Chapitre 36 : Échec et mat
Le regard dans le vide, Aveline n'avait pas bougé depuis plus d'une heure. Garrett et Seth se relayaient pour frapper à sa porte, lui parlant doucement pour la faire sortir. Aucun d'eux n'y parvint. La jeune femme se sentait lasse, vidée, elle ne parvenait même plus à pleurer. Un sentiment étrange l'étreignait, ce sentiment de n'être plus rien qu'une coquille sans âme. Plus rien n'avait de sens. Alors qu'elle cherchait des réponses elle soulevait encore plus de question. Elle se recroquevilla un peu plus sur elle-même. Elle voulait s'éloigner de cet endroit, retrouver le calme du palais des Capes Rouges, était-ce donc trop demandé de rester loin des complots et de tout ce qui était susceptible la tuer ?
Peut-être qu'il était temps qu'elle prenne tout cela en main. Qu'elle tire toute cette histoire au clair pour repartir de là le cœur léger. Après tout c'est dans son dos que l'on complotait. La jeune femme se releva en lissant sa robe. Pour le moment cependant elle ne voulait pas être forte, elle voulait juste s'abandonner entre les bras de Garrett. Le serrer dans ses bras à s'en briser les os, l'embrasser à en oublier son nom. Etre avec lui. Essuyant les vestiges de ses larmes Aveline ouvrit la porte. Il lui fut difficile de cacher sa déception lorsque son regard se posa sur Seth. Elle n'eut pas le temps d'esquisser un geste qu'il la prenait dans ses bras.
« Je suis désolé pour ce qui vient de se passer. » Désolé ? De quoi ? Qu'y pouvait-il ? Un complot beaucoup trop grand pour eux se tramait dans leurs dos.
« Il faut l'aider... » Elle appuya sa tête contre l'épaule du seigneur. Elle n'avait pas la force de le repousser, de lui dire que cela était assez. Sa seule envie était de s'allonger et de récupérer ses forces.
« Nous ne le pouvons pas. Il a... Son acte... Ce n'est pas pardonnable. » Il l'empêcha de se dégager une main posée sur sa nuque jouant avec ses cheveux.
« Il est innocent. Il n'a rien fait. » Elle parvint à s'éloigner légèrement. Son regard croisa celui de Seth, il y avait une certaine lassitude dans son regard, presque de la pitié.
« Il a tué une dirigeante Aveline. Il m'est impossible de l'aider, personne ne le peut. » Tout son corps trembla. Jamais Mahe n'aurait fait cela. Il ne le pouvait pas, il était bien trop gentil. Il lui avait juré.
« Je veux le voir. » Cette fois Aveline se détacha tout à fait, les mains de Seth restant sur ses hanches. Il la serra pour ne pas qu'elle aille plus loin.
« Non. Cela n'est même pas envisageable. » Elle le foudroya du regard tout en serrant les poings.
« Je me débrouillerais seule dans ce cas. » Après tout elle avait suivie tout un entrainement autant que cela lui serve, surtout qu'en tant que garde du corps elle semblait avoir été mise sur la touche.
« Il n'en est même pas question. Tu ne feras rien. » Il était donc passé au tutoiement.
« Lâchez-moi. » Elle n'avait pas haussé le ton mais sa voix était sans appel. Il ne bougea pas.
« Tu obéira. » Ses mains se refermèrent un peu plus sur les hanches de la jeune femme.
« Nous savons que je ne le ferais pas. » Au fur et à mesure qu'elle parlait sa voix se faisait plus menaçante. Seth l'attira un peu plus contre lui sans sourciller.
« Vous le ferez. Parce que votre position vous impose le respect. » Il lui donnait l'impression d'être redevenue une enfant capricieuse.
« Je dois parler à Mahe. » Son regard se posa sur les mains de l'homme. « Maintenant lâchez-moi. » Il la toisa avec insistance comme s'il recherchait une faille dans sa détermination.
« Vous aviez raison. Vous avez changé. » Il lui prit le menton alors qu'un léger sourire illuminait son visage. « Cela ne me déplait pas. » Aveline fronça légèrement les sourcils. Elle n'appréciait pas la manière dont il disait les choses.
« Ne vous faites pas d'illusions, je reste simplement à cause du contrat. Une fois tout cela terminé, je reprendrais le cours de ma vie, loin d'ici. »
Eloignée de toutes ces intrigues, et manigances. Du bout des doigts Seth lui caressa le visage. La jeune femme se retint de le gifler. Elle étouffa une exclamation lorsqu'il se pencha pour s'emparer de ses lèvres. Son corps tout entier trembla. Aveline n'osait pas esquisser un seul mouvement, figé dans un sentiment d'incrédulité. Cela ne dura pourtant qu'une fraction de seconde, elle n'eut pas le temps de réfléchir qu'on la tirait en arrière. D'une poigne de fer Garrett serrait son bras à s'en faire blanchir les phalanges. La jeune femme ne tenta même pas de se dégager, consciente qu'il ne faisait pas cela pour la blesser mais simplement par jalousie.
« Ne la touchez pas sans son consentement. » Elle le sentait prêt à bondir, si bien que de sa main libre elle lui caressa le poignet.
« Je ne crois pas que cela soit à vous d'en juger. » Le calme de Seth l'impressionna, il n'avait pas eu à élever la voix pour que l'on sente les pires menaces dans ses paroles.
« Aveline est sous ma responsabilité. » Aveline trembla légèrement derrière Garrett. Ce débat, qui n'en était pas un, l'ennuyait profondément. L'exaspérait même.
« Parce que je l'autorise. » Ils se jaugeaient prêt à bondir l'un sur l'autre.
« Il suffit. Je ne suis pas un jouet que l'on se dispute. Ma décision est prise, j'irais voir Mahe et ce n'est pas discutable. » Elle se redressa tout en dégageant son poignet. « Et je crois que nous avons des affaires autrement plus importantes à régler que de savoir qui commande. » La jeune femme croisa les bras, sourcils froncés. « Maintenant messieurs ayez l'amabilité de quitter ma chambre, je souhaite me changer puis me reposer. » Ils la toisèrent un instant, visiblement aucun d'eux ne s'était attendu à ce qu'elle réagisse ainsi. « Ce n'était pas une proposition. » Garrett fronça légèrement les sourcils mais ne se formalisa pas, après une courbette maitrisée il tourna les talons pour sortir assez vite imité par Seth qui referma la porte derrière lui. Dès qu'elle jugea qu'assez de temps s'était écoulé, Aveline put enfin respirer. Elle passa une main sur son visage. Tout cela était beaucoup trop pour elle, et elle n'était certainement pas d'humeur à regarder s'affronter deux hommes dans un combat de coqs. Son choix était déjà fait, et même si la jalousie de Garrett était touchante, il y avait un moment pour chaque chose. Et là, il était l'heure pour elle d'aller dormir, elle ne pourrait pas aider Mahe si elle était fatiguée.
*
* *
L'attente était interminable. Aveline tournait en rond dans sa chambre, attendant une réponse à un message délivré le matin même. Elle s'était assuré que celui-ci arrive entre de bonnes mains en le confiant à Aël qu'elle avait, par ailleurs, été heureuse de retrouver. Garrett la regardait faire les cent pas, confortablement installé dans un fauteuil et le regard dans le vide.
« Je ne vois même pas pourquoi tu attends l'approbation de cet homme. Qu'est-ce que cela change ? » Elle le foudroya du regard, avant de s'adoucir lorsqu'elle s'aperçue qu'il était visiblement vexé par son attitude.
« Si nous faisons cela dans les règles nous pouvons espérer un procès, et ce que me dira Mahe sera consigné dans registre. Sinon, ce ne sera que notre parole contre celle des juges. » Tout n'était qu'affaire de subtilité et de patience, seulement il lui semblait en avoir de moins en moins ces derniers temps. « De plus, cela veut dire que l'élection pour un nouveau dirigeant sera avancée, donc nous n'avons que peu de temps pour l'aider. » Garrett hocha la tête, il ne semblait pas s'offenser qu'elle prenne autant à cœur la défense de Mahe. « Tu n'es pas en colère que je cherche à l'aider ? » Il haussa les épaules, visiblement désinvolte.
« Si ta question es : Es-tu jaloux ? La réponse est oui, je le suis. Cependant, j'ai confiance en toi. Tu as tes raisons pour l'aider, et si tu crois en son innocence alors je te soutiendrais autant que je le pourrais. » Leurs regards se croisèrent un instant. Aveline s'approcha de Garrett, un sourire aux lèvres elle se pencha pour l'embrasser.
« Hier soir tu n'avais pas un discours aussi raisonnable. » Il lui caressa le visage du bout des doigts un sourire aux lèvres.
« Hier soir un riche imbécile avait sa bouche sur la tienne alors que tu étais bouleversée. C'était totalement différent. » Si elle aurait souhaité pouvoir l'embrasser de nouveau et se perdre dans une étreinte, ce n'était pas le moment. La porte s'ouvrit sur Mary qui lui tendit une lettre en s'inclinant alors que Garrett se relevait en lissant sa veste.
« Tu n'es pas obligé d'agir ainsi quand il n'y a que nous tu sais, je suis la même qu'avant. » Elle sourit tout en prenant la missive, craignant ce qu'il y avait à l'intérieur.
« Je préfère ne pas prendre de risque maintenant tu es... enfin vous êtes, la promise d'un grand seigneur. » Elle soupira. Evidemment, cela aurait été trop simple sinon. Pourquoi tant de complications ? Aveline se contenta d'hocher la tête avec un sourire qui ne pouvait cacher sa déception.
« Merci pour la missive en tout cas. »
Alors qu'elle décachetait le sceau elle eut l'impression que son cœur allait exploser. Quelle serait la réponse ? Et si cela était négatif ? Impossible, Mahe avait le droit au même traitement que n'importe quel prisonnier. Elle lue rapidement les quelques mots posés sur le papier avant de le poser sur la table près d'elle. Quelque chose dans toute cette histoire n'allait pas. Elle n'aurait pas su dire quoi, pourtant cela lui donnait l'impression d'être lacérée par des milliers de lames.
« Qu'y a-t-il ? » La voix de Garrett la fit sursauter. Elle jeta un rapide coup d'œil, Aël avait disparu.
« Un refus. Apparemment la faute de Mahe est jugée trop grave, il n'a pas le droit aux visites. » Le jeune homme saisit la lettre et tenta de la déchiffrer en plissant les yeux. « Ne cherche pas. Il sera exécuté sans procès. » Sa gorge se serra. Cela était pire que tout. On ne lui donnait même pas l'espoir qu'il pouvait être jugé à huis clos.
« Avy... Je suis désolé. » Il lui prit doucement la main, serrant ses doigts entre les siens.
« Cela ne peut pas se faire Garrett. C'est... C'est contraire à notre politique. » Elle devait faire quelque chose. « J'ai quelque chose à faire. Seule. » Il n'essaya même pas de la retenir alors qu'elle se précipitait dans le couloir.
*
* *
Après une grande inspiration la jeune femme entra dans le bureau dans son « fiancé ». Seth leva les yeux vers elle, il ne semblait même pas surpris. Avec prudence elle referma la porte derrière elle. Un instant elle détailla les piles de livres et de parchemins qui trainait çà et là dans la pièce. Elle s'avança en remontant le bas de sa robe pour ne rien faire tomber. Seth la regardait progresser, visiblement patient.
« Je suppose que vous savez déjà pourquoi je suis ici. » D'un geste il l'invita à prendre place sur un fauteuil face à son bureau.
« En effet. Votre demande pour visiter votre ami vous a été refusée, et vous avez appris la nouvelle concernant son... Destin. » Elle serra légèrement les poings, l'injustice dont était victime Mahe la révoltait.
« Vous le saviez et vous m'avez laissé attendre la réponse du Secrétaire des Geôles. » Il repoussa les quelques piles de diverses choses qui étaient sur son bureau.
« Exact. Je savais que la nouvelle vous déplairait, et si je vous l'avais annoncée vous n'en auriez fait qu'à votre tête. » Elle devait reconnaitre qu'il n'avait pas tout à fait tort.
« Aidez-moi. S'il vous plait. Mahe est un ami, et je suis certaine qu'il est innocent, je pourrais vous le prouvez. » Le Seigneur donnait l'impression de chercher quelque chose alors qu'il ne la regardait plus, occupé à fouiller dans ses tiroirs.
« Il est innocent. Je n'ai pas besoin de preuve. » Elle n'aimait pas le ton compatissant qu'il employait avec elle.
« Alors, vous allez m'aider ? » L'espoir s'invita en elle. Seth posa sur son bureau un jeu d'échec sur lequel il commença à installer des pièces.
« Non. » Un tremblement la prit, elle se contenait pour ne pas l'insulter et lui hurler à la figure tout ce qu'il pensait. Elle se relevait quand il lui fit signe de se rasseoir. « Je vais vous expliquez. Jouez-vous aux échecs ? » Pour le moment elle avait surtout envie de lui enfoncer les pièces du jeu dans le gosier pour qu'il s'étouffe avec.
« Oui. » Sa gorge était serrée, et elle préférait éviter de trop ouvrir la bouche, sinon un flot de paroles incontrôlées risquait d'en sortir.
« Bien. Faisons une partie, je vous promets d'éclaircir les choses. »
Il lui fit signe de commencer. Résignée elle obtempéra espérant obtenir quelque chose de lui qui puisse l'aider. Les échecs avaient toujours été un jeu qu'elle appréciait grandement. Seulement cela n'était pas vraiment le moment pour elle. La concentration n'était pas là. Néanmoins elle se prêta au jeu. Elle n'avait pas perdue sa dextérité et elle jouait plus rapidement qu'elle ne l'aurait cru. D'ailleurs, elle gagnait. Aveline fronça les sourcils lorsque Seth déplaça un pion qu'elle n'avait pas remarqué, et d'une manière contraire aux règles.
« Essayez-vous de tricher ? » Il lui sourit lorsqu'elle leva les yeux vers lui.
« En tout cas j'ai gagné. » Si cela avait pour but d'être amusant, ce n'était pas le cas. « Je suis certain que vous avez lu plus d'ouvrages sur la politique que moi, pourtant vous ne comprenez pas. Pour vous il s'agit d'un ensemble de règles que chacun choisit de respecter pour diriger et atteindre le but ultime du pouvoir. Comme pour les échecs. » Les règles étaient faites pour qu'on les respecte et ainsi facilité la vie de tous, mais elle n'était pas dupe, évidemment que des gens les transgressaient. « Ce que les gens oublie c'est qu'en réalité il n'y a pas de règles, le but reste le pouvoir évidemment, mais chacun joue à son propre jeu. Déplaçant ses pions comme il l'entend et se débarrassant de ceux devenus trop gênants. » Ainsi il choisissait de lui faire un cours sur la politique, intéressant. « Il y a plus d'un an je vous ai prévenu que l'on tentait de se débarrasser de vous, j'ai travaillé à vous protéger et à vous blanchir, l'affaire n'était pas trop grave. » Il soupira visiblement agacé. « Aujourd'hui Mahe est le pion gênant. Et il a été décidé que l'on se débarrasserait de lui en mettant en scène quelque chose d'assez sordide pour qu'on ne puisse pas l'en extirper. » Il plongea son regard dans le sien. « Voilà pourquoi je ne l'aiderais pas. La personne qui lui en veut est puissante, je ne peux pas lutter, aussi je n'interviendrais pas. Je ne deviendrais pas un pion à éliminer. La politique est un jeu Aveline, peu importe que des gens meurent. » Un instant elle regarda dans le vide, il n'avait pas tort, et c'était peut-être là le pire. Ils n'étaient que ces petits pions insignifiants dont on se débarrassait au besoin.
« Je ne peux pas le laisser... » Malgré tout, lorsqu'elle retournait la situation dans son esprit une seule conclusion lui apparaissait : Seth avait raison. On avait piégé Mahe et elle ne pouvait pas l'aider. Le Seigneur se releva pour s'approcher d'elle.
« Vous n'en ferez rien. Cela vous mettrait en danger. » Elle détestait devoir le reconnaitre. Elle secoua légèrement la tête.
« Je comprends. » Aveline se releva légèrement tremblante. Il fallait qu'elle trouve un nouveau plan. « Merci de m'avoir reçue. »
En réalité elle se forçait à être aussi polie. Si elle avait pu tous les objets auraient déjà volés dans la pièce. Cependant elle contint sa colère. Elle trouverait une solution, quelque chose, n'importe quoi. Sans attendre que Seth la retienne la jeune femme s'éclipsa. Pour le moment elle n'avait aucune idée de comment s'y prendre pour sortir Mahe, une seule chose lui apparaissait clairement, ce ne serait pas légal.
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