Chapitre 10

– Tu es allé voir tu-sais-qui ? Me demanda Alom, lorsque je revins.

Je hochai la tête.

– Je n'ai pas eu tous les renseignements dont j'avais besoin, mais ça me suffit.

Je pénétrai dans le salon-cuisine. Alison était en train de manger son petit-déjeuner, à demi-éveillée. La veille, nous avions donné aux enfants des objets que j'avais apporté pour eux, me rappelant la dure vie à l'intérieur de ses murs : quelques couvertures, de vieux vêtements reprisés, un peu d'argent et quelques vivres. Je n'avais pas pu prendre grand chose, mais j'espérais qu'avec cela, ils pourraient s'en sortir encore quelques temps. En tout cas, ils avaient été comblés de bonheur.

Alison leva ses yeux somnolents sur moi.

– Tu es allé où ? Articula-t-elle lentement.

– Obtenir des renseignements sur Glarian. Il m'a dit qu'il avait mené à bien l'un de ses objectifs, continuai-je à l'adresse d'Alom. Sais-tu duquel il s'agit ?

Elle secoua vivement la tête.

– Je l'ignore, et c'est ce qui me terrifie. Imagine s'il se rend immortel ? Quelle horreur...

Kieran était assis aux côtés d'Alison et jouait avec les mèches blondes de cette dernière.

– L'autre soir, murmura-t-il. Je me baladais dans la grande place lors du marché, j'ai entendu des passants qui en parlaient. Ils disaient qu'il a réussi à « pénétrer les cerveaux des gens. »

– C'est-à-dire ? Insistai-je.

Il haussa les épaules, n'en sachant pas plus que nous. J'échangeai un regard inquiet avec Alom. Elle semblait aussi soucieuse que moi.

– « pénétrer les cerveaux des gens », répétai-je. Qu'est-ce que cela peut dire ?

– Peut-être qu'il infiltre leurs têtes avec ses machines bizarres ? proposa Alison.

– Il transforme leurs cerveaux ? S'enquit Alom, paniquée.

Lindsey poussa un petit cri d'effroi.

– Quelle horreur ! S'écria-t-elle.

– Oh, oh, oh, les calmai-je avec véhémence. On est sûr de rien, alors n'allons pas imaginer le pire.

– Avec Glarian, on peut imaginer le pire, intervint Henwen.

Je le fusillai du regard, voyant Alom se tordre les mains d'anxiété. Henwen avait dix ans, comme Kieran. Il était assez franc et ne mâchait pas ses mots. On ne pouvait pas dire qu'il avait beaucoup de tact. J'ouvris la bouche, mais la refermai aussitôt. Que pouvais-je lui dire ? Il avait raison. J'entendis soudain quelque chose de bizarre. C'était une respiration assez saccadée, comme lorsque l'on pleure. Je me tournai vers Alom, puis me regard se posa sur Kieran, Alison, Henwen, Lindsey. Je passais en revue tous le monde. Siobhan, Misaé, Neil... mais aucun ne pleurait ! Mais alors, d'où venait cette voix ?

– Euh, qui pleure ? Demandai-je, incertain.

Tous se regardèrent, sans comprendre.

– Personne voyons ! Répondit Lindsey, sceptique.

Mais pourtant...

– Vous ne l'entendez donc pas ?

Ils secouèrent tous les têtes, déconcertés.

– Entendre quoi ? Questionna Alison.

Je tendis de nouveau l'oreille. C'était un sanglot profond, étouffé. Il venait... d'en haut ? La petite maisonnette avait effectivement un étage, plus un grenier. Je montai, vérifiai toutes les pièces, même le grenier. Mais rien. Nulle trace de cet être.

« Qui es-tu ? » , pensai-je sincèrement.

Et ma surprise fut telle, quand elle me répondit :

« Tu m'entends vraiment ? »

Je sursautai. C'était une voix de femme, claire, posée, entrecoupée par sa respiration saccadée.

« Oui » , répondis-je, hésitant.

« Mais comment ? C'est impossible. Qui es-tu ? »

« Toi, qui es-tu ? »

« Mais je n'ai pas le droit. »

« Pourquoi donc ? »

« C'est compliqué. »

C'était comme me l'avait dit Siena. Était-elle en lien avec tout ça ? Pourtant, la voix m'était inconnue, ce n'était donc pas un élément.

« Qui es-tu, toi ? » , continua la voix.

« Je m'appelle Célian. »

Elle marqua une pause avant de reprendre d'une voix faible, à peine audible :

« C'est donc toi... »

« Moi ? »

« Non, rien. Mais cela n'explique pas pourquoi tu peux me parler. »

« Tu es un élément ? »

« Non. »

« Tu es une personne ? »

« Peut-être. »

Peut-être ? Comment ça « peut-être » ?

« Quel est ton nom ? »

« Je ne peux pas te le dire. »

« Pourquoi ? »

« Je te l'ai dis, je n'ai pas le droit. »

« Qui t'en empêche ? »

Elle ne me répondit pas.

« C'est compliqué » , soupira-t-elle.

« D'accord, je ne vais pas insister. Mais... tu existes réellement ? »

« J'ai existé, je ne sais plus si je le peux encore. Cela fait si longtemps que je n'ai pas vu la lumière du jour. »

« Où es-tu ? »

« Quelque part."

«  Dans la ville Bleue ? "

Elle soupira.

" Si seulement ! Non, bien plus loin "

" Dans la vallée ? "

" Bien plus loin. "

" Près de la falaise ? "

Elle ne me répondit pas.

" Je ne sais plus où exactement, mais bien plus loin."

" À l'Extérieur ? "

" Je ne sais plus, je t'ai dit. "

" Je vois. Tu es emprisonnée ? "

" Peut-être. "

" Par qui ? "

" Je ne sais pas. "

" Qui a-t-il autour de toi ? "

" Du noir. Je suis dans le noir complet. "

" Une prison ? "

" Peut-être. "

" De la terre ? Du fer ? "

" Je ne sais pas. C'est froid. "

" Tu es seule ? "

" Peut-être, je ne sais pas. "

" Qui es-tu ? " demandai-je une nouvelle fois.

" Je suis quelqu'un. "

" Tu es donc une personne. À quoi ressembles-tu physiquement ? "

" Je ne sais pas. Je suis une femme. "

" Quel âge as-tu ? "

" Des années. "

" Combien exactement ? "

" Je ne sais pas. "

Elle commençait à m'énerver sérieusement avec ses " peut-être " et ses " je ne sais pas ".

" Tu ne peux donc me donner aucune réponse précise ? "

" Si. Moi, je sais qui tu es. "

" Bah oui, je te l'ai dis. "

" Non, je veux dire, je sais tout de toi. "

" Hein ? "

" Les éléments ne te répondent plus, c'est normal. Holland a disparu, c'était obligé. Glarian a une dent contre toi, je crois bien. Mais écoute-moi, ton rôle dans cette vallée est bien plus important que ça, tu comprends ? "

" Non, je ne comprends rien. Qui es-tu ? Comment me connais-tu ? Tu es quoi à la fin ? La vallée ? Une personne ? Comment se fait-il que tu ne connaisse rien de toi, mais que tu sais tout de ma     vie ? "

Elle ne me répondit rien. Longtemps, le silence se fit. Je crus qu'elle était partie, qu'elle allait arrêter de me parler. Pourtant, sa voix retentit de nouveau en moi.

" Ma mémoire a été modifiée, si bien que mes souvenirs sur moi et mon passé sont faux, tout comme les tiens. "

" Pardon ? Comment ça " comme les miens " ? Que m'est-il arrivé ? "

" Kiro est venu en toi, il a modifié tes souvenirs, comme à moi. Je ne peux répondre à aucune de tes questions car je ne suis pas sûre de la réponse. "

" Kiro ? C'est la lune, c'est ça ? Qui est-il réellement ? Pourquoi personne ne veut me le dire ? "

" Écoute, je t'expliquerai tout en détails la prochaine fois qu'on se parlera. Tu as un objectif à atteindre pour l'instant, concentre-toi dessus. Tu attaqueras ce soir, c'est ça ? Fais attention. "

"  Attends, comment sais-tu pour Glarian ? Et pour l'attaque ? "

Mais rien. Sa voix s'était tut.

" Réponds-moi, s'il te plaît ! "

Mais ce fut le silence complet, j'ignorais qui elle était, mais... ce qu'elle m'avait dit me faisait réfléchir. Mes souvenirs étaient faux ? Cela expliquerait le fait que je me suis trompé sur Holland, Isolde, et sur l'âge... mais... c'était tiré par les cheveux, non ? Alors que je revenais à moi, je sentis que quelqu'un me secouait fortement les épaules.

– Qu'est-ce qu... ? Murmurai-je en ouvrant les paupières.

Alison et Alom. J'étais allongé sur le parquet.

– Tu es enfin réveillé ! S'exclama Lindsey.

Je m'assis en silence. J'avais perdu connaissance ? Cette discussion avait-elle été le fruit de mon imagination ?

– Que s'est-il passé ? S'enquit Alison, sourcils froncés. Tu as dis que tu entendais quelqu'un pleurer, tu as vérifié toutes les pièces, puis, tu es tombé d'un coup, inconscient. Tu murmurais quelque chose, on n'a pas entendu quoi, mais tes lèvres bougeaient.

– Alors je n'ai pas rêvé, soufflai-je, abasourdi. Je l'ai vraiment entendu...

– Entendu quoi ? Tu as vraiment entendu quelqu'un ?

– Quelqu'un m'a parlé. J'ignore qui c'est, où elle est, et pourquoi je peux communiquer avec elle, mais elle m'a dit des choses... étranges...

– Quoi donc ? Demanda Alom, yeux plissés.

– Oh, rien d'important. Ce n'est pas grave, j'ai dû rêver !

Je me levai. Mes jambes étaient un peu flageolantes, mais j'arrivai à marcher. Je descendis au salon-cuisine. Je jetai un coup d'œil à l'horloge. Treize heures. Attendre la nuit allait être long. Nous mangeâmes donc. Ce n'était pas un repas copieux, mais au moins, nous en avions un. Tous les enfants étaient réjouis à cette idée.

Je continuai de réfléchir le restant de la journée. Avait-elle raison sur le fait que mes souvenirs étaient faux ? Comment connaissait-elle Glarian, Holland et les éléments ? Elle était donc au courant pour la vallée ? Mais comment ? Qui était-elle ? Me concentrer sur mon objectif. Oui, c'était le principal pour le moment. Quelle serait la meilleure façon d'approcher son antre sans se faire prendre ? Dans mes souvenirs, – les vrais, j'espérais – , il fallait passé les canaux des eaux usées, les dépotoirs, puis par les usines désaffectées, les entrepôts et hangars abandonnés...

Même s'il ferait noir, c'était plus dangereux de se promener dans la ville le soir. Car la nuit, tout le monde était de sortie. Il fallait alors être protégé, avoir des connaissances ou être armé, craint des autres... Glarian en avait aucun mal. Personne n'allait fouiner dans ses affaires. Et je dis bien personne, pas même les grands patrons de cette ville. Beaucoup de rumeurs circulaient sur lui et ses expériences, c'était pourquoi personne ne s'approchait de ses lieux. J'espérais qu'ils seraient au moins un minimum déserts. Mais s'il avait embauché de la main d'œuvre et qu'il attendait notre visite, je craignais le pire. Enfin bon, il nous faudrait être vigilants. Nous aurions qu'une seule chance, il ne fallait pas la louper.

Avec Alison, Alom et Kieran, nous nous rassemblâmes pour chercher la meilleure procédure à effectuer. Nous parlâmes longtemps, chacun inconvaincu sur nos stratégies. Mais bientôt, nous nous mîmes d'accord.

L'après-midi s'écoula lentement. Mais vraiment très lentement. Fallait-il vraiment que nous méritions ça ? Je frissonnais en me remémorant ses dires. Si la présence d' Adrianne avait déjà fait le tour de la ville, c'est qu'il avait déjà dû expérimenter des choses sur elle. Cela me rendait dingue, rien que d'y penser. Il fallait qu'on se dépêche. L'heure tournait... Alors pourquoi fallait-il que cet après-midi passe si lentement ? Si ça se trouvait, elle était déjà... Je secouai la tête. Non, il ne fallait pas imaginer le pire. Glarian avait bien dit que nous avions dix jours pour la récupérer, au-delà, il la...

Je repensais à Siena. Ce n'était pas Glarian qui avait écrit ses messages, c'était moi ! Était-ce vraiment vrai, ce que j'avais écris ? Après tout, je n'étais sûr de rien... mais comment se pouvait-il que ce soit moi ? C'était impossible. Mais... si la voix qui m'avait parlé disait vrai, peut-être que quelqu'un m'avait forcé, puis que j'avais oublié à cause de ma mémoire ? Pourtant, Siena m'avait dit que personne n'était venu. Non, elle avait dit que Glarian n'était pas venu dans la vallée, elle n'avait pas affirmé personne. Alors mon hypothèse pouvait tenir la route...

Je secouai une nouvelle fois la tête, avant d'aller à l'évier de la cuisine, me servir un verre d'eau. L'eau mit du temps à couler du robinet et n'était pas très potable, c'est pourquoi, en temps normal, on la faisait chauffer. Mais là, je m'en fichais. Je vidai mon verre d'une trait. Je me resservis, avant de de nouveau avaler l'eau à moitié croupie. À force de trop réfléchir, j'avais la migraine. Attendre ne faisait qu'attiser le flot de pensées qui m'envahissait. Cela me rendait fou. Je pris un nouveau verre, avant de soupirer bruyamment, épuisé à cause du manque de sommeil. Pauvre Adrianne, elle aurait mieux fait de ne jamais venir. Bannie, hein ? Qui pouvait oser bannir pareil être ? J'espérais que celui qui avait fait ça avait subi un châtiment encore plus terrible. Adrianne, elle était... tout. Ce n'était pas juste ! Je ne voulais pas que ça se finisse ainsi, moi. C'était mon p'tit chat, ma moitié. À elle-seule, elle avait réussit à combler tout ce manque en moi. C'était vraiment injuste, à croire que la vie avait une dent contre moi.

Je bus un nouveau verre, pourtant écœuré par le goût immonde de l'eau. Je repensais à ce baiser, au bord de la falaise. À ce moment-là, j'avais goûté à de meilleures saveurs. Rien à voir avec cette eau répugnante. Après un nouveau verre, j'eus un haut-le-cœur. Je me forçai à vomir. Il ne fallait pas que je tombe malade maintenant. Pas si près du but.

– Mais t'as fini de t'intoxiquer ? S'exclama la voix d'Alison, derrière moi. Comment tu veux je fasse après pour sauver Adrianne si tu meurs maintenant ? Tu veux que j'y aille seule ?

Je relevai la tête et m'essuyai la bouche avec un bout de tissus, avant de lui répondre :

– Ah ça non, je ne te laisserais pas ! Pas maintenant !

– Alors, si tu as soif, tu fais chauffer l'eau ! Gronda-t-elle, comme exaspérée.

Je pris une vieille casserole cabossée avant de m'exécuter. Je regardai l'eau bouillir en silence. Alison s'assit tranquillement à une chaise. Son bras était encore bandé. Elle disait qu'elle n'avait pas mal, enfin, elle ne se plaignait pas. Mais... combien de choses gardait-elle dans le silence ? Je jetai un coup d'œil à l'horloge. Dix-huit heures. Je poussai un soupir, avant de reprendre à l'adresse d'Alison :

– Tu crois qu'on a une chance ?

Elle ne me répondit pas tout de suite.

– Je ne sais pas, avoua-t-elle. Mais je ne peux pas vivre sereinement si Adrianne est en train de subir des horreurs. On va tenter.

– Tu n'as pas peur d'échouer, d'être prisonnière de ce taré, et de devoir, toi aussi, subir ses tortures ?

– Bien sûr que si. Tout comme toi, j'imagine. Mais... je ne peux pas abandonner Adrianne. C'est mon amie. Et je suis fidèle avec mes amis !

Je ne répondis pas. Silence. En temps normal, j'aimais le silence. Mais pas là, pas avec tous les sous-entendus qu'il laissait paraître.

– Tu sais, reprit-elle. Adrianne m'a parlé de toi.

Je me tournai vers elle, surpris.

– Et qu'a-t-elle dit ? Demandai-je.

Un sourire narquois se dressa sur ses lèvres.

– Ça t'intéresse ? Elle m'a dit : « Moi, Célian, je l'aime. Même s'il a beaucoup de défauts, j'apprécie ses qualités, ses valeurs, sa présence. Il m'a sourit, l'autre fois. Cela m'a fait tant plaisir... je veux revoir ce sourire, autant de fois qu'il le faut. Je me fiche bien de son passé, de ce qu'on fait ses proches... ce n'est pas lui. Garance lui en veut, pourtant, il n'a rien fait. Ce n'est pas sa faute, rien n'est sa faute dans cette histoire. Il ne l'a pas dit franchement, mais je le sais. Il a beaucoup souffert à cause de Glarian, il a perdu sa mère et a vécu tout seul toutes ses années, c'est triste, non ? Il s'est renfermé sur lui-même... il ne sourit presque pas et ne se confie jamais. Il a perdu goût en la vie. Chaque jour, moi, j'essaie de lui rendre sa joie de vivre. Je lui fais confiance, et j'espère que c'est réciproque. Moi, je l'aime mon guerrier au cœur pur. »

Je restais muet face à cette révélation. Adrianne avait dit ça ? Vraiment ? Elle me faisait confiance ? Elle m'aimait ? Je sentis mes joues se teinter de rose. Je vis le sourire d'Alison s'agrandir.

– Te... Te fiche pas de moi ! M'écriai-je, cramoisi. Qui me dit que ce n'est pas toi qui ait inventé tout ça ?

Elle s'arrêta de sourire.

– Tu ne me crois pas ? Bougonna-t-elle, faisant la moue. Pourtant c'est ce qu'elle m'a dit. Cette confiance n'est donc pas réciproque, comme elle l'espérait ?

– Si... Bien sûr que si...

Ma voix s'éteignit quelques instants, avant de reprendre :

– Pourquoi me dis-tu ça maintenant ?

Ma voix était si frêle, si fragile... Il fallait croire que toute cette aventure m'avait changé.

– Tu avais l'air si inquiet, ces derniers temps. Je voulais te redonner un peu d'espoir. Comme on dit « quand y'a de la vie, y'a de l'espoir. »

Je ne répondis pas. Adrianne me faisait confiance. Elle devait attendre que je la sauve. Mais... et si je n'y arrivais pas ? Et si je ne parvenais pas à la hauteur de ses attentes ? Allait-elle m'en vouloir ? Allait-elle arrêter de me faire confiance ? Allait-elle être déçue ? Je sentis mes joues s'empourprer. Mes yeux me piquèrent et je ne pus retenir une larme, qui roula le long de ma joue avant de s'affaisser sur le sol, en silence.

– Célian... souffla Alison, sonnée.

J'essuyai mes yeux du revers de la main d'un geste rageur. Je devais être minable. Je reniflai bruyamment avant de me tourner vers la casserole où l'eau bouillait promptement. Je saisis la poignée et me servis un nouveau verre, que je bus immédiatement, n'attendant pas qu'elle refroidisse. Et contre toute attente, cela me procura le plus grand bien. La joie dans la douleur, comme on dit.

Une vive douleur se répandit dans ma bouche, alors que le liquide me brûlait. Le goût n'était pas meilleur. Mais la chaleur le camouflait. La brûlure me fit oublier un instant la douleur que je ressentais dans mon cœur. Je pris une nouvelle gorgée. Ma souffrance s'atténuait peu à peu. Je soupirai bruyamment. Nouveau coup d'œil à l'horloge. Dix-huit heures trente. Je poussai un unième soupir lasse. Le temps passait si lentement... pourtant, il y avait tant de choses qui se passaient en une seule heure. Alors ce qui était pour plusieurs jours...

– Célian ! Fit la voix essoufflée d'Alom, dans mon dos.

Je me retournai. Elle ahana quelques instants pour reprendre son souffle. Elle était allée faire des courses en ville.

– Je-Je suis passé chez tu-sais-qui, articula-t-elle. J'ai entendu pas mal de passants parler de Glarian. Ils ont dit qu'il aurait trouvé une solution pour pénétrer les pensées et la conscience des gens.

– Quoi ? S'écria Alison. Attends... Comment ça ?

– Apparemment, il pourrait... « contrôler » les gens qui ont été victimes de cette expérience.

Je fronçai les sourcils.

– Contrôler ? Comment ça contrôler ? Grognai-je. Tu es sûre de tes sources ?

Alom secoua la tête de gauche à droite.

– Non, bien sûr. Mais ils étaient beaucoup à en parler, j'ai attendu longtemps, pour entendre les versions des autres. Beaucoup parlaient d'un but inconnu atteint, d'autres disaient justement qu'il pouvait dorénavant manipuler les gens, certains disaient même qu'il possédait les corps des gens, comme s'il pouvait les manier, tels des marionnettes.

J'eus de nouveau un haut-le-cœur, mais cette fois, pas à cause de l'eau. Quelle horreur ! Rien qu'imaginer Glarian pénétrer les cerveaux et la conscience des gens me donnait la nausée. Pourtant, j'y croyais moyennement. Ce n'était pas... vrai, supposai-je. C'était plus que tiré par les cheveux.

– Je n'y crois pas une seconde, répliquai-je froidement.

Alom haussa les épaules.

– Je ne sais pas, je ne fais que te prévenir de ce que j'ai entendu. J'ai pensé que c'était important.

– Et tu as bien fait, affirma Alison. C'est bien important comme information.

Je hochai la tête, en silence. Nouvelle gorgée d'eau bouillante. Alom nous rapporta diverses informations qu'elle avait entendu, quelles soient vraies ou fausses. Nous l'écoutâmes jusqu'au bout, tout ce qu'elle avait à dire. Elle nous prévint, nous encouragea et nous rassura, enfin, à sa manière. Je l'écoutai, buvant toujours l'eau. Je n'aimais pas l'eau chaude en générale, je la préférais assaisonner avec quelque chose. Le thé, par exemple. Qu'est-ce que j'aimais le thé ! Mon parfum préféré était celui aux fleurs de sureau. C'était sucré et amer en même temps. Délicieux.

L'eau d'ici était si infecte, que beaucoup mouraient intoxiqués. D'autres succombaient aux multiples maladies qui régnaient dans les rues : grippe, lèpre, syphilis... et j'en passe. L'espérance de vie ici était très basse. Tout dépendait de niveau de finance de chacun. Les plus riches vivaient dans des vraies maisons, avaient de l'eau potable dans leurs robinets, mangeaient à leur faim et étaient éloignés du reste de la ville, les protégeant ainsi des maladies contagieuses.

Et puis, il y avait les conflits entre les gens. Il fallait éviter les dettes et de s'attirer des ennuis. Il y avait beaucoup de trafics, de magouilles suspectes, et des assassinats. Personne ne cherchait à savoir où était passé cet homme porté disparu, cette enfant enlevée, ou autres... c'était peut-être tragique, mais c'était ainsi pour survivre.

– Célian, me souffla Alison, alors qu' Alom venait de partir s'occuper des enfants. Ça va ? Tu as l'air dans la lune...

– Hein ? Je réfléchissais juste à... à la vie dans la ville. C'est bizarre dis comme ça, mais c'est vrai. L'eau potable, par exemple, est si rare qu'il faut être vraiment riche pour en avoir dans son robinet. En temps normal, on a fait chauffer l'eau, mais certains n'ont pas ce luxe et doivent boire l'eau telle quelle. Cela finit souvent en intoxication ou en maladie...

Elle me dévisagea en silence.

– La vie ici à l'air si dure, remarqua-t-elle. Tout le monde a l'air d'avoir des difficultés que ce soit financières ou...

– Alison, la coupai-je calmement. Dis-moi, est-ce que dans le monde extérieur, les gens sont autant emprisonnés dans les villes ?

– Quoi ? Non, pas autant. Ils peuvent aller et venir comme bon leur semble.

– C'est étrange... ça a l'air pourtant si horrible...

– Tu sais, là-bas, c'est effectivement horrible, mais d'une autre façon. Je ne pourrais pas te dire si je préfère vivre ici ou là-bas.

– Je comprends.

Nouvelle gorgée. Je poussai un soupir lasse, mais vraiment très lasse. Je regardai à nouveau l'heure. Dix-neuf heures dix. Le temps prenait vraiment tout son temps. Je décidai donc d'aider Alom. Je fis la lessive, jouai, bien qu'à contre-cœur, avec les petits, et fis même le ménage. Alison répara quelques chaises et meubles d'antan à moitié délabrés. Les heures passèrent plus vite ainsi. Étant à la belle saison, les journées s'allongeaient. Il faisait jour tard. Vingt-et-une heures passèrent. Nous attendîmes, longtemps. Enfin, dans les environs d'une heure du matin, nous sortîmes.




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