Chapitre 9 : Rien qu'une danse

Assise sur un banc Aveline regardait les autres danser en riant. L'ambiance chaleureuse lui faisait presque oublier tous ses problèmes. Ce n'était pas la première soirée d'été, puisque celle-ci serait réservée au bal, cependant les serviteurs la fêtaient comme tel avant d'être noyés sous la tonne de travail qui les attendait à partir du lendemain. Même si la jeune fille vivait les évènements différemment, vu que sa bibliothèque semblait, en cette période de l'année, boudée par les nobles. Ce qui ne l'empêchait pas d'apprécier cette petite fête simple où tout le monde s'amusait sans se préoccuper de conventions ou de protocole. Elle se laissa entrainer par un charmant jeune homme, si elle ne buvait pas cela ne l'empêchait pas de s'amuser avec les autres, elle était raisonnable et certains de ses compagnons s'étaient proposés pour la raccompagner chez elle ensuite. Sa Grand-Mère lui avait autorisé cette sortie et elle n'avait toujours pas osé lui parler du bal, il le faudrait pourtant, qu'elle ne soit pas prise au dépourvu par l'arrivée inopinée des robes. Alana serait-elle heureuse ? Ou furieuse ? Allait-elle apprécier le bal ? Toutes ces questions pouvaient paraitres futiles, mais elles lui semblaient tout d'un coup si importantes.

L'euphorie de la danse retombée elle se mit dans un coin pour se reposer quelques instants. Elle n'allait pas tarder à s'en aller, il était encore tôt et elle n'oserait pas demander à ce qu'on la raccompagne. Aveline n'oubliait pas non plus le fait qu'elle était étroitement surveillée par les espions du Seigneur Seth. Elle posa sa main sur le bras de Mary.

« Je vais rentrer, je suis fatiguée, et je crains que ma Grand-Mère ne s'inquiète. » La jeune femme lui sourit.

« Je vais voir si un des gars peut t'accompagner. » C'était ce qu'elle craignait, mais elle n'avait pas souhaité partir comme une voleuse. Inquiéter les autres n'était pas dans sa nature.

« Ce n'est pas la peine. Je n'habite pas très loin, et il est encore tôt. Laissons-les s'amuser. » Mary fronça les sourcils.

« Et s'il t'arrive quelque chose ? On s'en voudra. J'sais qu't'es pas du genre à chercher les embrouilles, mais j'veux pas qu'il t'arrive quelque chose. » Impossible de lui dire qu'elle ne risquait rien.

« Je t'assure que je serais prudente. Je ferais vite et j'éviterais les petites rues. » Mary soupira, signe évident qu'elle se résignait. Puis elle agita la main d'une manière dramatique comme pouvait le faire certaines grandes dames lorsqu'elles étaient contrariées.

« Vas alors. Mais reviens pas te plaindre si quelque chose arrive. »

Aveline hocha la tête. Elle s'était rendu compte au fil des années que les amitiés étaient bien plus sincères chez les serviteurs. Ne pouvant pas s'élever socialement ils n'avaient aucune raison d'entrer en compétition, cela les rendait solidaires.

Serrant son châle autour de ses épaules elle accéléra le pas. Il n'était peut-être pas trop tard, mais il n'était pas tôt non plus. Elle frissonna, la nuit n'était pas froide, mais le contraste avec la chaleur de la fête était saisissant.

« Et bien, on dirait que vous aimez prendre des risques. » La bibliothécaire fit volteface le cœur battant. Un sourire aux lèvres, le Seigneur Seth se tenait non loin d'elle. On n'avait pas idée de faire une frayeur pareille à une jeune fille, le soir, dans une rue déserte.

« Que faites-vous ici ? » Soit le hasard faisait bien les choses, soit ce n'en était pas un.

« Vous me croiriez si je vous disais que j'apprécie de faire une balade nocturne au risque de me faire égorger ? » Elle balaya la rue du regard. Il n'était pas accompagné, autrement dit ses espions devaient être dissimulés quelque part.

« Je ne pense pas. Vous pourriez tout aussi bien être allé chercher la compagnie de quelques demoiselles. » L'avantage de ne plus avoir à jouer les demoiselles de bonne famille pince sans rire et niaise, était de pouvoir aborder ce genre de sujet sans en rougir.

« Possible. Mais je m'en cacherais beaucoup mieux que cela. » Bon d'accord, elle rougissait. Les vieilles habitudes avaient la dent dure. Ou alors était-ce juste le fait qu'il la regardait dans les yeux tout en parlant. N'y tenant plus elle détourna les yeux.

« La seconde possibilité est que vous me suivez, ce qui vous rendrait inquiétant. » Il sembla prendre quelques secondes pour réfléchir.

« Je ne l'avouerais donc pas. Néanmoins, ne me jugez pas trop sévèrement. Ma seule faute est de vouloir vous protéger, et je l'avoue de rechercher votre compagnie. » Aveline croisa les bras sur sa poitrine.

« Cela aurait pu être très flatteur, mais dit ainsi, en pleine nuit dans une rue peu fréquentée je crains de devoir vous avouez que c'est inquiétant. » Il éclata de rire et elle sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine.

« J'en suis navré, je viens seulement de rentrer d'un voyage de quelques jours et je souhaitais m'entretenir avec vous. Certains serviteurs ont laissé entendre que vous iriez à la petite fête qu'ils organisaient, et il aurait été malvenu que je m'y impose. » Il n'avait pas tout à fait tort.

« Si nous pouvions marcher tout en parlant, cela m'arrangerait. Je vous remercie cependant de votre prévenance. » Il lui tendit sont bras. Les habitudes encore. Elle le saisit.

« J'ai ouïe dire que vous alliez au premier bal de la saison avec le neveu de l'une de nos dirigeante. » C'était donc cela. Etait-il jaloux ? En tout cas il ne semblait pas ravi.

« Cela est vrai. Le Seigneur Mahe m'a proposé de l'accompagner et j'ai accepté. Il m'est sympathique, et ses intentions sont tout à fait honorables. » Du moins il le laissait penser, et elle devait bien avouer qu'il lui faisait de l'effet.

« Soyez tout de même prudente. » Sans qu'il put le voir elle leva les yeux au ciel.

« Ce n'est pas parce que sa tante est une de vos rivale politique qu'il faut voir le mal en lui. Il est fort aimable, et je crois qu'il serait bien incapable de faire du mal à qui que ce soit. » Pourquoi cette soudaine envie de le défendre ? C'était tout à fait déraisonnable. De toute manière même s'ils flirtaient, elle finirait le cœur brisé parce qu'il était riche et qu'elle était bibliothécaire. Il n'était pas différent des autres. Ce ne serait pas la première fois qu'elle aurait mal.

« Parfois nous pouvons blesser quelqu'un sans qu'il s'en rende compte. Je crois me souvenir que vous avez-vous-même fait les frais d'un cœur brisé. » Cette allusion aurait pu la blesser. Ce n'était pas le cas. Elle s'en était remise, et elle se rendait compte aujourd'hui que ce n'était que futilité.

« C'est vrai. Je ne m'en plains pas cependant, cela m'aura épargné un mariage de convenance malheureux. » Sa fortune perdue et son fiancé envolé. Elle l'avait aimé. Il l'avait faite pleurer. Puis elle s'en était remise. Aujourd'hui cela ne comptait plus, elle n'était plus une enfant.

« C'est souvent dans les pires moments que les gens nous montrent leur véritable visage. Aveline, j'aimerais vous demander quelque chose. » Elle leva les yeux vers lui. Il ne la regardait pas, perdu dans la contemplation de la lune.

« Allez-y je vous en prie. » Cela ne pouvait pas être si terrible.

« Au bal, accordez-moi une danse. En souvenir de notre première rencontre. » Elle manqua d'éclater de rire. Tout cela pour lui demander une danse.

« Ce sera avec plaisir. Je promets de ne pas vous écraser les pieds cette fois. » Depuis le début elle avait été une piètre danseuse, heureusement même si elle n'avait aucune grâce et qu'elle ressemblait à un canard coincé dans la vase lorsqu'elle était au milieu de la piste de danse, elle n'écrasait plus aucun pied.

« Je vous assure que vous avez une manière très charmante d'écraser les pieds. » Ils éclatèrent de rire.

« Vous vous moquez. Ce n'est pas de ma faute si je n'ai pas la grâce d'un cygne. » Ils étaient arrivés sur le pas de la porte. Décidément cela était devenu une manie.

« Et vous, vous vous sous-estimez. » Elle s'éloigna de lui et posa la main sur la poignée de porte.

« Bonne soirée, Monseigneur. »

*

*       *

La journée avait été épuisante. Pas qu'il y avait eu foule à la bibliothèque, mais il avait fallu ranger les nouvelles caisses de livres qui étaient arrivées, et donc se débarrasser des ouvrages devenus obsolètes ou qui était trop abimés pour être lut. Si cela n'en avait pas l'air il s'agissait d'un travail harassant, et elle n'avait même pas encore terminé. Rentrer chez elle lui semblait soudain une bénédiction, elle pourrait s'allonger en s'étant préalablement débarrassé de son corset qui la faisait souffrir avec les fortes chaleurs qui commençaient à se montrer. Poussant la porte de chez elle, la jeune fille manqua de pousser un juron. Assis dans leur salon-cuisine-chambre, un homme d'une quarantaine d'années, bedonnant, accompagné d'une jeune fille qu'elle connaissait bien pour l'avoir côtoyée. Alana servait le thé avec dextérité, dans son regard Aveline put lire le soulagement.

« Monseigneur, que puis-je pour vous ? » Elle s'épargna la courbette, elle n'était pas au palais, de plus il s'agissait d'un petit baronnet, donc même pauvre elle était au-dessus de lui dans la hiérarchie.

« Chère Aveline, je vous attendais. Je sais que votre Grand-Mère est fort occupée ces temps-ci, alors c'est à vous que je m'adresse. » Beaucoup trop mielleux. Qu'attendait-t-il d'elle ? S'il ne s'adressait pas directement à sa Grand-Mère surement était-ce parce qu'il savait qu'elle refuserait et donc sa seule option était la fille ainée. C'était bien mal la connaitre, au moins elle avait hérité quelque chose de bien de son aïeule : son entêtement.

« Et vous faites bien. Mais je vous en prie, dite moi ce qui vous amène. » Un sourire pour cacher le mépris, une voix douce pour cacher la colère, des politesses pour cacher le dégout.

« Et bien voilà, je sais que vous êtes en difficulté financière ces derniers temps. Alors, comme je sais que vous avez été amie avec ma tendre fille, j'aimerais avoir un geste charitable. » Qu'allait lui couter ce geste ? S'il y avait une chose dont elle était certaine, c'est que rien n'était gratuit.

« C'est très aimable à vous. » Elle était maintenant assise face à eux. Alana lui servit le thé.

« Vous êtes une jeune femme raisonnable et exemplaire. Aussi voilà ce que je vous propose, j'achèterais pour vous et votre famille des appartements en ville et je vous verserais une rente annuelle confortable qui vous permettra de vivre convenablement. En échange vous me vendez votre titre de Duchesse et vos privilèges. » Bien. Il fallait qu'elle reste calme. Un sourire se dessina sur son visage, ce sourire qu'elle avait lorsque la colère étreignait son cœur.

« C'est une offre très charitable de votre part. Mais je dois malheureusement refuser, mon titre n'est pas à vendre. » Il eut un sourire de Dom Juan du Dimanche, prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut.

« Voyons Aveline, vous savez tout comme moi que cela ne changera rien pour vous d'être Duchesse ou non. Comprenez-moi, j'ai l'argent, vous avez le titre, si vous vous mariez il serait risible de le laissez à un vulgaire laquais ou paysan. » Il jouait avec son calme. Ses doigts serrèrent la tasse de thé. Alana lui posa une main douce sur le bras.

« Comprenez-moi, je tiens à ma liberté. De plus je ne compte pas me marier. » Cette fois c'est la jeune fille qui lui fit un sourire venant lui prendre la main.

« Ma Chère, vous êtes intelligente. Vous savez que ce titre ne vous mènera nulle part. Vous êtes ruinée, et ce ne sont pas les quelques attentions futiles d'une jeune Seigneur qui vous sortiront de la misère. » Respirer. Expirer. Ne pas s'énerver. Se calmer. Elle retira sa main.

« Mon titre n'est pas à vendre. Maintenant partez. » Une bile amer remontait dans sa gorge et ses mains tremblaient légèrement. Mauvais signe.

« Ma chère, vous êtes mal placée pour refuser. Nous savons certaines choses qui vous ferons perdre votre place au palais. » Aveline eut cette fois un regard meurtrier. La menace était la dernière chose à faire avec elle. « Ainsi que l'estime de certains de vos amis. Partez donc avec le peu de dignité qu'il vous reste. » Respirer. Inspirer. Merde ! Le contenu de la tasse termina sur la robe émeraude de la jeune noble qui eut un cri de surprise.

« Sortez de chez moi ! » Debout, elle désignait la porte du doigt.

« Sale petite peste ! Nous avons été généreux avec vous ! » Elle faillit éclater de rire.

« Peut-être que je suis pauvre, que je vis dans une maison pas plus grande qu'une souricière et que je n'épouserais pas un prince. Mais je suis encore Duchesse, et vos basses manipulations ne fonctionneront pas avec moi. Alors maintenant je vous prie de sortir. » Décidé son regard c'était planté dans celui de l'homme.

« Bien. Je doute que vous puissiez entrer au Palais demain, et ne pensons même pas au bal. Au revoir, Duchesse. »

Il avait mis tant de mépris dans son « Duchesse » que ce fut comme une gifle. Une fois la porte refermée Aveline tomba à genoux les larmes aux yeux. Le contre coup de la colère était toujours douloureux. Alana vint près d'elle pour lui prendre la main.

« Je suis désolé petite sœur. J'ai tout gâché. » Les larmes coulèrent sans qu'elle puisse les arrêter. Tout cela avait été beaucoup trop loin.

« Non Aveline. Tu as fait ce qu'il fallait. Grand-Mère va tout arranger. »

La bibliothécaire savait que ce n'était pas le cas. Elle se tut. Elle ne voulait pas étouffer l'espoir de sa cadette. 

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