Chapitre 14

Je ne suis plus libre de rien. Mon corps bouge sans que je lui dise. Ce ne sont plus mes mains. Ce n'est plus mon corps. Je ne contrôle plus rien. J'assiste juste à la scène, comme un spectateur qui regarde un film. Je vois mes mains se refermer sur Adrianne, la plaquer contre le sol, la frapper. Je ne peux rien faire. Je vois ses orbes aquamarins me fixer avec ce sentiment que je déteste en elle. Cette peur qui m'est destinée. J'en suis malade. Je la tiens entre mes mains. Elle se débat avec vigueur. Elle crie mon nom, tente de s'enfuir. Je ne contrôle plus mon corps. Je me débats intérieurement pour reprendre mes esprits, mon corps, mes gestes... En vain ! Je lui flanque une gifle avec vigueur. Sa joue claque dans un bruit sonore. Elle me donne un coup de pied dans le flanc. Je la frappe à nouveau, la maintiens au sol. Elle se débat à coups de pieds et de poings. Elle me gifle, de toutes ses forces, m'assène un nouveau coup de pied dans les côtes. Je grogne. Je me vois la rouer de coups. Encore et encore. Je m'acharne. Elle crie. Elle n'arrête pas de se débattre. Est-ce le désespoir qui lui permet de se battre ainsi ? Elle saigne. Du nez, du sourcil. Je tente de lui planter mon poignard dans son abdomen. Au dernier moment, elle contre avec un coup de poing. Elle tente en vain de m'arrêter. La lame traverse sa chair, au niveau de son épaule droite. Elle crie. Elle saigne. Elle lutte encore. Elle ne lâche rien. Elle m'appelle, me supplie d'arrêter, de revenir à moi. J'en suis incapable. Je ne contrôle plus rien. Mes mains l'agrippent. Pas gentiment, non. Elles la tabassent, la saignent, lui veulent du mal. Elle se débat encore. Toujours. Son sang coule. Et c'est moi qui lui afflige ce supplice. Ma main se referme soudain dans son cou. Elle le serre. Fort. Trop fort. Elle étouffe. Elle me supplie. Elle se débat. Mes ongles se plantent dans sa chair. Râpent, serrent, saignent, étranglent. J'ai la nausée de la voir si mal. À cause de moi. Je suis en train de l'égorger. Elle suffoque. C'est horrible. Je suis en train de la tuer. Elle pleure, pleure, pleure. Son visage, son magnifique visage est maintenant défiguré par la souffrance et les sanglots. Cette vision me déchire le cœur. Elle ne crie plus, non. Plus aucun son ne sort de sa bouche. Elle me scrute de ses yeux larmoyants. Peut-être pour chercher dans les miens une trace de ma véritable personne ? Pour me voir moi, le vrai moi, une dernière fois ? Je voulais l'aider, la sauver de Glarian, pour qu'au final, ce soit moi qui la tue. Dans mon dos, le rire de Glarian résonne dans toute la pièce. Oh, ça l'amuse, hein ?

Je sens soudain quelque chose s'arrimer vigoureusement à mes côtes. Je pousse un cri de surprise. La chose me serrent fortement d'une puissance innée. Elle s'acharne. Je tente de m'en débarrasser du mieux que je peux. Ma main lâche Adrianne, à mon grand soulagement, pour me défaire de mon assaillant. Elle en profite. Elle me gifle, m'assène de coups de pieds et de coups de poings. La chose me serre, serre, serre, tentant de me retenir le plus possible. Je grogne avant de me retourner. Des lianes, sauvages et virulentes, s'enroulant autour de mes membres. Je me débats avec rage. Elles ne me lâchent pas. Elles s'obstinent, me maintiennent au sol. Alors j'utilise également mon pouvoir. Je les repousse à coups de rafales violents. Elles me lâchent soudain, arrachées du sol. Je me retourne pour en finir avec Adrianne.

Elle n'est plus là.

Je scrute la pièce. Là-bas, elle court. Je me lève, pars à sa poursuite. Elle slalome entre les machines, entre les cages, entre les meubles. Elle est habile. Furtive. L'avantage de ne pas être aussi carré que moi. Elle court vite. Très vite. Mais... pas assez, hélas.

                                                                   Point de vue Adrianne

Je cours, cours, cours, le plus vite possible. Mon souffle est saccadé. Je n'ai pas encore reprit toute ma respiration depuis toute à l'heure. Sans l'aide d'Alison, je serais sans doute déjà morte. Tuée par Célian. Quelle ironie !

Je cours à travers la pièce, je ne m'arrête plus. Il me talonne de près. Je déambule entre les meubles, tâchant au mieux de le semer, d'agrandir la distance qui nous sépare. Qui aurait cru un jour que je souhaiterais ça ? Mais il n'est plus lui-même. Il est manipulé. Je l'ai vu dans son regard, dans ses gestes, dans sa façon de me tenir... J'ai peur. Je cours. Mon épaule saigne, se répandant sur mes habits, sur le sol. J'ai mal. Il se rapproche. Il est tout près. Je me dépêche d'accélérer. Face à lui, je ne fais pas le poids. Alors je cours, toujours plus vite, toujours plus en slalomant entre tout ce qui se trouve sur mon passage. Je sais que si je ne le fais pas, il m'aurait. J'ai toujours couru plus vite que la moyenne des autres filles de mon âge. C'est un avantage, mais pas de beaucoup, hélas.

Ses doigts glaçants m'agrippent le bras à la volée, me jetant par terre. Je le repousse comme je peux, lui flanque un coup là où je sais que ça me permet de gagner quelques instants. Il pousse un grognement, mais ne me lâche pas. Il m'attrape par le col, me plaque contre le mur. Il me frappe. Une douleur aigu m'atteint au visage. Je serre les dents. Ça ne sert à rien de le résonner, ce n'est plus lui. Ce n'est plus son corps, plus ses mains, plus son âme. Il me frappe à nouveau, je sens un filet de sang couler de mon sourcil. Il me donne un coup de poing à l'oeil. Je pousse un juron, serre les dents. Je me débats comme je peux. Je sais que ce n'est pas lui. Qu'il ne m'aurait jamais fais ça. Je veux le retrouver. Le prendre dans mes bras, le câliner autant que possible. Je veux l'embrasser, comme il l'avait si bien fait ce jour-là. Je veux l'aimer. Plus fort que n'importe qui. Je veux que mon amour embrase son être, comme un feu embrasant le bois. Je veux l'aimer, par delà les mers, par delà le monde, les planètes, les galaxies. Moi, je l'aime mon guerrier au cœur pur. C'est beaucoup trop tôt. Trop tôt pour mourir. Trop tôt pour s'arrêter là. Il s'en voudra toute sa vie s'il me tue maintenant. Je ne peux pas lui faire ça. Je ne veux pas lui faire ça. Alors, je me débats. Je le frappe à mon tour, bien qu'à contre-cœur, et je pare les coups qu'il me donne. Je donne tout, tout ce que j'ai comme énergie restante dans ce combat contre lui. Je ne peux pas lâcher. Je ne peux pas, tout simplement pas. Je serre les dents et me bats. Je tente à maintes reprises de m'enfuir, mais il m'en empêche. Il est si violent. Il me frappe, frappe, frappe, sans s'arrêter. J'ai mal. Je lui donne un coup de poing de toutes mes forces dans la mâchoire. Il riposte en me giflant. Je me laisse tomber soudain en arrière, roula sur table, et bascula, le frappant de mes pieds. J'en profite pour m'enfuir. Je cours, cours, cours. Je cherche désespérément une issue. Là-bas ! Je commence à grimper à l'escalier qui mène à la mezzanine. Il me rattrape. Il m'agrippe la jambe. Je lui donne plusieurs coups de pied au visage, avant de monter le plus vite possible. Je fais le tour de cette grande table. Il me rejoint. Je lui fais une balayette, il l'évite. Il se jette de nouveau sur moi, je l'esquive de justesse avant d'ouvrir cette petite fenêtre. Je me hisse avec peine. Je commence à fatiguer. L'issue mène sur le toit. Il me talonne. Alors je cours, cours, cours. Plusieurs bâtiments se collent, facilitant la tâche. Je grimpe, cours, manque de glisser à plusieurs reprises. Les toits sont pentus, raides, glissants, et la nuit n'arrange rien. Mais je m'accroche. Je ne peux pas tomber. Pas maintenant. Il est tout près, juste derrière moi. Il fait si sombre, je n'y vois rien. J'ai peur, très peur. Peur de mourir, peur de lui. Le désespoir donne à mon corps une énergie que je n'avais plus. Je glisse soudain, dégringolant du toit. Je crie, me raccroche tant bien que mal aux ardoises qui m'écorchent les mains. J'agrippe la gouttière. Je jette un regard en contrebas. Je ne vois rien, mais c'est haut. Très haut. Je sens soudain les mains de Célian se refermer sur les miennes. Je le supplie. Non, il ne peut pas me faire ça... Non ! Il m'arrache les doigts de la gouttière avec une force innée, il tente alors de me lâcher dans le vide, mais il bascule avec moi. Je crie. Lui aussi.

Le choc fut violent, brutale, rude. Le contact des pavés contre ma peau m'assène, me coupant net la respiration. Le résultat est atroce. Une douleur irradie mes membres, se propageant dans tout mon corps. Ça fait mal, très mal. Je gémis. Mais je n'ai pas le temps pour me lamenter sur ma souffrance. Je dois fuir, tant que je le peux. Je peine à me relever. Je crisse les dents face au supplice qui atteint mon dos. Son corps est près de moi. Le voyant immobile, je frissonne. Oh non ! Non, non, non ! Je le mets sur le dos, tente de le réveiller. Il respire, par chance. Sa main se referme soudain sur mon poignet. Oh non ! Mais qu'elle idiote je suis ! Ses yeux se rouvrent avec fureur. Je me relève en vitesse. Vite, je dois m'enfuir ! Trop tard. Sa main m'agrippe les cheveux, me tirant violemment en arrière, me jetant au sol.

Non ! Crié-je.

Trop tard.

Il est sur moi.

Il me frappe. Fort. Si fort. J'ai mal, je me débats. Mais en vain. Je n'en peux plus. J'ai consommé toutes mes forces, toute mon énergie. Je n'arrive plus à contrer ses coups. Il m'assène, me tabasse. Je me laisse faire. Mon corps ne me répond plus. Je sens mon sang couler. Je sens ces coups si violents pleuvoir sur mon corps. Célian m'avait dit aimer les averses de printemps, est-ce de ça qu'il parlait ? Alors pourquoi cela n'a pas la même saveur que ces dires, lorsqu'il me les décrivait ?

Ils me font si mal... Pourquoi est-ce que j'ai si mal ? Et pourquoi le pavé est-il si

froid ? Il m'attrape au col, me frappe à nouveau. Il continue, encore, toujours. Quand est-ce qu'il va arrêter ? Je sens mon sang dans mes veines ouvertes se déverser sur le sol. Quitter mon corps. Il ne répond plus. Je ne ressens plus rien. La souffrance n'existe plus. Mes oreilles se bouchent, ma vue se brouille. C'est si agréable. Cette sensation m'enivre. Je ne sens pas le coup que vient de me porter Célian. Ni le suivant, ni celui d'après. Ma respiration saccadée se calme doucement. Je me sens bien. Je ne ressens plus rien. Mes yeux si embués se teintent peu à peu de noir. Je les referme en douceur. Célian continue de me frapper, je pense. Je n'en sais rien. Peut-être qu'il a arrêté ? Comment puis-je le savoir ? Je peux peut-être ouvrir les paupières, rien que les entrouvrir ? Mais j'en suis incapable. Cela demande une énergie que je n'ai plus.

Oh ! Ça y est ! Il m'a lâché ! Mon corps retombe à terre. Célian est redevenu lui-même. Je le sais quand son étreinte change sur ma peau, quand il me secoue avec vigueur pour me ramener à moi. Je sens ses caresses d'excuses me câliner. Il veut me réveiller ? Il s'en veut ?

Mais c'est trop tard.

Je n'ai plus d'air, j'étouffe. Je peine à me tenir éveillée.

Et bientôt, je sens mon âme quitter peu à peu mon corps, à présent.

                                                                             Point de vue Célian

Je vois son corps en sang, inerte, dans mes bras, à nouveau miens. C'est moi. C'est moi qui lui ai fait ça. C'est ma faute. Comment ai-je pu ? J'essaye, en vain, de la réveiller, de la ramener à elle. Elle ne peut pas partir comme ça. Elle ne peut pas m'abandonner. Je la secoue, je crie son nom, malgré les larmes qui brouillent ma vue. Mais son corps ne bouge plus. Il ne me répond plus. Elle ne se réveille pas. Elle saigne. Mes mains sont baignées dans son sang. Son sang que je lui ai fais verser. C'est ma faute. Tout est ma faute. Depuis le début. Je regarde autour de moi. Personne. Personne pour m'aider, pour l'aider, pour nous aider. Non... personne. C'est trop cruel, non, ça ne peut pas finir comme ça. Pour une fois que j'aimais quelqu'un... je fais vraiment souffrir tout ce qui m'est cher. C'est mon père qui me l'a dit, quand j'étais petit. Où sommes-nous dans la ville ? Il fait si sombre et il n'y a pas de lampadaires. Où est l'hôpital ? Ah oui, au nord. Je dois y aller, et vite ! Je me relève avec peine... et je m'effondre à terre, mes jambes ne tenant plus debout. J'eus à peine le temps de voir une dernière fois le visage ensanglanté d'Adrianne, que mes yeux se fermèrent, mon âme déjà partie loin à présent...


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