Chapitre 1

Nous étions en l'an 128, quatre générations étaient passées depuis le début de cet enfer. C'était un jour brumeux, où le vent soufflait ses interminables rafales. Il s'était bien évidemment calmé depuis ce fameux jour, mais il n'en avait pas moins perdu de son mordant. La mer se lamentait inlassablement, alors que ses eaux sillonnaient entre les innombrables cavités rocheuses que regorgeait la falaise. Je l'avais beaucoup guérie. Je venais d'avoir 16 ans, dont dix mis à leurs services. Il ne pleuvait pas et la vallée était déserte. Je vivais dans une vieille bâtisse en terre qui avait survécu à cette période douloureuse. Je vivais seul, et j'en étais satisfait, ou plutôt, je ne pouvais y remédier, alors je m'y étais habitué. Je détestais les visiteurs qui avaient abandonnés ces terres à une souffrance épouvantable. Souhaiter tant de malheurs n'est-ce pas là de la véritable haine ? Comment pouvais-je aimer les Hommes, après ce qu'ils avaient fait ?

Je ne me souvenais plus de mon nom. Je ne me souvenais pas de grand chose. J'étais seul depuis mes six ans. Ce furent les éléments qui m'eurent élevé.

J'enfilai une vieille veste reprisée, avant de sortir dehors. Il faisait encore sombre et le ciel était déjà teinté de son gris éternel, bien qu'il fut plus blanchâtre que lors de ce jour si noir. Un fin brouillard enveloppait la vallée. Il n'était pas aussi épais qu'il l'était à tant de reprises tout au long de l'année, où sa consistance était si opaque qu'elle englobait toute la lande, avalant les côtes et la végétation.

J'arpentais un frêle sentier, le long de la côte, me tenant à une distance respectable du ravin. L'air marin emporta avec lui de nombreuses gouttelettes d'eau qui vinrent m'éclabousser. Cela ne me dérangeait pas, j'aimais beaucoup cet endroit. Je marchais à travers la lande, qui rayonnait sous l'éclat de lumière matinale. Les ajoncs embaumaient l'air de leur senteur habituelle, divine et agrémenté d'une pointe épicée.

Mes pas me conduisirent près d'un monticule de roches qui surplombait la mer. Je m'y hissai d'un mouvement souple et m'assis face aux flots, mes cheveux bruns fouettés par le vent. L'écume dansait entre les rochers encore émergés, léchait les côtes et l'odeur du sel vint emplir mes narines. Le son des vagues m'apaisait. La mer s'étendait à perte de vue, l'horizon me semblait si lointain. Après toutes les rumeurs qui couraient sur ces terres, personne n'osait s'en approcher, à notre plus grand soulagement.

J'attendis patiemment son apparition d'une patience innée. Cela faisait tant d'années que je venais ici chaque matin, ne pouvant me lasser du spectacle ravissant qui allait bientôt se reproduire une fois encore sous mes yeux éberlués. Ce sera sublime.

Malheureusement, ma sérénité fut rompue d'un coup sec d'une forte rafale de vent s'abattant sur la lande, faisant courber les végétaux sur son passage.

- Qu...

Une avalanche d'injures s'affala sur moi avec fracas. Je m'accroupis par réflexe, afin de me protéger de cette bourrasque haineuse. Plusieurs cailloux dégringolèrent de la falaise, sous mes pieds et je fronçai les sourcils, sans comprendre ce changement brutal de comportement. Je relevai la tête pour des insultes persiflées, crachées d'une amertume ancienne, rappelant une époque si ombrageuse. Je pestai, mais au moment où j'allais récrier mon irritation, la mer poussa des cris atroces à son tour. Je vis avec effroi ses vagues se dresser trop haut, et s'arracher sur les côtes avec déchirement. Les eaux se ruèrent sur les rochers, dévorant goulûment et d'une rapidité effroyable la pierre sur leur périple. Leurs cris perçants éprirent affreusement mes oreilles et firent écho en moi, résonnant avec douleur et désespoir.

Un craquement sonore détona au-dessus de moi, et une pluie tenace s'effondra sur la lande en un instant. Mon sang se figea dans mes veines lorsque je vis avec horreur des éclairs fendre l'obscurité la plus totale avec hargne. Cette rancœur...

« Abats ! Abats ! Abats ! » scandaient les éléments.

Que se passait-il ?

- Que... Que se passe-t-il ? Pourquoi cette colère ? Criai-je à pleins poumons.

Mais ma voix fut emportée, couverte, submergée par ces hurlements chaotiques. Je me jetai à terre, évitant de peu les rafales de vent qui cinglaient la plaine.

- Expliquez-moi !

Le tonnerre vociféra amèrement. Une nouvelle bourrasque s'abattit sur moi, manquant de peu de me faire tomber de la falaise. Je m'agrippai à tout ce que je pouvais, mais le sable et les cailloux glissaient sous mes doigts trempés.

- Ah... non, non, NON !

Le vent me gifla la tête, le corps. Et puis une vague immense se dressa au-delà des côtes, si haute... L'eau m'emplit la bouche, le nez, les poumons... Je toussais, crachais. Ils ne s'en étaient jamais pris à moi ainsi. Mais à ce moment-là, leurs attitudes me terrifiaient et je ne les reconnaissais aucunement dans ce sentiment fiévreux. Ils criaient tous en cœur et leurs voix se déchiraient dans leurs propos haineux. Un déferlement de rancœur, d'une douleur lointaine, enfouie, mais revenue à la surface en rapportant souffrance de son souvenir. Si vous les aviez vu, si vous aviez été à ma place, vous aussi vous auriez été affolés. Croyez-moi, leurs puissances nous réduisaient à des états de marionnettes subissant les affres de leurs pouvoirs.

Le vent déracina les ajoncs, emporta avec lui les roches... Une pierre percuta mon bras. Un élancement m'atteignit aussitôt, vif et fin, me tirant un juron abject.

L'eau et la terre me submergeaient le visage, le vent se déchaînait sur moi. Je finis par lâcher sous le coup, et mes jambes chutèrent dans le vide. De ma main gauche encore valide, je me raccrochais à un rocher avec véhémence, tentant de ne pas faiblir.

- ARRÊTEZ ! QU'EST-CE QUI VOUS PRENDS ? VOUS ME FAITES MAL ! Finis-je par hurler à gorge déployée, ma voix s'arrachant.

Tonnerre, fracas, eaux, bourrasques... Je fermis les yeux, terrifié...

Et puis plus rien.

Plus de vent...

Plus de tonnerre...

Plus de vagues...

Juste un silence tendu, piégeur.

- Qu...?

Je rouvris les paupières, une à une, perplexe et encore sous le choc.

Tout avait repris son calme. Le vent soufflait avec tendresse, la mer baignait les côtes avec douceur, et le ciel avait retrouvé son blanc cotonneux. Tous semblaient se confondre en excuses, honteux.

Je serrai les dents et, avec conviction, me hissai sur la falaise. Je soupirai de soulagement, et me relevai. Mon bras droit était blessé et le sang suintait de mes plaies, alors que je lorgnai avec découragement mes vêtements déchirés.

Je me tournai vers la mer, grimaçant.

- Que vous est-il arrivé, demandai-je d'une voix douce, sans aucune once de reproche ou d'amertume. Ai-je fait quelque chose qui vous a déplu ?

Mais les éléments restèrent silencieux, honteux, continuant de s'excuser en des lamentations affligeantes. Ils ne semblaient pas apte à vouloir me répondre.

- Mais voyons, expliquez-moi !

« Aïe ! »

- Qu... Vous souffrez ?

« À...À l'aide ! »

 Mon sang se figea dans mes veines et je me sentis blêmir. Non... Ce n'était pas leurs voix. Elle appartenait à quelqu'un d'autre.  Instinctivement, mes sourcils se froncèrent.

- Un visiteur ? Questionnai-je d'une voix glaçante, emprunt à une même rancœur. 

Mon ton était sec et tranchant. L'idée qu'un Homme de l'Extérieur puisse pénétrer en ces terres faisait monter en moi une colère rude, que je peinais à canaliser.

Une vague fiévreuse s'écrasant sur les rochers confirma mes soupçons.

- Où ? Grognai-je.

Comme par magie, le vent changea de direction, déclina vers le sud. Sans la moindre once d'hésitation, je m'y élançai. Je longeai la lande en courant, d'un pas rageur. Qui osait s'aventurer sur nos terres après tant de traîtrise ? Et que venait-il faire ? J'avais de plus en plus de mal à maîtriser cette rage. Je renverrai cet homme chez lui, de l'autre côté de la mer. Bien loin d'ici. Il n'avait pas le droit de revenir, tout simplement pas le droit. Pas après ça, pas après ce qu'ils avaient fait.

Je me frayai un chemin dans la végétation. J'avais deux mots à dire à ce visiteur. Et il allait m'entendre, coûte que coûte.

Je traversais la plaine sauvage et désertique. En vérité, lors de la belle saison, de nombreuses espèces animales peuplaient ces lieux, qui comportaient une flore très riche et variée. Elle regorgeait d'herbes médicinales et d'espèces toutes plus merveilleuses les unes que les autres. Mais pour le moment, à cette période de l'année, tout était désertique, et n'était qu'une épaisse masse d'herbe sauvage, fouettée par le vent. Il n'y avait rien.

Je marchais pendant quelques temps, puis le vent vira d'un coup sec vers l'ouest. Vers la mer.

-  Qu'est-ce que... ?

Je m'approchais d'un pas prudent, essayant au mieux de comprendre ce changement de direction, de trouver un indice. Il y avait un sentier creusé dans la falaise, un frêle cheminement taillé dans la roche, menant à l'océan. C'était à peine si je pouvais m'y faufiler. Mon cœur lourd et serré dans ma gorge, je l'empruntai. Je m'agrippais maladroitement aux rochers de mes doigts trempés et froids, tentant vainement de tenir debout sur cet étroit passage, qui plus est était pentu et descendait de plus en plus raide. La sable crissait sous mes pas, alors que je peinais à garder mon équilibre. Je manquai de glisser à plusieurs reprises. Ma mâchoire se crispait, au fur et à mesure que le bout apparaissait. Ces minutes me parurent interminables.

J'arrivai enfin. C'était une petite plateforme rocheuse creusée par les flots au fil des années. À peine mes pieds posés à terre, je me précipitai à l'encontre de ce visiteur d'un pas sec.

 C'était une jeune fille d'à peu près mon âge, très belle. De la boue et de la poussière noircissaient quelque peu son visage, bien que sa peau fut laiteuse, parfaite, quoique pâle, parsemée ici et là de multiples taches de rousseur, indénombrables, même si nous avions voulu les compter. Ses cheveux étaient ondulés, assez long, d'un brun foncé et ses yeux clairs, limpides, intenses, d'un bleu turquoise d'une beauté éprenante, et pourtant si glacials, si vides, si morts, comme s'ils ne relevaient d'aucune trace de vie en cette fille. Elle était vraiment très maigre, ses os saillant à travers sa chair et était vêtue d'un pantalon, d'un t-shirt et d'une veste déchirés. Elle tentait maladroitement de trouver une position confortable pour sa jambe gauche qui saignait rudement.

Elle sursauta à mon arrivée. Elle ne dit rien, ses yeux me fixant, à moitié apeurés. Elle semblait terriblement étonnée et me jauger, comme si elle se demandait si j'étais un danger ou non. Elle recula, méfiante. Elle était seule, sans bateau.

- Qui es-tu ? Raillai-je froidement, profondément irrité.

Je ne reconnaissais nullement le venin dans ma voix. Elle était grave, glaciale, tranchante, le ton que je prenais me faisait moi-même froid dans le dos.

- Toi qui es-tu ? Souffla-t-elle dans un murmure tremblant. Je pensais que cette terre était inhabitée depuis des générations.

Je fronçai les sourcils. J'avais beau ne pas la connaître, j'avais beau ne pas avoir été victime des actes des siens, je peinais à me maintenir calme.

- Car tu comptais t'y installer ? Grognai-je. Et de nouveau faire souffrir ! Tu comptais détruire la vie, esclavager les éléments et faucher les terres, c'est ça ?

Elle ne me répondit pas, toujours en me scrutant de ses yeux francs, jugeurs, perçants. Me contenir me demandait un effort que je n'avais pas, que je ne pouvais exécuter, emprunt à la colère la plus totale. Il fallait que j'évacue cette rancœur. Au nom de tous les éléments de cette vallée. Elle le méritait. Elle méritait cette haine, cette rage, elle méritait la douleur. C'était la punition de sa race, de son peuple, pour toute la souffrance qu'ils ont fait subir. Tous ces sentiments me faisaient tourner de l'œil, mes nerfs à vif. 

- Réponds ! Aboyai-je, fiévreux.

- Mais tu es fou, murmura-t-elle, d'une voix éteinte, comme sans vie.

Maintenant que j'y pensais, elle ne souriait pas. Elle n'affichait pas le sourire narquois et cruel que je m'étais imaginé de ceux de son espèce. 

Je ris jaune. 

- Ce n'est pas moi qui suis fou c'est le monde ! Éclatai-je amèrement.

Je m'approchais d'elle, la haine guidant mes gestes. Elle recula à nouveau.

- Écoute-moi bien. Tu vas repartir maintenant, le plus loin possible d'ici, et ne reviens pas. Plus jamais..., déclarai-je à voix basse, d'une voix si calme, contrastant tellement avec mon état d'âme, que j'en frémis moi-même. Retourne d'où tu viens, rentre chez toi, chez les tiens. Parmi ces gens qui désirent faire couler le sang et créent l'horreur sur terre... 

Je pestai chaque mot, crachai chaque syllabe, y mettant tout mon dégoût ressenti pour eux, y mettant tout le venin de mon cœur dans ma voix.

- Impossible. Je ne peux pas... Me répondit-elle d'une voix lasse, rauque, si basse et si faible que je l'entendis à peine, comme si elle ne tenait qu'à un fil menacé de se briser au moindre son trop fort qui sortirait de sa gorge, comme si parler lui coûtait un effort surhumain.

Le déluge de tous les sentiments ressentis par ces plaines, ces éléments durant ces dernières années m'asséna sèchement et je crus devenir fou sous le coup. J'en restai muet pendant de nombreuses minutes.

- Pardon ? soufflai-je d'une voix blanche, rauque, dans à peine un murmure, emprunte à l'euphorie m'atteignant.

Ses yeux vides me fixaient intensément, pourtant je ne vis rien. Aucun désir, aucun sentiment, aucune vie. Cette absence de réaction me troublait, mais je n'en avais que faire.

- J'ai été bannie de mes terres, articula-t-elle lentement, d'un tel détachement que j'en étais déstabilisé. Et condamnée à errer ici jusqu'à ma mort...

Le coup partit tout seul, comme un réflexe, comme si mon corps avait agi de lui-même sous le poids de l'amertume que je ressentais.

Le bruit résonna entre les parois rocheuses. Quelques instants s'écoulèrent dans un silence pesant. Ma main était encore levée au-dessus de sa tête. Sa joue était rouge, brûlante, mais elle ne réagit pas. Comme absente. 

- Ne raconte pas d'âneries avec moi ! Tu as tout intérêt à très vite partir d'ici, AI-JE ÉTÉ ASSEZ CLAIR ?

L'écho de ma voix me revint en pleine face, comme un coup de fouet, et je vis son absence de réaction s'éterniser. Elle ramena sa main à sa joue et la massa lentement. Elle gardait ses yeux vides rivés sur le sol, sur sa jambe endolorie, mais semblait beaucoup trop détachée pour avoir été touchée émotionnellement par mon geste. J'émis un grognement irrité, profondément agacé par son implacable impassibilité. Les gens du monde extérieur étaient donc si vides, si morts, de beaux pantins sans âmes. Des marionnettes éteintes. Pourtant ce manque de réaction me rendait fou, profondément fou. J'enrageais.

Pourtant, après quelques minutes de silence, mes yeux s'écarquillèrent lorsque je vis des larmes perler ses orbes de verre. Elle sembla déglutir difficilement, comme encaissant un choc. L'avais-je vraiment tant blessée de mes dires ?

- Aïe... Souffla-t-elle, dans un sourire forcé, affreusement glaçant. Ça fait toujours mal de voir qu'importe où que j'aille personne ne veut de moi. Hi, hi, je suis pitoyable, je sais. Mais ma malédiction n'est pourtant pas si insensée, pas si atroce. Je suis désolée, excuse-moi. Je suis incapable de luter contre, incapable de changer quoi que ce soit, excuse-moi. Désolée, je suis désolée... désolée, pardonne-moi... pardonne-moi... s'il te plaît... Aïe... Aïe, Aïe...

Elle rit jaune. Un rire sans joie, sans gaieté, sonnant affreusement faux, juste d'humilité, de ridicule, de douleur. Elle se recroquevilla sur elle-même, comme terriblement embarrassée, comme si elle voulait disparaître. Du moins, c'était ce que laissait entendre ses joues rougies et ses mains et ses lèvres tremblantes. Elle finit par enfouir son visage dans ses bras, avant d'éclater en sanglots, ses épaules tressautant. Elle semblait terriblement faible. Terriblement affectée. Terriblement malheureuse. Et seule.

Sa silhouette transparaissait brisée, la peau sur les os, ses cernes creusées dans sa chair comme taillées dans la pierre. Ses bras et ses jambes n'étaient que des brindilles, semblant être menacés de se morceler au moindre mouvement brusque. Pourtant cet état ? Elle avait vécue avec eux, dans le monde extérieur. Elle n'avait pas eu à vivre la misère, la famine, la peur, la souffrance. Elle avait vécue une belle vie, alors pourquoi pleurait-elle ? Pourquoi était-elle si maigre ? Pourquoi n'était-elle pas méprisante et dédaigneuse ? Pourquoi s'écrasait-elle autant devant moi, alors qu'elle faisait partie de leur peuple ? 

Je soupirai bruyamment, pas d'exaspération, mais seulement pour évacuer ma colère, pour apaiser mon rythme cardiaque.

-  Une malédiction ? Répétai-je, soupçonneux, mais d'une voix plus calme et douce.

Elle opina de la tête, le visage rougit et trempé, ses yeux bouffis. Elle déglutit difficilement, avant de me répondre :

- Tu ne me croiras pas, dit-elle d'une voix tremblante, toujours de cette gaieté forcée, sans vie.

Et pourtant juste un murmure, à peine audible.

- Tu peux toujours m'expliquer.

Elle me dévisagea, sembla me jauger, puis hésiter longuement, avant de calmer sa respiration saccadée. Enfin, elle se lança, les yeux toujours rivés sur le sol, et les joues brûlantes, comme honteuse :

- En fait, murmura-t-elle difficilement. Je...Je parle aux plantes.

Sa réponse me déstabilisa quelques instants et laissa place à un silence seulement interrompu par la houle incessante des vagues se brisant sur la côte.

Je clignai des yeux.

- Aux....plantes ?

- Oui. Je communique avec elles. Quand je ris, elles fleurissent et quand je pleure, elles se fanent. Je parle avec elles et j'en prends soin comme des membres de ma famille. Ou plutôt, car elles sont ma famille, la seule que j'ai.

- Vraiment ? M'exclamai-je, sceptique.

Est-ce qu'elle aussi était .... ? Non. Elle devait me mener en bateau.

-  Tu es orpheline ? Lui demandai-je, pour masquer mon trouble et pour tenter de la déstabiliser. On verrait bien si son mensonge tiendra la route encore longtemps.

-  Non, nia-t-elle. Mais jamais ma véritable famille aurait accepté de garder une erreur pareille en son sein. Il faut dire que ma malédiction a fait le tour des journaux. Imagine ça, une gamine parlant aux plantes ! Une gamine tarée, ce sont tous t-ils dit ! Jamais quelqu'un portera à la nature toute la reconnaissance qu'on leur doit !

Elle éclata à nouveau d'un rire amer, mais elle cessa presque aussitôt, voyant la réaction sur mon visage. Un frêle sourire s'était dessiné sur ses lèvres.

- Tu ne me crois pas, hein ? Déclara-t-elle, un sourire laconique déformant son visage. C'est normal, personne ne m'a jamais cru avant que j'en fasse une démonstration. Après ça, ils rient tous moins, ils craignent bien mes capacités. Si tu savais tout ce que les êtres humains font juste par peur... 

Son ton aguichant m'agaçait quelque peu, elle semblait rire intérieurement, je crus qu'elle nageait en pleine folie. Je poussai un soupir.

- On n'a qu'à vérifier. Viens, suis-moi ! Ordonnai-je, sans grande conviction.

À nouveau, elle me dévisagea longuement. Le visage grave, mort, vide, d'une impassibilité maladive.

-  Si tu y tiens... le problème c'est que je ne peux pas marcher.

-  Ah oui ?

D'un mouvement de tête, elle m'indiqua sa jambe invalide. Je m'accroupis à ses côtés, chose que je ne fis pas à cœur joie.

- Je vais te porter, grommelai-je.

- Vraiment ? Mais, tu es blessé aussi et...

Ma mine froide la fit taire d'emblée. Elle semblait comprendre qu'ici, elle n'avait pas son mot à dire. Elle venait de l'Extérieur et, même avec toute la bonté que les éléments pouvaient faire preuve, elle n'aurait jamais sa place sur ces terres.

Elle sembla comprendre qu'elle devait suivre les ordres sans broncher. Elle grimpa maladroitement sur mon dos et s'agrippa à moi. Sans attendre une quelconque réponse ou ne serait-ce qu'une parole, je me relevai et me mis en marche, serrant les dents car mon bras se fit souffrance. Je ne me permis pas de grimacer, ou de laisser transparaître mon désarroi.

- Alors comme ça, tu t'es faite jeter de ton monde ? Ils n'ont pas perdus de temps pour se détruire mutuellement.

- Quel pessimisme, railla-t-elle, toujours d'une voix mi-monotone, mi-sarcastique. Je te signale que ces terres n'étaient pas mieux, avant.

- La faute à qui ? Grondai-je. Vous, les gens de l'Extérieur, êtes vraiment des monstres. Vous aimez causer de la souffrance.

- Ce que tu es froid.

- Tu le mérites. Vous le méritez tous. Sales traîtres.

- Si tu savais ce que je pense, tu te retiendrais bien d'être aussi désagréable avec moi.

Non mais l'autre ! Ses sauts de confiance m'agaçaient. Ce n'était pas elle qui pleurait, deux secondes avant ? Voilà son vrai visage, quelle égoïste. Elle était bien comme tous les autres. 

Ruminant intérieurement, je me retenais bien de la jeter de la falaise. Elle le méritait. Le coeur lourd et pesant, je la conduisis cependant dans la plaine. Ce fut avec effroi que je découvris le spectacle qui s'offrait devant mes yeux. Je fus horrifié de voir la flore autant mal, les trois quarts des plantes piquaient du nez. Tout avez fané. Tout semblait avoir perdu vie.

- Qu...?

- Ouah ! Quel paysage magnifique ! S'extasia la fille, les yeux pétillant, sans doute le seul éclat de vie qui éclairait ses prunelles.

Je me tournai vers elle, stupéfait. Le monde extérieur était donc si immonde. Je préférais ne pas faire de commentaire, je gardais ma haine pour plus tard, quand elle se ridiculisera et me faisant croire à sa « malédiction », quand je me ferai le plaisir de la renvoyer chez elle. Je jetai un coup vers le ciel. Elle était arrivée juste à tant, juste au bon moment, afin de pouvoir y assister.

La vallée s'illumina soudain d'une lumière nouvelle. Les yeux de la fille s'écarquillèrent et elle se tortilla dans mon dos pour pouvoir se tourner vers la côte, la mer. L'explosion pastelle qui lui fit face l'émerveilla. L'opulence de lumière, de rayons, de soleil emplit la vallée, la côte, tout l'espace envahissant de couleurs splendides. Les nuances de rose, de violet, et le restant de gris se mélangèrent en un amas ouaté de somptuosité. Les rayons du soleil se reflétant dans l'eau, le ciel emplit d'une aube nouvelle et toujours si agréablement douce me comblait toujours autant.

-   C'est splendide, souffla l'étrangère dans une souffle.

Je soupirai de satisfaction. Tant que le soleil se lèverait toujours, je ne serai pas inquiet. Qu'importe les malheurs qui allaient encore s'abattre sur moi. De toute façon, j'étais immunisé contre la tristesse, le désespoir ou même l'espoir tout cours. Je n'étais pas idiot. Bien que mes souvenirs étaient flous, je savais la vérité. J'étais très bien conscient qu'il allait revenir, et que tôt ou tard, le bilan allait me rattraper. 


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Bonjour, merci d'avoir lu ce chapitre, dites-moi en commentaire ce que vous en pensez. Je suis ouverte à la critique, ne vous en faites pas. Et désolée si les chapitres sont longs, l'histoire n'était écrite sur Wattpad de base alors je ne savais pas le nombre de mots par chapitres... 

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