Chapitre 6 : Tâches d'encre

Chapitre 6 :

Des gestes fluides et rapides. En deux temps trois mouvements Aveline avait terminé de nouer les cheveux de sa sœur. Elle noua finalement la tresse et laissa Alana se dérober. La jeune fille fit ensuite de même avec ses boucles rebelles. Dehors les gens s'agitaient déjà, les jours de marché étant toujours très animés. La bibliothécaire avait la chance d'avoir un congé ce jour-là, comme ça elle pouvait proposer ses services à la population. En fait les gens la payaient pour écrire des demandes, ou lire des courriers, ce genre de choses tout à fait dans ses cordes. Elle ne demandait que peu d'argent, mais cela lui permettait d'avoir un petit plus dans son budget. Elle noua son corset. C'était aussi le seul jour où elle se permettait une tenue autre que celle de bibliothécaire, en général un chemisier avec jupons et une robe par-dessus, mais le tout légèrement plus décolleté que le col règlementaire du palais. A vrai dire elle appréciait, cela lui rappelait l'époque où elle pouvait choisir ses robes, et était obligée d'en changer pour diner. Bien entendu cela était loin, les robes qu'elles portaient aujourd'hui étaient nettement moins belles, et leur confort se limitait à ne pas trop la démanger. Ce qui ne l'empêchait pas de les aimer.

Dehors elle installa son pupitre avec sa plume, son encre, du parchemin ainsi que le bocal en verre qui servait à récolter l'argent. Aveline salua plusieurs commerçants qu'elle connaissait maintenant très bien. A son arrivée l'accueil avait été plutôt hostile, puis au fil du temps les gens avaient compris qu'elle était maintenant comme eux. Sa Grand-Mère en profita pour sortir avec Alana, elle comptait lui acheter une nouvelle robe, ce qui fit sourire Aveline. Elle s'installa confortablement, se préparant à recevoir des clients.

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Les mains tâchées d'encre Aveline rédigeait une nouvelle lettre. Le travail était plus éreintant qu'à la bibliothèque, elle devait faire les choses vite et ses doigts étaient endoloris par la plume qu'elle ne lâchait plus depuis deux bonnes heures. Si cela continuait ainsi elle n'aurait pas terminé avant la nuit. Cependant elle savait que le flux continu de clients deviendrait moindre vers l'heure de midi. Et comme elle avait de la chance, les choses commençaient déjà à se calmer, si bien qu'elle eut quelques secondes de répit pour étirer ses doigts.

« Alors vous travaillez ici quand vous n'êtes pas au palais ? » Aveline leva les yeux vers le seigneur Mahe qui lui souriait.

« Oui, il faut bien gagner sa vie. Vous n'êtes pas accompagné ? » En règle général les nobles ne sortaient jamais seuls. C'était une question de sécurité, les voleurs rôdaient partout dans la ville. Les égorgeurs aussi d'ailleurs.

« Non, ne vous inquiétez pas, je sais me défendre seul. » La jeune fille hocha la tête, un sourire sur les lèvres. « Voulez-vous que je vous aide ? » Elle regarda son pupitre couvert de tâches d'encre et ses mains qui n'étaient pas dans un meilleur état. « Vous ? Travailler ? Je me débrouille bien toute seule, je m'en voudrais de déranger votre journée. » Il eut un rire qui la déstabilisa.

« J'en ai envie. Accordez moi cela, et puis écrire est dans mes cordes je vous assure. » Aveline hocha la tête. Elle se leva pour aller lui chercher une chaise. En réalité elle ne se sentait pas de lui dire non, il avait déjà prouvé que de toute manière il passerait outre ce qu'elle lui dirait. Ainsi elle amena une nouvelle plume et un siège. Ils s'installèrent côte à côte.

« Etes-vous bien installé ? » Ils étaient en réalité collés l'un à l'autre, ce qui avait quelque chose de gênant pour elle.

« Oui, ne vous en faites pas. » Alana et sa grand-mère choisirent cet instant pour rentrer. Elles saluèrent le jeune homme.

« Mangez-vous avec nous Monseigneur ? Cela sera succinct comparé au faste du palais bien sûr, mais vous êtes le bienvenu. » La courtoisie de son aïeule étonnait toujours Aveline.

« Je ne veux pas vous déranger. Et il serait peu convenable de ma part de profiter ainsi de vous. » La bibliothécaire eut un sourire.

« Cela nous fait plaisir à toutes les trois, de plus vous me serez d'une aide précieuse ici quand le monde va affluer. » S'il tenait la cadence. Elle avait eu beaucoup de mal au début à tenir le rythme, plusieurs fois elle avait même faillit fondre en larme. Un instant ils se regardèrent dans les yeux, et son cœur manqua un battement.

« Puisque vous insistez, je ne puis me dérober. Cela serait plus mal poli encore. »

*

*       *



Ils avaient passé une excellente journée. Aveline, aidée du seigneur Mahe, rangeait ses affaires imitée par les marchands. Le ciel était teinté d'une couleur orangée sublime en cette période de l'année. Elle ne put s'empêcher de sourire, quelques années auparavant elle attendait cet instant avec impatience car il annonçait l'heure du bal. Aujourd'hui ce n'était plus le cas, bien entendu ne plus participer aux fastes de la cour lui faisait un pincement au cœur, pourtant elle avait le sentiment qu'il y avait quelque chose de plus important dans cette petite maison. 


« C'était un plaisir de passer cette journée avec vous Aveline. Même si ma main n'en dirait pas autant. » Il lui prit la main pour y déposer un baiser. Ils avaient tous les deux des tâches bleues sur les doigts.

« Vous êtes un compagnon fort agréable. J'espère que vous reviendrez nous voir. » Alana vint les rejoindre à cet instant sur le pas de la porte.

« Faites attention à ce que vous dites, je pourrais emménager. » Un clin d'œil avait de se tourner vers la plus jeune des deux sœurs. « Occupes toi bien de ta sœur, nous en avons besoin au palais. » Avec ce petit sourire en coin, qui était surement son seul point commun avec Aveline, Alana tendit un petit baluchon au jeune seigneur.

« Je les ai fait avec Grand-Mère. Pour vous remercier d'avoir aidé Aveline aujourd'hui. » Il s'inclina légèrement quand la dite Grand-Mère vint se joindre à eux.

« Merci infiniment. Je serais venu aider plus tôt si j'avais su que j'avais le droit à tant de faveurs. » Il ébouriffa gentiment les cheveux d'Alana.

« Vous êtes un jeune homme charmant. Revenez quand vous le souhaitez. Notre porte est ouverte. »


Dernière courbette. Puis avec un signe de la main il les laissa. Les trois femmes entrèrent dans leur petite maison. Aveline affichait une mine radieuse, cela faisait bien longtemps qu'elle ne s'était pas sentit aussi sereine.

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*        *


Peu après manger Aveline termina ses comptes de la journée. Avec ce qu'elle avait gagné aujourd'hui elles auraient de quoi payer leur propriétaire, et pourrait manger pendant quelques jours. Il y avait même un extra, grâce à Mahe elle avait pu aller plus vite et donc avoir plus de clients. Elle jeta un regard sur sa petite sœur qui dormait déjà.


« Grand-Mère, je sors. Je vais faire vite. » La vieille femme leva les yeux vers elle surprise.

« Que comptes-tu faire à cette heure-là ? » Aveline comprenait l'appréhension de son aïeule, les rues n'étaient pas sûres le soir, cependant il n'était pas encore trop tard.

« Quelques courses, je n'en ai pas pour longtemps. » Elle embrassa la joue de sa Grand-Mère.

« Aveline, sois prudente je te prie. Je ne veux pas d'une mauvaise nouvelle en plus. »


La jeune fille hocha la tête, prenant son châle elle sortit discrètement pour ne pas déranger sa petite sœur. La fraicheur était tombée dans les rues, elle ne croisa que peu de monde. Les rues les plus animées se trouvaient dans les bas quartiers, or elle allait à l'opposer. Ce qui ne l'empêchait pas de craindre quelques mauvaises rencontres. Pressant le pas elle se dirigea vers le Quartier de la Reine, un vieux quartier avec les boutiques où se rendaient les gens du palais. Son nom avait été conservé malgré la fin de la monarchie en l'honneur de la première Reine roturière et la seule aussi.

Resserrant son châle autour de ses épaules Aveline eut soudain un mauvais pressentiment. Comme une boule au creux de l'estomac. Peut-être n'était ce que son imagination, après tout elle n'avait rien sur elle qui puisse intéresser les voleurs si ce n'est quelques piécettes pour acheter un petit déjeuner à sa sœur, pas assez cependant pour faire le bonheur d'un voleur. Un bruit la fit se retourner. Un léger cri passa ses lèvres quand elle se retrouva nez à nez avec un homme qui faisait une tête de plus qu'elle.

« Pardonnez-moi, vous m'avez fait peur. » Il n'avait rien d'un bandit des rues. Elégamment habillé il se tenait droit, bras derrière le dos.

« Je sais. »

A peine eu-t-il prononcé ces deux mots qu'une main gantée se posa sur sa gorge. C'est à cet instant qu'elle comprit qu'elle n'était pas courageuse pour un sou. A chaque fois qu'elle sortait elle s'imaginait se débattre si on l'attaquait, or la seule chose qu'elle parvenait à faire était de regarder celui qui se tenait face à elle. Aveline ne distinguait pas son visage mais elle comprit que ce n'était pas un voleur de bas étage, ni un détrousseur de jupons de bas étage. Il avait bien trop d'allure. D'un geste il dégagea de sa ceinture une lame parfaitement émoussée brillante sous les rayons de lune.

« N'oublie pas que le Maitre veut qu'elle sache pourquoi elle va mourir ce soir. » Son ton était détaché, monotone, comme si cela était une habitude.


« Ah oui c'est vrai. » Il commença à jouer avec sa lame comme si cela ne l'enchantait pas de faire durer l'instant. Donc tuer n'était pas un plaisir. « L'homme qui nous à demander cela est fort contrarier. Il semblerait que vous ayez ouïe quelques conversations, et cela est très embarrassant. » Comment pouvait-on être au courant pour cela ? Elle n'en avait parlé à personne. En tous les cas quelqu'un voulait sa peau, et ce n'était pas bon pour elle. Pas bon du tout. Dire qu'elle ne pouvait même pas répondre, au moins essayer de leur faire comprendre que cela n'avait pas d'importance, qu'elle resterait muette. Mais l'homme exerçait une pression trop forte sur sa mâchoire pour qu'elle y parvienne.


« N'oublions pas la mise en scène. » Ce qui était étrange c'était leur manière de parler. Sur un ton autre on aurait pu dire qu'ils se délectaient de la scène, cependant il n'y avait aucun signe de quelconque plaisir dans sa voix. Comme s'il parlait d'une chose qu'il aurait eu à faire.

« C'est vrai. Pardonnez-nous cela demoiselle. Simplement nous n'aimons pas travailler sur des cadavres. »


Aveline en aurait presque rit tellement elle était nerveuse. Sa seule envie était pourtant de vomir, ainsi que de pleurer, les deux feraient l'affaire. L'homme face à elle, déchira ses jupons à plusieurs endroits. Avec une élégance que n'aurait pas eue un badaud. Il entreprit ensuite de défaire son corsage. Cette fois Aveline tenta un mouvement qu'elle regretta amèrement lorsque l'homme qui la tenait lui tordit le bras sans plus de cérémonie. Pour terminer on la décoiffa. En sommes on la tuait, puis on faisait passer cela pour un viol. Cela n'avait rien de réjouissant. Les paupières closes la jeune fille se mit à invoquer les dieux.

La lame glissa sur son cou.

C'était terminé.

Fini. 

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