle semblait accablée.

– Ce n'était pas moi, jura-t-elle. Je n'ai jamais voulu ça, c'est eux qui... qui...

– Chut, certes ce n'est pas ta faute, mais c'est toi qui a l'a provoqué.

– Mais je... je...

Elle enfouit son visage dans ses mains, pour fondre en larmes. Je ne l'avais jamais vu comme ça. De toute évidence, Glarian avait touché un point sensible. J'aurais voulu la rassurer, mais il y avait ces barreaux. Et puis, qu'aurais-je pu dire ? Je n'avais certainement pas mon mot à dire dans cette discussion. Je remarquai alors que je ne connaissais rien d'elle, de son passé. Et puis, un détail me revint. Comment pouvait-il savoir ? Non, c'était insensé.

– Une seconde, intervins-je. Comment es-tu au courant de son passé ?
Son sourire laconique refit surface. Là, je le reconnaissais. Alison écarquilla les yeux en grand, avant de reculer en arrière, me jetant un regard affolé. Glarian se releva et nous toisa, tour à tour.

– Je ne vous donne que la réponse à votre question.

Je fronçai les sourcils. Il se tourna vers moi.

– À ton avis, qui est venu dans la vallée et a enlevé Adrianne si ce n'est pas moi ? Qui m'a prévenu lorsque tu étais entré dans l'usine ? Qui a écrit ces messages ? Qui ?
J'en restais muet. Qu'est-ce qu'il essayait de me dire réellement. Je dévisageai Alison sans comprendre. Cette dernière gardait les yeux rivés au sol, essayant en vain d'échapper à mon regard interrogateur. Elle se mordillait la lèvre inférieur, sous la pression.

– Alison, déclarai-je d'une voix froide. Je veux la vérité, maintenant.
Elle fusilla Glarian du regard, tandis qu'il affichait son plus beau sourire. Que devais-je en penser ? Elle m'avait donc caché quelque chose.

– Bon, eh bien, je vous laisse, reprit Glarian, avant de tourner les talons, puis de quitter la pièce.

J'attendis d'entendre la porte claquer derrière lui, avant de me tourner à nouveau vers elle. Elle semblait maintenant culpabilisée.

– Alors ? J'attends toujours des explications, je te signale ! Déclarai-je d'une voix rauque et froide.

Après quelques hésitations, elle se lança finalement :

– En fait, Adrianne et moi nous ne sommes pas réellement des étrangères venues du monde extérieur, même, pas du tout d'ailleurs. Nous avons toujours vécu à la ville Bleue. Et... nous avons toujours été les cobayes de Glarian. Il a toujours expérimenté sur nous depuis notre enfance, d'ailleurs, nous nous sommes déjà rencontrés quand nous étions enfants. Tu étais même ami avec Adrianne.

– Quoi ? M'exclamai-je. Mais... mais... je m'en saurais souvenu !

– Sauf que ta mémoire a été modifié, reprit-elle d'un ton grave. Tu te souviens de la voix qui te parle certaines fois ? Adrianne aussi l'entend. Et elle dit vraie. Tout ça, c'est de la faute de Glarian. À force de modifier nos ADN, il a réussi, comme tu as pu l'entendre dans la ville, à mener à bien l'un de ses objectifs : la fusion élémentaire. Ce qui correspond, à l'acquisition de pouvoirs élémentaires, comme le feu, l'air, la glace, l'eau, la terre, la foudre, la lune et autres... tu penses peut-être que c'est le ciel qui nous a légué ces dons, comme tu les appelles, mais en vérité, tout ça, c'est l'œuvre de Glarian. Cela ne veut pas dire que l'on a trahi ! Glarian m'a manipulé. Son objectif principal, c'était que tu tombes amoureux d'Adrianne pour qu'elle t'amadoue et t'attires dans un piège.

J'ouvris la bouche pour répliquer mais Alison me retint :

– Laisse-moi finir, me coupa-t-elle. Ça, c'était le but du départ. Ce qui n'était pas prévu, c'était qu'Adrianne tombe amoureuse de toi.

– Alors pour la punir sans perdre de vue son objectif, il m'a manipulé pour j'aide Lowcast et Péri à pénétrer dans la vallée sans se faire voir par les éléments. Il m'a donc forcé à écrire ces messages, à jouer la comédie, mais surtout à me battre contre Adrianne. Elle a tenté de se défendre, elle m'a même blessé, mais j'ai réussi à l'asphyxier, ce qui n'est pas difficile quand on maîtrise la fumée.

Je ne savais pas quoi dire. J'étais bouche bée face à ces révélations.

– Et puis, peu de temps après qu'Adrianne fut enlevée, nous nous sommes contactées toutes les deux. Je ne te l'ai pas dit parce qu'il aurait fallut tout t'expliquer depuis le début. Nous nous sommes ensuite mises d'accord sur le fait de rester de ton côté, cela faisait trop longtemps que nous étions sous son emprise. Trop longtemps que nous subissions cela. Nous nous sommes dit qu'avec toi à nos côtés, nous avions peut-être une chance de lui résister.
– Mais alors... j'ai moi aussi été victime de ses expériences, soufflai-je, abattu.

Seulement, ses lèvres étaient toujours pincées, ses yeux rivés sur le sol. Il n'y avait donc pas que ça. Je fronçai les sourcils.

– Qui a-t-il d'autre ? Demandai-je, incertain.

Nouveau regard embarrassé puis, elle se lança :

– Tu n'as donc vraiment aucun souvenir de ton passé ?

– Bien sûr que si ! Mais... il semblerait... qu'ils soient faux.

Alison jeta un regard à Djalyss, qui l'incita à continuer. Elle prit une grande inspiration, avant de me demander :

– Dis-moi, dans ton souvenir, tu es fils unique ?

Mon sang ne fit qu'un tour. Est-ce que c'était ce que je croyais ?

– Oui, répondis-je d'une voix tremblotante. Normalement oui. Pourquoi ?

Ma voix s'éteignit par l'angoisse. Allait-elle me dire que...

– Eh bien, il se trouve qu'en vérité, tu as une grande sœur.

Je tressaillis sous la pression. Oh non, non, non, non, non, non !

– Et cette sœur... c'est Garance.

Je faillis tomber dans les pommes sous la pression. Après quelques instants, je poussai un soupir de soulagement. Alison redoutait ma réponse. Craignait-elle que ça me déplaise ?

– Punaise, crachai-je. Mais tu m'as fait peur !

Mon cri résonna dans la pièce. Elle cligna des yeux, sans comprendre.

– Qu... quoi... ? Murmura-t-elle, incrédule.

– Tu... tu m'as fichu une de ses frousses, j'ai cru que tu allais me dire que toi ou Adrianne est ma sœur.

Elle cligna à nouveau des yeux, puis reprit son état normal.

– Quoi ? Non...
– Oui, bah tu m'as fait peur !

Elle se pinça les lèvres avant de glousser. Je la fusillai du regard.

– Ha ha, s' esclaffa-t-elle. Tu t'aurais vu, tu flippais tellement !

– Tu... ne te fiche pas de moi !

Et puis, je pris en compte l'information. Garance...

– Attends quoi ? Comment ça Garance est ma grande sœur ?

– Oui. L'enfant de Holland et Glarian, tout comme toi.

– Pourquoi ma mémoire est-elle si...

– On ne sait pas si c'est la faute de Glarian ou celle de Kiro, mais on sait que tu n'es pas le seul à avoir été atteint dans la ville Bleue. Nous on a pas été infecté, affirma Alison.

– Infecté, répétai-je. C'est un virus ? Une maladie ?

- On ne sait pas. Ça ne se transmet pas. Mais plusieurs personnes ont déjà été atteintes.

- Y a-t-il un point commun entre elles ?

Alison haussa les épaules en signe d'ignorance.

- Aucune idée. C'est un véritable mystère. On sait juste que vous n'avez pas pu vous le faire vous-mêmes.

Elle me regarda avec compassion.

- Je suis désolée de ne pas avoir pu te dire la vérité dès le début. Je t'ai menti... et je m'en veux. Je sais que ce sera peut-être dur de me pardonner, mais je t'en pris, ne me déteste pas. J'avais peur, je ne voulais pas me le mettre à dos... et puis, je n'ai jamais eu quelqu'un avec moi, je me suis dit que, si je voulais survivre, il fallait mieux obéir... enfin bref, je ne me cherche pas d'excuse, je suis juste... désolée. Mais, sache que l'amour qu'Adrianne éprouve pour toi est réel. Elle t'aime vraiment, plus que n'importe qui. Elle n'est plus seule, pour une fois, et elle ne veut pas te perdre, quitte à se mettre Glarian à dos ! Sur ce coup-là, je peux te dire qu'elle nous as mises dans un sacré pétrin ! Mais tu sais, cela ne m'a toujours importé que trop peu. Moi aussi, j'ai toujours été seule, reniée par les autres, étant considérée comme folle ou comme enfant du diable. Après cet accident, la situation ne fit que s'aggraver. Je dus passer des examens, prendre des médicaments, être enfermée dans des bâtiments blancs, froids, oppressants. Tout le monde avait peur de moi et me fuyait. On m'insultait, me frappait des fois, on me disait toujours que j'étais une erreur de la vie, que je ne méritais que de mourir... c'était mon quotidien. Et puis, elle est arrivée. Elle a été ma seule amie, celle avec qui j'ai toujours partagé mes secrets, mes craintes, ma douleur... elle a toujours été là. Toujours. Alors tu sais, moi, je suis prête à la suivre au bout du monde.

Je vis les yeux d'Alison briller d'un éclat profond de tristesse. J'eus de nouveau un pincement au cœur.

- Qui a dit que je la détestais, dis-je. Moi je... je ne pourrais sans doute jamais lui en vouloir, je l'aime trop pour ça.

Alison afficha un sourire satisfait, malgré les larmes qui perlaient ses yeux.

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La porte s'ouvrit à nouveau. Glarian, sourire aux lèvres, deux assiettes dans les mains. Il s'arrêta devant ma cellule, avant de me tendre l'une d'entre elles. Je baissai les yeux vers son contenu, avant de détourner le regard, pas intéressé. Il fronça les sourcils, visiblement contrarié, puis il posa l'assiette sur le sol, avant de s'asseoir sur une chaise afin de commencer son repas.

– Tu aurais dû pourtant accepter, me reprocha-t-il d'un ton bizarrement posé. Ce n'est pas comme si je te proposais autant tous les jours.

– Qu'est-ce que tu veux ? Grognai-je froidement.

– Rien d'important, juste manger avec mon fils, répondit-il simplement, avant d'avaler une bouchée de steak haché.

Ce genre d'aliments était rare à la ville Bleue. C'était un véritable luxe d'en manger.

Je le fusillai du regard, avant de répliquer d'un ton glacial :

– Je suis le fils d' Holland.

Je sentis sa mâchoire se crisper à mes dires. Je levai un sourcil. L'avais-je vexé ?

Voire blessé ?

– Bon, déclara-t-il. Je vois que tu es de bonne humeur aujourd'hui.

Je l'ignorais, tandis qu'il dégustait son plat. Étaient-ce des châtaignes qu'il mangeait avec, trempées dans cette sauce luisante à souhait ? Mon estomac se serra. Il fallait dire que je n'avais rien mangé pendant de nombreux jours. Il me narguait à chaque bouchée qu'il avalait. Une boule se forma dans ma gorge. Même si ce repas me donnait envie, j'étais tellement mal, que je ne pouvais plus rien avaler. Puis, il attrapa la bouteille qu'il avait apportée, avant de l'ouvrir. Il but. Un liquide coloré, ambré, coula à la commissure de ses lèvres. À ce train-là, c'était même au-delà du luxe. Il me jeta un nouveau regard narguant. Je déglutis.

– Tu es sûr que tu ne veux pas manger ? Répéta-t-il d'une voix mielleuse.

Non. Je ne lui offrirais pas ce plaisir-là. Jamais. Je secouai vivement la tête.

– Sans façon, grommelai-je.

Du coin de l'œil, j'aperçus Alison, salivant devant ce plat. Je me mordis les lèvres, la faim me tordant le ventre et le dégoût s'encrant dans ma gorge.

– Viens-en au fait ! Qu'est-ce que tu veux ? Crachai-je.

Il se leva, posa son assiette, avant de planter son regard dans le mien.

– Tu vas m'aider à réaliser quelque chose.

Je frémis. Pardon ? Avais-je bien entendu ? Oh non...

– Qu... quoi ? Balbutiai-je.

– Tu as bien entendu. J'ai besoin de ton pouvoir.

Je fronçai les sourcils, envahi par un élan de colère.

– Jamais ! Raillai-je. C'est ton problème si tu n'écoutes pas la vallée. Si tu ne lui apportes rien, elle ne va pas s'agenouiller devant toi. Ce genre de choses ne tombent pas du ciel !

– Mais je ne te laisse pas le choix. Si tu refuses, je te forcerai. Tu m'appartiens, dorénavant. Tu es ma marionnette, mon pantin, je fais de toi ce que je veux.

Je déglutis, avant de reculer dans ma cellule, jusqu'à toucher les barreaux de fer glacials.

– Tu ne m'approcheras pas, tu ne me forceras à rien. Je ne suis pas ton appartenance.

Cela sembla le contrarier. Ses sourcils se froncèrent et ses traits se durcirent. À nouveau, il reprit son assiette et continua son repas. Quelques minutes de silence tendu passèrent, avant qu'il continue :

– Tu as en toi quelque chose qui m'intéresse. Comme tu le sais, c'est grâce à moi que tu as acquis ce que tu appelles « ton don ». J'en ai besoin. Avant que tu ne disparaisses avec ta mère, je comptais l'utiliser dans un but précis. Cela fait des années que je te cherche. Introuvable. Insaisissable. Les éléments empêchaient le contrôle que j'avais sur toi, si bien que tu ne pouvais plus m'obéir.

Il y avait donc bien un moyen d'échapper à son emprise.

– Maintenant que tu es revenu, je vais pouvoir utiliser ce pouvoir à bon escient.

– Plutôt crever, pestai-je.

Un sourire sournois se dessina sur ses lèvres.

– Je savais que dirais ça, tu es bien comme ta mère. Mais tu n'as pas le choix.

– Ma mère, hein, répétai-je à voix basse. Et qu'as-tu fait d'elle ? Tu l'as tuée ?

Il haussa les épaules.

– Non, me répondit-il avec condescendance, comme s'il parlait de la chose la plus anodine du monde. Mais elle avait pas mal d'ennui avec d'autres gens.

– Du genre ?

Une lueur malicieuse traversa ses yeux noisettes.

– Ça t'intéresse ? Te souviens-tu du jour où elle a disparu ?

Je hochai la tête. Oui, toute ma vie.

– Et te souviens-tu de la nuit qui l'a précédée ?

La nuit ? Je... non, pas vraiment. C'était... une nuit normale, non ?

– Vaguement.

– La lune, te souviens-tu comme était la lune, cette nuit-là ?

Mais où voulait-il en venir ? Quel était le rapport ?

– Normale, pourquoi ?

Il secoua la tête, amusé.

– Non, c'était une lune de sang.

Mon sang se figea dans mes veines. Quoi ? Mais... mais...

– Kiro ? Lâchai-je d'une voix étranglée.

Il opina la tête avec indifférence. Il n'avait pas l'air très impliqué dans cette affaire. Il s'en fichait ? Peut-être bien.

– Et qu'avait-elle fait pour le contrarier ? Demandai-je d'une voix rauque.

Il leva les yeux au ciel.

– Tout ça c'est à cause de Jax. Ne demande pas ça à moi, je risque de te raconter une fausse version, on risquerait après de m'en vouloir.

Je fronçai les sourcils, suspicieux.

– Qui pourrait t'en vouloir ? Et surtout, à quel moment tu t'intéresses à l'avis des autres ?

Un sourire fier fendit son visage en deux.

– Il faut croire que tu me connais, rit-il. Mais... néanmoins je ne préfère pas prendre ce risque. Je ne voudrais pas les mettre en colère.

Il se leva, récupéra les assiettes, avant de commencer à s'éloigner.

– Sur-ce, déclara-t-il. Péri viendra te chercher demain, je te réserve une petite surprise.

Il me fit un clin d'œil avant de disparaître de la pièce. Un frisson me parcourut. Qu'allait-il me faire ? Et qu'avait fait ma mère pour mettre Kiro en colère au point

qu'il... qu'il...

Jax, hein ? Qui était-ce réellement ? Alom m'avait bien dit qu'il avait prévenu les gens d'une... malédiction. Et si lui et ma mère avaient essayé de l'en empêcher ? Cela serait peut-être plus probable, connaissant Holland. Mais... qui était-elle réellement ? Quand avait-elle disparu exactement si mes souvenirs étaient faux ? Et

où était-elle maintenant ?

Je soupirai bruyamment. Tout cela me donnait la migraine. Où était la vérité dans tout cela ? J'avais l'impression que je n'avançais pas. Que je nageais dans un océan d'eau noire, sombre, ténébreuse, poisseuse... sans jamais réussir à en sortir. C'était effroyable, certes, mais c'était surtout épuisant. Je n'arrivais plus à démêler le vrai du faux, et je n'en avais pas la force qu'elle soit physique ou mentale. Tout simplement plus la force. Je me tournai vers Djalyss, qui restait silencieuse, le visage fermé.

– Dis-moi, articulai-je d'une voix rauque. Quand comptes-tu enfin me dire la vérité ?

Elle tressaillit. Elle savait que j'attendais, qu'il fallait que je sache. Elle se racla la gorge, avant de me répondre, les yeux toujours rivés sur le sol de sa cellule.

– Écoute Célian, c'est peut-être pas le moment pour...

– Regarde-moi dans les yeux quand tu me parles ! Grognai-je. Tu comptes attendre combien de temps avant de m'expliquer ? Que je sois mort ?

Elle se mordit la lèvre inférieure. Ses yeux débordaient d'émotions indescriptibles. Je ne cherchais pas à les différencier, à mettre des mots dessus. J'avais autre chose à faire.

– C'est compliqué... je...

– Je veux la vérité, qu'elle soit difficile à accepter ou non, je veux tout. Toute l'histoire depuis le début. Tu sais bien que je dois savoir !

Elle soupira à nouveau, les yeux rouges. Elle se racla à nouveau la gorge, hésita un moment, avant de commencer :

– Écoute, je...

Nouveau soupir.

– Comme tu le sais, à l'origine, ces contrées étaient des terres détruites, ravagées par la colère des éléments. Cette terre avait été exilée du monde, reniée pour la seule raison qu'elle était inhabitable. Mais revenons encore en arrière, à l'origine, elle faisait partie d'un continent, d'un pays même. Convoitée, puis colonisée à plusieurs reprises, elle échoua de nombreuses guerres. Du sang coula à travers les plaines, les champs, les vallées... et cela pendant des années... jusqu'à ce qu'elle fut appelée « la terre des morts ». Les hommes finirent par abandonner l'idée de la conquérir, les cadavres jalonnant les plaines. Elle fut reniée, crainte, désolée par le reste du monde. On disait même que si l'on tendait l'oreille, on pouvait entendre les murmures et les lamentations des morts, transportés par le vent. Les éléments le vécurent très mal, noyés par la souffrance et la tristesse pendant des années. Un siècle précisément. Jusqu'à ce que de la douleur découle de la haine. Une douleur abjecte, et un désir de vengeance assez prononcé pour faire de cette terre un enfer. Ouragans, tempêtes, tornades, orages s'enchaînaient les uns à la suite des autres, sans répit. C'était d'une violence sans nom. Et en même temps, le mal-être des éléments trahissaient leur désarroi. Un groupe de personnes a alors décidé d'agir, sans pour autant en avertir le reste du monde. Ils ont pénétré sur ces terres, en ayant la ferme intention d'organiser un pour-parler avec les éléments. Bon nombre d'entre eux sont morts, fauchés par la violence de Feyr, River et Siena. Cependant, sept personnes réussirent à survivre. Elles avaient pour noms : Ambérine Lenwë, Filaé Meleth, Oxane Azure, Kelen Léone, Fäolin Wilwarin et Morzan Farica. Et à eux sept, ils conclurent un pacte avec les éléments. Je ne sais pas ce qu'ils ont promis ou donné en échange, mais après cela, ils cohabitèrent ensemble. Et pour contenir l'immensité de leurs pouvoirs, les éléments se servirent des humains comme réceptacles. Ambérine se vit desservir Cyra, Filaé se vit attribuer Gaïde, Oxane cohabita avec River, Fäolin avec Feyr, Kelen avec Siena et enfin, Morzan avec Kiro. Ils furent surnommés « les gardiens » par le pays entier. Néanmoins, le restant du monde n'eut pas eut bruit de ce pacte. Pas même une rumeur, ni un murmure. Les vallées commencèrent alors à guérir, sous l'impact des gardiens. Voire soignées. Et puis les années ont passé et plusieurs générations de gardiens se succédèrent, les unes après les autres. Bientôt, vint le tour de ma sœur. Notre père, Lei, était le gardien de River et, quand l'heure fut venue, il transmit son pouvoir à Holland, étant l'aînée de trois ans. Elle était quelqu'un qui aimait vivre au jour le jour, vivace, joviale, toujours souriante. Quelque part, c'était mon exemple. Elle était si sûre d'elle, si vivante, rien ni personne ne pouvait l'atteindre. Pas même moi. Elle aimait beaucoup la navigation aussi. Elle travaillait sur un bateau, « la Jouvence Rouge », il me semble. Elle était si heureuse là-bas. Dès qu'elle était à bord, sur les flots, son visage s'illuminait de bonheur. La mer, c'était sa vie. Son élément. Son domaine. C'était tout. Tout pour elle. Mais c'est pourtant cela qui la tuée. Nous vivions au bord de la mer, à Sevel précisément. Un jour, quand elle devait avoir dans la vingtaine, elle a rencontré cet homme, un certain Glarian. J'ignorais tout de lui. Absolument tout. Peu de temps après, elle s'est mise à habiter avec lui. À la ville Bleue. Étant sa sœur, je l'ai suivi dans cette ville. Holland était éperdument amoureuse de lui... enfin, c'est ce que tout le monde croyait. En vérité, mais je l'ai appris bien plus tard, elle ne l'aimait pas. Elle s'était juste servi de lui pour obtenir des informations. Je ne sais pas quelles informations exactement, je ne sais pas non plus si, en fin de compte, elle a trouvé ce qu'elle cherchait, mais elle a joué ce rôle pendant des années, cachant son véritable but au fond d'elle. Elle ne m'avait rien dit, même en étant sa sœur, elle ne voulait pas prendre ce risque. Mais cela n'a pas joué beaucoup en sa faveur... car elle dut te donner la vie, à toi et à Garance. Et elle a dû endurer le tempérament et les humeurs de Glarian pendant des années. Je ne sais pas où elle a trouvé la force de tenir, mais elle a tenu bon. Jusqu'à ce jour. C'était un soir sombre, vraiment sombre, l'atmosphère complètement infestée par la fumée des usines. Très peu de personnes étaient de sortie cette soirée-là... pourtant eux si. J'avais du mal à dormir. L'air était vraiment sec pour une fois, oppressé, étouffant. Et il y eut ces cris. Effroyables, à glacer le sang. Parmi eux, ceux de Holland, et les tiens. ( elle lève sur moi ses yeux larmoyants pendant quelques instants ). Je ne savais pas ce qui se passait, mais c'était violent. Atroce. Déchirant. Je me suis levée pour aller voir... mais trop tard. Quand je suis arrivée, toi et ta mère aviez disparu. Je vous croyais morts... jusqu'à ce que je te vois en chair et en os après toutes ces années.

Elle se tut, sa voix étranglée par un sanglot. Ce devait être parler de ma mère qui la mettait dans un état pareil. Cela devait faire raviver en elle pas mal de souvenirs abjects. Mais après tout ce temps, je n'arrivais plus à exprimer de la pitié envers elle, je n'avais plus aucune empathie, je voulais juste la vérité.

– Alors tu affirmes que nos dons ne sont pas dû à Glarian comme il le prétend ? Et quel est le rapport avec Jax ? Tu ne m'as rien dit à ce sujet, déclarai-je froidement.

De nouveau, elle me regarda. Ses yeux de verre me transperçant, comme s'ils cherchaient à lire en moi quelque chose.

– Glarian affirme que c'est grâce à lui tout ça, reprit-elle d'une voix qu'elle voulait posée. Mais cela fait bien des années qu'il a perdu la tête. Il est persuadé que les éléments nous veulent du mal, et cela depuis... la disparition d' Holland. Je te jure que je n'ai jamais su ce qui lui était arrivé.

– Glarian a dit qu'elle avait des ennuis avec Kiro, c'est vrai ?

– En quelque sorte, oui. Mais... enfin... reprenons. Quand Holland et toi avez disparu, Glarian a comme... perdu la tête. Il est devenu fou, il vous a cherché partout. Il est venu me chercher même. Il voulait savoir où vous étiez allé, et pourquoi étiez vous parti. Je ne lui ai rien expliqué, étant donné que je n'en savais moi même rien. Je ne sais pas si il a compris par lui-même ou si il a eut vent de quelqu'un qui connaissait la vérité.

– Et qui connaissait la vérité exactement ? Demandai-je.

Elle me dévisagea à nouveau.

– Jax.

– Et qui était-il réellement ?

– Le gardien de Kiro, l'amant et le complice de Holland dans cette affaire.

– Mais quel était son rôle précisément ? Alom m'a dit qu'il avait prévenu la ville d'une certaine malédiction.

– Alom est jeune, elle ne connaît pas toute l'histoire. D'ailleurs, elle va bien ?

– Ce n'est pas le sujet. Quelle est la véritable histoire ? Je veux la vérité exacte !

Elle soupira, comme si une boule douloureuse s'était encrée dans sa gorge. Ses yeux étaient rouges, brillants.

– À l'origine, Kiro accentue les éléments lorsqu'il brille la nuit. La mer est plus rageuse, le vent plus violent, le ciel plus couvert, sombre. Son pouvoir a un impact sur les autres. D'une part, il est l'élément le plus puissant. Lorsque les premiers gardiens conclurent le pacte décidé à la majorité, Kiro n'était pas d'accord. Il ne voulait pas tourner la page, pardonner, et oublier. Il ne voulait pas de gardien. Il était ténébreux, d'une rage sans nom. Père nous l'avait décrit comme étant l'élément le plus incontrôlable, le plus puissant, et le plus craint. « Il ne faut pas mettre Kiro en colère », « il ne faut pas le contrarier », « il faut toujours l'écouter et lui donner raison »... ah là là, combien de fois ai-je entendu ces mots ? Mais pourtant, Kiro accepta Morzan. Personne ne sut pas pourquoi il avait si soudainement changé d'avis, mais il rejoignit les éléments, et ils formèrent ce qu'on appela « le cercle élémentaire ». Et les années ont passé. Jax et Holland s'étaient rencontrés au multiple réunion entre gardiens, tous deux héritiers à ce titre. Très vite, ils se sont bien entendus. Tout le monde pensait qu'ils n'étaient que meilleurs amis, moi la première, et pourtant... Cependant, Kiro avait un but précis derrière la tête. Tout était calculé depuis le départ, et tout le monde n'y avait vu que du feu. Mais Jax avait tout découvert, je ne sais pas quel but exactement cherchait à atteindre Kiro, mais il semblerait que c'était quelque chose de pas très sain. Avec l'aide de Holland et d'Isolde, Jax a alors essayé de l'en empêcher... et cela s'est mal fini. Holland se trouvait à la ville Bleue à ce moment-là, elle devait trouver les informations chez Glarian. Même après que Jax et Isolde se firent prendre et furent punis, elle continua.

– Quel était le lien entre Kiro et Glarian ? Questionnai-je en plissant les yeux.

– Glarian était le frère de Jax.

– Et alors ?

– Jax a trahi ! Il fallait bien un gardien pour le remplacer, rien de mieux que son petit frère.

– Glarian est le gardien de Kiro ?

– Il a essayé. Mais il n'y a qu'un gardien par génération.

– Et Jax est mort ?

– Je l'ignore, mais sûrement, oui.

– Et Holland ? A-t-elle réussi à empêcher Kiro de réaliser son but ?

– Je l'ignore. Mais elle a disparu peu de temps après.

– Morte ?

– Peut-être.

– Et quel est le gardien actuel de Kiro ?

– Je l'ignore. En tout cas, l'histoire s'arrête là.

– C'est tout ?

– Oui, moi c'est tout ce que je sais. De nombreuses personnes pourront t'en dire plus, mais mes connaissances s'arrêtent à là.

Était-elle sincère ? Non, elle ne m'avait pas dit toute la vérité, j'en étais certain.

– Tu mens, lâchai-je sèchement. Tu as dit que la mer était son élément, mais que ça l'avait tuée !

Elle tressaillit, visiblement déstabilisée par ma remarque. Oui, elle l'avait dit, sans doute sans le vouloir.

– C'est compliqué, répliqua-t-elle d'une voix glaciale.

Je frémis. Son visage s'était renfermé, ses traits durcis, et sa voix rude, sèche, brutale. D'où venait ce changement si soudain ? Je fronçai les sourcils.

– Mais je n'en ai rien à faire que tout soit compliqué, je veux la vérité un point c'est tout !

– Mais ça ne te regarde pas !

– Bien sûr que si ! Dois-je te rappeler que c'est ma mère ? Ma famille ? Mon pouvoir ? Je veux savoir ce qui se passe en ce moment ! Tu sais bien que je dois savoir !

– Mais vas-tu te taire ? Récria-t-elle. Reste en dehors de ça ! Tu ne peux pas comprendre ça ? Tu restes à ta place et tu arrêtes de vouloir de mêler de ce qui ne te regarde pas !

Sa voix claqua dans le silence. Alison et les trois autres cobayes assistaient à la scène sans dire un mot. J'aurais voulu insister encore et encore, jusqu'à ce qu'elle craque, qu'elle me dise tout, mais... il fallait mieux en rester là pour le moment. Alors je repris ma place dans ma cellule, dos contre barreaux et me tus. Et elle resta fermée à la discussion tout le restant de la journée, tandis que j'assimilais tout ce qu'elle m'avait raconté. J'essayai de rassembler les pièces du puzzle. Si c'était River qui avait tuée Holland, pourquoi l'aurait-elle fait ? Une punition ? Peut-être, mais qu'aurait fait ma mère de si grave au point de mériter un tel châtiment ? Est-ce que River était du côté de Kiro ? Non, ça m'étonnerait. Sinon, Djalyss avait parlé d'une ville, Sevel il me semble. Où était-ce ? Je n'en avais jamais entendu parlé. Je lui demanderais quand elle sera plus apte à répondre. La nuit tomba bientôt. Les rayons de la lune perçaient à travers la minuscule lucarne. Aujourd'hui encore la lune était découverte. C'était étrange. En temps normal, elle et les étoiles étaient cachées par les nuages, ou par la fumée des usines, et cela en continu, si bien qu'on apercevait le ciel que rarement. Pourtant, là, cela faisait plusieurs nuits que la lune et les étoiles transparaissaient. Mais que se passait-il à la fin ?

Je soupirai. J'avais mal à la tête à force de réfléchir tout le temps. Moi, je... Adrianne me manquait, et je ne pouvais que m'en vouloir. Mon p'tit chat, mon bébé... je lui avais ôté la vie, moi, quelle ironie ! Je m'en voulais tellement. C'était comme si j'étais brisé de l'intérieur. Les remords me tordaient le ventre à tel point que la simple vue de nourriture me donnait le haut-le-cœur. Je ruminais en silence, envahit par des pensées néfastes. J'aurais dû mourir à sa place. Qui l'aurait cru que je pense ça un jour ? Qui l'aurait cru que je puisse un jour aimer quelqu'un plus fort que je m'aime moi ? Mes yeux me piquaient. Pas à cause de la tristesse, mais de la fatigue. J'étais épuisé. Et même si je tombais de sommeil, je n'arrivais pas à fermer les yeux. Mon esprit était trop tourmenté pour ça. La nuit promettait d'être longue.

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