Chapitre 42 : Cauchemars
Accrochée au bras de Seth, Aveline parvint à marcher jusqu'au balcon qui surplombait un magnifique jardin. Elle inspira l'air frais, cela faisait si longtemps, être enfermée n'avait rien de plaisant et elle commençait à trouver le temps long. Heureusement la seconde cautérisation avait fonctionnée, même si le guérisseur se méfiait toujours d'elle. Après quelques jours alitée elle avait eu l'autorisation de sortir de sous les couvertures, seulement elle ne parvenait pas à marcher seule, c'est pourquoi Seth l'accompagnait dans chacun de ses déplacements à l'autre bout de la pièce. L'attaque avait été imputée à des rebelles, ceux-là même qui semaient la discorde dans certains villages du royaume, l'élection du nouveau Dirigeant ayant sûrement éveillé leur haine. Aveline doutait que cela soit le cas, mais elle se garda bien d'en parler au seigneur qui l'accompagnait, malgré tout la confiance qu'elle avait en lui, elle savait qu'il n'arriverait pas à mettre en doute les dires de ses supérieurs.
« Nous retournerons bientôt au palais, laisse toi juste le temps de pouvoir marcher seule. » Elle hocha la tête distraitement. Elle aimait cet endroit pour tout le calme et la sérénité qu'il lui apportait, cependant il lui manquait quelque chose : celui qu'elle aimait.
« Espérons que cela ne prenne pas trop de temps. » Ses jambes étaient douloureuses, le manque d'exercice les avait fragilisées, mais le pire restait encore son ventre. Chaque matin, maintenant, elle se levait pour soulever sa tunique et regarder l'informe cicatrice qui déformait son ventre. Une foule de questions se bousculaient dans sa tête, autant de questions qu'elle ne parvenait pas à poster à Seth, elle craignait qu'il ne comprenne pas. Qu'il ne la comprenne pas. « Et, as-tu pensé que nous pourrions de nouveau être attaqués ? » Cette idée la glaçait d'effroi si bien qu'elle peinait à s'endormir la nuit.
« Au retour nous serons escortés par un garde du corps. Tu ne peux pas te battre dans cet état et la demeure est surveillée jour et nuit. » Cette réponse la rassura. Cela ne l'empêcherait pas de conserver une dague dissimulée sous son oreiller, mais au moins elle serait sûrement alertée avant qu'il ne se passe quelque chose. « Rentrons, il commence à faire froid. » Elle hocha la tête, elle n'avait pas spécialement envie de retrouver son lit, cependant elle avait tellement mal que s'allonger lui ferait le plus grand bien.
*
* *
Son hurlement la fit s'éveiller. Aveline tremblait de tous ses membres, elle toucha sa joue baignée de larmes. Sa gorge était sèche et son esprit était empli de cauchemar. La pièce lui sembla soudain froide, chaque ombre sur les murs devenait inquiétante. Son cœur se serra dans sa poitrine avant de bondir à un rythme effréné. Elle ne pouvait pas rester là. C'était comme si du sang baignait encore les murs qu'elle avait vu en fermant les yeux. Mal assurée sur ses jambes elle se releva. Sa chemise de nuit était humide de sueur et quelques mèches de cheveux collaient à son visage. Aveline sortit de la chambre s'appuyant aux murs, pantelante, elle ne savait pas ce qu'elle cherchait. Elle avait juste besoin d'air. D'autre chose. D'oublier. Ses mains tremblaient, elle heurta une table faisant tomber un vase. Pestant malgré la peur qui vrillait encore son estomac elle s'accroupit pour ramasser les débris de verres brisés. Ses doigts ripèrent, elle sentit le sang couler sur ses mains, elle se recula vivement tentant d'essuyer le rouge qui la maculait. Elle n'arrivait pas à s'en débarrasser. Ses dents se mirent à claquer.
« Non... Non... » Elle avait vu trop de sang. Elle avait versé trop de sang. Elle ne voulait plus en voir elle ne pouvait plus.
« Aveline ? » La voix la fit sursauter. Elle recula un peu plus. Ses doigts se refermèrent autour de ceux de Seth. « J'ai entendu du bruit... » Ses yeux se posèrent sur lui.
« Je... J'ai.... Je l'ai tué... » Ses mots étaient chevrotants, incertains. Un sanglot lui échappa. D'un geste l'homme l'amena contre lui caressant doucement ses cheveux. Elle se laissa aller contre son torse essayant d'oublier la vision d'horreur qu'elle avait eu cette nuit. Elle avait tué. « Tu n'as rien dis... Tu n'as... Tu n'as... » Il resserra sa prise autour d'elle.
« Tu avais oublié. C'était mieux ainsi. » Il avait eu raison, ou peut-être tort. Elle aurait préféré ne pas se souvenir. Jamais. Ce qu'elle avait fait... Elle avait défoncé le crâne de cet homme.
« Je ne voulais pas... je.... Je... Ce n'est pas moi. » Elle revoyait encore le sang l'éclabousser. Elle s'acharnait. Elle ne se défendait pas. Elle tuait.
« Tu étais dans un état second. Tu me protégeais. » Il l'éloigna légèrement pour la forcer à le regarder. « Ce n'était pas vraiment toi Aveline. » Elle le laissa caresser sa joue en un geste tendre et rassurant. Pourtant elle n'était pas rassurée.
« Je... Je l'ai fait... » Les larmes affluèrent de nouveau.
« Je vais te raccompagner à ta chambre. » Elle s'accrocha à son bras en serrant les dents. Elle revoyait le rouge écarlate du sang dégoulinant le long des murs. Cela n'avait jamais été réel, pourtant s'en était terrifiant.
« Non... » Il l'attira de nouveau contre lui avant de la soulever.
« Alors tu dormiras dans la mienne. »
Pour toute réponse la jeune femme hocha la tête se laissant faire. Elle n'avait aucune envie de rester seule et Seth était un point de repère dans sa vie. Elle l'avait longtemps connu et sa présence était rassurante. Ce fut donc sans soucis qu'elle se laissa glisser dans le lit de l'homme, il s'installa près d'elle caressant ses cheveux. Aveline ferma les yeux, ses cauchemars restaient ancrés dans son esprit, mais les doigts rassurant de Seth semblaient les chasser. Elle s'endormie ainsi. Blottie sous les couvertures auprès de celui qui semblait avoir gagné le titre de protecteur officiel.
*
* *
Aveline termina son livre avant de le refermer, elle avait passé la matinée à éviter sa chambre. Seth ne lui avait d'ailleurs fait aucune remarque lorsqu'elle était venue s'installer dans son bureau près de la cheminée. A vrai dire ils n'avaient pas échangés un mot sur ce qui s'était passé la veille, et elle l'en remerciait. Ses doigts caressèrent la couverture de l'ouvrage distraitement alors que son regard se concentrait sur Seth qui ne semblait même plus la remarquer. Elle se mordilla la lèvre. Quelque chose de floue lui revenait en mémoire, les mauvaises blessures qu'on lui avait infligées avaient affecté sa mémoire et certains détails restaient troubles se remettant doucement en place dans son esprit.
« J'avais un sac avec moi mais je ne le retrouve pas dans mes affaires. » Elle s'en était souvenue la veille et avait commencé à fouiller mais n'avait rien trouvé.
« Non. Il ne restait rien que des débris et je n'ai pas réellement eu le temps de chercher ce que tu avais laissé derrière. » Elle se rendait maintenant compte qu'elle ne s'était même pas demandé comment ils s'en étaient sortis. Seth avait vaguement évoqué des marchands qui leur étaient venu en aide, mais rien de plus. « Il y avait quelque chose d'important dans ce sac ? » Que pouvait-elle lui répondre ?
« Juste quelques affaires, mais ce n'est pas grave. Nous sommes en vie. » Ce qui était de loin le plus important. Si on ne comptait pas le fait qu'elle avait maintenant une affreuse cicatrice au ventre. D'un geste devenu machinal elle effleura l'endroit où se situait la boursoufflure.
« Ca s'estompera. » Elle leva les yeux vers Seth qui lui souriait. « Et puis, tu en auras plein d'autres si tu continues chez les Capes Rouges. » Il avait certainement raison, jusqu'à maintenant elle s'était contenté des bleus et des égratignures que lui avaient infligé Gaëtan et Garrett.
« Pour continuer il faudrait déjà que je parvienne à te garder en vie, et aux dernières nouvelles c'est toi qui a sauvé la mienne la dernière fois. » Seth haussa les épaules.
« Non, tu m'as sauvé, je t'ai juste transportée. » Ses souvenirs étaient tellement flous qu'elle ne pouvait que le croire sur parole. La porte s'ouvrit laissant entrer l'intendant de Seth, il était visiblement inquiet. La veine sur son cou palpitait et son front dégarnit luisait d'une fine couche de sueur.
« Monseigneur, les soldats ont repérés des groupes organisés de rebelles approchant dangereusement de la demeure. Plusieurs villages ont déjà été attaqués. » Seth se releva imité par Aveline qui frissonna légèrement.
« Faites préparer deux chevaux, ainsi que le strict nécessaire pour remonter jusqu'à la Capitale. » L'homme hocha la tête et partit sans un mot de plus. Seth se tourna vers Aveline. « Chevaucher sera difficile pour toi, tu t'en sens capable ? » Lui dire non ne changerait rien, ils devaient s'en aller. Bien entendu elle aurait pu avoir un élan chevaleresque et tenter de communiquer avec ces pauvres gens que la misère avait épuisés, mais elle n'était pas inconsciente, il n'y avait rien de pire qu'un peuple en colère.
« Oui, nous n'avons de toute manière pas le choix. Je vais prendre quelques affaires. »
Seth la laissa s'en aller sans rien dire. Se dirigeant vers sa chambre Aveline s'appuya contre un mur. Où qu'elle aille les ennuis semblaient la poursuivre, il lui arrivait de se demander si tout cela n'était pas orchestré par une seule et même personne. Un sourire se dessina sur ses lèvres, impossible, ou alors il s'agissait d'une personne étonnamment puissante, personne ne se donnerait autant de mal pour une orpheline sans le sou. Après un instant de réflexion elle alla à sa chambre, son sac serait vite fait. Elle y glissa une tenue de rechange, un livre, et une dague. Se préparant elle enfila une tenue d'équitation, et attacha ses cheveux en un chignon désordonné au-dessus de sa tête. Quelques secondes elle reprit son souffle, sa blessure restait douloureuse malgré les efforts qu'elle faisait pour l'ignorer. Elle vérifia que ses flèches étaient bien affutées avant de passer son arc et son carquois autour de son épaule. Seth mettrait surement plus de temps à rejoindre les écuries, mais elle souhaitait monter en selle avant qu'il n'arrive, elle ne voulait pas lui montrer que sa blessure pouvait encore la faire souffrir.
Un palefrenier était en train de sangler le second cheval lorsqu'elle arriva, il lui coula un regard étrange avant de s'incliner, elle crut lire une certaine peur au fond de ses yeux. Ce n'était sûrement qu'une impression, Seth avait certainement prévu que les serviteurs devraient eux aussi quitter la demeure en cas de problème quelconque. Par précaution, elle ne voulait pas mourir bêtement après tout ce qui s'était déjà passé ultérieurement, elle vérifia les sangles de sa monture. Monter en selle fut d'ailleurs plus douloureux qu'elle ne l'aurait cru, elle dû rester penchée en avant durant quelques secondes avant de pouvoir se redresser des étoiles noirs dans son champ de vision. Elle prit néanmoins le soin d'attacher son sac sur la selle en attendant le seigneur des lieux qui ne tarda pas, il lui lança une cape.
« Elles sont discrètes, cela ne cachera pas que nous sommes nobles, mais ça nous donnera une moindre importance. » Aveline acquiesça. Elle avait pris la décision de s'en remettre à lui alors qu'elle était blessée. « Allons-y. »
Il s'engagea dehors, elle le suivit. Cela lui faisait étrange de partir comme une voleuse et aussi vite alors que son état était encore loin d'être bon. En tous les cas il était hors de question qu'elle montre des signes de faiblesse face à lui. Ils allaient regagner le palais sain et sauf, en essayant de ne pas se faire attaquer cette fois.
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