Chapitre 38 : Rat de bibliothèque

Non. Décidemment ce code était bien trop complexe. Aveline tentait divers combinaison qu'elle avait pu lire dans les livres. Sa chambre – au grand damne d'Eloane – était devenue un véritable capharnaüm. La servante se plaignait donc que sa maitresse soit beaucoup trop préoccupée par les ouvrages poussiéreux plutôt que par les robes de soies que Seth lui offrait. Et la jeune femme s'était offensée quand la jeune femme lui avait rétorqué que si elle aimait tant ces robes, elle n'avait qu'à les prendre. La Duchesse ne cachait pas le fait qu'elle appréciait de pouvoir parler librement avec sa femme de chambre, cela lui évitait de peser ses mots comme elle était contrainte de le faire face aux nobles qui se présentaient devant elle.

Si elle empruntait les livres à la bibliothèque elle n'avait pas encore eu le courage d'y remettre les pieds. Elle fournissait donc une liste détaillée à Garrett qui s'occupait de cette tâche pour elle. Excédée elle reposa sa plume. Elle n'y arrivait pas. Aucun des codes qu'elle apprenait dans ces livres ne l'aidait. Mahe lui avait fourni une énigme qu'elle ne parvenait pas à résoudre et cela l'énervait au plus haut point. Pourquoi ne lui avait-il pas dit les choses clairement aussi ?

N'y tenant plus elle se leva de son fauteuil. Triant les livres qui ne lui servaient plus elle en fit une pile bien ordonnée avant de passer la tête hors de sa chambre.

« Garrett ? » Elle manque de crier lorsqu'elle se retrouva face à un soldat qui s'inclina.

« Il n'est pas là Ma Dame. Mais puis-je vous être utile d'une quelconque manière ? » La jeune femme fronça les sourcils.

« Où est-il ? Pourquoi a-t-il quitté son poste ? » L'homme ne sembla pas s'inquiéter du ton tranchant de la duchesse.

« Le Seigneur Seth a eu besoin de ses services, aussi il est parti avec lui il y a une heure environ. » Une vague de colère s'insuffla en elle.

« Comment cela ? Je n'ai pas été prévenue. » Le soldat se tenait maintenant droit évitant de la regarder.

« Le Seigneur Seth a évoqué le fait qu'il ne fallait pas vous déranger, que vous aviez besoin de repos. » S'il continuait à commencer ses phrases par « le seigneur Seth » elle allait l'assommer.

« Parfait. J'ai une pile de livre à ramener à la bibliothèque, et d'autres à emprunter. Vous seriez bien aimable de me rendre ce service. » Apparemment cela lui demandait un temps de réflexion au vu du temps qu'il mit à répondre.

« J'ai ordre de rester auprès de vous. »

Ne pas soupirer. Il allait donc respecter scrupuleusement ses instructions. Elle ne voulait pas aller à la bibliothèque. Cela lui rappellerait beaucoup trop de souvenirs et elle ne savait pas si elle était capable de les affronter maintenant. Avait-elle seulement le choix ?

Nerveusement elle désigna la pile de livres derrière elle.

« Portez cela pour moi. Nous allons à la bibliothèque. »

Il fallait qu'elle affronte ses peurs comme Gaëtan le lui avait appris. Sans attendre une quelconque réponse elle sortit dans le couloir. Derrière elle la jeune femme put entendre les pas pressés de l'homme qui la talonnait. Elle faillit lui faire la remarque qu'il ne pourrait pas la protéger décemment avec tous ces livres entre les mains, mais elle s'abstint. Même si cela aurait été amusant, elle n'était pas d'humeur à plaisanter en faisant des frayeurs aux autres. Les couloirs étaient pleins. N'ayant aucune envie de se faire aborder elle se contentait de faibles bonjours avant de s'en aller d'un pas pressé. Il était étrange de constater que tous ceux qui avaient pris un malin plaisir à l'ignorer durant ses années de « honte », ce soit soudainement mit à devenir affreusement mielleux. Tout dans leur manière d'être suintait l'hypocrisie, à peu de choses près elle aurait été exactement comme eux. Peut-être que cela n'aurait pas été un mal après tout.

Quand elle entra dans la bibliothèque elle crut revenir une année en arrière. L'odeur qui flottait était la même, rien n'avait changé. Elle s'arrêta sur le seuil, son cœur tambourinant dans sa poitrine.

« Aveline ? » La jeune femme tourna légèrement la tête, il lui fallut toute sa concentration pour ne pas sauter au cou de son ami.

« Aël ? Qu'est-ce que tu fais là ? » Il s'approcha mimant une révérence et relevant le menton.

« Je remplace notre chère bibliothécaire. » Un sourire s'épanouissait sur ses lèvres, il était visiblement ravi.

« Mais, tu étais au service du Seigneur Seth. » Il hocha la tête, il semblait comblé.

« Beaucoup de choses ont changé. Quand tu es partie, il n'y avait personne pour s'occuper de la bibliothèque. Je me suis proposé et le Seigneur Seth a appuyé ma demande. » Il haussa les épaules comme si ce n'était rien, mais elle pouvait sentir à quel point il était satisfait. « Grâce à toi je connais cet endroit par cœur, mais je suis encore loin d'avoir toutes tes connaissances. » Le soldat déposa les livres sur le bureau en toute discrétion, elle le regarda du coin de l'œil avant de se concentrer de nouveau sur son ami.

« J'ai mis quelques années à apprendre, j'étais en apprentissage. Tu as beaucoup de mérite d'être arrivé là. » Elle regarda autour d'elle. Finalement, alors qu'elle avait tant appréhendé ces retrouvailles avec une partie de sa vie, elle se sentait toujours autant en sécurité dans cet endroit, comme si elle ne l'avait jamais quitté.

« Peut-être, mais tu étais fantastique. » Ce compliment la fit rougir. Elle détourna les yeux.

« Tu sais qu'au besoin tu peux venir me voir. » Aël hocha la tête visiblement heureux. La peur qui avait noué l'estomac d'Aveline avait totalement disparue. Sa bibliothèque était entre de bonnes mains. Elle cessa de penser une seconde. Bibliothèque. Bibli. Bib. Son sang ne fit qu'un tour. Mais bien sûr ! L'indice de Mahe. Tout sourire elle se tourna vers son ami. « Je vais aller faire un tour et te laisser travailler. » Sentant dans son dos une présence prête à lui coller aux talons elle se tourna vivement. « Vous pouvez rester à l'entrée, je ne vais pas me faire attaquer par des livres. »

Il sembla hésiter, mais hocha finalement la tête. Ce fut donc seule qu'elle commença à avancer entre les rangées de livres. Dans sa tête le rangement était très clair. Elle savait où chercher à présent. Il ne lui fallut pas plus d'une minute pour trouver ce qu'elle recherchait. Il faudrait néanmoins qu'elle touche un mot à Aël à propos du rangement, certains ouvrages n'étaient pas à leur place. Un instant elle fut heureuse de n'avoir rien perdu de son apprentissage. Même si elle avait vécu sans bibliothèque plus d'un an, se retrouver ici lui donnait envie d'être de nouveau celle qu'elle avait été autrefois : la bibliothécaire.

Ses doigts s'arrêtèrent sur la tranche d'un livre. Elle le tira de l'étagère. La jeune femme haussa un sourcil. Un livre sur les plantes. En quoi cela pourrait lui être utile ? Soit Mahe devenait fou, soit il y avait un autre code là-dessous. Sans plus réfléchir elle mit l'ouvrage sous son bras. Finalement elle ne repartirait qu'avec celui-ci et cela semblait amplement suffisant. Quoi que, autant le feuilleter maintenant. Elle s'installa par terre étalant ses jupons atour d'elle. Assise en tailleur elle posa l'ouvrage sur ses genoux et commença à tourner les pages. Il fallait qu'elle se laisse entrainer pour comprendre.

*

* *

« Aveline ? » La voix la fit sursauter et elle lâcha le livre qu'elle tenait. Elle leva les yeux vers Seth. « Vous n'êtes pas venu diner. » Elle regarda autour d'elle. La jeune femme se rendit compte qu'elle n'avait même pas vu Aël allumer les torches et que la nuit était tombée dehors. Précipitamment elle rassembla les livres qu'elle avait éparpillés autour d'elle. Le seigneur se mit à genoux près d'elle pour l'aider. « Si vous chercher quelque chose, je pourrais vous aider. Je ne tiens pas à ce que vous vous épuisiez, je sais que vous veillez tard le soir. » Bien entendu qu'il le pouvait. Elle aurait souhaité lui répondre oui cependant les mises en gardes de Gaëtan et Mahe lui revinrent en mémoire. Elle ne pouvait avoir confiance qu'en Garrett. Cela lui paraissait idiot après tout ce que Seth avait fait pour elle mais il avait clairement dit ne pas vouloir l'aider, pas de cette manière en tout cas, même si comme protecteur il était admirablement doué.

« Je suis désolée si je vous ai causé une quelconque inquiétude. Merci de me proposer ainsi votre aide, mais je ne fais qu'étudier, je ne cherche rien en particulier si ce n'est des connaissances. » Cela était un pur mensonge mais elle parvint à l'agrémenter d'un sourire tout à fait aimable. La main de Seth effleura la sienne.

« Aël rangera. » Autour d'elle la jeune femme regarda tout ce qu'elle avait dérangé. Il était hors de question qu'elle laisse quelqu'un ranger ce qu'elle avait laissé trainer.

« Ce serait injuste, je peux parfaitement m'en occuper. » Elle se saisit des livres qu'elle avait pris, il n'y en avait que quatre. Le jeune seigneur lui sourit et en prit lui-même deux.

« Dans ce cas, permettez-moi de vous venir en aide. » D'un hochement de tête elle lui donna son approbation. Cela lui faisait étrange de se retrouver de nouveau là face à tous ces livres qu'elle avait si souvent côtoyés. Elle se frotta les mains une fois les deux livres rangés et jeta un coup d'œil dans la direction de Seth. Un soupir d'exaspération passa les lèvres d'aveline alors qu'elle allait lui prendre le livre des mains.

« Il ne va pas là voyons. » Elle plaça l'ouvrage à sa place, ses vieux travers de bibliothécaire revenaient à la charge.

« Je ne suis pas un enfant que l'on réprimande ma Dame. » Elle haussa un sourcil tout en se tournant vers Seth, il avait un petit air espiègle qu'elle ne lui avait vu que très rarement. Ils commençaient à être à l'aise l'un avec l'autre.

« Apprenez donc à ranger les livres à leur juste place. » Un sourire victorieux flotta sur les lèvres de la duchesse. Seth s'était rapproché d'elle, ses doigts effleurèrent bientôt sa joue.

« Vous me l'apprendrez ? » Alors qu'il glissait ses doigts sur sa taille elle sentit que les choses commençaient à devenir dangereuses. Il flirtait avec elle. Visiblement il avait décidé de changer de tactique.

« Si vous voulez. Quand nous aurons du temps. » Elle le repoussa en douceur pour qu'il la lâche, ce qu'il fit sans aucune résistances mais il se pencha et l'embrassa. Aveline se sentit soudain perdre pied, paralysée parce qu'ils étaient en train de faire. Il lui posa une main sur la joue la caressant tendrement.

Elle détestait faire souffrir les gens.

Elle se dégagea vivement détournant les yeux, heureusement qu'il faisait sombre car ses joues s'étaient empourprées.

« Pardonnez-moi mais je crains de ne pas pouvoir répondre à vos avances. » Lui tournant le dos elle tenta de retrouver un semblant de raison en pensant à Garrett, s'il apprenait ça il n'aurait pas la délicatesse d'ignorer ce geste de Seth. Il aurait certainement raison d'ailleurs.

« Aveline... » Seth se tenait derrière elle, elle pouvait sentir son souffle dans ses cheveux. « Quand laisserez-vous quelqu'un vous aimez ? » Son cœur tambourina dans sa poitrine. Hors de question qu'il sache la vérité à propos d'elle et Garrett, ils ne s'aimaient déjà pas, elle ne souhaitait pas créer de conflits supplémentaires. Elle décida de jouer la carte de celle qui avait été meurtrit par l'amour. Alors se tournant elle lui fit face.

« Tous les membres de ma famille sont morts, la plupart des personnes importantes pour moi finissent par mourir ou par s'attirer de gros ennuis de toute manière. Je ne suis pas une personne fréquentable, je ne sais pas pourquoi ni ce que j'ai fait pour que cela arrive mais on m'en veut. Alors je crains pour le moment de ne pas pouvoir laissez quelqu'un m'aimez et j'en suis désolée pour vous. » Durant quelques secondes il la fixa.

« Votre garde du corps est-il au courant ? » Sa voix était tout d'un coup glaciale et Aveline se sentit un instant défaillir mais elle tint bon.

« De quoi parlez-vous ? » S'il voulait jouer la carte de la froideur elle pouvait elle aussi participer.

« Vous n'êtes pas des plus discrets. » Cette remarque lui fit serrer les poings. Sa vie privée ne le regardait pas.

« Cela nous enlève donc une épine du pied. » Au moins les choses étaient claires entre eux. « Je n'avais pas l'intention de vous blesser, c'est pour cela que je ne vous ai rien dit. Pour tout ce que vous avez fait à mon égard je vous respecte, ici je suis votre fiancée, aussi je ne ferais rien qui puisse nuire à votre réputation. Cependant comprenez que durant un an j'ai eu une vie, et que j'y retournerais dès que tout cela sera terminé. » Il la toisa. Visiblement elle l'avait contrarié, sachant qu'elle venait de lui briser le cœur cela était compréhensible.

« Pourquoi lui ? » Cette question l'a pris au dépourvu. Elle s'était attendue à beaucoup de choses mais pas à cela.

« Ce n'est pas un sujet que je me sens le besoin d'aborder avec vous. » Tout en parlant elle avait croisé les bras sur sa poitrine. Cela n'était que la pure vérité, il n'avait pas à tout savoir d'elle. Si elle devait épancher ses sentiments, ce ne serait certainement pas avec lui.

« C'est un analphabète, rustre et mal luné. » Le sang d'Aveline ne fit qu'un tour. Elle foudroya Seth du regard, même si elle devait bien avoué que Garrett pouvait parfois être mal luné.

« Garrett est un homme remarquable, il est bienveillant, attentif, il ne me demande pas d'être une autre et il à un coeur d'or ! » Mettant ses mains sur ses hanches elle releva fièrement le menton comme elle avait si souvent vu sa mère faire. « Ce qui ne semble pas être le cas de tout le monde. » Furieuse elle tourna les talons s'engageant dans les allées de la bibliothèque pour rejoindre la sortie.

« Aveline ! » L'ignorant royalement elle continua son chemin. Après quelques pas il la saisit par le poignet. « Pardonnez-moi si je vous ais offensée, ce n'était pas là mon intention. » Un frisson glacé lui parcouru l'échine.

« J'aime Garrett et peu m'importe ce que vous pensez de cela. Je n'ai jamais voulu vous blesser mais le fait est là, peut-être vous ai-je aimé auparavant, mais le temps a passé, beaucoup de choses sont arrivées et j'ai changé, je ne vous aime pas. Quoi que vous fassiez cela n'arrivera pas, j'ai déjà choisi. » Il la relâcha comme si elle venait de le bruler.

« Je comprends fort bien. Vous m'en voyez désolé. Au revoir, Aveline. » Il s'inclina fébrilement avant de prendre la direction de la sortie. Elle sentit que quelque chose venait de se briser entre eux. Mais il avait été trop loin cette fois.


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